Ecolo-Ethik et DROITS DES ANIMAUX

vu sur Huffingtonpost

DROITS DES ANIMAUX – Sous l’impulsion du think tank pour l’innovation écologique, Ecolo-Ethik co-fondé par la sénatrice Chantal Jouanno et la magistrate Laurence Vichnievsky, plusieurs tables rondes menées par d’éminents experts vont se tenir au Sénatdès ce 5 novembre pour y débattre du bien-être des animaux, de nos devoirs envers eux, de leur statut.

Seront ainsi abordées la reconnaissance de l’animal par la science et la pensée, l’animal dans l’économie, l’enseignement et le droit. Elles seront suivies par un colloque international qui se tiendra au Palais du Luxembourg le 07 février 2014 autour de l’ouvrage « Les animaux aussi ont des droits » à l’origine de cette initiative (voir invitation ci-dessous). Un événement qui sera présidé par Boris Cyrulnik, Mathieu Ricard et Yves Coppens avec la participation d’Elisabeth de Fontenay, Peter Singer, Jane Goodall et bien d’autres personnalités sensibilisées par cette cause.

La portée de ces travaux -auxquels sont associées les entreprises et les principales organisations de protection animale et de protection de la nature- doit en particulier nous conduire à repenser le statut de l’animal via une proposition de loi visant à modifier les dispositions actuelles du Code Civil et du Code Pénal. Comment vivre désormais avec les animaux? Pouvons-nous concilier justice sociale et respect des bêtes? ll est temps que la question animale soit portée sur la place publique et invite au débat.

La démocratie otage du libre échange

Le point de vue de José Bové sur l’accord de libre échange entre l’Union européenne et le Canada- lire la suite de cet article

Les premières victimes de l’accord de libre échange entre l’Union européenne et le Canada, présenté par Barroso et Harper le 18 octobre à Bruxelles, sont les paysans européens et canadiens et les consommateurs. L’Union européenne souhaite ouvrir son marché à la viande bovine produite dans les grandes exploitations canadiennes. 50 000 tonnes de viande de bœuf arriveront ainsi dans nos assiettes, ce qui représente grosso modo 8 % de la production française et 2 % de la production européenne. Ce n’est pas une paille. Les revenus des éleveurs spécialisés dans l’élevage bovins sont déjà particulièrement bas. En moyenne, en France ils atteignent à peine 14 000 € par an alors que ceux de leurs collègues céréaliers dépassent 75 000 €.

De nombreux élevages, en particuliers dans les régions d’Auvergne, de Bourgogne, du Limousin et de Midi-Pyrénées sont au bord de la faillite. Les coûts de production s’envolent alors que dans le même temps la consommation de viande bovine baisse régulièrement du fait de la chute du pouvoir d’achat de nos concitoyens. L’arrivée de la viande canadienne serra le coup de grâce. Elle achèvera de détruire de nombreuses zones rurales, ce qui aura des répercussions en cascade sur d’autres secteurs économiques liés directement à l’agriculture comme les petites et moyennes entreprises de transformation alimentaire, ou indirectement comme le tourisme. En Europe, c’est la France qui sera la plus touchée, mais d’autres pays comme l’Irlande, l’Espagne, qui traversent également une crise économique grave seront également affectés. Les éleveurs du sud et de l’ouest de l’Allemagne seront également affectés.

Accorder de la valeur aux animaux

Sur ethik.org

Par Matthieu Ricard
Plus que le droit, c’est par l’altruisme et la compassion que l’on doit protéger les animaux.

Si la question des droits de l’homme est déjà suffisamment complexe — certains, presque toujours pour justifier leurs régimes totalitaires, contestent encore l’universalité des droits de l’individu telle qu’elle a été énoncée par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme — celle des animaux l’est encore plus. Nombre de philosophes considèrent que droits et devoirs ne peuvent concerner que des personnes précises et que nous ne sommes pas responsables de la souffrance et du bonheur des êtres en général. Dans le cas des êtres humains, ils appliquent ce raisonnement aux générations à venir, qui ne sont à nos yeux qu’une multitude de personnes indéterminées. Ils arguent également que l’on ne peut parler de droits que dans la mesure où les individus concernés sont conscients de leurs droits et les associent à la responsabilité de reconnaître ces mêmes droits chez autrui, ce qui ne peut être le cas des êtres à venir, ni des animaux.
Pour sortir de cette impasse, il suffit, au lieu d’argumenter sur la notion de droits, de parler le langage de l’altruisme et de la compassion. Si l’extension de l’altruisme à tous les êtres qui nous entourent est une faculté unique au genre humain, son extension aux animaux n’en est qu’une conséquence logique.
Que les animaux ne puissent pas être conscients du concept de « droits », n’enlève rien au fait que, comme nous, ils aspireront à ne pas souffrir, à rester en vie, et à rechercher les conditions les plus propices à leur bien-être. Nous ne pouvons donc nous sentir dispensés de nous interroger sur les conséquences de nos actions et de notre mode de vie.
Accorder de la valeur à l’autre et être concerné par sa situation représente deux composantes essentielles de l’altruisme. Lorsque cette attitude prévaut en nous, elle se manifeste sous la forme de la bienveillance envers ceux qui pénètrent dans le champ de notre attention et elle se traduit par la disponibilité et la volonté de prendre soin d’eux.
Lorsque nous constatons que l’autre a un besoin ou un désir particulier dont la satisfaction lui permettra d’éviter de souffrir ou d’éprouver du bien-être, l’empathie nous fait tout d’abord ressentir spontanément ce besoin. Ensuite, le souci de l’autre, l’altruisme, engendre la volonté d’aider à le satisfaire. À l’inverse, si nous accordons peu de valeur à l’autre, il nous sera indifférent : nous ne tiendrons aucun compte de ses besoins peut-être ne les remarquerons-nous même pas
Ceci étant dit, se contenter de miser sur la compassion de nos semblables ne suffit pas. Il est indispensable de protéger les animaux contre les abus et les souffrances auxquels les soumettent ceux qui, précisément, manquent de compassion à l’égard des êtres sensibles que sont les animaux. On ne protège par les êtres humains de la torture, de la privation de liberté et de tous ceux qui entreprennent de porter atteinte à leur vie, simplement parce qu’ils sont conscients de leurs droits, mais parce qu’il est inadmissible de les traiter de la sorte.
Or, comment une bonne partie de notre société traite-t-elle les animaux ? Écoutons un dirigeant de la firme américaine Wall’s Meat : « La truie reproductrice devrait être conçue comme un élément précieux d’équipement mécanique dont la fonction est de recracher des porcelets comme une machine à saucisses, et elle devrait être traitée comme telle. »
Si la dévalorisation des êtres humains conduit à les assimiler à des animaux et à les traiter avec la brutalité que l’on réserve souvent à ces derniers, l’exploitation massive des animaux s’accompagne d’un degré de dévalorisation supplémentaire : ils sont réduits à l’état de produits de consommation, de machines à faire de la viande, de jouets vivants dont la souffrance amuse ou fascine les foules. On ignore sciemment leur caractère d’être sensible pour les ravaler au rang d’objets.
La notion d’altruisme est ainsi mise à rude épreuve avec la façon dont nous traitons les animaux : lorsqu’une société accepte comme allant de soi la pure et simple utilisation d’autres êtres sensibles au service de ses propres fins, n’accordant guère de considération au sort de ceux qu’elle instrumentalise, alors on ne peut parler que d’égoïsme institutionnalisé. C’est ce qu’exprimait Gandhi dans sa célèbre maxime : « La grandeur et le développement moral d’une nation peuvent se mesurer à la manière dont elle traite ses animaux. »
Nous sommes donc encore loin du compte. Dans les élevages industriels, la durée de vie des animaux est d’environ 1/60e de ce qu’elle serait dans des conditions naturelles. Tout se passe un peu comme si les Français ne pouvaient pas espérer vivre plus d’un an et quatre mois. On confine les animaux dans des boxes dans lesquels ils ne peuvent pas même se retourner ; on les castre ; on sépare à la naissance les mères de leurs petits ; on les fait souffrir pour nous divertir (corridas, combats de chiens, etc.) ; on les attrape avec des pièges qui leur broient les membres dans des mâchoires d’acier ; on les écorche vifs, on les broie vivants (C’est le sort réservé à des centaines de millions de poussins mâles chaque année). En bref, on décide quand, où et comment ils doivent mourir sans nous soucier de leur sort, de leur ressenti et de leur volonté de rester en vie.
Dans les abattoirs, nombre d’animaux sont saignés, écorchés et démembrés alors qu’ils sont encore conscients. Cela arrive tout le temps, et l’industrie comme les autorités le savent.
Les chiffres dépassent l’imagination. Chaque année, plus de 1 milliard d’animaux terrestres sont tués en France, 15 milliards aux États-Unis, et approximativement 100 milliards dans le monde. Quant aux poissons, crustacés et « fruits de mer, une étude utilisant les données fournies par plusieurs organisations internationales concernant les prises annuelles, étude qui tient compte du tonnage des prises et d’une évaluation du poids moyen de chaque espèce, aboutit au chiffre astronomique d’environ 1 000 milliards, de poissons tués annuellement.
Certains objecteront : « Après tout, c’est la vie. Pourquoi tant de sentimentalité à l’égard de comportements qui ont toujours été les nôtres ?  À quoi bon vouloir les changer ? » Mais ne sommes-nous pas supposés avoir évolué depuis les époques considérées comme barbares, en devenant plus pacifiques et plus humains ? À quoi bon sinon s’émerveiller des progrès de la civilisation ?
Est-il encore possible de garder les yeux fermés ?
Cela ne dépend que de nous.

Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens

Imagine-t-on des multinationales traîner en justice les gouvernements dont l’orientation politique aurait pour effet d’amoindrir leurs profits ? Se conçoit-il qu’elles puissent réclamer — et obtenir ! — une généreuse compensation pour le manque à gagner induit par un droit du travail trop contraignant ou par une législation environnementale trop spoliatrice ? Si invraisemblable qu’il paraisse, ce scénario ne date pas d’hier. Il figurait déjà en toutes lettres dans le projet d’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) négocié secrètement entre 1995 et 1997 par les vingt-neuf Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (1). Divulguée in extremis, notamment par Le Monde diplomatique, la copie souleva une vague de protestations sans précédent, contraignant ses promoteurs à la remiser. Quinze ans plus tard, la voilà qui fait son grand retour sous un nouvel habillage.

L’accord de partenariat transatlantique (APT) négocié depuis juillet 2013 par les Etats-Unis et l’Union européenne est une version modifiée de l’AMI. Il prévoit que les législations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique se plient aux normes du libre-échange établies par et pour les grandes entreprises européennes et américaines, sous peine de sanctions commerciales pour le pays contrevenant, ou d’une réparation de plusieurs millions d’euros au bénéfice des plaignants.

D’après le calendrier officiel, les négociations ne devraient aboutir que dans un délai de deux ans. L’APT combine en les aggravant les éléments les plus néfastes des accords conclus par le passé. S’il devait entrer en vigueur, les privilèges des multinationales prendraient force de loi et lieraient pour de bon les mains des gouvernants. Imperméable aux alternances politiques et aux mobilisations populaires, il s’appliquerait de gré ou de force, puisque ses dispositions ne pourraient être amendées qu’avec le consentement unanime des pays signataires. Il dupliquerait en Europe l’esprit et les modalités de son modèle asiatique, l’accord de partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP), actuellement en cours d’adoption dans douze pays après avoir été ardemment promu par les milieux d’affaires américains. A eux deux, l’APT et le TPP formeraient un empire économique capable de dicter ses conditions hors de ses frontières : tout pays qui chercherait à nouer des relations commerciales avec les Etats-Unis ou l’Union européenne se verrait contraint d’adopter telles quelles les règles qui prévalent au sein de leur marché commun.

Pour lire la suite : Le Monde diplomatique

Manifestation dans plusieurs villes françaises à l’appel du collectif des engraineurs

Végétalisme ou véganisme sont-ils forcément de bonne chose ?

Pour lire l’ensemble de l’article sur l’ Huffington Post

Végétalisme ou véganisme sont-ils forcément de bonnes choses, ou existe-t-il des situations qui justifient d’aller à l’encontre de ces principes? Alors que la troisième édition du Paris Vegan Day se tient ce samedi 12 octobre à Paris, voici quelques dilemmes qui témoignent qu’arrêter de manger de la viande est loin d’être une décision comme une autre.

C’est qu’adopter un régime végétarien ou végétalien, c’est aussi se poser des questions, beaucoup de questions, auxquelles on ne s’attend d’ailleurs pas toujours. Alors si vous aimez les dilemmes moraux autant que les légumes, vous allez être servis. Mais avant toute chose, un petit lexique.

Végétarien: régime alimentaire excluant toute chair animale (viande, poisson), mais qui admet en général la consommation d’aliments d’origine animale comme les œufs, le lait et les produits laitiers (fromage, yaourts).

Végétalien: le végétalisme, ou végétarisme strict, est une pratique alimentaire qui, comme tout régime végétarien, exclut toute chair animale (viande, poissons, crustacés, mollusques, etc.) ainsi que les produits dérivés des animaux (gélatine, etc.), et qui rejette, de surcroît, la consommation de ce qu’ils produisent (œufs, lait, miel, etc.)

Vegan: selon la Vegan Society le véganisme est le mode de vie qui cherche à exclure, autant qu’il est possible et réalisable, toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux, que ce soit pour se nourrir, s’habiller, ou pour tout autre but.

1. Faut-il être végétarien ou végétalien?

Devenir végétarien c’est bien, mais en fonction des raisons qui vous y ont poussé, peut-être feriez vous mieux de devenir… végétalien. C’est notamment le cas si la principale raison qui vous y a conduit est la mort animale. Mieux vaudrait alors exclure les oeufs et le fromage de votre alimentation.

Pourquoi? Notamment parce que pour faire des œufs il faut des poules pondeuses, mais lorsqu’elles ne sont plus assez productives, on les remplace, parfois tous les ans. Et qu’est-ce qu’on en fait? On les tue, forcément (Chicken Run). Il en va de même des poussins mâles à la naissance. Et pour cause, ils ne peuvent pas pondre. Au regard de l’élevage, ils sont inutiles et donc bons pour la poubelle.

2. Peut-on quand même accepter de tuer des animaux lorsqu’on est végétarien?

Votre appartement est envahi de souris, mais depuis que vous êtes devenu(e) végétarien(ne), vous êtes naturellement réticent à l’idée de tuer des animaux et donc à poser des pièges. Seulement, voilà si vous ne faites rien, les souris se multiplieront à la vitesse grand V.

Quelle décision prendre? C’est le moment de faire preuve d’utilitarisme, cette branche de la philosophie anglo-saxonne qui évalue nos actions de manière à maximiser le bien-être global de l’ensemble des êtres sensibles.

3. Une alimentation végétale est-elle forcément innocente?

Philosopher d’accord, mais pour prendre la bonne décision (pas celle qui vous semble bonne, mais bien celle qui est bonne en soi, puisse-t-elle toutefois exister), encore faut-il être correctement informé. Dans un billet publié par The Conversation, l’un des principaux sites de débat et d’opinion australien, le biologiste Mike Archer rappelle que le végétarisme (et donc le végétalisme et le véganisme) peuvent avoir des effets néfastes sur le bien-être des animaux.

4. Peut-on aimer les animaux sans souhaiter les voir disparaître?

La question peut paraître incongrue mais que se passerait-il si tout le monde se convertissait au végétarisme ou au végétalisme? La réponse: certaines espèces pourraient bien disparaître. C’est le dilemme auquel le philosophe Ruwen Ogien nous met face dans son essai L’Influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale (Grasset), se faisant l’écho du philosophe Richard Hare.

5. Peut-on être végétarien et avoir un animal de compagnie carnivore?

Certains vétérinaires militants estiment que les chiens et les chats peuvent s’accommoder d’un régime végétarien, à condition d’être nourris à l’aide de recettes spéciales (qu’ils se feront un plaisir de vous vendre). D’autres en doutent, ou estiment que seuls les chiens peuvent être végétariens, les chats ayant besoin d’acides aminés se trouvant uniquement dans la viande. Certains demeurent enfin plus que sceptiques, qu’il s’agisse des chiens ou des chats. Prudence donc.

 

 

 

 

 

La « Croissance » sans fin

Vu Le Monde économie le 8-09-13

Rien n’illustre mieux la vacuité du discours politique aujourd’hui, droite et gauche confondues, que l’usage grammatical qui est fait du mot « croissance ». Toute croissance est croissance de quelque chose. Sans mention de son objet, le substantif n’a pas de sens, contrairement à des mots comme « république », « amour » ou « liberté ». La « croissance » selon les politiques est sans objet. Elle-même est leur objet : ce qui est placé devant eux, qu’ils veulent saisir, parfois avec les dents, mais qui leur échappe insolemment. Je l’appellerai donc Croissance, avec une majuscule.

On me dira que je finasse et que l’usage dont je parle repose sur une omission que tout le monde comprend. La Croissance, c’est la croissance du PIB, le produit intérieur brut. Sans doute. Mais combien ont réfléchi au fait que nous ne parlons pas, alors, d’une variable d’état, comme la croissance d’un arbre ou celle d’un enfant, mais d’une variable de flux, comme le débit d’un fleuve ou la vitesse d’un courant d’air. Un enfant qui grandit reste lui-même tout en devenant plus fort. La croissance économique, c’est l’accélération d’un cycle de productions et de consommations (ou plutôt de consumations) toujours recommencé. A tout moment, il ne subsiste rien des époques antérieures, ni le pain que j’ai mangé, ni les kilomètres que j’ai parcourus, ni le travail que j’ai fourni. Tout a été englouti dans le grand métabolisme avec la nature.

APRÈS LE BONHEUR ET L’EMPLOI, IL S’AGIT DE REMBOURSER LA DETTE

Mais la Croissance, n’est-ce pas aussi celle du capital, et celui-ci n’est-il pas un stock ? Nous sommes en train de détruire la partie de ce stock donnée par la nature, et cette perte est irrémédiable, car rien de ce que nous pouvons fabriquer et accumuler ne la comblera.

La Croissance est sans objet et elle est aussi sans fin. Elle n’a pas de terme assignable, voilà pourquoi on la désigne par un pourcentage et non par une grandeur, ce qui suffit à la distinguer radicalement de la croissance d’un enfant. « Imaginez-vous que mon garçon a grandi de 5 % depuis l’an dernier ! » Il serait divertissant d’entendre cela, qui supposerait que la taille d’un être humain croît normalement d’autant plus qu’elle est déjà forte, et cela sans limite. La Croissance est aussi sans fin au sens qu’elle n’a pas de finalité. On lui a reconnu des finalités successives, mais dans lesquelles nous avons perdu foi. Ce fut d’abord le bonheur, puis l’emploi. Il s’agit aujourd’hui de rembourser la dette. On s’enfonce dans le dérisoire.

La Croissance est sans objet, ni fin, ni finalité. Est-ce à dire qu’elle est privée de sens ? Tout au contraire, elle n’est que cela : sens, direction. Mais il serait malséant de s’en moquer, car cette fonction est, ou plutôt aura été, essentielle.

Je voudrais ici citer le travail remarquable d’un jeune intellectuel, philosophe et économiste, Jérôme Batout. Sous la direction de Marcel Gauchet, il a consacré sa thèse aux questions que j’aborde ici. Dans ses termes, un moment-clé de l’histoire moderne est lorsqu’on est passé de la volonté d’abondance à la volonté de croissance. La quête de l’abondance a en principe un terme, qui est l’équivalent économique de la fin de l’histoire. Tant le marxisme que le libéralisme ont rêvé de ce moment où tous les besoins humains seraient satisfaits. Cette croyance a depuis longtemps fait place à une autre, qui accepte que l’idée même de terme est dépourvue de sens : c’est la foi en la Croissance.

LES TRAITS D’UNE PANIQUE

Marcel Gauchet a analysé le rôle politique de la religion. C’est de permettre aux sociétés humaines de se gérer depuis une extériorité qu’elles ont elle-même engendrée. La sortie de la religion, analyse aujourd’hui Jérôme Batout, s’est accompagnée d’une entrée en économie. A son tour, l’économie a produit pendant un temps une forme d’extériorité régulatrice. La crise actuelle est moins une crise économique qu’une crise de l’économie : l’économie ne remplit plus le rôle politique que la désacralisation du monde lui avait assigné.

Jérôme Batout a d’autres cordes à son arc que sa faculté de penser : le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a récemment fait de ce jeune homme son conseiller spécial et lui a confié la direction du pôle stratégie, médias, et communication de Matignon. Ce n’est pas ce qui nous importe ici, même s’il est plaisant de voir réhabilitée une tradition européenne un peu oubliée, celle du penseur qui accepte la confrontation aux défis pratiques du gouvernement.

Si l’homme est ce ver de terre amoureux d’une étoile dont a parlé notre plus grand poète, Victor Hugo, l’économie s’adresse en principe au ver de terre, à sa finitude, à ses besoins limités. Mais avec la Croissance, l’économie est devenue l’Etoile, qui n’est notre guide que parce qu’elle recule à mesure que nous avançons. En vérité, la Croissance a tous les traits d’une fuite panique au sens où Elias Canetti la dépeignait dans son chef-d’oeuvre, Masse et puissance (1960). Dans ces moments d’effervescence collective, écrivait-il,« La masse a besoin d’une direction », d’un but qui soit donné « en dehors de chaque individu »« identique pour tous » : peu importe alors ce qu’il est, « du moment qu’il n’est pas encore atteint ». La Croissance sans objet et sans fin a rempli assez bien ce programme pendant de nombreuses années.

Aujourd’hui, l’Etoile s’est éteinte. L’étymologie nous aide à décrire l’état qui en résulte : c’est un « dés-astre ». Les avocats de la décroissance, pour qui j’ai de l’affection, ne prennent pas assez la mesure du dilemme où nous sommes. On ne prive pas un drogué de sa drogue du jour au lendemain. On ne renonce pas à sa foi sans souffrance. Sans sacré ni Croissance, qui ou quoi pourra satisfaire le désir d’Etoile et d’infini qui est en nous ?

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