Une prothèse dans le cerveau pour doper la mémoire

Pierre Barthélémy, Passeur de sciences

La science constitue une ouverture au monde, la réponse la plus complète et la plus précise à ma curiosité sur la nature. Tout de suite après vient un second élément de réponse qui, souvent, surprend mes interlocuteurs : pour moi, la science c’est aussi de l’imagination, celle des chercheurs qui vont aller là où personne ne s’est aventuré par la pensée et qui vont élaborer des expériences dont on n’avait pas eu l’idée auparavant.

Ce qui m’a captivé dans le travail que vient de réaliser une équipe américaine, dont les résultats sont publiés dans le numéro de décembre du Journal of Neural Engineering. Avec l’expérience fascinante qu’ils ont menée sur des singes rhésus, ces chercheurs se sont engagés dans la voie de l’amélioration de la mémoire des primates (dont l’homme fait partie) par le biais d’une prothèse neuronale, un dispositif qu’on croyait jusque là réservé à la science-fiction. Quatre macaques rhésus ont, pendant deux ans, été entraînés à un exercice de mémorisation. Les animaux étaient assis devant un écran sur lequel apparaissait un objet pioché au hasard dans un catalogue. Puis l’image s’évanouissait et, au bout d’un certain délai allant entre une seconde et une minute et demie, la seconde partie de l’exercice commençait avec deux versions différentes : soit il fallait retrouver l’objet parmi d’autres, soit il fallait désigner l’endroit de l’écran où il était apparu. Lorsque les singes réussissaient l’exercice, ils recevaient du jus de fruits en récompense et ils n’avaient rien en cas d’échec. Plus il y avait de choix, plus l’exercice était considéré comme difficile. De même, le niveau de succès baissait quand l’attente s’allongeait entre la première et la seconde partie du jeu.

Pour l’expérience proprement dite, les quatre singes ont été opérés de manière à insérer des électrodes dans une région de leur cerveau nommée hippocampe. Il s’agit en quelque sorte du bibliothécaire de notre mémoire, qui encode et classe les souvenirs. L’idée consistait à analyser l’activité de deux zones de l’hippocampe communiquant entre elles lors de la mémorisation. Les singes sont retournés à leurs tests. Les chercheurs se sont aperçus que deux codes différents apparaissaient dans leurs enregistrements : un code dit « fort » quand les « cobayes » se rappelaient la figure (ou son emplacement) et réussissaient l’exercice, un code dit « faible » lorsque la mémoire leur faisait défaut. Ces codes avaient une structure spatio-temporelle bien spécifique et, en en voyant le début, le modèle mis au point pour l’expérience (et déjà testé par la même équipe en 2011 sur des rats) pouvait, en une fraction de seconde, prédire si les singes allaient donner une bonne ou une mauvaise réponse.

On entrevoit déjà la suite. Dans une seconde phase de l’expérience, le modèle a été programmé pour envoyer à l’hippocampe des pulsations électriques imitant le code « fort » lorsque les macaques étaient sur le point de se tromper. Pour le dire autrement, la machine tentait de pallier la défaillance de la mémoire. Les résultats de cette manipulation ne sont pas miraculeux, dans le sens où les singes ne sont pas subitement passés à zéro faute. Mais l’étude montre une amélioration nette et systématique de la performance, ce chez les quatre singes. Plus les chances de se tromper augmentaient en raison de la difficulté accrue de l’exercice (davantage de choix ou délai allongé), plus l’aide de ce qu’on peut appeler la neuroprothèse s’avérait utile.

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