Pierre-Rabhi : la-cop21 ne s’attaque pas aux sources des déséquilibres

Le Monde -28/10/2015

Le paysan-philosophe de 77 ans, chantre de l’agroécologie, ne se fait guère d’illusion sur l’issue de la COP21 et appelle à quitter le culte de la croissance indéfinie.

Il ne sortira rien de cette énième grand-messe. J’ai du mal à croire que les changements structurels nécessaires y soient actés. Il faut entrer dans une nouvelle ère, celle de la modération : modération de la consommation et de la production. Les Etats vont-ils décider d’arrêter la pêche industrielle et l’agriculture intensive, et ainsi cesser de piller les océans ou la terre ? Vont-ils réfléchir à un juste partage des ressources entre Nord et Sud ? Je n’y crois pas. Or il y a urgence, car ce n’est pas la planète qui est en danger mais l’humanité. La Terre, elle, en a vu d’autres. Ce que je reproche à la COP21, c’est de faire croire que ces discussions permettent de résoudre les problèmes, alors qu’on ne s’attaque pas aux sources des déséquilibres. C’est le même travers que celui de l’humanitaire, qui consiste à être généreux envers des personnes que le modèle a rendus indigents.

La problématique de l’alimentation est majeure et n’est pas, en effet, traitée comme il se doit. Au Nord, l’alimentation est de plus en plus frelatée, la façon de la produire est destructrice de sols et d’environnement ; au Sud, les peuples souffrent de pénurie chronique. Il faut donc une remise en question complète de notre modèle. Vont-ils l’aborder sous ce prisme ?

Cela fait des années que nous travaillons avec Terre et Humanisme [association créée par Pierre Rabhi il y a vingt et un ans] pour diffuser l’agroécologie, dont on parle maintenant comme étant la meilleure façon de produire.

Quand je vois des multinationales, des groupes agroalimentaires se référer à l’agroécologie, oui je m’interroge. L’agroécologie, ne se résume pas à des techniques, mais répond à une éthique de vie qui consiste à préserver la terre en tant que patrimoine. Un parallèle peut être fait avec l’engouement actuel pour le bio.

e bio, c’est très bien, mais on peut manger bio et… exploiter son prochain, ce n’est malheureusement pas incompatible. Ce que je veux dire, c’est que tous les beaux mots, bio, COP21… tout cela ne sert à rien si nous ne travaillons pas à une alternative, si l’humain n’entreprend pas un travail d’introspection, car le problème est en nous. Il faut évoluer, quitter le culte d’une croissance indéfinie, du toujours plus, de cette accumulation de biens, qui ferait prétendument notre bonheur. La consommation d’anxiolytiques et les inégalités sans cesse croissantes démontrent le contraire. Il faut s’engager dans la puissance de la modération, de la sobriété.
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Il ne faut pas partir vaincu, même si ce sera évidemment très difficile. Le monde de l’agriculture porte un contentieux séculaire. Le paysan a de tout temps été le « pauvre type ». La civilisation moderne l’a affublé de tous les qualificatifs négatifs. Puis un beau jour on lui a dit : « Paysan, tu vas devenir moderne, tu vas avoir des machines, tu ne seras plus un plouc mais un exploitant agricole. » On leur a fait miroiter un changement de statut et ils se sont fait piéger.

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Plutôt que de dire je suis paysan et j’en suis fier, au lieu de donner toute sa beauté à l’agriculture, la modernité les a humiliés, en a fait des martyrs. Il faudra une profonde et difficile remise en question du monde paysan pour parvenir à faire machine arrière.

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La société civile est en train de se forger un nouvel imaginaire face à un système à bout de souffle, dont le déclin se traduit par la montée du chômage, de la pauvreté et de nombreux déséquilibres. Comme ce système n’est plus rassurant, les citoyens cherchent des alternatives. Les innovations sociales qui se multiplient sur les territoires, dans l’écologie, les énergies renouvelables, l’éducation… sont autant d’expérimentations qui vont assurer le futur.

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A notre échelle, nous envisageons de lancer une plate-forme citoyenne, un forum civique qui révélera tout ce qu’entreprend la société civile. Un inventaire dynamique des alternatives, en quelque sorte, qui permettra, quelques mois avant les échéances de 2017, de montrer aux politiques ce que font les citoyens.

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