SRI
AUROBINDO
Ou
lĠaventure de la conscience
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Table des matires
Emergence d'un nouveau mode de connaissance
L'individualisation de la conscience
Conscience-force, Conscience-joie
LĠtre
central, la personne universelle
Les
conditions de la dcouverte
La moiti obscure de la vrit
Deuxime
phase – le subconscient
LA FIN QUI EST TOUJOURS AU COMMENCEMENT
27 janvier 1970
Le rgne de l'aventure
est termin. Sur terre, nous savons bien que le temps des Cortez et des Pizarre
est fini. La mme mcanique nous enserre, la souricire se referme.
Nous sommes donc mis
au pied du mur, devant le dernier terrain qu'il nous reste explorer, l'ultime
aventure : nous-mmes. Il faut dboucher ailleurs.
Mais il y a toutes
sortes Ç d'ailleurs È. Ceux de la drogue sont sems de dangers
et surtout ils dpendent d'un moyen extrieur.
Ceux de la
psychanalyse manquent du levier de conscience qui permet d'aller o l'on veut,
en matre et non en tmoin impuissant ou en victime maladive.
Ceux de la religion
sont plus illumins mais ils dpendent aussi d'un dieu ou d'un dogme, et
surtout ils nous enferment dans un type d'exprience car on peut aussi bien et
davantage, tre prisonnier des mondes ailleurs que du monde ici.
Finalement la valeur
d'une exprience se mesure son pouvoir de transformation de la vie, sinon
nous sommes devant un vain rve ou une hallucination.
Or, Sri Aurobindo nous
fait faire une double dcouverte dont nous avons un besoin urgent si nous
voulons transformer notre monde. En suivant pas pas sa prodigieuse
exploration - sa technique des espaces intrieurs - nous sommes amens la
plus grande dcouverte de tous les temps, savoir que la conscience est un
pouvoir.
Nous pouvons mieux que
nos machines et que cette norme Mcanique qui nous touffe si nous voulons
descendre dans notre propre coeur comme des explorateurs mthodiques, rigoureux
et lucides.
Satprem
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31 janvier 2003
Peut-tre y a-t-il une
autre Sagesse et une autre Source et une Terre nouvelle du quaternaire sous nos
dcombres d'anthropodes attards qui n'ont pas fini de pousser. Une manire
d'tre nouvelle.
"Un autre tre
sur la terre", disait Sri Aurobindo.
La dernire Aventure.
Satprem
(8-9)
Depuis un demi-sicle dj, la psychologie n'a cess de
rintgrer les dmons dans l'homme; il se pourrait comme l'avait pens Malraux,
que la tche du prochain demi-sicle soit d'y rintgrer les dieux ou plutt
comme le voulait Sri Aurobindo, de rintgrer l'Esprit dans l'homme et la
matire et de crer la vie divine sur terre.
Il y a bien des faons de se mettre l'Oeuvre ; en fait
nous avons chacun notre ouverture particulire : pour l'un, ce sera une pice
bien ouvre, pour l'autre une belle ide, pour d'autres une page de musique,
une rivire.... toutes sont des manires de respirer dans l'Infini.
Il y a un Sri Aurobindo philosophe, un Sri Aurobindo
pote qu'il fut essentiellement, un visionnaire de l'volution. Il y a aussi un
Sri Aurobindo explorateur qui tait yogi aussi.
N'a-t-il pas dit que le yoga est l'art de la dcouverte consciente de soi ?
C'est cette exploration que nous voudrions entreprendre
avec lui. Il n'y a pas de raison qu'un jour la fentre ne s'ouvre pas, qui nous
ensoleillera pour toujours. A vrai dire, ce n'est pas une mais plusieurs
fentres qui s'ouvrent tour tour chaque fois sur un espace plus vaste. C'est un changement de conscience aussi
radical que le passage du sommeil la veille.
Sri Aurobindo n'est pas seulement l'explorateur de la
conscience, c'est un btisseur d'un monde nouveau. Il a dcouvert un autre
monde qu'il a appel le
Supramental et qu'il a voulu tirer sur terre.
Le Supramental, nous dit Sri Aurobindo, est le changement
de conscience qui aura le pouvoir de transformer notre monde matriel aussi
profondment et durablement que le Mental ne l'a fait lorsqu'il apparut dans la
Matire.
Nous verrons donc
comment le yoga intgral dbouche sur un yoga supramental ou yoga de transformation terrestre que
nous tenterons d'esquisser car l'histoire est en train de se faire et nous ne
savons pas encore trs bien o elle nous mnera ni mme si elle russira. Au
fond, cela dpend un peu de nous tous.
1
________________________
(p18-p24)
Sri Aurobindo est proche de nous, l'Occident, l o il a
pass ses annes de formation de sept vingt ans.
Il est n le 15 juin
1872 Calcutta, l'anne des illuminations
de Rimbaud ; dj la physique moderne
est ne avec Max Plank. Son pre, le
docteur Krishnadhan Ghose a fait ses
tudes de mdecine en Angleterre et il ne souhaitait pas que ses trois fils
soient contamins par le mysticisme "fumeux et rtrograde" o son
pays semblait se dlabrer.
Il ne voulait pas
qu'ils connussent rien des traditions ni des langues de l'Inde. Sri Aurobindo fut donc d'abord lev par
une gouvernante anglaise puis expdi l'ge de cinq ans dans une cole de
nonnes irlandaises Darjeeling. Deux ans plus tard, les trois fils Ghose partaient pour l'Angleterre. Sri Aurobindo a sept ans. Il ne
reverra pas son pre qui mourut juste avant son retour en Inde.
Sri Aurobindo et ses deux frres furent confis un
pasteur anglais de Manchester la condition qu'ils ne fissent la connaissance d'aucun indien et ne subissent aucune
influence indienne.
Au cours de ses
premires annes Manchester Sri
Aurobindo apprit le franais, l'anglais tant dj sa langue maternelle. Le
pote s'tait veill en lui. La mre du pasteur essaya de sauver cette me
hrtique mais Sri Aurobindo ne
devait jamais tre un homme religieux pas plus en Inde qu'en Occident : la vraie thocratie, crira-t-il
plus tard, est le royaume de Dieu
dans l'homme, non le royaume d'un pape, d'une Eglise ou d'une classe
sacerdotale.
A douze ans il sait
dj fond le latin et le franais. Le directeur de St. Paul School va
lui donner lui-mme des leons de grec. Il dvore les potes franais et
bientt toute la pense europenne. Il sut vite suffisamment d'italien et
d'allemand pour lire Dante et Goethe dans le
texte.
Sri Aurobindo
humoriste est peut-tre plus important que Sri Aurobindo philosophe car il
considrait que l'humour participait l'essence mme de son tre alors que la
philosophie comme la posie relevaient d'autres langages. Ds sa premire anne
au King's College il ramasse tous les
prix de posie grecque et latine.
L'indpendance de
l'Inde le hante et en tant que secrtaire de l'association des tudiants de
Cambridge il prononce des discours rvolutionnaires qui ne l'empchent pas de
passer une licence de lettres classiques. A vingt ans il s'embarque pour
l'Inde.
(12-15)
_____
(p25-p36)
Notre proltariat est
enfonc dans l'ignorance et cras de dtresse ! s'crie Sri Aurobindo
peine dbarqu en Inde. C'est un problme d'action qui se pose lui. Nous
sommes au monde pour agir, sera le point de vue qui restera en lui
jusqu' ses plus hautes ralisations yoguiques.
Qu'allait apporter
l'Inde Sri Aurobindo ?
Elle est un monde
indfinissable o Ç l'hindouisme È
n'existe pas car l'Inde est le pays d'une immense libert spirituelle. Ç LĠhindouisme È est une
invention occidentale.
L'indien dit seulement
"la loi ternelle", santana
dharma. Ce qui semble
le plus important dans une religion pour un occidental c'est sa structure qui
la distingue d'une autre. Pour l'indien, c'est la moins importante, car il
cherche instinctivement le point central o tout communique. C'est autre chose
qu'une tolrance, c'est la comprhension positive que chaque homme a un besoin
intrieur qu'on appelle Dieu ou d'autres faons et que chaque homme a besoin
d'aimer ce qu'il comprend de Dieu.
"Tels les hommes viennent Moi, tels je les accepte.
C'est mon chemin que les hommes suivent de tous cts" dit la Gt ( IV.11.)
Sri Aurobindo crira
bientt : " La perfection du yoga intgral viendra quand chaque homme sera
capable de suivre son propre chemin de yoga et de travailler au dveloppement
de sa propre nature dans sa pousse vers ce qui transcende toute nature. Car la
libert est la loi finale et l'ultime accomplissement."
L'indien ne dit jamais
: "Croyez-vous en un Dieu
?". Il dit simplement : "Faites
l'exprience;". Si vous faites ceci, vous arriverez l et si
vous faites telle autre chose, vous arriverez tel autre rsultat. Toute
l'ingniosit que nous avons dploye depuis un sicle ou deux l'tude des
phnomnes physiques, l'indien l'a mise avec une rigueur gale, depuis quatre
ou cinq millnaires l'examen des phnomnes intrieurs.
Si l'on veut
progresser dans l'tude des phnomnes intrieurs il ne suffit pas de lire des
livres mais il faut payer de sa personne. L'Inde nous renvoie sagement
l'exprience directe et aux mthodes d'exprience.
L'Indien plonge ses
racines en d'autres mondes, il n'est pas tout fait d'ici, qui est pour lui
une faon de vivre parmi beaucoup d'autres faons, en marge d'immenses continents par derrire. Il
est conscient de grands rythmes psychiques qui excdent la brve pulsation
d'une vie humaine unique.
Il n'y a rien
rejeter nulle part, pas plus dans ledit hindouisme que dans le christianisme ou
dans n'importe quelle autre aspiration de l'homme mais il y a tout largir,
largir sans fin. Ce que nous prenons pour une vrit ultime n'est le plus
souvent qu'une exprience incomplte de la Vrit. Et sans doute, la totalit
de l'Exprience n'existe nulle part dans le temps et l'espace en aucun tre si
lumineux soit-il, car la Vrit est infinie, elle va toujours de l'avant.
La Loi ternelle, oui,
mais ternellement jeune et ternellement progressive.
L'Inde est devant une
contradiction bien surprenante o il est dit "Tout est Brahman", rien
n'est en dehors de Lui. Et puis il y a ce Brahman transcendant, immobile,
jamais hors de la vie, de la terre, qui fait dire Shankara " Brahman est
vrai, le monde est illusion" ou dans la Niralamba Upanishad : "
Brahman est vrai, le monde est un mensonge".
Si nous laissons de
ct les Ecritures, la contradiction devient plus flagrante encore.
La psychologie
indienne se fonde sur une observation que tout dans l'univers est compos de
trois qualits ou guna. Tamas, l'inertie, l'obscurit,
l'inconscience, rajas, le mouvement, la lutte, l'effort, la passion
et sattva, la lumire, l'harmonie, la joie. Nulle part ces trois
lments n'existent l'tat pur. Dans le plus noir tamas, la
lumire brille aussi.
Les diverses
disciplines indiennes cherchent donc rtablir l'quilibre : sortir du jeu des
trois guna qui nous ballotte sans fin et prendre position au-dessus, c'est
dire retrouver la conscience divine (yoga).
A cette fin, elles
visent toutes nous sortir de l'tat de dispersion et de gaspillage dans
lequel nous vivons et produire en nous une concentration suffisante pour
basculer dans un autre tat. Ce travail de concentration peut s'effectuer
n'importe quel niveau : physique, vital, mental. Suivant le niveau, nous
pratiquons donc tel ou tel yoga : hatha yoga, raja yoga, mantra
yoga et beaucoup d'autres. Le critre de la russite est un tat de
transe ou d'extase yoguique, samdhi.
Entre la fin de l'ge
des mystres et l'apparition des grandes religions, une faille s'est creuse.
Une connaissance s'est voile qui ne faisait pas cette formidable distinction
entre Dieu et le monde. Le conflit entre la Matire et l'Esprit est une
cration moderne. Entre les premires Upanishads
d'il y a quelques trois ou quatre mille ans, elles-mmes hritires des Vdas qui voyaient Dieu partout dans ce
merveilleux univers et les dernires Upanishads,
un Secret s'est perdu. Il s'est perdu non seulement en Inde mais aussi en
Msopotamie, en Egypte, en Grce, en Amrique centrale. C'est ce secret que Sri
Aurobindo allait redcouvrir.
La vrit une, ternelle et immuable, est l'Esprit et sans l'Esprit, la
vrit pragmatique de l'univers n'aurait pas d'origine ni de fondement ; le
monde serait dpourvu de sens, vide de direction intrieure. Les vrits de
l'Esprit se jettent dans le Devenir ici-bas : dissonances, variations,
exploration des possibles, rversions, perversions et conversions ascendantes
en un motif harmonique toujours plus haut. C'est Lui-mme le crateur et l'nergie
de cration, la cause et la mthode et le rsultat des oprations, la musique
et le musicien, le pote et le pome. Lui-mme le Supramental, le mental, la
vie et la matire, l'me et la nature.
Mais il ne suffisait
pas Sri Aurobindo de rconcilier sur le papier l'Esprit et la Matire.
La Vrit et la Connaissance sont un vain rayon si la Connaissance
n'apporte pas le pouvoir de changer le monde.
Le Secret perdu c'est
le pouvoir de l'Esprit sur la Matire. C'est ce secret pragmatique que Sri
Aurobindo allait peu peu retrouver exprimentalement en ayant le
courage, la fois, de sauter par-dessus sa culture occidentale et par-dessus
la tradition religieuse hindoue, tant il est vrai que l'essentiel merge quand
on a tout oubli.
(16-17)
________________
(p37-p42)
Il avait fallu 13 ans
Sri Aurobindo pour parcourir le chemin occidental ; il lui en faudra presque
autant pour parcourir le chemin de l'Inde et parvenir au "sommet" des
ralisations yoguiques traditionnelles, c'est dire au commencement de son
propre travail.
Le premier secret de
Sri Aurobindo est sans doute d'avoir toujours refus de couper la vie en deux actions,
intrieur et extrieur.
Du jour o il a pens
au yoga, il a mis tout dedans : haut et bas, dedans et dehors, tout lui tait
bon.
Lorsqu'il dbarque sur
l'Apollo
Bunder Bombay, une exprience spirituelle spontane le
saisit, un calme immense s'empare
de lui. Sri Aurobindo a vingt ans, il se trouve une place auprs du Maharaja de Baroda comme professeur de
franais, puis d'anglais au collge de l'tat. Il fait de nombreux voyages
Calcutta. Il crit des articles dans lesquels il invite ses compatriotes
secouer le joug. Son but est d'organiser toutes les nergies de la nation en
vue d'une action rvolutionnaire. Nous sommes en 1893 et l'hgmonie
britannique s'tend sur les trois quarts du globe.
Il se met l'action
secrte et pendant treize ans Sri Aurobindo va jouer avec le feu. Il est encore
sur sa lance occidentale et c'est par caisses qu'il dvore les romans anglais,
russes, allemands, franais mais aussi les textes sacrs de l'Inde, Upanishads, Rmyana, Gt sans qu'il mt
jamais les pieds dans un temple, sauf en curieux. ll se mit aussi l'tude du
sanskrit qu'il apprit seul et il dcouvrit quelques annes plus tard le sens
perdu des Vdas. (L'poque vdique,
antrieure celle des Upanishads se
situe au-del du quatrime millnaire avant J.C.
Sri Aurobindo arrive
un tournant : les temples ne l'intressent pas et les livres sont vides. Un ami
lui conseille le yoga. Sri Aurobindo refuse car un yoga qui exige que j'abandonne le monde n'est pas fait pour moi,
dit-il.
Mais un jour, Sri
Aurobindo est le tmoin d'une scne curieuse au cours de laquelle son jeune
frre Barin, attaqu
par une mauvaise fivre, est sauv par une intervention d'un moine errant
demi-nu, un naga-sannyasin. Il avise que le yoga peut servir
autre chose qu' s'vader. C'est ainsi que Sri Aurobindo se mit en route.
_________________
(p43-p62)
(18)
(p43-p44)
La premire tape est
le silence mental. Il s'apercevra qu'il vit dans un vacarme sournois, un
tourbillon puisant o il n'y a place que pour ses penses, ses sentiments, ses
impulsions, ses ractions.
En un sens, nous ne sommes rien d'autre qu'une masse complexe
d'habitudes mentales, nerveuses et physiques, lies ensemble par quelques ides
directrices, dsirs, associations.
Le premier travail du
yoga, c'est de respirer au large et naturellement de briser cet cran mental qui ne laisse
filtrer qu'un seul type de vibration, pour connatre l'infinitude multicolore
des vibrations, c'est dire le monde enfin et les tres tels qu'ils sont.
(19)
(p45-p47)
Quand on s'assoit les
yeux clos pour faire le silence on est tout d'abord submerg par un torrent de
penses qui surgissent de partout. Il ne faut surtout pas commettre l'erreur de
lutter contre le mental. Il faut dplacer le centre, par exemple en suivant sa
respiration ou en se concentrant sur une image. Chacun sa mthode.
Le yoga veille
automatiquement, par le seul fait que l'on s'est mis en route, toute une gamme
de facults latentes et de forces invisibles qui dbordent les possibilits de
notre tre extrieur et qui peuvent faire pour nous ce que nous sommes
incapables de faire.
Mais les exercices de
mditation ne sont pas la vraie solution du problme bien qu'ils soient
ncessaires au dbut pour donner l'impulsion.
Nous avons besoin
d'une vie complte, nous avons besoin de vivre la vrit de notre tre, tous
les jours, chaque instant et pour cela les mditations bates ne sont pas la
solution.
La seule solution est
donc de pratiquer le silence mental l o il est apparemment le plus difficile, c'est dire dans la rue, au
travail, partout.
On travaille sur soi
chaque instant et la vie commence prendre un intrt tout fait inusit. Les
moindres petites circonstances deviennent l'occasion d'une victoire. Nous
sommes orients.
Le yoga n'est pas une
manire de faire mais une manire d'tre.
(20)
(p47-p49)
Nous sommes en qute
d'une autre pays mais entre celui que nous quittons et celui qui n'est pas
encore l il y a no man's land assez
pnible. C'est une priode d'preuve.
L'preuve principale
est le vide intrieur. Le monde apparat normment absurde. C'est le signe
d'un commencement d'intriorisation. Il ne faut pas s'enfermer dans une fausse
profondeur. Il faut aller plus loin. Quand on a commenc le yoga il faut
aller jusqu'au bout.
Le chercheur doit
comprendre qu'il commence natre autre chose. C'est le passage une
nouvelle conscience. Notre seule ressource est alors de nous accrocher notre
aspiration et de la faire grandir, grandir justement par ce terrible manque de
tout. Simplement, nous avons la foi inbranlable que derrire ce passage il y a
une porte qui s'ouvre.
La foi, dit Sri Aurobindo, est
une intuition qui non seulement attend l'exprience pour tre justifie mais
qui conduit l'exprience.
(21)
(p49-p53)
Et peu peu le vide
s'emplit. On fait alors une srie d'observations et d'expriences d'une
importance considrable. On s'aperoit que tout est possible et surtout qu'il
n'y a pas deux cas semblables, d'o l'erreur de tous les dogmatismes
spirituels.
On sent autour de la
tte, sur la nuque, une pression. Celle-ci devient continue et donne la
sensation trs agrable d'une nergie frache. Vraiment, on a plong dans la
Source et cette force descendante est la force mme de l'Esprit - Shakti.
Quand ils parlent de
leur exprience les disciples de Pondichry disent " la Force de Sri
Aurobindo et de la Mre". Cette manifestation constitue la diffrence
fondamentale entre le yoga intgral
de Sri Aurobindo et les autres yogas. Dans d'autres mthodes, on a l'exprience
d'une force ascendante appele Kundalini qui
s'veille assez brutalement dans notre tre jusqu' atteindre le sommet du
crne o elle semble clore dans une sorte de pulsation lumineuse qui
s'accompagne d'une sensation d'immensit.
Tous les procds
yoguiques que nous pourrions appeler thermognrateurs ( asana du hatha yoga,
concentrations du raja yoga exercices
respiratoires ou prnyma etc...
visent l'veil de cette force ascendante.
Les yogas
traditionnels visent une libration de la conscience, merger vers le haut
dans la paix ou l'extase. Notre exprience du courant descendant est
l'exprience de la Force transformatrice. C'est elle qui fera le yoga pour
nous, automatiquement et pourvu qu'on laisse faire. Elle commencera par o
finissent les autres yogas puis descendra de niveau en niveau et c'est Elle qui
universalisera notre tre tout entier. C'est l'exprience de base du yoga
intgral.
Avec le silence
mental, un autre phnomne se produit, fort important, qui s'tend parfois sur
de nombreuses annes, c'est ce que nous pouvons appeler l'mergence d'un
nouveau mode de connaissance et donc d'un nouveau mode d'action. L'exprience
nous apprend qu'il n'est pas ncessaire de rflchir, de nous souvenir, de
chercher, de faire toute sorte de mcanismes mentaux.
Au fond le yoga n'est
pas tant une faon d'apprendre que de dsapprendre une foule d'habitudes que
nous avons hrites de notre volution animale. Le chercheur finira par sentir
quelque chose qui vit au fond de lui, l'arrire-plan de son tre, comme une
petite vibration sourde. Il lui suffira de prendre un peu de recul dans sa
conscience pour qu' n'importe quel moment la vibration de silence soit
retrouve.
Bientt cette
vibration deviendra de plus en plus perceptible et le chercheur sentira une sparation qui s'opre dans
son tre : une profondeur silencieuse qui vibre. Il aura dcouvert le Tmoin en lui et se
laissera de moins en moins accaparer par le jeu extrieur qui sans cesse tente
de nous avaler.
Ce travail de
dcrochage sera puissamment assist par l'exprience de la Force descendante
qui exercera une pression silencieuse. Peu peu, nous nous apercevons qu'il
n'est pas ncessaire de rflchir et que quelque chose par derrire fait toute
la besogne avec une prcision de plus en plus grande. Nous verrons que plus
nous obirons ces suggestions-clair, plus elles tendront devenir
frquentes, claires et imprieuses. Nous avons tous fait l'exprience de ces
problmes mystrieusement rsolus dans le sommeil, prcisment quand la machine
penser s'est tue.
Puis, un jour, force
d'erreurs, nous aurons compris que le
mental n'est pas un instrument de connaissance mais seulement un organisateur
de la connaissance et que la connaissance vient d'ailleurs.
C'est vraiment une
autre faon de vivre, trs allge. Il
n'est rien que le mental fait qui ne puisse se faire et se faire mieux,
dans l'immobilit mentale et une tranquillit sans pense.
(23-24)
(p57-p62)
Jusqu' prsent, nous
avons analys les progrs du chercheur en termes intrieurs mais ce progrs se
traduit galement sur le plan extrieur. D'ailleurs la cloison
intrieur-extrieur s'amenuise de plus en plus et apparat comme une convention
artificielle.
Il y aura tout d'abord
des symptmes dsagrables car il recevra les penses des gens, leurs volonts,
leurs dsirs, sous leur vritable aspect et toute leur nudit, comme ils sont
vraiment- des attentats. Notons que les "mauvaises penses" ne sont
pas seules partager cette virulence. Rien n'est plus agressif que les bonnes
volonts, les bons sentiments, les altruismes. D'un ct ou de l'autre,
c'est l'ego qui se nourrit par la force ou la douceur. Nous ne sommes civiliss
qu' la surface, dessous, le cannibale continue.
Arm de sa force et de
son silence mental le chercheur verra qu'il est permable au dehors et qu'il
reoit de partout. Il semble donc qu'avec le silence mental un largissement de
la conscience se soit produit et qu'elle puisse se diriger volont en n'importe
quel point de l'universelle ralit pour y connatre ce qu'elle a besoin de
connatre.
Dans cette
transparence silencieuse nous ferons une autre dcouverte capitale par ses
implications. Nous nous apercevrons que les penses des gens nous viennent de
l'extrieur mais que nos propres penses nous viennent aussi du dehors.
Lorsque nous serons suffisamment transparents nous pourrons sentir, dans le
silence immobile du mental, comme des petits remous, de lgres vibrations et
si nous acceptons l'entre en nous de celles -ci nous sommes soudain en train
de penser quelque chose.
Un bon lecteur
de pense peut saisir ce qui se passe dans une personne dont il ne connat mme
pas la langue car ce sont des vibrations auxquelles il donne la forme
mentale correspondante. L'homme s'est habitu slectionner dans le Mental
universel un certain type de vibration, assez rduit, avec lequel il est en
affinit et jusqu' la fin de sa vie il accrochera la mme longueur d'onde. Il
tourne et tourne dans la cage. Certes, nous changeons d'ide mais changer
d'ide n'est point progresser, ce n'est pas s'lever un mode vibratoire plus
haut. C'est pourquoi Sri Aurobindo parlait de changement de conscience.
Le chercheur dcouvre
ainsi qu'il n'y a pas de dedans et de dehors et que ce dernier est partout
dedans ! Nous sommes partout ! Nous sommes partout chez nous. De mme
pour l'antinomie action-mditation : la Force passe en nous et nous ne
sommes jamais branch ailleurs.
(25-33)
______________
(p63-p80)
Pour un occidental, la
conscience est toujours un phnomne mental : je pense donc je suis. C'est un
point de vue, le ntre. Nous nous plaons au centre du monde.
Pourtant si nous
voulons dcouvrir ce qu'est la conscience il faut passer outre cet troit
point de vue. Sri Aurobindo avait pu faire les observations suivantes :
La conscience mentale n'est qu'une gamme humaine et elle n'puise pas
toutes les gammes de conscience possibles de mme que la vue humaine n'puise
pas toutes les gradations de couleur ou l'oue toutes les gradations du son car
il y a quantit de choses qui sont invisibles et inaudibles l'homme. De mme,
il y a des gammes de conscience au- dessus - gammes supramentales - et au-dessous
- gammes submentales - avec lesquelles l'tre humain normal n'a pas de contact
et qui, de ce fait, lui semblent "inconscientes".
A mesure que nous progressons et que nous nous veillons l'me en
nous et dans les choses, nous ralisons qu'il y a aussi une conscience dans la
plante, dans le mtal, dans l'atome, dans tout ce qui appartient la Nature
physique.
Sri Aurobindo
nous encourage vivement voir par nous-mmes. Il faut donc dmler cette chose
en nous qui relie nos diverses manires d'tre et nous permet d'entrer en
contact avec les autres formes de conscience.
(26-28)
(p65-p70)
Si
nous poursuivons notre mthode exprimentale nous observons que nous mentalisons tout. Le mental nous permet de porter
notre surface consciente tous les mouvements de notre tre mais du mme coup,
il nous voile leur voix et leur fonctionnement vritables.
Le chercheur qui a
fait taire son mental commencera distinguer tous ces tats dans leur ralit
nue. Il sentira divers points de concentration comme des noeuds de force
dots chacun d'une qualit vibratoire particulire. Ces vibrations
semblent s'irradier diffrentes hauteurs de notre tre. L'exprience d'une
grande vibration rvlatrice par exemple qui nous fait ressentir le monde comme
plus lger, plus clair.
Nous avons aussi
l'exprience de vibrations plus paisses, des vibrations de colre, de peurs,
de dsirs, de sympathie. Il y a en nous toute une gamme de nodules vibratoires
ou centres de conscience, chacun
spcialis dans un type de vibration. Le
mental est seulement un des centres, un type de vibration, seulement une des
formes de conscience qui veut s'arroger la premire place.
Disons que ces centres
appels chakras en Inde ne se situent pas dans notre corps
physique mais dans une autre dimension bien que leur concentration,
certains moments, puisse devenir si intense qu'on ait la sensation aige d'une
localisation physique. Certains correspondent d'assez prs aux diffrents
plexus nerveux que nous connaissons mais pas tous.
Grosso modo on peut
distinguer sept centres rpartis en quatre zones :
1) Le Supraconscient : avec un centre un peu au sommet
de la tte qui dirige notre mental pensant et nous met en communication avec
des rgions mentales plus leves : illumines, intuitives, surmentales, etc...
2)
Le Mental : avec deux centres, l'un, entre les sourcils, qui
gouverne la volont et le dynamisme de toutes nos activits mentales quand on
veut agir par la pense. C'est aussi le centre de la vision subtile ou
"troisime oeil", l'autre, hauteur de la gorge qui gouverne toutes
les formes d'expression mentale.
3) Le Vital :
avec trois centres, l'un, hauteur du coeur qui gouverne notre tat motif,
amour, haine etc... le deuxime hauteur du nombril qui gouverne nos
mouvements de domination, de possession, de conqute, nos ambitions etc... et
un troisime, le vital infrieur, entre le nombril et le sexe hauteur du
plexus msentrique qui commande les vibrations les plus basses : jalousie,
envie, dsir, convoitise, colre.
4)
Le physique et le Subconscient :
avec un centre la base de la colonne, qui rgit notre tre physique et le
sexe. Ce centre nous ouvre plus bas aux rgions subconscientes.
Gnralement
dans l'homme "normal" ces centres sont endormis ou ferms ou ne
laissent filtrer que le tout petit courant ncessaire sa mince existence.
Avec
le yoga ces centres s'ouvrent. Ils peuvent s'ouvrir de deux manires : de bas
en haut ou de haut en bas suivant que l'on pratique un yoga traditionnel ou
celui d'Aurobindo.
A force de
concentrations, dĠexercices, on peut un jour sentir une Force ascendante qui
s'veille la base de la colonne vertbrale et monte au sommet du crne. Avec
le yoga de Sri Aurobindo, la Force descendante ouvre trs lentement, doucement,
ces mmes centres de haut en bas. En agissant de bas en haut nous ouvrons
en premier les chakras des vibrations
les plus paisses et sommes branchs sur la confusion et la boue du monde.
C'est pourquoi les yogas traditionnels exigent la prsence d'un Matre
protecteur.
Notre premire
dcouverte est de voir que les vibrations mentales viennent du dehors avant
d'entrer dans nos centres : vibrations de joie, de volont etc... et que notre
tre est comme un poste rcepteur, du haut en bas.
(28-29)
(p70-p72)
Nous serons
tents de protester car enfin ce sont nos sentiments, nos peines, nos dsirs, notre
sensibilit. Il est vrai qu'en un sens c'est nous car nous avons pris l'habitude de rpondre certaines
vibrations plutt qu' d'autres. Mais en y regardant de plus prs, on ne peut
mme pas dire que c'est "nous" qui avons pris toutes ces habitudes ;
c'est notre milieu, notre ducation, nos traditions qui ont choisi pour nous.
La Nature universelle dit Sri Aurobindo dpose en nous certaines habitudes de mouvement, de personnalit, de
caractre, certaines facults, certaines dispositions, tendances... et c'est
cela que nous appelons nous-mme.
En fait, nous
accrochons toujours les mmes longueurs d'onde. Tout est en tat de flux constant et tout nous vient
d'un mental plus vaste que le ntre, universel ou de rgions plus basses
subconscientes ; ou plus hautes, supraconscientes. Ainsi, cette petite personnalit frontale est
entoure, soutenue, traverse et mue par toute une hirarchie de
"mondes" ou comme dit Sri Aurobindo de plans de consciences qui s'chelonnent sans
interruption de l'Esprit pur la Matire et qui sont en relation avec chacun
de nos centres.
Mais nous ne sommes conscients que de quelques bulles la surface.
(29-30)
(p72-p75)
Nous commenons
entrevoir ce qu'est la conscience et sentir qu'elle est partout dans
l'univers mais nous n'avons pas encore trouv "notre" conscience.
Nous avons tous senti, certains moments privilgis de notre existence, comme
une chaleur dans notre tre, une sorte de pousse intrieure ou de force vivante qui surgit de rien,
sans cause, comme une flamme.
Mais bien vite, nous
sortons de cette adolescence et le mental s'empare de cette force, comme il
s'empare de tout et la recouvre de grands mots idalisants. Il la fait entrer
dans une oeuvre, un mtier, une Eglise ou le vital, s'en saisit et la
badigeonne de sentiments plus ou moins nobles ou la fait entrer dans quelque
aventure ou qu'il s'en serve pour dominer, vaincre, possder.
Mais le chercheur qui
a fait taire son mental et ne risque plus d'tre pris au pige des ides, qui a
tranquillis son vital et n'est plus emport dans la grande dispersion des
sentiments et des dsirs redcouvre dans cet claircissement de son tre, comme
un nouvel lan de jeunesse une nouvelle pousse l'tat libre.
A mesure que sa
concentration grandira par ses "mditations actives", par son
aspiration, son besoin, il sentira que cette pousse se met vivre : "Elle s'largit et fait sortir ce qui
vit, dit le Rig-Vda, veillant quelqu'un qui tait mort". Elle
prend de plus en plus de puissance et d'indpendance comme si c'tait la fois une force et un
tre dans son tre.
Il remarquera
dans ses mditations passives tout d'abord que cette force en lui a des
mouvements, une masse, des intensits variables et qu'elle monte et descend
au-dedans de lui. Dans les mditations actives, la vie ordinaire, cette force
sera plus dilue et donnera l'impression d'une petite vibration sourde
l'arrire-plan. Avec cette petite chose dedans qui vibre, on est invulnrable
et plus jamais seul. C'est chaud, c'est proche, c'est fort.
Alors nous avons
touch la ralit fondamentale de notre tre, le centre vrai, chaleur et tre,
conscience et force.
Le chercheur s'apercevra
que cette pousse ne se meut pas au hasard, comme il lui avait sembl tout
d'abord, mais qu'elle se rassemble en divers points de son tre suivant les
activits du moment.
Tous les centres, y
compris le mental, ne sont que ses ouvertures sur les diffrents tages de la
ralit universelle ou ses instruments de transcription et d'expression. C'est
elle, le voyageur des mondes,(Savitri
28:93), l'explorateur des
plans de conscience, elle qui relie nos diverses manires d'tre. En d'autres
termes, nous aurons dcouvert la
conscience.
Nous pouvons dplacer
notre conscience vers des rgions plus profondes ou plus hautes, inaccessibles
au mental et nos organes des sens car la conscience n'est pas une faon de
penser ou de sentir mais un pouvoir d'entrer en contact avec la multitude des
degrs de l'existence, visibles ou invisibles.
Nous verrons que cette
conscience est indpendante de ce que l'on pense, de ce que l'on sent, qu'elle
est indpendante du mental et du vital et mme du corps car dans certains tats
particuliers dont nous reparlerons elle sort du corps et va se promener
ailleurs pour faire des expriences.
(30-33)
(p75-p80)
En dcouvrant la
conscience nous avons dcouvert que c'tait une force. Conscience-force dit Sri
Aurobindo car en vrit les deux termes sont insparables et convertibles l'un
en l'autre.
La sagesse ancienne de
l'Inde connaissait bien ce fait et ne parlait jamais de conscience, Chit,
sans y adjoindre le terme Agni, chaleur, flamme, nergie, Chit-Agni ou parfois elle emploie le
mot Tapas qui
est synonyme d'Agni.
Nous parlons de
plusieurs forces : descendante, ascendante, mentale, vitale, matrielle
mais il n'y a qu'une seule Force au monde, un seul courant unique et qui selon
le niveau o il opre se revt d'une substance ou d'une autre. C'est elle qui
relie tout, anime tout, elle la substance fondamentale de l'univers : Conscience-Force, Chit-Agni.
S'il est vrai que la
conscience est une force, inversement la force est une conscience et toutes les forces sont conscientes.
C'est partout le mme
courant de conscience avec des modalits vibratoires diffrentes que ce soit
dans la plante, dans les rflexions du mental humain, dans le supraconscient
lumineux et dans l'instinct de la bte, dans le mtal et dans nos mditations
profondes.
Einstein
nous a appris que Matire et Energie sont convertibles l'une l'autre : E= mc².
Il nous reste
dcouvrir pratiquement que cette Energie est une Conscience et que la matire,
elle aussi, est une forme de conscience. Quand nous aurons trouv ce Secret
nous aurons la vraie matrise des nergies matrielle. Mais nous ne faisons que
redcouvrir de trs anciennes vrits. Il y a quatre mille ans les Upanishads savaient que la Matire est
de l'Energie condense : " Par
l'nergie de sa conscience Brahman s'est mass ; de cela la Matire est ne, et
de la Matire, la Vie, le Mental et les mondes ( Mundaka Upanishad , I.1.8).
Tout
est Conscience ici-bas, parce que tout est l'Etre ou lĠEsprit. Tout est Chit parce
que tout est Sat , Sat
Chit divers
niveaux de sa propre manifestation.
L'histoire de notre
volution terrestre, finalement, est l'histoire d'une lente conversion de
la Force en Conscience ou plus exactement un lent rappel de cette Conscience
engloutie dans sa Force.
Tout le progrs
volutif, en fin de compte, se mesure la capacit de dgagement ou de
dcrochage de l'lment conscience hors de son lment force. C'est ce
que nous appelons l'individualisation de la conscience. Au stade spirituel ou
yoguique de notre volution la conscience est totalement dgage de ses
tourbillonnements mentaux, vitaux, physiques. Elle est capable de parcourir
toute la gamme des vibrations de l'atome l'Esprit.
Si nous commenons
percevoir la conscience intrieure dit Sri Aurobindo on
peut en faire toutes sortes de choses : l'envoyer l'extrieur sous forme de
courant de force, tracer un cercle de conscience autour de soi, diriger une
ide pour qu'elle entre dans la tte de quelqu'un en Amrique. Si nous n'avions
pas fait des milliers d'expriences ... nous n'en parlerions pas comme nous en
parlons.
A un stade ultrieur,
nous verrons que la Conscience peut agir sur la Matire et la transformer.
Cette ultime conversion de la Matire en Conscience et peut -tre un jour de la
Conscience en Matire est l'objet du yoga supramental dont nous reparlerons plus tard.
Mais il y a bien des
degrs de dveloppement de la conscience-force depuis le chercheur qui
s'veille jusqu'au yogi. C'est ici que la vraie hirarchie commence.
Il est une ultime
quivalence. Non seulement la conscience est force, non seulement la conscience
est tre mais la conscience est joie, ċnanda : Chit-ċnanda. Etre conscient c'est la joie, une
joie solide, vaste, paisible. Elle est irrfutablement comme un roc travers
tous les temps, tous les lieux, comme un sourire derrire et partout. Tout
l'nigme de l'univers est l. Il n'y en pas d'autre. Un sourire imperceptible,
un rien qui est tout.
Sat-Chit-ċnanda - Existence, Conscience, Joie - triade ternelle qui est l'univers et que
nous sommes : "De la joie tous
ces tres sont ns ; par la joie ils existent et grandissent ; la joie ils
retournent". ( Tattiriya Upanishad III.6.)
(34-41)
_________________________
(p81-p100)
(34-35)
(p81-p83)
Il est une zone de
notre tre, la fois source d'une grosse difficult et d'un grand pouvoir, une
source de difficults, parce qu'elle brouille toutes les communications
du dehors ou d'en haut en s'opposant frntiquement nos efforts de
silence mental et une source de pouvoir parce que c'est l'affleurement de la
grande force de vie en nous. Nous avons nomm la rgion qui s'tend entre le
coeur et le sexe et que Sri Aurobindo appelle le vital.
C'est le lieu de tous
les mlanges : le plaisir y est inextricablement li la souffrance, la peine
la joie et la comdie la vrit. Les diverses spiritualits du monde y ont
trouv tant d'ennuis qu'elles ont trac une croix sur ce domaine dangereux.
Mais cette chirurgie morale, dit
Aurobindo, prsente un double inconvnient : elle ne purifie pas vraiment car
les motions du haut sont aussi sentimentales et donc partiales. D'autre part,
elle ne rejette pas vraiment mais refoule. En outre, la morale ne fonctionne
que dans les limites du fonctionnement mental. Elle n'a pas accs aux rgions
du subconcient ou supraconscient, ni dans la mort, ni dans le sommeil.
Au reste, le
chercheur ne pense pas en terme de bien et de mal mais en terme d'exactitude et
d'inexactitude. Le chercheur fera donc une distinction entre les choses qui
brouillent sa vision et celles qui la rendent clair ; ce sera l'essentiel de sa
"morale".
(35-36)
(p83-p88)
La premire
chose qu'il distinguera dans son exploration vitale, c'est une fraction du
mental qui semble avoir pour seule fonction de donner une forme (et une
justification) nos impulsions, nos sentiments, nos dsirs; c'est ce que Sri
Aurobindo appelle le mental
vital.
Dj nous avons vu la
ncessit du silence mental et nous tendrons notre discipline cette couche
infrieure du mental. Nous prendrons alors connaissance, spontanment, d'une
quantit de vibrations que les gens manent constamment, sans mme le savoir,
et nous saurons de quoi il retourne ou devant qui nous nous trouvons. ( le
polissage extrieur n'ayant rien voir, le plus souvent, avec cette petite
ralit qui vibre).
Nous saurons le
pourquoi de nos sympathies ou antipathies, de nos craintes, de nos malaises.
Nous nous apercevrons d'un phnomne trs intressant : notre silence intrieur
a un pouvoir. Par exemple, la colre, au lieu de nous mettre vibrer intrieurement
l'unisson de celui qui parle, si nous savons rester immobile, nous verrons la
colre de l'autre se dissoudre peu peu comme une fume. Seulement, il ne
s'agit pas d'avoir un masque impassible et de bouillonner en dedans : on ne
triche pas avec les vibrations. Il s'agit de la vraie matrise intrieure. Ce
silence peut annuler n'importe quelle vibration car elles sont contagieuses (par
exemple, le Matre peut ainsi transmettre des expriences spirituelles ou un
pouvoir un disciple).
La clef de la matrise
est toujours le silence, tous les niveaux, parce que dans le silence nous
percevons les vibrations et les distinguons : c'est le pouvoir de saisir. La
vie extrieure ordinaire devient un immense champ d'exprience. C'est pourquoi
Sri Aurobindo a toujours voulu y mler son yoga. Il est trs facile, seul, de
vivre dans la parfaite illusion de la matrise de soi.
Mais ce pouvoir
d'immobilit intrieure a des applications beaucoup plus importantes ; nous
voulons parler de notre propre vie psychologique. La grosse difficult du vital
est qu'il s'identifie faussement tout ce qui semble sortir de lui. Il dit
"ma peine", ma "dpression", mon "dsir" et se
prend pour toutes sortes de petits "je" qui ne sont pas lui.
Par exemple,
nous sommes seul ou en compagnie de telle ou telle personne et nous sentons
quelque chose qui nous tire ou qui cherche entrer en nous. Si nous attrapons
la vibration nous nous retrouvons cinq minutes plus tard en train de lutter
contre une dpression, d'avoir tel dsir, telle fbrilit. Le chercheur qui a
cultiv le silence ne se laisse pas prendre cette fausse identification. Il a fini par
dcouvrir ce que Sri Aurobindo appelle le circumconscient. C'est une sorte d'atmosphre
individuelle ou d'enveloppe
protectrice. C'est l que nous pourrons sentir et attraper les
vibrations psychologiques avant qu'elles n'entrent. Notre culture du silence a
cr une transparence suffisante pour que nous puissions les voir venir, puis
les arrter au passage et les rejeter. Elles resteront tourner en rond dans
le circumconscient et nous pourrons
sentir trs distinctement la colre, le dsir, la dpression rder autour de nous. Nous serons
surpris de voir qu'un jour certaines vibrations ne nous touchent plus. Ou
encore, nous nous apercevrons que certains tats psychologiques dferlent
heure fixe ou se rptent suivant certains mouvements cycliques que Sri
Aurobindo ou la Mre appellent des formations, c'est dire un amalgame de
vibrations qui a fini par acqurir une sorte de personnalit indpendante.
Il y a mille
expriences possibles, c'est un monde d'observations. La dcouverte essentielle
que nous aurons faite est qu'il y a peu de nous
dans tout cela, sauf une habitude
rpondre.
Tant que nous nous identifions
faussement aux vibrations vitales, par ignorance, il est impossible de changer
quoi que ce soit notre nature.
Contrairement tous
les dictons, la nature humaine peut tre change car il n'est rien dans notre
nature ou notre conscience qui ne soit inluctablement fix. Tout n'est qu'un
jeu de forces et vibrations. C'est pourquoi le yoga de Sri Aurobindo
envisage la possibilit d'un
renversement total des rgles qui gouvernent ordinairement les ractions de la
conscience.
La vraie mthode de la
matrise vitale n'est pas chirurgicale mais pacificatrice : on ne lutte pas
vitalement contre elle mais on la neutralise par une paix silencieuse : si vous tablissez la paix, crit
Sri Aurobindo, il devient ais de
nettoyer le vital. La paix est quelque chose de propre en soi, et si vous
l'tablissez, c'est une faon positive d'arriver au but. Chercher la boue
seulement et nettoyer est un chemin ngatif.
(37-39)
(p88-p92)
Il est une autre
difficult, car les vibrations qui viennent des gens ou du vital universel ne
sont pas seules dranger le chercheur. Il est un type de vibration d'une
qualit particulire qui se distingue par sa soudainet et sa violence. En
quelques instants il sera "un autre homme", ayant tout oubli, ses
efforts, son but, comme si tout tait dpourvu de sens, dcompos. C'est ce que
Sri Aurobindo et la Mre appellent les
forces adverses.
Ce sont des forces
trs conscientes, dont le seul but apparemment, est de dcourager le chercheur
ou de le dtourner du chemin qu'il s'est choisi. Le premier symptme de leur
prsence est que la joie se voile, la conscience se voile et tout est envelopp
dans une atmosphre de drame. Ds qu'il y a souffrance, on peut tre sr que
l'ennemi est l. Leur premier soin, gnralement, est de nous pousser des
dcisions subites, extrmes irrvocables. C'est une vibration aigu qui veut
s'excuter immdiatement.
On dcouvre que l'on
est capable de descendre aussi bas que l'on est mont haut. Bien des cailles
nous tombent des yeux et, comme dit Sri Aurobindo, notre vertu est dĠune prtentieuse impuret.
Toutes sortes de noms
dmoniaques et "noirs" ont donc t rservs ces forces adverses
dans l'histoire spirituelle du monde. L'exprience nous montre que ces
forces perturbatrices ont leur place dans l'conomie universelle et
qu'elles ne sont perturbatrices qu'au niveau de notre petite conscience
momentane.
Pour l'individu comme
pour le monde, ces forces peu gracieuses sont des instruments de progrs.
" Ce par quoi tu tombes est cela
mme par quoi tu t'lves" dit le Kularnava Tantra dans sa sagesse.
Pour l'me en voie de croissance, pour
l'Esprit au-dedans de nous, les difficults, les obstacles, les attaques ne
seraient-ils pas un moyen de grandir, d'intensifier sa force, d'largir son
exprience, de s'entraner la victoire spirituelle ?
La Vrit bouge, elle
a des jambes et les princes des tnbres sont l pour veiller ce qu'elle ne
s'endorme pas. Les ngations de
Dieu nous sont aussi utiles que ses affirmations dit Sri
Aurobindo. L'Adversaire ne
disparatra pas dit la Mre que lorsqu'il ne sera plus ncessaire dans le monde. Et nous savons
trs bien qu'il est ncessaire, comme la pierre de touche pour l'or, pour voir
si l'on est vrai.
La mthode vis vis
des forces adverses est la mme que pour les autres vibrations : silence,
immobilit intrieure qui laisse passer la vague.
Nous pourrons tre
secous et, pourtant, tout au fond, nous sentirons ce "tmoin" en
nous qui n'est pas touch.
Pratiquement, le
chercheur du yoga intgral sera beaucoup plus expos que les autres. Sri
Aurobindo disait souvent que son yoga est une bataille parce qu'il veut tout englober dans sa conscience. Il n'y a pas rien
qu'un passage forcer vers la batitude du haut mais beaucoup de passages;
droite, gauche et en bas et tous les niveaux de notre tre et plus d'un
trsor dcouvrir.
(40-41)
(p92-p100)
Il y a donc un passage
franchir si nous voulons trouver la vraie force de vie derrire la vie
trouble de l'homme frontal. Suivant les spiritualits traditionnelles, ce
passage s'accompagne de toutes sortes de mortifications et de renoncements.
Nous avons autre chose en vue. Nous ne cherchons pas quitter la vie mais
l'largir.
Le yoga est un Ç plus grand art de vivre È disait
Sri Aurobindo. L'attitude de
l'ascte qui dit : "Je ne veux rien" et l'attitude de l'homme du
monde qui dit : "je veux cette chose" sont les mmes, observe
la Mre. L'un peut tre aussi
attach son renoncement que l'autre sa possession.
En fait, tant que l'on
a besoin de renoncer quoi que ce soit on nĠest pas prt. On est encore
jusqu'au cou dans les dualits. Si nous avons dmasqu ce simple point, nous
aurons saisi tout le fonctionnement du vital du haut en bas : la souffrance, la
privation autant que l'abondance l'intressent autant que la joie, la haine
autant que l'amour, la torture autant que l'extase, dans tous les cas il
s'engraisse.
Nous avons saisi un
autre travers du vital de surface : c'est un incorrigible charlatan. Nous savons tous cela et pourtant nous
sommes toujours d'incorrigibles sentimentaux. Il prend la force de ses
sentiments pour la force de la vrit.
Une autre observation
qui dcoule de la premire s'impose assez vite nous : c'est la complte
impuissance du vital aider autrui ou tout simplement communiquer avec les
autres sauf quand il y a conjonction d'gosmes.
En ralit le vital ne
cherche pas aider, il cherche prendre, toujours, de toutes les faons. Nos
peines et nos souffrances sont toujours le signe d'un mlange et donc toujours
mensongers. Seule la joie est vraie.
Nous protesterons au
nom de nos sentiments et dirons :
"Mais le Coeur ?".
Justement, le coeur
est-il lieu plus mlang ? En outre, il s'essouffle vite et ce sera notre
troisime observation.
Pour une conscience cosmique dans son tat de connaissance complte et
d'exprience complte, tous les contacts sont perus comme une joie, ċnanda. Seule l'troitesse de conscience,
l'insuffisance de conscience, est la cause de tous nos maux, moraux et mme
physiques, et de cette sempiternelle tragi-comdie de l'existence.
Le chercheur ne sera
plus dupe du jeu quivoque qui se droule dans son vital de surface mais il
gardera longtemps encore l'habitude de rpondre aux mille petites vibrations
biologico-sentimentales qui font la ronde autour. C'est un passage assez long
comme de passer du mental rabcheur au silence mental.
Mais l aussi, il sera
aid par la Force descendante qui contribuera puissamment tablir un rythme
nouveau en lui. Il remarquera que s'il fait seulement un tout petit pas en
avant l'Aide d'en haut en fera dix vers lui comme s'il tait attendu.
En ralit le
chercheur n'obit pas un impratif austre et ngatif il suit une pousse
positive de son tre : il grandit rellement et les normes d'hier ou les
plaisirs d'avant-hier lui semblent aussi minces qu'une dite de nourrisson- Il
n'est pas l'aise l dedans, il a mieux faire, mieux vivre.
Derrire ce vital
infantile, inquiet, vite puis nous dcouvrons un vital calme et puissant- ce
que Sri Aurobindo appelle le
vital vrai. Nous entrons dans un tat de concentration tranquille,
spontane, comme peut l'tre la mer sous le jeu des vagues.
Cette immobilit est
une puissance concentre qui peut mettre en mouvement tous les actes, supporter
tous les chocs sans perdre son repos. C'est une intarissable source d'nergie.
Les capacits de travail et mme d'effort physique sont dcuples. La
nourriture et le sommeil cessent d'tre les sources uniques de renouvellement
des nergies. D'autres pouvoirs qui passent pour "miraculeux" peuvent
se manifester. Il n'y a pas lieu d'en parler ici, mieux vaut faire soi-mme
l'exprience.
Dans cette immobilit,
un autre signe s'tablira d'une faon permanente : l'absence de souffrance et
une sorte de joie inaltrable. Le chercheur qui aura tabli quelque immobilit
verra que celle-ci dissout les chocs parce qu'il est large, qu'il n'est plus un petit
individu serr sur lui-mme.
Avec l'exprience du yoga, la conscience s'largit dans toutes les
directions - autour, au-dessous, au-dessus - et dans chaque direction,
l'infini. Sa base est un vide infini ou un silence infini mais dans ce vide ou
ce silence tout peut se manifester : la Paix, la Libert, le Pouvoir, la
Lumire, la Connaissance, la Joie.
Ds
qu'il y a souffrance de quelque ordre que ce soit, c'est le signe
immdiat d'un rtrcissement de l'tre et d'une perte de conscience.
Quand le chercheur
s'lvera dans le Supraconscient il comprendra que les intensits de l'Esprit
peuvent aussi tre foudroyantes.( en ralit c'est toujours la mme Force,
divine, la mme Conscience-Force , en haut, en bas , dans la Matire ou dans la
Vie ou dans le Mental ou plus haut, mais plus Elle descend plus Elle est
obscurcie, dforme , fragmente.)
(42-49)
______________________
(p101-p120)
Le mental n'est pas
nous, puisque toutes nos penses viennent d'un Mental plus vaste que le ntre,
universel.
Le vital n'est pas
nous, ni nos sentiments, ni nos actes, puisque toutes les impulsions viennent
d'un Vital plus large que le ntre, universel.
Ce corps non plus,
n'est pas nous, car ses composants viennent d'une Matire et obissent des
lois plus grandes que les Ntres, universelles.
Quelle est donc cette
chose en nous qui fait que nous sommes "je" mme si tout le
reste s'croulait ? Et surtout qui est "je" quand tout le
reste s'croule, parce que c'est l'heure de notre vrit.
Au cours de notre
reconnaissance, nous avons observ divers centres ou niveaux de conscience et
nous avons vu que, derrire ces centres, il y avait une conscience-force qui se
mouvait et qui reliait nos divers tats d'tre et nous avons senti que ce
courant de force, ou de conscience, tait la ralit fondamentale de notre tre
derrire tous nos tats.
Qui donc est conscient
en nous ?
La vrit est double.
En aucun cas nous ne sommes des marionnettes. Nous avons ce que Sri Aurobindo
appelle l'tre psychique et un centre cosmique ou tre central.
Etape par tape nous
devons retrouver l'un et l'autre et devenir le Matre de tous nos tats.
Pour l'instant nous irons seulement la dcouverte de notre centre individuel,
le psychique, que d'autres appellent me.
C'est la fois la
chose la plus simple du monde et la plus difficile. La plus simple parce qu'un
enfant comprend cela, il vit cela
spontanment. Il vit dans son tre psychique, la plus difficile, parce que
cette spontanit est bientt recouverte par toutes sortes d'ides, de
sentiments. Alors, on commence parler "d'me", c'est dire qu'on y
comprend plus rien. Toutes les souffrances de l'adolescence sont justement
l'histoire d'un lent emprisonnement psychique. Toutes les difficults du
chercheur sont l'histoire inverse d'une lente extirpation de tous les mlanges
mentaux et vitaux. Mais ce n'est pas seulement un voyage l'envers car on ne
revient jamais en arrire et au bout du voyage on ne retrouve pas l'enfant
psychique mais une royaut consciente.
Car le psychique est un tre, il grandit, il est le miracle d'une enfance
ternelle dans un royaume de plus en plus vaste. Il est "dedans comme un enfant qui doit natre".
dit le Rig-Veda (IX.83.3).
(42-46)
(p103-p109)
Les premires
manifestations du psychique sont la joie et l'amour. Une joie tranquille,
profonde, comme la mer. La joie profonde n'a besoin de rien pour tre, elle est. Un amour qui n'a
besoin de rien pour tre, il est. Il
est invulnrable, rien ne le touche. Rien n'est bas pour lui, ni haut, ni pur,
ni impur. Il est lger, rien ne lui pse. Il est invulnrable, rien ne le
touche. Il est tranquille, tranquille comme un petit souffle au fond de l'tre.
Il est Dieu en nous.
Pour l'oeil qui voit,
voil comment le psychisme apparat :
Quand on regarde quelqu'un qui est conscient de son me et qui vit dans son
me, dit la Mre, on a
l'impression de descendre, d'entrer profondment, profondment dans la
personne, loin, trs loin dedans, tandis que gnralement, quand on regarde les
yeux des gens, il y a des yeux o l'on n'entre pas, c'est ferm comme une
porte. Il y a des yeux qui sont ouverts, on entre, puis on rencontre derrire,
assez prs, quelque chose qui vibre, qui brille, qui scintille. C'est son
vital. Pour trouver l'me, il faut se reculer de la surface, se retirer
profondment, descendre dans un trou trs profond, silencieux, immobile, a
c'est l'me.
Mais ce sont l des
signes seulement. Comment ouvrir les portes du psychisme ? Car il est bien
cach. Tout d'abord il est cach par nos ides, nos sentiments, qui le pillent
et le singent sans merci. Il est aussi happ par le vital qui en fait ses
brillantes exaltations, ses motions "divines" et palpitantes, ses
amours accaparantes. Il est mis en cage par le mental qui en fait ses idaux
exclusifs, ses philanthropies infaillibles, ses morales cadenasses ; et des
Eglises, d'innombrables Eglises qui le mettent en article et en dogme.
O est le psychisme la
dedans ? Le gros cueil, c'est quand il sort de sa cachette une seconde.
Il jette une telle gloire sur tout ce qu'il touche que nous confondons sa
lumineuse vrit avec la circonstance de la rvlation. Tel qui eut la rvlation
de son psychisme, un jour en coutant Beethoven, dira : la musique, rien que la
musique est divine ici- bas. Tel autre, qui aura senti son me dans l'immensit
de la mer se fera une religion du grand large et tel autre dira : mon prophte,
ma chapelle, mon vangile. Chacun btit ainsi sa construction autour du noyau
d'exprience. Mais le psychisme est libre merveilleusement libre de tout.
Le monde va ainsi,
accabl de demi-vrits qui sont plus lourdes que des mensonges.
Si l'on veut avoir
l'exprience du psychique dans sa puret cristalline, il faut faire une
transparence en soi car, ds que l'on est clair, la Vrit merge spontanment,
la vision, la joie, tout. La Vrit est la chose la plus naturelle qui soit au
monde. C'est le reste qui brouille tout, le mental et le vital.
Toutes les disciplines
spirituelles dignes de ce nom ne doivent tendre, finalement, qu' ce point
naturel o nous n'avons plus besoin d'efforts. Le chercheur n'essaiera pas
d'entrer dans le brouillage du mental moral, ni de faire l'impossible tri du
bien et du mal pour dgager le psychisme. C'est ce que Sri Aurobindo appelle
un changement de conscience. Dans
cette transparence, les vieux plis de l'tre se dferont tranquillement et nous
sentirons une autre position de la conscience, pas une position intellectuelle,
un centre de gravit. A hauteur du coeur, mais plus profond que le centre vital
du coeur nous sentirons une zone de concentration plus intense que les autres,
qui est comme leur point de convergence - c'est le centre psychique.
Quelque
chose s'allume au centre, comme un feu – Agni-. C'est le vrai" je"
en nous.
On dit "prsence
" mais c'est plutt comme une absence poignante, comme un trou vivant que
l'on porte dedans et qui chauffe, qui brle, qui pousse de plus en plus et qui
finit par devenir rel et seulement rel dans un monde o l'on se demande si
les hommes vivent ou font semblant. Il faut le dgager avec patience de son
propre corps dit l'Upanishad. C'est lui "l'enfant
enferm dans la caverne secrte" dont parle le Rig Veda (V.2 .1), "le
fils du ciel par le corps de la terre" (III.25.1) " lui qui est veill dans ceux qui dorment
". " Il est comme la vie et
comme le souffle de notre existence, il est comme notre enfant ternel"
(I.66.1). Il est comme "le Roi
brillant qui nous tait cach (I.23.14). C'est le Centre, le Matre, le
lieu o tout communique :
Un espace ensoleill o tout est jamais connu.
Si nous avons senti ce
Soleil dedans, cette flamme, cette vie vivante – il y a tant de vies
mortes - ft-ce une seconde dans une existence, tout est chang ; c'est un
souvenir devant lequel tous les autres sont ples. C'est le Souvenir.
Si nous sommes fidles
cet Agni qui brle, il grandira de
plus en plus, comme un tre vivant dans notre chaire. Une sensation terrible de quelque chose qui
empche de voir et de passer; on essaie de passer au travers et puis on est en
prsence d'un mur dit la Mre.
Puis, force de
besoin, force de vouloir, la tension psychique, un jour, atteindra son point
de renversement et nous aurons l'exprience. Quelque chose bascule dans la conscience. Au lieu d'tre dehors et de
chercher voir dedans, on est dedans et, de la minute o on est dedans,
absolument tout change, compltement. Tout ce qui vous paraissait vrai,
naturel, normal, rel, tangible, tout cela immdiatement vous parat trs
grotesque, trs drle, trs irrel, trs absurde. Mais on a touch quelque
chose qui est suprmement vrai et ternellement beau ; et cela on ne le perd
plus.
"ï Feu, Agni, quand tu es bien port par nous, tu
deviens la suprme croissance, la suprme expansion de notre tre ; toute
gloire et toute beaut sont dans ta couleur dsirable, dans ta vision parfaite.
ï tendue, tu es la plnitude qui nous porte au bout du chemin, tu es une
multitude de richesses rpandues de tous cts" ( Rig-Vda II.1.12.)
La Mre expliquait
ainsi l'exprience : ... Alors toute la concentration, toute
l'aspiration se rassemble en un faisceau et va poussant, poussant contre cette
porte, poussant de plus en plus, avec une nergie croissante, jusqu' ce que
tout d'un coup, la porte cde. Et on entre, comme prcipit dans la lumire.
Alors on est vraiment n.
(46-49)
(p109-p120)
De toutes les
expriences, lorsque s'ouvre la porte du psychique, la plus immdiate et la
plus irrsistible est d'avoir toujours t et d'tre pour toujours. On merge
dans une autre dimension, o l'on voit qu'on est vieux comme le monde et
ternellement jeune et que cette vie est une exprience, un chanon,
dans une succession ininterrompue d'expriences qui s'tendent derrire nous et
se perdent dans le futur.
" Vieux et us il devient jeune encore et
encore " dit le Rig-Veda
(II.4.5.)
Ce que l'on appelle
communment la rincarnation n'est pas propre l'enseignement de Sri Aurobindo
; toutes les sagesses anciennes en ont parl, de l'Extrme-Orient l'Egypte et
aux noplatoniciens mais Sri Aurobindo lui donne un sens nouveau.
Ds l'instant o l'on
sort de la petite vision momentane d'une vie unique coupe par la mort, deux
attitudes sont possibles ; ou bien on peut penser, avec les spiritualistes
exclusifs, que toutes ces vies sont douloureuses et futiles dont il importe de
se librer au plus tt pour se reposer en Dieu, en Brahman ou en quelque Nirvana
; ou bien on peut croire avec Sri Aurobindo - une croyance qui repose sur une
exprience - que l'ensemble de ces vies reprsente une croissance de conscience
qui culmine dans un accomplissement terrestre ;
autrement dit qu'il y a une volution de la conscience derrire l'volution des
espces et que cette volution spirituelle doit aboutir une ralisation
individuelle et collective sur la terre. C'est hors du monde que les
spiritualistes ont cherch la libration et le salut.
Envisage du point de
vue d'une volution de la conscience, la rincarnation cesse d'tre la ronde
futile que d'aucuns y ont vu ou l'extravagance imaginative que d'autres en ont
fait.
Avec une clart toute
occidentale Sri Aurobindo nous dbarrasse du roman feuilleton spirituel, comme dit la Mre o tant
de connaissances srieuses ont dgnr depuis la fin de l'ge des mystres et
il nous invite une exprimentation lucide tout simplement.
Il
ne s'agit pas de croire en la rincarnation mais d'en avoir l'exprience et
d'abord de savoir dans quelles conditions l'exprience est possible.
Pendant des vies et
des vies le psychique grandit silencieusement derrire la personnalit
frontale. Quand celle-ci se dissout, il emmne seulement l'essence de toutes ses
expriences. Chaque vie reprsente donc un type d'exprience (nous croyons
faire beaucoup d'expriences mais c'est toujours la mme). Plus il grandira,
plus la conscience-force s'individualisera en nous jusqu'au jour o il jaillira
au grand jour. Alors il pourra prendre conscience directement du monde autour.
Il sera le matre de la nature au lieu d'tre son prisonnier endormi.
Le yoga est le point
de dveloppement o nous passons des mandres de l'volution naturelle une
volution consciente et dirige : c'est
un processus d'volution concentre.
Sans rincarnation on
s'explique mal, l'immense diffrence de degrs entre les mes, celle d'un
souteneur, par exemple, et celle d'un Dante ou d'un Franois d'Assise.
Mais mme parmi les
tres veills, il y aussi d'normes diffrences de degrs ; il est des mes,
des consciences-forces tout juste nes et d'autres qui ont une individualit
dj trs forme ; des mes qui sont dans le premier clatement radieux de leur
dcouverte mais qui ne savent pas grand choses en dehors de leur joie
rayonnante, qui n'ont pas de souvenir prcis de leur pass, mme pas conscience
des mondes qu'elles portent en elles.
On peut tre un yogi
lumineux ou un saint qui vit dans son me et avoir un mental fruste, un vital
refoul, un physique que l'on mprise. Le "salut" est peut-tre
ralis mais non la plnitude d'une vie intgrale.
A la dcouverte
psychique doit succder l'intgration
psychique. Patiemment, lentement, aprs avoir dcouvert le royaume
intrieur, il faudra coloniser et y adjoindre le royaume extrieur qui viendra
s'intgrer autour de ce nouveau centre si nous voulons une ralisation
terrestre.
Il faut que le psychique
soit prsent nos activits extrieures et c'est alors seulement que nous
pourrons commencer parler de rincarnation et de souvenirs des vies passes,
des souvenirs de moments d'me.
Nous pourrons nous souvenir d'un cadre, d'un lieu, d'un costume d'un dtail
banal : ce sont les seuls instants o nous avons vcu, ou un vrai
"je" a merg en nous. En des circonstances tragiques, de mme, le
psychique peut merger. On sent comme une prsence derrire, qui nous fait
faire des choses dont nous serions tout fait incapables normalement.
L'volution ne
consiste pas devenir de plus en plus saint ou de plus en plus intelligent
mais de plus en plus conscient.
Malheureusement, le
plus souvent, nous nous contentons "d'une vie intrieure" dit-on, et
dehors, nous vivons n'importe comment, par habitude. C'est le contraire d'un
yoga intgral. Mais, si ds le dbut, au lieu de rejeter toutes les activits
mondaines pour nous plonger dans la seule qute de l'me nous avons tout
embrass dans notre recherche, tous les niveaux de notre tre, toute la vie,
nous arriverons une vie intgrale et intgre, tandis que si l'on a tout
exclu pour arriver des fins dites "spirituelles" il est trs
difficile de revenir sur ses pas pour dbrider le mental et l'universaliser.
La ralisation
psychique ou dcouverte de l'me n'est donc pas une fin pour le chercheur c'est
le tout petit commencement seulement d'un autre voyage qui s'accomplit dans la
conscience de plus en plus vaste.
Comme l'annonce Sri
Aurobindo, nous aurons assez grandi pour infuser assez de conscience dans ce
corps afin qu'il participe, lui aussi, l'immortalit psychique.
Tout et toujours est
une question de conscience, pour notre vie mentale, vitale, et physique, comme
pour notre sommeil et notre mort et notre immortalit. La conscience est le
moyen, la conscience est la cl, la conscience est la fin.
(50-56)
__________________________
(p121-p134)
Aprs le mental et le
vital, le physique, troisime instrument de l'Esprit en nous joue un rle
particulier dans le yoga de Sri Aurobindo puisque sans lui, il n'est pas
de vie divine possible
sur terre. Nous n'aborderons maintenant que quelques points d'exprience
prparatoires, ceux-l mme que Sri Aurobindo dcouvrit au dbut de son yoga;
le yoga du corps, en effet, ncessite un dveloppement de conscience beaucoup
plus considrable que celui envisag jusqu' prsent : plus on descend
vers la Matire, plus il faut tre en possession de hauts pouvoirs de
conscience, car plus la rsistance augmente.
La Matire est le lieu
de la plus grande difficult spirituelle, mais aussi le lieu de la Victoire.
Le yoga du corps
dpasse donc le cadre de notre pouvoir vital ou mental et relve d'un yoga supramental que nous
aborderons plus tard.
(p121-p134)
La Matire est le
point de dpart de notre volution, c'est, enferme en elle, que la conscience
a peu peu volu, donc plus la conscience mergera, plus elle devra recouvrer
sa souverainet et affirmer son indpendance. C'est le premier pas (non la fin,
notons-le). Nous vivons dans une sujtion presque totale aux besoins du corps
pour subsister et aux organes du corps pour percevoir le monde. Nous sommes
trs fiers juste titre de nos machines mais il suffit que nous ayons un peu
mal la tte pour que tout se brouille. Il se pourrait que notre machinerie ne
soit pas tant le symbole d'une matrise que d'une terrible impuissance.
La faute en incombe
doublement aux matrialistes qui n'ont pas cru aux pouvoirs de l'Esprit
intrieur et aux spiritualistes qui n'ont pas cru en la vrit de la Matire.
Par l'histoire mme de
notre volution, la conscience, submerge dans la matire, s'est habitue
dpendre d'un certain nombre d'organes extrieurs pour percevoir le monde.
Notre dpendance des sens est une habitude, seulement millnaire il est vrai,
mais pas inluctable. Il est
possible pour le mental - et ce serait tout naturel pour lui, si seulement nous
pouvions le persuader de se librer de son consentement la domination de la
Matire - de prendre directement connaissance des objets des sens sans l'aide
des organes sensoriels. (The Life Divine 18:63)
Nous pouvons voir,
nous pouvons sentir, d'un continent l'autre, comme si les distances
n'existait pas, parce que les distances n'entravent que le corps et ses
organes, non la conscience qui peut tre partout o elle veut en une seconde,
si elle a appris s'largir - il est un autre espace, lger, o tout est
rassembl en un point-clair. Peut-tre attendons-nous ici quelques
"recettes" de clairvoyance et d'ubiquit mais les recettes sont
encore une machinerie au deuxime degr. Certes, le hatha yoga a son efficacit, de mme que toutes les mthodes
plus ou moins yoguiques qui consistent fixer une chandelle allume (trtak),
laborer des dittiques infaillibles, faire des exercices respiratoires (pranayama). Tout sert, tout peut servir. Mais ces mthodes ont le
dsavantage d'tre longues et d'une porte limite; en outre, elles sont
toujours incertaines et parfois prilleuses quand elles sont manies par des
individus insuffisamment prpars ou purifis. Il ne suffit pas de vouloir le
pouvoir, il faut que la machine ne craque pas quand elle reoit le pouvoir.
Pratiquement, notre
tche serait bien simplifie si seulement nous comprenions que c'est la conscience qui se sert de
toutes les mthodes et qui agit travers toutes les mthodes et que si nous
allons directement la conscience, nous aurons saisi le levier central. Avec
cet avantage que la conscience ne trompe pas.
Pour le chercheur
intgral, le travail sur le corps est venu naturellement s'adjoindre son
travail sur le mental et sur le vital; par commodit, nous avons dcrit les
divers tages de l'tre mais tout marche de front. Chaque dcouverte sur
un plan a ses rpercussions sur tous les autres plans. Lorsque nous avons
travaill au silence mental, nous avons observ successivement diverses couches
mentales que nous avons rduites au silence : un mental pensant qui constitue notre ratiocination normale;
un mental vital qui
justifie nos dsirs, nos sentiments, nos impulsions; il y a aussi un mental physique qui nous donnera
beaucoup de mal. il semblerait que ce mental est le bouc missaire du yoga
intgral. C'est le vestige en nous de la premire apparition du Mental dans la
Matire; un mental microscopique qui s'affole par exemple la moindre
gratignure, qui construit des montagnes de difficults quand il faut changer
d'un rien sa routine. Il rpte en nous comme une vieille fille marmottante.
Quand on a fait taire
le mental pensant et le mental vital, on s'aperoit alors qu'il est bien l et
qu'il est affreusement collant. Le mental physique oppose un mur solide
l'largissement de notre conscience physique qui est la base de toute matrise
physique.
Quand nous avons
travaill systmatiquement faire une transparence en nous et augmenter
notre rceptivit, les brouillages du mental physique deviennent un obstacle
srieux et mme dangereux.
Cette transparence
mentale, vitale et physique est la clef d'une double indpendance.
Indpendance des
sensations car la conscience-force peut, volont, tre dconnecte de
n'importe quel point, du froid, de la faim, de la douleur, etc...
Indpendance des sens,
car dlivre de son absorption immdiate dans nos activits mentales, vitales
et physiques cette mme conscience-force peut dborder le cadre de son corps
et, par une projection intrieure, contacter les choses, les tres et les
vnements distance. Gnralement, il faut tre en tat de sommeil ou
d'hypnose pour percevoir un peu loin dans l'espace ou dans le temps et se
dgager des sensations immdiates mais ces moyens sont parfaitement inutiles si
le vacarme mental s'est tu et si nous sommes matre de notre conscience. La
conscience est le seul organe. ( The
Synthesis of yoga, 22:353). C'est elle qui voit, elle qui entend. Le
sommeil et l'hypnose sont simplement des moyens rudimentaires de lever le
rideau du mental de surface.
A cette capacit
d'largissement de la conscience doit, naturellement, se joindre une capacit
de concentration, en sorte que la conscience largie puisse se fixer, immobile
et silencieuse sur l'objet considr et devenir cet objet. Mais concentration ou largissement sont
des corollaires spontans du silence intrieur. Dans le silence intrieur, la
conscience voit.
P127-p131)
Quand nous sommes dlivrs
de la tension du mental pensant, de la tyrannie du mental vital, de l'paisseur
du mental physique nous commenons comprendre que le corps est un merveilleux
instrument. C'est l'instrument le plus mconnu qui soit et le plus mal trait.
Dans cet claircissement gnral de notre tre nous observons que le corps
n'est jamais malade, simplement il s'use, mais mme cette usure n'est peut-tre
pas irrmdiable comme nous le verrons avec le yoga supramental.
Ce n'est pas le corps
qui est malade, c'est la conscience qui fait dfaut. A mesure que l'on avance
dans le yoga on voit en effet que chaque fois que l'on tombe malade, chaque
fois qu'il y a un "accident" extrieur c'est toujours le rsultat d'une
inconscience ou d'une mauvaise attitude, d'un dsordre psychologique. Ds qu'on
a mis le pied sur le chemin du yoga il y a immdiatement quelque chose en nous
qui est alert et nous montre nos erreurs et la cause de tout ce qui arrive
comme si le sens de la vie ne se droulait plus du dehors vers le dedans mais
du dedans vers le dehors. En fait, plus rien n'est banal et la vie journalire
apparat comme un rseau charg de signes qui attendent notre reconnaissance.
Tout se tient, le monde est un miracle. Le Divin est plus proche de nous que
nous ne le pensons, le "miracle" moins tapageur et plus profond que
toute cette imagerie d'Epinal. Quand nous avons dchiffr un seul de ces petits
signes qui nous croisent, devin une seule fois l'imperceptible lien qui tient
les choses, nous sommes plus prs du grand Miracle que si nous avions touch la
manne du ciel. Parce que le miracle, c'est peut-tre que le Divin est naturel
aussi.
Le chercheur prendra
donc conscience de ce renversement du courant de la vie, du dedans vers le
dehors.
Quand nous sommes en
tat d'harmonie et que notre action correspond la vrit profonde de notre
tre, il semble que rien ne puisse rsister, mme les
"impossibilits" se dissolvent.
Quand il y a un
dsordre intrieur, mental ou vital, on s'aperoit que ce dsordre appelle des
circonstances extrieures fcheuses, intrusion de maladie ou d'accident. Quand
nous sommes en mauvais tat intrieur nous mettons un certain type de
vibrations qui automatiquement se mettent en contact avec les autres vibrations
du mme type tous les niveaux de notre tre
Si le chercheur est
conscient, il peut passer au milieu de n'importe quelle pidmie, boire toutes
les salets du Gange s'il lui plat, rien ne peut le toucher car qui toucherait
le Matre veill ? Nous avons isol
des bactries et des virus mais nous n'avons pas vu qu'ils sont seulement des
agents et que la maladie n'est pas le virus mais la force qui se sert du virus.
Et si nous sommes
clairs, tous les virus du monde n'y peuvent rien. Notre mdecine ne touche qu'
la surface des choses, pas la source. Il n'y a qu'une maladie :
l'inconscience.
Il faut noter deux
autres catgories de maladie qui ne tiennent pas directement nos erreurs :
celles qui viennent d'une rsistance subconsciente (cf. plus loin avec la
purification du subconscient) et celles que nous pourrions appeler
"maladies yoguiques" qui proviennent d'un dcalage entre le
dveloppement des tages suprieurs de notre conscience et le dveloppement de
notre conscience physique. Il en rsulte une rupture d'quilibre qui peut
amener des maladies par rupture des relations normales entre les lments
internes allergies, troubles du sang, dsordres nerveux et mentaux. Nous
touchons aux problmes de la rceptivit de la matire aux forces suprieures
de conscience. Sri Aurobindo et la Mre insistent sur le dveloppement de notre
base physique pour y crer une vie divine.
(p131-p134)
La conscience peut
donc tre indpendante des organes des sens, des maladies, dans une large
mesure de la nourriture et du sommeil, lorsqu'elle a dcouvert l'inpuisable
rservoir de la grande Force de Vie. Elle peut tre indpendante du corps
lui-mme.
Dans nos mditations
tout d'abord, parce que c'est le premier champ d'entranement, nous observons
que cette conscience-force devient particulirement homogne et qu'aprs s'tre
dgage du mental et du vital, elle se retire lentement de tous les
bruissements du corps. La respiration devient de plus en plus imperceptible,
puis soudain il y a brusque dcrochage et l'on se retrouve "ailleurs"
en dehors du corps. C'est ce qu'on appelle "s'extrioriser".
Il y a toute sorte
"d'ailleurs" autant que de plans de conscience. On peut sortir sur le
niveau o nous avons fix notre conscience mais l'ailleurs le plus immdiat qui
borde notre monde physique et lui ressemble est ce que Sri Aurobindo a
appel le physique subtil.
Cette connaissance est
aussi vieille que le monde. Sri Aurobindo conclut ce sujet que ces expriences sont le signe que le mental
arrive une position correcte vis--vis du corps et qu'il change son point de
vue faux de mentalit obsde et capture par les sensations physiques pour le
point de vue de la vraie vrit des choses.
(57-64)
(57-58)
(p134-p140)
Tout le monde n'est
pas capable de sortir de son corps consciemment, ni d'largir consciemment son
mental ou son vital mais beaucoup de gens le font inconsciemment dans leur
sommeil.
Il y a trois mthodes
ou trois stades :
Le premier, la
porte de tout le monde est le sommeil.
Le second, plus rare,
repose sur l'extriorisation consciente ou les mditations profondes et le
troisime, qui reprsente dj un degr avanc de dveloppement, o tout est
simple : on peut se passer du sommeil et des mditations profondes et voir de
toutes les faons, les yeux grands ouverts, au milieu mme des activits.
Le sommeil est un
premier instrument de travail ; il peut devenir conscient, de plus en plus
conscient, jusqu'au moment o nous serons suffisamment dvelopps et o le
sommeil, comme la mort, seront simplement un passage d'un mode de conscience
un autre mode de conscience.
En fait, il n'y a pas de
sparation entre notre monde et les innombrables autres mondes. C'est seulement
une certaine faon de percevoir la
mme chose qui nous fait dire "je vis" ou "je
dors" ou "je suis mort". "L'ailleurs È est partout
ici.
Il existe ainsi une
gradation infinie de ralits co-existantes, simultanes, sur lequel le sommeil
nous ouvre une lucarne naturelle. Nous voyons qu'il existe une gradation de
plans de conscience qui s'chelonnent sans interruption de la Matire pure
l'Esprit pur. Vie, mort, sommeil sont simplement des positions diffrentes de
la conscience au sein de cette mme gradation.
Si nous sommes
inconscients, la mort sera vraiment une mort et le sommeil un engourdissement.
Prendre conscience de ces divers degrs de ralit est donc notre tche
fondamentale. La mort n'est pas
une ngation de la vie mais un processus de la vie. (The Life Divine 18:193)
Cette vie physique
assume une importance particulire parmi tous nos autres modes de vie car
c'est le lieu de travail dit
la Mre. Car c'est le point zro ou presque de l'volution et que c'est
partir du corps, lentement, travers d'innombrables vies, qu'un
"nous" indiffrenci tout d'abord s'individualise et prend
conscience avec des plans de conscience de plus en plus levs.
Nous avons dit que
nous tions constitus d'un certain nombre de centres de conscience qui
s'chelonnent depuis le dessus de la tte jusqu'en bas, un peu comme un poste
qui a plusieurs longueurs d'onde, et d'o nous recevons constamment notre
insu, le plus souvent, toutes sortes de vibrations. Le principe est que nous
irons au moment de la mort ou du sommeil vers les plans avec lesquels nous
avons dj tabli un lien. En cet tat embryonnaire, la conscience, retombe
dans le subconscient (en dessous du stade conscient de l'volution, comme chez
l'animal ou la plante) lorsqu'elle s'endort.
A partir du moment o
le corps cesse d'tre le centre principal et o on commence avoir une vie
intrieure indpendante des circonstances et de la vie physique, surtout quand
on fait du yoga, la vie change vraiment, la mort aussi, le sommeil aussi. On
commence exister. C'est mme la premire chose dont on s'aperoit.
(59-62)
(p140-p149)
Il y a bien des degrs
dans ce nouveau sommeil, suivant le dveloppement de notre conscience, depuis
les clairs spasmodiques sur tel ou tel plan, jusqu' la vision continue qui
peut aller volont de bas en haut et de haut en bas o bon lui semble.
Normalement nous irons
par affinit sur les plans avec lesquels nous avons tabli un lien ; les
vibrations vitales, mentales ou autres que nous avons acceptes et qui se sont
traduites en nous par des idaux, des aspirations, des dsirs, des bassesses ou
des noblesses, constituent ce lien et en sortant de notre corps nous iront la
source.
- une source
extraordinairement vivante et frappante. Alors nous commencerons prendre
connaissance des mondes immenses, innombrables qui pntrent et enveloppent
notre petite plante terre. Nous n'entendons pas les dcrire mais donner
seulement quelques indices qui permettront de faire quelques recoupements avec
sa propre exprience. La qualit essentielle pour cette exploration, Sri
Aurobindo y a insist bien des fois, est une claire austrit et l'absence de dsir, le silence
mental, sinon nous serons le jouet de toutes les illusions.
Patiemment, force
d'expriences, nous apprendrons d'abord reconnaitre sur quel plan se situe
notre exprience ; ensuite, de quel niveau il s'agit au sein de chaque plan.
Puis nous apprendrons comprendre le sens de nos expriences ; c'est une
langue trangre. L'une des grosses difficults vient de ce que le langage
terrestre qui est le seul que nous connaissions peut, au rveil brouiller les
pistes. A dfaut d'un guide clair, il faudra s'habituer rester silencieux
lorsqu'on s'veille et sentir intuitivement le sens de ces autres langages.
C'est comme une fort vierge, on commence reconnatre des lieux, des signes,
une diversit grouillante.
Mais comment se
souvenir de son sommeil ? C'est un blanc absolu pour la plupart des tres. Il y
a des quantits de ponts comme
dit la Mre, comme si nous tions faits d'une srie de pays relis chacun par
un pont. Un tre suffisamment dvelopp parcourra toute la gamme des plans de
conscience dans son sommeil et il ira jusqu' la Lumire suprme de l'Esprit. -
Sat Chit-ċnanda - inconsciemment le
plus souvent, ces quelques minutes seront son vrai sommeil, le vrai repos dans
la dtente absolue de la joie et de la Lumire.
Sri Aurobindo disait
que la vraie raison d'tre du sommeil est de rejoindre spontanment la Source
et de s'y retremper. De l, nous redescendrons lentement travers tous les
plans, Mental, Vital, Physique subtil et subconscient et chaque partie de notre
tre y aura les expriences correspondantes. Au sein de chaque plan il y a
beaucoup de zones. La principale difficult est d'tablir le tout premier pont
avec la conscience extrieure de veille et il n'est qu'une faon : l'immobilit
totale et le silence complet au rveil. Si l'on se retourne ou si l'on bouge,
tout s'vapore. Il faut rester pench sur le grand lac tranquille comme dans
une contemplation sans objet. Et, soudain, si nous sommes persvrant nous
verrons une image flotter sous nos yeux, ou une trace, une odeur, mais insaisissable.
Il s'agira de ne pas
se prcipiter, de laisser se prciser. Quand nous aurons bien attrap le fil,
il suffira de tirer lentement et le fil nous conduira de pays en pays, de
souvenir en souvenir. Quelquefois nous resterons buts pendant des annes sur
un mme point et si l'on s'obstine, le chemin finira par se tracer.
Le rappel au rveil
n'est pas la seule mthode on peut aussi se concentrer le soir avant de
s'endormir avec la volont de se souvenir et se rveiller intervalles fixes
une ou deux fois dans la nuit. Nous savons que le fait de vouloir se rveiller
une certaine heure fonctionne parfaitement la minute prs ; c'est ce que
l'on appelle "faire une formation".
Si nous persistons pendant des mois et des annes nous finirons par tre alerts
chaque fois qu'un lment important se produira.
Il faut prciser qu'il
faut distinguer les rves ordinaires du subconscient des expriences.
Les expriences sont
des vnements rels auxquels nous avons particip sur tel ou tel plan; il se
distingue des rves ordinaires par leur intensit particulire. Tous les
vnements du monde physique semblent ples
ct de ces vnements-l. Ils laissent un souvenir plus vivant que n'importe lequel
de nos souvenirs terrestres. Lorsque le chercheur, au rveil, aura l'impression
d'avoir baign dans un monde charg de signes ou quand il aura assist ou
particip certaines scnes qui semblent infiniment plus relles que nos
scnes physiques, il saura qu'il a eu une exprience vritable, non un rve.
Il est un autre fait
remarquable : plus on s'lve dans l'chelle de la conscience, plus la qualit
de la lumire change. C'est un indicatif trs sr. Il y a toute la gamme,
depuis les tons sales du subconscient, gris marron et noirs, les couleurs
clatantes du Vital avec une nuance artificielle et un peu dure, clinquante,
jusqu'aux lumires du Mental de plus en plus puissantes et pures mesure que
l'on monte vers l'Origine. A partir du Surmental il y a une diffrence radicale
de vision, les objets, les tres ou les choses sont lumineux en soi et ne sont
plus clairs de l'extrieurÉ Quand on peut entrer en contact avec cette
Lumire, on est autant repos en quelques minutes qu'en huit heures de sommeil.
Quand on va la dcouverte de son tre intrieur raconte la Mre et des diffrentes parties qui le
composent, on a trs souvent l'impression de pntrer dans une chambre et
suivant la couleur, l'atmosphre, les choses qu'elle contient, on a la
perception trs claire de la partie de l'tre que l'on est en train de visiter.
Alors, on peut passer dans des pices de plus en plus profondes qui ont chacune
leur caractre propre.
Le chercheur
s'apercevra, aprs coup qu'il a eu, la nuit, la prmonition exacte de tous les
vnements psychologiques importants
qui ont lieu dans la journe. Nous commencerons voir venir et ce sera la
preuve rpte des centaines de fois, nuit aprs nuit, que tout le jeu de notre
nature frontale vient du dehors, d'un Mental universel, d'un Vital universel.
Et ce sera le commencement de la matrise car une fois que l'on a vu, et
mme prvu, on peut changer le cours des choses.
Sri Aurobindo disait
de ses disciples : Comprenez que
nous vivons et agissons constamment sur d'autres plans de conscience, nous y
rencontrons d'autres personnes et agissons sur elles... Tout ce que nous
devenons, tout ce que nous faisons et endurons dans la vie physique est prpar
derrire le voile, au dedans de nous. Il est donc immensment important pour ce
yoga, qui vise la transformation de la vie, de devenir conscient de ce qui se
passe dans ses domaines, d'tre le matre l-bas et capable de sentir, de
connatre et de manipuler les forces secrtes qui dterminent notre destine et
notre croissance extrieure et intrieure ou notre dclin.
(62-64)
(p149-p156)
Du sommeil
animal, nous sommes passs au sommeil conscient ou sommeil d'exprience, puis
nous passons au sommeil d'action, c'est le troisime stade. A mesure que le
sommeil devient conscient nous voyons que nous sommes constitus d'une masse
htroclite de fragments mentaux, vitaux ou autres qui ont une existence
indpendante, avec leurs expriences indpendantes, chacun sur son plan
particulier.
La nuit, cette
indpendance clate. Nous dcouvrons toutes sortes d'inconnus en nous dont nous
ne souponnions pas l'existence. Ces fragments ne sont pas intgrs autour du
vrai centre psychique.
La ncessit de
l'intgration apparat bien vite si nous voulons tre le matre. Quand nous
sortons de notre corps et que nous allons dans certaines rgions du Vital
infrieur, par exemple (zones basses du ventre et du sexe), la partie de notre
tre qui s'est extriorise fait le plus souvent des expriences dsagrables.
Elle est attaque par toutes sortes de forces voraces et nous avons ce qu'il
est convenu d'appeler un "cauchemar".
Si cette mme partie
de notre tre a consenti s'intgrer autour du centre psychique, elle peut
sans danger sortir dans ces rgions infernales car elle sera arme de la lumire
psychique. ( le psychique est un fragment de la grande Lumire originelle). Il
suffira qu'elle se souvienne de cette lumire au moment o elle est attaque
pour que toutes les forces adverses se dispersent.
De mme, nous pouvons
rencontrer toutes sortes de gens, sur ces plans, connus ou inconnus,
proches ou lointains, vivants ou morts - ces toujours vivants qu'on appelle morts dit Sri Aurobindo -
et tre le tmoin ou l'associ impuissant de leurs msaventures. Tous les coups
l-bas sont des coups pour ici. " Un
tre conscient, pas plus grand que le pouce d'un homme, se tient au centre de
notre moi ; il est le matre du pass et du prsent...il est aujourd'hui et il
est demain".(Katha Upanishad). Ces rves ne sont pas
des rves. Il est des emprisonnements ici qui ne peuvent tre dnous que quand
nous avons dnou l'emprisonnement l-bas. Le problme d'action est donc li au
problme d'intgration.
Les plans infrieurs
(notamment le vital infrieur, rgion du nombril et du sexe,) sont les plus
difficiles intgrer. Ils sont peupls de forces famliques.
Au fur et mesure
que notre tre s'intgrera, il passera d'un sommeil passif un sommeil
actif. Mais l aussi il y a tous les degrs suivant l'ampleur de notre
conscience depuis la petite action qui se borne au cercle restreint des gens
que nous connaissons, vivants ou morts ou des mondes qui nous sont familiers
jusqu' l'action universelle de quelques grands tres dont le psychique a
colonis de grandes tendues de conscience et qui par leur lumire silencieuse
protgent le monde.
Pour terminer ces
brves gnralits qui sont tout au plus des signes de pistes pour le
chercheur, nous pouvons faire une dernire observation. Il s'agit des prmonitions.
On s'aperoit,
l'exprience, qu'au fur et mesure que l'on gravit les degrs de la
conscience, le temps devient plus rapide, il couvre de plus en plus d'espace et
des vnements de plus en plus lointains vers l'avenir ou le pass. Finalement
on dbouche dans cette Lumire immobile o tout est dj. Simultanment, ou
comme un corollaire, on observe que suivant le plan de conscience o se situe
notre vision prmonitoire l'accomplissement terrestre est plus ou moins proche
ou lointain. Quand on voit dans le Physique subtil, par exemple, qui borde
notre monde, la transcription terrestre est presque immdiate- quelques heures
ou un jour aprs ; on voit l'accident et le lendemain on attrape l'accident. La
vision est trs prcise et dans les moindres dtails. Plus on s'lve dans
l'chelle de la conscience, plus l'chelle est de la vision lointaine et plus
sa porte est universelle mais moins les dtails sont visibles.
Toutes sortes de
conclusions intressantes peuvent se dgager de cette observation mais,
notamment, plus on est conscient sur terre et capable de monter haut dans
l'chelle de la conscience et de se rapprocher de l'Origine, plus on rapproche
la terre de l'Origine.
On a beaucoup discut
de la libert et du dterminisme mais c'est un problme mal vu. Il n'y a pas
libert ou dterminisme, il y a libert et quantits de dterminismes.
Nous sommes soumis dit Sri Aurobindo une srie de dterminismes superposs, physique,
vital, mental et plus haut, chaque plan pouvant modifier ou annuler le
dterminisme du plan en dessous.
Nous sommes chacun,
par notre travail de conscience, un agent de rsistance aux fatalits qui
psent sur le monde et un ferment de libert ou de divinisation de la terre.
Car l'volution de la conscience a un sens pour la terre.
(65-71)
_________________________
(p157-p174)
Telles devraient
tre les dcouvertes mentales, vitales, physiques et psychiques que Sri
Aurobindo fit seul, pas pas, entre vingt et trente ans simplement en suivant
le fil de sa conscience. Le fait remarquable est que ce yoga se situait en tous
lieux o l'on ne fait pas le yoga d'habitude, au milieu de ses cours de
franais et d'anglais, de ses occupations la cour du Maharaja et de plus en plus, au coeur de ses
activits secrtes et rvolutionnaires. Les heures de nuit qui n'taient pas
consacres l'tude de sa langue maternelle et du sanskrit, ou au travail
politique, se passaient crire des pomes.
"... il se concentrait un moment avant de commencer,
puis la posie s'coulait de sa plume comme un flot." De la posie, Sri
Aurobindo passait son sommeil exprimental.
Depuis mon arrive en Inde, dit-il dans une lettre un de ses disciples, ma vie et mon yoga ont toujours t, la
fois, de ce monde et de l'autre monde, sans que l'un exclue l'autre. Toutes les
proccupations humaines appartiennent, je le suppose, ce monde ...
Depuis que je suis
arriv Bombay, j'ai commenc avoir des expriences spirituelles et ces
expriences n'taient pas divorces de ce monde, au contraire, elles avaient
des rpercussions infinies sur lui comme le sentiment de l'Infini imprgnant
l'espace matriel et de l'immanent au coeur des objets et des corps matriels.
En outre, il m'arrivait d'entrer en des mondes ou des plans supra-physiques
dont l'influence et les effets se faisaient sentir sur le plan matriel. Je ne
pouvais donc pas faire une sparation catgorique ou une opposition
irrductible entre ces deux bouts de l'existence. Pour moi, tout est le Divin
et je trouve le divin partout.
(66-67)
(p159-p164)
C'est dans ses activits
rvolutionnaires que nous dcouvrons tout d'abord le ralisme spirituel de Sri
Aurobindo. Il fut sans doute un des premiers avec un autre grand hros de
l'Inde, Tilak, parler de libration
totale, de rsistance passive et de non coopration.
Avec son jeune
frre Barin, il se met organiser
des groupes de gurilla au Bengale sous couvert de socits sportives ou
culturelles. Il envoie mme un missaire en Europe pour tudier la fabrication
des bombes.
Quand le fils de
Gandhi, en 1920, vint Pondichry pour l'entretenir de non-violence il lui
rpondit par cette simple question : " Que feriez-vous demain si les
frontires du nord taient envahies ?"
En 1940, Sri Aurobindo
et la Mre prenaient publiquement position aux cts des Allis alors que
Gandhi dans un lan de coeur fort louable envoyait une lettre au peuple anglais
l'adjurant de prendre les armes contre Hitler et d'user seulement de "la
force spirituelle".
La guerre et la
destruction sont un principe universel qui gouverne non seulement notre vie
purement matrielle mais mme notre existence mentale et morale. il est
vident, pratiquement, que dans sa vie intellectuelle, sociale, politique et
morale, l'homme ne peut pas faire un pas en avant sans une bataille. Une
bataille entre ce qui existe et qui vit et ce qui cherche exister et
vivre... en attendant que la force d'me soit efficace, les forces dmoniaques
dans les hommes et les nations crasent, dmolissent, massacrent brlent et
violent comme nous le voyons aujourd'hui...
Par consquent, si
l'on regarde le problme de l'action individuelle, s'abstenir de la lutte sous
sa forme physique la plus visible et de la destruction qui l'accompagne
invitablement nous donne peut-tre une satisfaction morale mais laisse in-aboli
le Destructeur des cratures.
En avanant dans son
yoga il s'aperoit de plus en plus, en effet par exprience, que des forces
caches sont non seulement la base de nos dsordres psychologiques mais
des dsordres mondiaux - tout vient d'ailleurs nous l'avons vu -
En pleine guerre de 40
il crivait un de ses disciples : " ... L'oeil du yogi voit non seulement les
vnements extrieurs, les personnages et les causes extrieures mais les normes
forces qui les prcipitent en action... Quand on a pris l'habitude de voir les
choses derrire, on n'est plus gure enclin s'mouvoir des apparences, ni
mme esprer un remde des changements politiques et sociaux ou des
changements d'institution."
Sri Aurobindo voyait
que le problme violence et non-violence tait assez superficiel et que pour
gurir le monde il fallait d'abord gurir "ce qui est sa base dans
l'homme"
La seule solution, dit Sri Aurobindo, est dans l'avnement d'une autre conscience qui ne sera pas le
jouet de ces forces mais plus grande qu'elles et qui pourra les forcer
changer ou disparatre.
(67-71)
(p164-p174)
En 1906, Sri Aurobindo
quitte l'tat de Baroda pour se
plonger au coeur de l'agitation politique Calcutta. Avec un autre grand
nationaliste Bepin Pal, il fonde un
quotidien : Band Mataram ("Salut
la Mre Inde"). Il fonde un parti extrmiste et devint le leader de ce
parti.
C'est le 30 dcembre
1907, aprs 13 ans en Inde, entre les meetings politiques, le bouillonnement
extrieur et la menace constante de la police secrte qu'il rencontre pour la
premire fois un yogi du nom de Vishnou
Bhaskar Ll. Celui-ci devait lui apporter une exprience paradoxale dans
sa vie dj paradoxale.
La premire question
qu'il lui pose est celle-ci : Ç Je veux faire du yoga pour
travailler, pour agir, non pour renoncer au monde ni pour le Nirvana. È
La rponse de Ll est
trange : Ç Pour vous ce ne devrait pas tre difficile puisque vous
tes pote È. Les
deux hommes se retirent dans une chambre isole pendant trois jours. Ds lors,
le yoga de Sri Aurobindo va suivre une courbe imprvue qui semblera l'loigner
de l'action mais seulement pour le conduire au secret de l'action et du
changement du monde.
Le premier
rsultat, crit Sri Aurobindo, fut une srie d'expriences
formidablement puissantes et de changements de conscience radicaux que Ll
n'avait jamais eu l'intention de me donner... et qui taient tout fait
contraires mes propres ides ; elles me firent voir le monde, avec une
prodigieuse intensit, comme un jeu cinmatographique de formes vacantes dans
l'universalit impersonnelle de l'Absolu, Brahman.
Je fus soudain projet
dans un tat au-dessus, sans pense, pur de tout mouvement mental ou vital ; il
n'y avait pas d'ego, pas de monde rel... Il n'y avait ni UN, ni mme plusieurs,
seulement Cela, absolument sans traits, sans relations, pur, indescriptible,
impensable, absolu et pourtant suprmement rel et seulement rel. Et ce
n'tait pas une ralisation mentale, ce n'tait pas une abstraction, c'tait
positif, la seule ralit qui emplissait et inondait cette semblance de monde
physique... Cette exprience m'apportait une
paix indicible, un formidable silence une infinitude de dlivrance et de
libert.
D'emble, Sri
Aurobindo tait entr dans ce que les bouddhistes appellent Nirvana, le Brahman silencieux des hindous, Cela
; le Tao des Chinois; le Transcendant, l'Absolu, l'Impersonnel
des Occidentaux. Il tait arriv la fameuse "libration" : Mukti. Et Sri Aurobindo vrifiait la
parole du grand mystique Sri Ramakrishna : Ç Si nous
vivons en Dieu, le monde disparat ; si nous vivons dans le monde, Dieu
nĠexiste plus Ç, Le gouffre quĠil avait tent de combler entre la Matire
et lĠEsprit tait rouvert sous ses yeux dcills ; les spiritualistes
avaient raison, en Occident comme en Orient qui assignent pour seule
destination aux efforts de lĠhomme
une vie au-del – paradis, Nirvana ou libration -
Or cette exprience que lĠon dit finale devait tre
pour Sri Aurobindo le point de dpart de nouvelles expriences, plus hautes,
qui rintgraient dans une Ralit totale, continue et divine, la vrit du
monde et la vrit de lĠau-del.
Voici ce que rapporte Sri Aurobindo :
Je
vcus jour et nuit dans ce Nirvana avant quĠil ne commence admettre autre
chose en lui ou se modifier tant soit peuÉLĠaspect illusoire du monde cdait la
place un autre aspect o lĠillusion nĠtait plus quĠun petit phnomne de
surface avec une immense ralit divine par derrire. Ralit divine au-dessus
et une intense Ralit divine au cÏur de toutes les choses. Et ce nĠtait pas
un r-emprisonnement dans les sens, pas une chute de lĠexprience suprme. Le
Nirvana dans ma conscience libre tait le commencement de ma propre
ralisation, un premier pas vers la chose complte, non la seule ralisation
possible ni mme la culmination finale.
QuĠest-ce donc que ce transcendant ? Simplement, cĠest un autre tat de
conscience. Si nous nous retirons des mouvements mentaux et vitaux,
naturellement tout sĠvanouit. Nous avons tendance considrer que cette Paix
immobile et impersonnelle est suprieure notre vacarme. Le passage dans le Nirvana
ne se situe pas au sommet de lĠchelle, pas plus que le sommeil ou la mort ne
sont au sommet de lĠchelle. Il peut se produire nĠimporte quel niveau de
notre conscience. Il peut se produire par une concentration dans le mental ou
dans le vital ou mme dans la conscience physique : le hatha yogi pench
sur son nombril, ou le Bassouto qui danse autour de son totem peuvent
tout coup passer ailleurs. De mme, le mystique absorb dans son cÏur :
on perce un trou et on sort. Sri Aurobindo nĠavait pas dpass le plan mental
quand il eut lĠexprience du Nirvana : JĠai eu lĠexprience du Nirvana
et du silence dans le Brahman, longtemps avant dĠavoir la moindre connaissance
des plans spirituels au-dessus de la tte. (Letters on yoga, 22 :273)
Le
Nirvana nĠest pas et ne peut pas tre la fin du chemin, sans rien dĠautre
explorerÉ CĠest la fin du chemin infrieur travers la Nature infrieure et le
commencement de lĠvolution suprieure.
Il serait incorrect de penser que lĠexprience du Nirvana
est une exprience fausse, une sorte dĠillusion de lĠillusion dĠabord parce
quĠil nĠy a pas dĠexpriences fausses, il nĠy a que des expriences
incompltes, ensuite parce que le Nirvana nous dpouille vraiment de
lĠillusion et dĠtre spars.
Le Nirvana reprsente un stade intermdiaire
utile (mais pas indispensable) dans ce passage de la vision ordinaire lĠautre
vision ; Sri Aurobindo dit que
nous vivons dans lĠignorance.
Le Nirvana nous dbarrasse de notre ignorance mais pour tomber
dans une autre Ignorance : on a pris un stade intermdiaire pour une fin.
Alors quĠil nĠy a pas de fin mais une lvation constante, un largissement
constant de la Vrit.
LĠhomme veill, vraiment n, doit se
prparer au prochain stade volutif et passer du religieux centr sur lĠautre
monde au spirituel centr sur la Totalit. Alors rien nĠest exclu, tout
sĠlargit. Le chercheur intgral devra donc tre sur ses gardes, car les
expriences intrieures, touchant la substance intime de notre tre sont
toujours irrfutables et finales lorsquĠelles se produisent ; elles sont
blouissantes nĠimporte quel niveau. La tentation est grande de sĠy ancrer
comme au havre dfinitif.
Quels
que soient la nature, la puissance et lĠmerveillement dĠune exprience, il ne
faut pas tre domin par elle au point quĠelle gouverne votre tre tout entierÉ
Lorsque vous entrez, dĠune faon quelconque, en rapport avec une force ou une
conscience qui dpasse la vtre, au lieu dĠtre entirement subjugu par cette
conscience ou cette force, il faut vous souvenir toujours que ce nĠest quĠune
exprience parmi des milliers et des milliers dĠautres et que par consquent
elle nĠa pas un caractre absolu. Si belle quĠelle soit, vous pouvez et devez
en avoir de meilleures et si haute quĠelle soit, vous pouvez toujours monter
plus haut dans lĠavenir.
Sri
Aurobindo vcut des mois dans ce Nirvana avant de dboucher ailleurs.
La premire fois quĠil dt parler en public,
Bombay il exprima son embarras Ll. Il me rpondit É Ç que je
nĠavais quĠ me rendre au meeting et mĠincliner devant lĠauditoire É puis
attendre et le discours me
viendrait dĠune autre source que le mental. Sri Aurobindo fit ce qui lui
tait enjoint et le discours descendit comme si il tait dict. Depuis lors,
toutes les paroles, tous les crits, toutes les penses et les activits
extrieures me vinrent de la mme source, au-dessus du mental crbral.
Ce discours de Bombay vaut dĠailleurs quĠon sĠen
souvienne :
Essayez
de raliser cette force en vous disait-il
aux militants nationalistes et de la tirer dehors. Que chaque chose que vous
faites ne soit plus votre action mais lĠaction de la Vrit en vous. Parce que
ce nĠest pas vous, cĠest quelque chose en vous (qui agit). Que peuvent tous ces tribunaux, les pouvoirs
du monde contre Cela qui est en vous É De quoi auriez-vous peur si vous
tes conscient de Lui qui est en vous ?
Le 2 mai 1908, lĠaube, la police britannique
venait le tirer du lit, revolver au poing. Sri Aurobindo a trente-cinq ans. Un
attentat venait de manquer un magistrat britannique de Calcutta : la bombe avait t
fabrique dans le jardin ou son frre, Barin, entranait des
Ç disciples È.
______
(p175-p190)
Sri Aurobindo devait passer un an la prison dĠAlipore
attendre le verdict. Il nĠtait pour rien dans lĠattentat manqu.
LĠorganisation de la rbellion nĠavait rien voir avec les actes de terrorisme
individuel.
Quand
je fus arrt et emmen prcipitamment au dpt de Lal Bazar, ma fois fut
branle un moment car je nĠarrivais pas pntrer Ses intentions É un
jour passa puis deux, puis trois. Le troisime, une voix me vint du
dedans : Ç Attends et regarde. Alors je devins calme et
jĠattendis. È
Je
me souvins quĠun mois avant mon arrestation, un appel intrieur mĠtait venu
dĠabandonner toute activit et de regarder en moi-mme afin dĠentrer en
communion plus troite avec Lui. JĠtais faible et ne pus accepter lĠappel.
Il
me semblait quĠIl me parlait encore : Ç Ç Les liens que tu
nĠavais pas la force de briser, je les ai briss pour toi parce que ce nĠtait
pas mon intention ni ma volont que tu continues. JĠai autre chose pour toi et
cĠest pour cela que je tĠai amen ici pour tĠapprendre ce que tu ne pouvais pas
apprendre par toi-mme et tĠentraner mon Travail. È
(73-75)
(p176-p182)
Sri Aurobindo avait vcu des mois dans une sorte de
rve fantasmagorique et vide se dcoupant sur la seule ralit du Transcendant.
Pourtant,
trangement, cĠest au milieu de ce
Vide et comme issu de lui que le monde fit nouveau irruption avec un visage
neuf : domin et subjugu, immobilis, libr de lui-mme, le mental prend
ce Silence pour le Suprme. Mais le chercheur dcouvre ensuite que tout est l
dans ce SilenceÉ Alors le vide commence sĠemplir et de lui, merge ou en lui
se prcipite, lĠincalculable diversit de la Vrit divine et les innombrables
niveaux dĠun Infini dynamique.
CĠest dans le prau dĠAlipore quĠeut lieu ce
nouveau changement de conscience pendant lĠheure de marche.
Je
regardais ces murs qui mĠisolaient des hommes et ce nĠtait plus de hautes
murailles qui mĠemprisonnaient, non, cĠtait Vsudeva (un des nom du Divin) qui mĠentourait. É je
regardais les barreaux de la cellule, la grille mme qui servait de porte et je
vis encore VsudevaÉje regardais les prisonniers de lĠendroit, les
voleurs, les meurtriers, les escrocs et comme je les regardais, je vis
Vsudeva.
LĠexprience ne devait plus quitter Sri Aurobindo.
Pendant les six mois que dura le procs avec ses quelques deux cents tmoins,
il fut enferm dans une cage de fer au milieu du prtoire.
ÉJe
regardai et ce nĠtait plus le juge que je vis cĠtait Vsudeva. Je regardai le
procureur et ce nĠtait pas le procureur que je vis, cĠtait Sri Krishna qui
tait assis l et qui me souriait. Je suis dans tous les hommes me dit-il et je
conduis leurs actes et leurs paroles.
Car en vrit, Dieu nĠest pas en dehors de Son monde,
Ç il nĠa pas cr Ç le monde, il est devenu le
monde dit lĠUpanishad : Il est devenu la connaissance et
lĠignorance, il est devenu la vrit et la faussetÉil est devenu tout ce qui
est È (Tattiriya Upanishad II.6)
Pour
lĠÏil qui voit, tout est lĠUn ; pour lĠexprience divine, tout est un bloc
du Divin.
Nous croirons que cĠest l une vision toute
mystique du Divin ; chaque pas, nous nous heurtons la laideur, au
mal ; ce monde est plein de souffrance, il dborde de cris obscurs ;
o donc est le Divin l-dedans ?
Ce
monde de notre bataille et de nos peines est un monde froce, dangereux, un
monde destructeur et dvorant o la vie est prcaire o lĠme et le corps se
meuvent parmi dĠnormes prilsÉNous rigeons un Dieu dĠAmour et de Misricorde,
un Dieu du Bien, un Dieu juste, vertueux. Tout le reste disons-nous nĠest pas
Lui, nĠest pas Sien, mais fut lĠÏuvre de quelque Pouvoir diabolique quĠIl
laissa accomplir sa volont mchanteÉIl faut regarder en face la ralit,
courageusement et voir que cĠest Dieu et nul autre qui a fait ce monde dans Son
tre et quĠIl la fait tel quĠil est. Il faut voir que la Nature dvorant ses
enfants, le Temps qui se repat de la vie de ses cratures, la Mort universelle
et inluctable et la violence dans lĠhomme et la Nature sont aussi la Divinit
suprme sous lĠun de ses aspects cosmiques. Il faut voir que Dieu le Crateur
prodigue et bienfaisant qui garde et qui sauve, la misricorde puissante, est
aussi Dieu qui dvore et Dieu qui dtruit. CĠest seulement quand nous voyons
avec lĠÏil de lĠunion complte et que nous sentons cette vrit jusquĠau
trfonds de notre tre que nous sommes capables de dcouvrir derrire ce masque
le calme et beau visage de Celui qui est toute flicit et de sentir dans la
main qui met notre imperfection lĠpreuve la main de lĠami et du constructeur
de lĠEsprit dans lĠhomme. (Essays on the Gita, 13 :41-42,367-68)
Ce monde nĠest pas fini, il devient, cĠest
une conqute progressive du Divin par le Divin pour le Divin afin de devenir le
plus sans fin que nous devons tre. (Savitri 28 :260)
Notre monde est en volution et lĠvolution a un
sens spirituel :
La
terre aux millions de routes peinait vers la divinit. (Savitri 29 :625)
(75-77)
(p182-p186)
Ç Tu es Lui È, telle est la vrit
ternelle. Telle est la Vrit quĠenseignaient les anciens Mystres et que les
religions ultrieures oublirent.
Ayant perdu le secret central, elles tombrent dans
tous les dualismes aberrants, substituant dĠobscurs mystres au grand Mystre
tout simple.
Ç Moi et le Pre nous sommes un È
disait le Christ (Jean 10,30). Ç Je suis Lui È disent les
sages de lĠInde. CĠest le fait que dcouvre tous les hommes libres quĠils
soient dĠAsie ou dĠOccident. CĠest la voix de tous les hommes, fondue dans une
conscience cosmique et nous sommes tous les fils de Dieu.
Il y a deux faons de faire cette Dcouverte, ou
deux tapes. La premire est de dcouvrir lĠme, lĠtre psychique,
ternellement une avec le Divin, petite lumire de cette grande Lumire :
Ç LĠEsprit qui est ici-bas dans lĠhomme et lĠEsprit qui est l-bas dans
le Soleil en vrit sont un seul Esprit et il nĠy en pas dĠautre dit
lĠUpanishad (Tattiriya Upanishad III.10.). Celui qui pense Ç Il
est autre et je suis autre È il ne sait pas ( Brhadaranyaka
Upanishad I.4.10.)
Dans un langage blouissant de puissance les rishis
vdiques affirmaient lĠternelle Identit du Fils et du Pre et la
transmutation divine de lĠhomme. Ç Dlivre ton Pre ! Dans ta
demeure garde le sauf - ton Pre qui devient ton Fils et qui te porte
Ç (Rig-Veda V.3 ;9) ;
Tout est Un parce que tout est lĠUn. Ç Il
est le fils des eaux, le fils des forts, le fils des choses qui ne bougent pas
et le fils des choses qui se meuvent. Mme dans la pierre Il est l. È (Rig
Veda I.70.2)
Christ ne disait-il pas : Ç Ceci est
mon corps, ceci est mon sang Ç prenant ces deux symboles les
plus matriels, les plus terre terre, du pain et du vin, pour dire que cette
Matire est le corps de lĠUn cette Matire le sang de Dieu.
Nous sommes le fruit dĠune volution, non dĠune
succession de miracles arbitraires.
ÉIl
nĠy a pas de corps sans me, pas de corps qui ne soit en soi une forme
dĠme ; la Matire elle-mme est une substance et un pouvoir de lĠEsprit
et ne pourrait exister autrement car rien ne peut exister qui ne soit substance
et pouvoir de lĠEspritÉ Ce qui est muet et aveugle et la brute est Cela, non
moins que lĠexistence humaine consciente et raffine ou que lĠexistence
animale. Tout ce devenir infini est une naissance de lĠEsprit dans les formes.
(The Problem of Rebirth, 16 :272)
Quand nous avons ouvert les portes du psychique, un
premier stade la conscience se dvoile. La conscience-force qui sĠindividualise
devient de plus en plus compacte, serre et elle ne se satisfait pas longtemps
de cette troite forme individuelle, se sentant une avec Cela. Elle veut
retrouver sa totalit inne.
ĉtre
est tre pleinement, tel est le but que la Nature poursuit en nousÉ et tre
pleinement cĠest tre tout ce qui est. (The Life Divine 19 :1023,1025)
LĠvolution est lĠternelle closion dĠune fleur
qui tait fleur depuis toujours. Sans cette semence au fond, rien ne bougerait
parce que rien nĠaurait besoin de rien - cĠest le Besoin du monde-. CĠest notre
tre central. Cet tre central se situe en tous points, au cÏur de toute
chose. Quand nous lĠavons trouv, tout est trouv, tout est l ; lĠme adulte
retrouve son origine, le Pre qui tait devenu le Fils redevient Lui-mme.
É Il nĠy a plus dĠego, plus de personne dfinie
et dfinissable, seulement la conscience, seulement lĠexistence, seulement la
paix et la batitude ; on devient lĠimmortalit, lĠternit, lĠinfinitude.
De lĠme personnelle il ne reste quĠun hymne de paix et de libert, une
batitude qui vibre quelque part dans lĠEternel.(The Synthesis of Yoga,
20 :348)
Quand nous avons souffert, vies aprs vies, de
cette longue volution, assez grandi pour nous apercevoir que tout nous arrive
du dehors, dĠune vie plus grande que la ntre, dĠun Mental, dĠune Matire plus
vastes que les ntres, universels, lĠheure vient de retrouver consciemment ce
que nous tions inconsciemment depuis toujours, une personne universelle.
(77-78)
(p186-p190)
Nous penserons peut-tre que cette conscience
cosmique est une sorte de super-imagination potique et mystique, une pure
subjectivit sans porte pratique. Mais dĠabord que signifie
Ç objectif È ou Ç subjectif È ? Rellement, lĠopposition est
fausse : quand tout le monde aura vrifi la conscience cosmique ou mme,
simplement la joie de CĠest ce que vous tes, ce que vous devenez, moins
sauvage.
Sri Aurobindo nĠtait pas homme se contenter de
rveries cosmiques. On connat une
chose parce que lĠon est cette chose. La conscience peut se dplacer en
nĠimporte quel point de son universelle ralit.
Les premiers symptmes de cette nouvelle conscience
sont trs tangibles.
Tout
commence changer de nature et dĠapparence. On commence connatre les choses
par une autre sorte dĠexprience, plus directe, qui ne dpend pas du mental
extrieur et des sens. Il y a une nouvelle faon, plus vaste et plus profonde,
dĠprouver, de voir, de connatre, dĠentrer en contact avec les chosesÉ(Letters
on yoga 22 :316)
Ce nouveau mode de connaissance nĠest pas vraiment
diffrent du ntre, cĠest une connaissance par identit. Nous connaissons parce
que nous sommes ce que nous connaissons. La vraie connaissance ne
sĠobtient pas par la pense dit Sri Aurobindo. CĠest ce que vous tes,
ce que vous devenez.
Rien
ne peut tre appris lĠintelligence qui ne soit dj secrtement connu, en
puissance dans lĠme qui sĠpanouit. De mme toute la perfection dont lĠhomme
extrieur est capable nĠest que la ralisation de lĠternelle perfection de
lĠEsprit qui est en lui. Nous connaissons le Divin et devenons le Divin parce
que dj nous Le sommes dans notre nature intimeÉ La dcouverte de soi est le
secret ; la connaissance de soi et une conscience toujours plus large sont
le moyen et le procd.
Notre progrs ne se mesure pas la somme de nos
inventions qui sont encore autant de moyens de rapprocher artificiellement ce
que nous avons loign, mais la somme rintgre du monde que nous
reconnaissons comme nous-mme.
Et cĠest la joie –ċnanda- car tre
tout ce qui est, cĠest avoir la joie de tout ce qui est.
(p191-p238)
(79-81)
(p191-p196)
Un triple changement de conscience marque donc
notre priode sur terre : la dcouverte de lĠtre psychique ou Esprit
immanent, la dcouverte du Nirvana ou Esprit transcendant et la dcouverte de
lĠtre central ou Esprit cosmique. CĠest l probablement le sens vritable de
la trinit Pre-Fils-Saint-Esprit dont parle la tradition chrtienne.
Nous n Ôavons pas dcider de lĠexcellence de
lĠune ou lĠautre de ces expriences mais les vrifier nous-mme.
Les
philosophies et les religions discutent de lĠordre de priorit des diffrents
aspects de Dieu et certains yogis, rishis ou saints ont prfr telle
philosophie ou telle religion telle autre. Votre affaire nĠest pas de
discuter ces aspects mais de les raliser tous et de les devenir tous ;
nous nĠavons pas suivre une ralisation lĠexclusion des autres mais
embrasser Dieu sous tous ses aspects et par-del tout aspect. (The Hour of God,
17 :62)
CĠest le sens mme du yoga intgral. Mais nous
pouvons nous demander sĠil nĠy a rien au-del de cette triple dcouverte.
De fait, si nous dcouvrons lĠtre psychique, cĠest
une grande ralisation, nous prenons conscience de notre divinit mais elle est
limite lĠindividu, elle ne brise pas les murs personnels o nous sommes
enclos. Si nous dcouvrons lĠtre central, cĠest une trs vaste ralisation, le
monde devient notre tre mais nous perdons du mme coup notre individu. Il nĠy
a plus que Cela jamais en dehors du jeu. Thoriquement nous pouvons dire que
Pre-Fils- Saint-Esprit ne sont quĠun.
Mais pratiquement, lĠexprience, chacun de ces
changements de conscience semble coup de lĠautre par un abme. Tant que nous
nĠaurons pas trouv le chemin dĠexprience permettant de relier le panthiste,
lĠindividualiste et le moniste, il nĠy aura pas de plnitude ni pour lĠindividu,
ni pour le monde.
Sans individu, que nous importent les merveilleuses
ralisations puisquĠil nĠy a plus de nous. CĠest cette contradiction l quĠil
faut rsoudre, pas en termes philosophiques mais en terme de vie et de pouvoir
dĠaction.
JusquĠ prsent, toutes les religions et toutes les
spiritualits ont plac le Pre transcendant au sommet de la hirarchie.
Pourtant, lĠintuition nous dit que si, nous, tres dans un corps, aspirons la
totalit, cĠest que cette totalit est l sinon nous nĠy aspirerions pas. Il
nĠy a pas dĠimagination, il nĠy a que des ralits diffres ou des vrits qui
attendent leur heure. Jules Verne sa faon en tmoigne.
Dans sa cage, au milieu du prtoire, Sri Aurobindo
tait arriv au bout du chemin : il tait partout o il voulait dans sa
conscience. Sa Conscience infinie
tait l mais ce corps restait un corps parmi des millions dĠautres soumis aux
mmes mois de la Nature. En dessous, tout continue, tout souffre, tout meurt,
rien nĠest chang. Toute cette histoire nĠtait-elle donc quĠun long et
laborieux transit du Divin au Divin travers lĠobscur purgatoire de la
Matire ?
Pourquoi cette matire ? Si nous regardons
cette nigme nous voyons que ce
centre dĠme nĠa pas besoin dĠtre Ç sauv È comme on dit. De la
seconde o lĠon entre dedans, les yeux grands ouverts on voit bien quĠelle est
merveilleusement divine et lgre. CĠest la terre quĠil faut sauver parce
quĠelle pse, cĠest la vie quĠil faut sauver parce quĠelle meurt. Les
spiritualistes ont raison qui veulent nous faire goter la lgret suprme de
lĠme mais les matrialistes aussi qui piochent dans la Matire et voudraient
tirer des merveilles de cette paisseur- l.
Ç Occupe-toi du Travail È disait la voix
et ce Travail nĠtait pas de nager dans les batitudes cosmiques mais de
trouver ici-bas dans ce corps et pour la terre une voie nouvelle qui
rconcilierait dans une seule et mme conscience la libert du Transcendant,
lĠimmensit vivante du Cosmique et la joie dĠune me individuelle sur une terre
accomplie et dans une vie plus vraie. Car le vrai changement de conscience dit
la Mre est celui qui changera les conditions physiques du monde et en fera
une cration nouvelle.
(81-83)
(p196-p202)
Si nous voulons oprer cette transformation, deux
conditions sont remplir : dĠune part, travailler dans son propre corps
individuel sans sĠvader au-del puisque ce corps est le point dĠinsertion de
la conscience dans la Matire et dĠautre part, dcouvrir le principe de
conscience qui aura le pouvoir de transformer la Matire.
Il est vrai quĠ force de discipline certains
individus ont pu dfier les lois naturelles, triompher de la pesanteur, du
froid, de la faim, des maladies etcÉ Il sĠagissait de changements individuels
qui aucun moment nĠont t transmissibles. Et puis, ce ne sont pas vraiment
des transformations de la matire.
Il ne sĠagit pas, comme Aurobindo et la Mre
lĠenvisagent, dĠobtenir des pouvoirs Ç surnaturels È plus ou moins
momentans mais de changer la nature mme de lĠhomme et son conditionnement
physique. Il faut que ce nouveau principe dĠexistence que Sri Aurobindo appelle
supramental sĠinstalle dfinitivement parmi nous, en quelques-uns
dĠabord, puis par rayonnement en tous ceux qui sont prts.
En dĠautres termes, il sĠagit de crer une
surhumanit divine sur terre qui ne sera plus soumise aux lois dĠignorance, de
souffrance et de dcomposition.
Ds lors, cette vie et cette matire auraient un
sens : travers la Matire, la plante, lĠanimal puis lĠhomme de plus en
plus conscient, lĠEsprit labore le surhomme.
É
lĠme a eu un pass pr-humain, elle a un devenir surhumain ( The Life Divine,
19 ::761-63)
Sri Aurobindo nĠest pas un thoricien de
lĠvolution, cĠest un praticien de lĠvolution. Tout ce quĠil a pu dire ou
crire sur lĠvolution est venu aprs ses expriences. Il voyait bien
que cette immensit cosmique, batifique, nĠtait pas vraiment le lieu du
travail, quĠil fallait redescendre vers ce corps, humblement et chercher
dedans.
Nous nous demanderons par quel mcanisme extrieur,
quelle conscience plus haute que la conscience cosmique peut oprer Ç la transformation È ?
Nous pouvons rpondre par deux observations :
DĠabord, il ne suffit pas dĠatteindre de hauts
pouvoirs de conscience, il faut encore quelquĠun qui les incarne. O est le
quelquĠun dans la conscience cosmique ? Le yogi qui se concentre sur un
point de son tre ramasse toutes ses nergies en ce point. Il fait un trou dans
la carapace et il merge ailleurs dans une autre dimension. Mais qui a ralis
la conscience cosmique ? CĠest un minuscule point de son tre qui a
ralis cette conscience cosmique.
Une ralisation en un point ne suffit pas, il faut
une ralisation globale en tous points.
DĠo le yoga intgral ou Ç yoga plein È, purna yoga.
Une deuxime observation, plus importante encore,
sĠimpose. Le yogi peut raliser la conscience cosmique en nĠimporte quel point
de son tre, nĠimporte quel niveau, dans son mental, dans son cÏur et mme
dans son corps parce que lĠesprit cosmique est partout, en tout point de
lĠunivers et que lĠexprience peut commencer nĠimporte o. La conscience
cosmique nĠest pas le point suprme de la conscience humaine. Les sommets du
mental ou du cÏur, pas plus que les sommets cosmiques ne nous apportent la cl
de lĠnigme et le pouvoir de changer le monde ; un autre principe de
conscience est ncessaire. Mais un autre principe sans solution de
continuit avec les prcdents.
Le
yoga intgral est celui qui, ayant trouv le Transcendant peut revenir dans
lĠunivers et possder lĠunivers, gardant volont le pouvoir de descendre
autant que de monter la grande chelle de lĠexistence. (The Synthesis of yoga,
20 :14)
Ce double mouvement dĠascension et de descente de
la conscience individuelle constitue le principe de base de la dcouverte
supramentale.
Mais en cours de route Sri Aurobindo allait toucher
un ressort inconnu qui allait tout bouleverser.
(83-86)
(p203-p207)
Nous devons savoir comment elle est accessible pour
nous. Or il est bien difficile de donner un schma et dĠaffirmer :
Ç Voil le chemin È parce que le dveloppement spirituel est toujours
adapt la nature de chacun et il nĠy a pas deux natures pareilles.
La
vie spirituelle est un norme champ dĠvolution, un immense royaume
potentiellement plus vaste que les autres royaumes du dessousÉ (Letters on
yoga, 24 :1668)
Nous pouvons donc seulement donner quelques points
de repre, heureux si chacun trouve lĠindice qui clairera son propre chemin.
Il faudrait toujours se souvenir que le vrai
systme de yoga consiste attraper le fil de sa propre conscience, ce
fil brillant dont parlaient les rishis ( Rig-Vda, X.53) et de sĠy accrocher et
dĠaller jusquĠau bout.
La conscience cosmique et le Nirvana ne nous
apportant pas la cl volutive que nous cherchons nous reprenons notre enqute
avec Sri Aurobindo au point o il lĠavait laisse Baroda avant ses deux
grandes expriences.
LĠascension dans le Supraconscient est la premire
tape. A mesure que le chercheur tablit le silence mental, quĠil pacifie son
vital, quĠil se libre de son absorption dans le physique, la conscience se
dgage des mille activits o elle tait fondue, parpille. Elle acquiert
alors une existence indpendante.
Plus elle grandit, moins elle se satisfait dĠtre
enferme dans un corps. Nous nous apercevons quĠelle rayonne, dans le sommeil
dĠabord puis dans nos mditations puis les yeux grands ouverts. Elle veut
monter. Cette pousse ascendante nĠest mme pas ncessairement le fruit dĠune
discipline consciente, ce peut tre un besoin naturel et spontan. Le chercheur
sent que a vit l-haut. Le silence nĠest pas une fin cĠest un moyen. Jour aprs
jour, il y a des centaines de minuscules expriences, presque imperceptibles,
qui jaillissent de ce Silence au-dessus. Il ne pense rien, soudain un dclic
le traverse et il sait exactement ce quĠil doit faire, dans les moindres
dtails. Ou bien un petit choc : Ç va voir untel È il va et par
hasard cette personne a besoin de lui.
Il peut sentir sĠil parle ou crit, comme une
tendue au-dessus de lui, dĠo il tire la pense. Mais sĠil mle son mental,
tout sĠvanouit ou plutt se fausse. Les moindres actes peuvent tre
souverainement guids par cette source silencieuse au-dessus. Une sorte de
connaissance spontane se fait jour en lui.
É
mais le chemin est troit, les portes difficiles forcer et la peur, le doute,
le scepticisme sont l, tentacules de la Nature qui nous interdisent de quitter
les ptures ordinaires. (Thoughts and Aphorisms, 17 :79)
Une fois que cette tendue l-haut sera devenue
concrte, vivante, comme une plage de lumire au-dessus, le chercheur sentira
le besoin dĠentrer en communication directe et de jaillir au large.
Parfois, dans le sommeil, comme un signe
avant-coureur, nous serons peut-tre pris dans une grande lumire blouissante.
Alors il faudra faire grandir cette Force dedans, cette Conscience-Force la
pousser par notre besoin dĠune vie plus vraie avec le monde et les autres.
Notre
plus grand progrs est un besoin qui sĠapprofondit ; refuser toutes les constructions mentales qui
chaque instant essayent dĠaccaparer le fil lumineux. Se garder en tat
dĠouverture, tre trop grand pour les ides.
Non
seulement il faut briser le pige du mental et des sens mais fuir le pige du
penseur, le pige du thologien et du fondateur dĠEglise, les filets de la
Parole et lĠesclavage de lĠIde. Tout cela est en nous, prt emmurer lĠEsprit
dans les formes ; mais nous devons toujours aller au-del, toujours
renoncer au moindre pour le plus grand, au fini pour lĠInfini ; nous
devons tre prts avancer dĠillumination en illumination ; dĠexprience
en exprience, dĠtat dĠme en tat dĠmeÉ et nĠtre attachs rien, pas mme
aux vrits auxquelles nous tenons le plus solidement, car elles sont des
formes seulement et des expressions de lĠIneffable et lĠIneffable refuse de se
limiter aucune forme, aucune expression. Nous devons rester ouvert la
Parole dĠen haut. (The Synthesis of yoga, 20 :315-16)
Puis un jour, force de besoin, les portes
sĠouvriront : La conscience sĠlve dit la Mre, elle brise
cette carapace dure, l, au sommet du crne et on merge dans la lumire.
Cette exprience est le point de dpart du yoga de
Sri Aurobindo. CĠest lĠmergence dans le Supraconscient.
La
conscience nĠest plus enferme dans le corps ou limite par lui. Elle est non
seulement au-dessus du corps mais tendue dans lĠespace...
Quand
cette haute station est dfinitivement tablie, on ne redescend plus vraiment,
sauf avec une fraction de la conscience qui peut venir travailler dans le corps
ou aux niveaux infrieurs tandis que lĠtre stationn en permanence au-dessus
dirige toute lĠexprience et tout le travail. (Letters on yoga,
24 :1136-37)
(86-87)
(p207-p210)
Une fois ce dcollage opr, il sĠagit de procder
lentement et systmatiquement. Le premier mouvement de la conscience, en effet,
est de filer tout droit vers le haut et de stabiliser dans une sorte de nirvana
lumineux. La batitude qui
accompagne cette closion au Ç sommet È est si irrsistible quĠil semblerait que ce serait dchoir
que de redescendre des niveaux intermdiaires. On a quĠune envie, cĠest de
rester aussi immobile que possible pour ne pas froisser cette paix toute unie.
En fait, on ne sĠest mme pas aperu quĠil peut exister des niveaux intermdiaires
entre la sortie au sommet du crne et la fusion Ç tout en
haut È. Ebloui, le chercheur
perd prise, il tombe en transe en Ç extase È comme on dit en occident
ou en samadhi comme on dit en Inde.
Vous
entrez en samadhi, dit la Mre,
quand vous sortez de votre tre conscient et que vous entrez dans une partie de
votre tre qui est compltement inconscienteÉ Vous ne vous souvenez de rien
parce que vous nĠtes conscient de rien.
Sri Aurobindo disait que lĠextase est une forme
suprieure dĠinconscience.
Peut-tre le progrs de lĠvolution est-il
prcisment dĠexplorer des zones de conscience toujours plus avances dans un
inpuisable Transcendant qui ne se situe pas vraiment Ç en haut È ou
ailleurs hors de ce monde mais partout ici-bas, se dvoilant lentement notre
vision.
Ainsi, au lieu de sĠvanouir au sommet, ou ce
quĠil prend pour le sommet et de croire que son extase est un signe de progrs, le chercheur
devra comprendre que cĠest le signe dĠune inconscience et travailler
dcouvrir lĠexistence vivante qui se cache sous son blouissement.
Tcher
de dvelopper votre individualit intrieure, disait la Mre et vous pourrez entrer dans ces
mmes rgions en pleine conscience et avoir la joie de la communion avec les
rgions les plus hautes sans pour autant perdre conscience.
Sri Aurobindo insistait : CĠest dans lĠtat
de veille que la ralisation doit venir
et durer si lĠon veut quĠelle soit une ralit de la vieÉ Les
expriences et la transe yoguique ont leur utilit pour ouvrir lĠtre et le
prparer, mais cĠest seulement quand la ralisation est constante, les yeux
grands ouverts, quĠon la possde vraiment. (Letters on yoga 23 : 743)
LĠtat de matrise intgrale, tel est le but que
nous poursuivons, non lĠtat de marmotte spirituelle. Quand nous nous extasions
nous perdons le Ç quelquĠun È qui pourrait faire le pont entre les
pouvoirs dĠen haut et lĠimpuissance dĠen bas.
(88-90)
(p210-p217)
Tous tant que nous sommes, nous recevons
constamment et sans nous apercevoir des influences et inspirations des plans
suprieurs supraconscients qui se traduisent par des ides, idaux,
aspirations, Ïuvres dĠart, de mme que nous recevons des vibrations vitales ou
des vibrations physiques.
LĠhomme
bavarde intellectuellement et tourdiment, il discute les rsultats de surface
quĠil attribue tous son Ç noble moi È, ignorant que ce Ç noble
moi È est cach loin, bien loin de sa vision, derrire le voile de son
intellect lgrement miroitant et la brume paisse de ses sentiments, ses
motions, ses impressions, ses sensations et impulsions. (correspondance with
Sri Aurobindo I,460)
Notre seule libert est de nous lever des plans
de plus en plus hauts.
Nous pourrions souligner que ces plans ne dpendent
pas de nous et de ce que nous pensons. Ils existent indpendamment de lĠhomme.
La psychologie moderne mlange tous les degrs dans un soi-disant
Ç inconscient collectif È. Cela tmoigne dĠune insuffisance de
vision. DĠune part, parce que les forces de ces plans ne sont pas inconscientes
mais au contraire beaucoup plus conscientes que nous et dĠautre part, parce que
ces forces ne sont pas Ç collectives È.
Les
gradations de conscience sont des tats universels qui ne dpendent pas de la
faon de voir de la personnalit subjective. Au contraire, la faon de voir de
la personnalit subjective est dtermine par le niveau de conscience auquel
elle appartient et o elle se trouve organise, conformment au type de sa
nature ou son stade volutif. (Letters on yoga, 22 :235)
Ce nĠest pas une question de thorie mais
dĠexprience laquelle chacun est convi : quand on sort de son corps et
que lĠon entre consciemment dans ces plans on voit bien quĠils existent
parfaitement en dehors de nous.
Le deuxime point important concerne les forces
conscientes et les tres qui peuplent ces plans. Il faut bien mettre en
vidence ici la part de superstition et la part de vrit. Comme toujours, les
deux sont troitement lies. CĠest pourquoi le chercheur intgral devra tre
arm de cette claire austrit sur laquelle Aurobindo insistait tant.
Dans ces plans, soit dans le sommeil, soit en
mditation, soit en extriorisation volontaire, on peut voir deux sortes de
choses : des courants de force impersonnels, plus ou moins lumineux ou des
tres personnels. Mais ce sont deux faons de voir la mme chose.
Le
mur entre ce que lĠon appelle conscience et force, impersonnel et personnel,
devient trs mince quand on passe derrire le voile de la Matire. Si lĠon
regarde un processus du ct de la force impersonnelle, on voit une nergie ou
une force en action qui fonctionne dans un but et produit un rsultat ; si
lĠon regarde du ct de lĠtre, on voit un tre qui possde une force
consciente, qui la dirige et lĠutiliseÉ (Letters on yoga, 22 :235)
Certains chercheurs ne verront donc jamais dĠtres,
que des forces lumineuses, dĠautres ne verrons que des tres et jamais de
forces, tout dpendra de leur attitude intrieure. CĠest ici que la
subjectivit commence et avec elle, les risques dĠerreur ou de superstition.
Le critre de la vrit est dans la multiplicit
dĠexpriences qui prouve que nous nous approchons dĠune vrit vivante.
Telle sainte chrtienne qui a la vision de la Vierge et telle Indienne qui
a la vision de Dourga voient
peut-tre la mme chose. Elles sont peut-tre entres en contact avec le mme
niveau de conscience et les mmes forces. Mais il est bien vident que Dourga
ne signifierait rien pour une chrtienne et que si par ailleurs cette force se
manifestait sous forme de vibration lumineuse impersonnelle elle ne serait pas
accessible, dans cet exemple, ni la fidle de la Vierge ni celle de
Dourga. Si un pote, Rimbaud ou
Shelley sĠouvraient ces mmes plans de conscience ils verraient encore autre
chose, qui pourtant est toujours la mme chose. Rappelons Rimbaud : Ç ï
bonheur, raison, jĠcartai du ciel lĠazur, qui est du noir et je vcus
tincelle dĠor de la lumire nature È. Le mathmaticien qui, dans un
clair le transportant de joie, voit une figuration nouvelle du monde a
peut-tre lui aussi touch la mme hauteur de conscience.
Ce serait une erreur de croire que les forces dites
impersonnelles sont des forces mcaniques amliores. Elles ont une intensit,
une chaleur, une joie lumineuse qui a toute la prsence dĠune personne sans
visage.
Avec cet or vient une Connaissance spontane pleine
dĠallgresse. Pratiquement, la seule chose essentielle est de sĠouvrir ces
plans suprieurs. Quand on touche la lumineuse Vrit on voit quĠElle peut
tout contenir et que tout le monde est son enfant.
Pourtant, la Ç claire austrit È
est une protection puissante, car malheureusement tout le monde nĠa pas la
capacit sĠlever de hautes rgions o les forces sont pures. Il est
beaucoup plus facile de sĠouvrir au niveau vital qui est le monde de la grande
Force de Vie, du dsir et des passions (celui que connaissent bien les mdiums
et les occultistes) et l, les
forces infrieures ont tt fait de prendre les apparences divines sous des
couleurs clatantes. Si le chercheur est pur, il verra bien la supercherie.
Nous pouvons essayer maintenant de donner un aperu
de ces gradations supraconscientes telles que Sri Aurobindo en a eu
lĠexprience. Ce qui se rapproche le plus de la vrit universelle ce ne sont
pas des formes mais des vibrations lumineuses qui contiennent de faon inexprimable,
la joie, la connaissance, la beaut et toutes les qualits qui revtent
divers degrs les hautes manifestations de la conscience humaine.
(92-97)
(p217-p238)
Avant dĠatteindre le plan supramental qui est le
commencement de lĠhmisphre suprieur de lĠexistence, le chercheur
traverse diverses couches mentales, ou mondes, que Sri Aurobindo a
respectivement appel, dans lĠordre ascendant, mental suprieur, mental
illumin, mental intuitif et surmental ( ne pas confondre avec supramental).
Naturellement nous pouvons utiliser dĠautres termes sĠil nous plat. Ces quatre
zones font thoriquement partie du Supraconcient. Nous disons, thoriquement, car
cette ligne varie selon les individus : pour certains par exemple, le
mental suprieur ou mme le mental illumin font partie de la conscience
normale alors que pour dĠautres la simple raison raisonnante est un stade
encore lointain du dveloppement
intrieur.
Le mental ordinaire que nous connaissons tous voit
les choses pas pas, linairement. Il ne peut pas faire de bonds sinon cela
fait des trous dans sa logique. Il dit que cĠest dcousu, irrationnel, fumeux.
Tout ce qui ne figure pas sur son petit cran momentan appartient au monde de
lĠerreur, du mensonge, de la nuit.
Le mental ordinaire dcoupe des petits morceaux de temps et dĠespace.
Plus on descend lĠchelle, plus le dcoupage sĠaccentue.
Il est une autre conscience supramentale qui peut
largir lĠobturateur et voir simultanment le prsent, le pass et le futur. Le
blanc et le noir, la vrit et ce quĠil est convenu dĠappeler lĠerreur. Il nĠy
a pas de contraires, il nĠy a que des complmentaires. Toute lĠhistoire de
lĠascension de la conscience est
lĠhistoire dĠune d-obturation et le passage dĠune conscience linaire une conscience
globale.
Sri Aurobindo dit Ç global È car la
conscience suprieure nĠest pas ampute de sa moiti infrieure. Le haut
nĠannule pas le bas, il lĠaccomplit. Le secret est de dcouvrir lĠintemporel
dans le temporel et lĠinfini dans le fini.
Une loi de fragmentation grandissante
prside la descente de la conscience, de lĠEsprit lĠatome.
CĠest la qualit de la lumire
ou la qualit des vibrations qui, essentiellement, permet de distinguer un plan
de conscience dĠun autre.
Pour lĠÏil qui voit, le mental
ordinaire apparat dans une sorte de grisaille, avec une quantit de petits
points foncs ou de petits nÏuds vibratoires assez obscurs. Ce fond neutre
comme dit Sri Aurobindo est si pais, si collant quĠil tire tout vers le bas.
Nous ne sommes pas capables de supporter longtemps ni la joie ni la souffrance.
Ce nouveau degr apparat
frquemment chez les philosophes et les penseurs. Il est dj moins opaque,
plus libre. Le fond nĠest plus tout fait gris et tire sur le bleu. La joie
tend durer davantage, lĠamour tre plus large. Mais cĠest encore une
lumire froide, un peu dure. Il commence comprendre quand il a expliqu.
Il est d Ôune autre nature.
A mesure que le mental accepte le silence, il accde ce domaine. Ce qui
arrivait goutte goutte arrive flots. La conscience sĠemplit dĠun flot de
lumire, souvent dore, o sĠinfusent des colorations variables suivant lĠtat
intrieur ; cĠest une invasion lumineuse. Et en mme temps, un tat
dĠenthousiasme, un veil subit comme si tout lĠtre tait sur le qui-vive. On
est dans un tat de vrit indicible sans rien y comprendre- simplement cĠest.
Pour chacun, ce flot lumineux
se traduira dĠune faon diffrente. Pour les uns, ce sera un panouissement
potique soudain, dĠautres verront des formes architecturales nouvelles, dĠautres seront sur la piste
de nouvelles dcouvertes scientifiques. Il est curieux de voir la qualit de
potes de toutes langues, chinois, indiens, anglais, etcÉ parmi les disciples
de Sri Aurobindo, comme si la posie et les arts taient le premier rsultat
pratique de son yoga.
La posie est le truchement le
plus commode pour faire comprendre ce que sont ces plans de conscience
suprieurs.
Sri Aurobindo, dans son norme
correspondance potique et sa Posie future a donn de nombreux exemples
de la posie issue du mental illumin.
CĠest Rimbaud qui nous donnerait la meilleure illustration, son Bateau
ivre en particulier, si on veut bien se dtacher du sens et couter ce qui
vibre par derrire.
La posie et toutes les formes
dĠart ne sont quĠun moyen dĠattraper au pige une indicible note qui est le
vrai de la vie :
Je sais les cieux crevant
en clairs, et les trombes
Et les ressacs et les
courants ; je sais le soir
LĠAube exalte ainsi quĠun
peuple de colombes,
Et jĠai vu quelquefois ce
que lĠhomme a cru voir.
Une posie est dite
Ç illumine È non pas cause de son sens. Elle est illumine parce
quĠelle contient la note particulire de ce plan.
En mme temps que sa beaut,
nous dcouvrons les limites du mental illumin. LĠenthousiasme se change
facilement en exaltation et si le
reste de lĠtre nĠest pas suffisamment purifi, nĠimporte quelle partie infrieure
peut se saisir de la lumire et de la force qui descend pour lĠutiliser ses
fins, cĠest un cueil frquent. Elle entrane des incohrences frquentes, des
vagues.
Plus on monte dans la
conscience, plus il faut un quilibre de granit.
Le mental intuitif contraste
avec le mental illumin par sa claire transparence. Il est rapide. La
connaissance est un clair jailli du silence.
Avec lĠintuition vient une
joie particulire, diffrente semble-t-il de la joie illumine. CĠest une sorte
de reconnaissance, comme si nous tions deux, toujours, un frre qui vit dans
la lumire et un frre dĠombre, nous-mme. Tout coup il y a concidence, on
est un. On est un dans un point de lumire.
Quand nous serons un sur tous
les points, ce sera la vie divine.
Ce point de concidence est la
connaissance. On sait parce que lĠon reconnat.
Qui nĠa pas vu une fois, qui
nĠa pas ce souvenir ?
Le langage de lĠintuition se
ramasse dans une formule concise.
Mais ce mental a ses limites.
LĠespace dvoil par lĠclair est saisissant, irrfutable mais ce nĠest quĠun
espace de Vrit.
En outre, le mental sĠempare
de lĠintuition et il en tire la fois trop et trop peu : quand on
explique, les trois quarts du pouvoir transformateur se sont vapors.
Si le chercheur prend soin de
garder son silence, sĠil est patient, il verra les clairs, peu peu se
multiplier, devenir plus serrs et une autre conscience se former.
Le surmental est le sommet
rarement atteint de la conscience humaine. CĠest une conscience cosmique mais
sans perte de lĠindividu. CĠest le monde des dieux et la source inspire des
grands fondateurs de religion. Toutes les religions sont parties dĠune
exprience surmentale sous lĠune de
ses mille facettes.
Ceux qui incarnent la
rvlation ne lĠont pas tire de rien : le surmental est leur plan
dĠorigine. CĠest aussi le lieu dĠorigine des hautes crations artistiques.
Mais soulignons-le cĠest encore un plan du mental, bien que le sommet.
Quand la conscience sĠlve
ce plan, elle ne voit plus Ç point par point È mais calmement par
grandes masses.( Collected Poems, 5 :589). La conscience ne
voit plus par clairs isols mais cĠest, selon lĠexpression vdique, Ç un
ocan dĠclairs stables È.La grande diffrence avec les autres plans,
tient lĠuniformit presque complte de la lumire.
La conscience surmentale
complte est celle ralise par les rishis vdiques par exemple. Il en rsulte
une vision continue, universelle. On connat la joie universelle, la beaut
universelle, lĠamour universel. Du moment o la lumire est partout, la joie,
lĠharmonie et la beaut sont partout.
On peut accder cette
conscience surmentale par toutes sortes de voies, par une intensit religieuse,
une intensit potique, intellectuelle, artistique, hroque, par tout ce qui
aide lĠhomme se dpasser lui-mme. Malheureusement les artistes et les
crateurs ont un ego considrable.
Les plans de conscience ne se
distinguent pas seulement par des vibrations lumineuses dĠintensit diffrente
mais par des vibrations auditives diffrentes ou des rythmes que lĠon peut
entendre lorsquĠon a cette Ç oreille de lĠoreille È dont parle le Vda.
Plus on descend lĠchelle de
la conscience, plus les vibrations auditives comme les lumires, les tres ou
les forces se fragmentent. Plus on sĠlve plus les vibrations sĠharmonisent, telles
certaines grandes notes des quatuors cordes de Beethoven qui semblent nous
tirer vertigineusement, bout de souffle sur des hauteurs blouissantes de
lumire pure. La rapidit vibratoire fait virer lĠarc-en-ciel dans un blanc
pur.
Il existe en Inde une
connaissance secrte fonde sur les sons et les diffrences de modalit
vibratoire suivant les plans de conscience. Par exemple le son OM enveloppe les
centres de la tte alors que le son RAM touche le centre ombilical.
On peut par la rptition (japa) de certains sons se mettre
en communication avec le plan de conscience correspondant.
Les sons de base qui ont le pouvoir dĠtablir la
communication sont appels mantra.
La posie et la musique qui
sont un maniement inconscient des vibrations secrtes, sont de puissants moyens
dĠouverture de la conscience.
Le mantra, ou la haute posie,
la haute musique, la parole sacre, sont issus du surmental. CĠest la source de
toutes les activits cratrices ou spirituelles. Nous pourrions essayer de dire
en quoi consiste la vibration ou le rythme particulier du surmental.
Il est tout fait vident que
pass un certain niveau de conscience, ce ne sont plus des ides que lĠon voit.
Il y a littralement des vibrations ou des ondes, des rythmes qui sĠemparent du
chercheur, qui lĠenvahissent, puis se recouvrent de mots et dĠides. Et si le
pote corrige et recorrige, ce nĠest pas pour amliorer la forme mais pour
attraper cette chose qui vibre. Si la vibration nĠest pas l, toute sa magie
sĠcroule.
A la frontire extrme du
surmental il ne reste plus que des grandes ondes de lumire colore dit
la Mre.
Ainsi sĠachvent les degrs de
lĠascension que Sri Aurobindo fit seul dans sa cage dĠAlipore. Nous nĠavons
donn que quelques reflets humains et nous nĠavons rien dit de lĠessentiel,
rien de ces mondes tels quĠils existent dans leur gloire, indpendamment de nos
ples traductions.
Le 6 mai 1909, aprs un an de
prison, Sri Aurobindo est acquitt. Son frre Barin, ct de lui dans
la cage, est condamn la potence. ( sa peine sera commue en dportation
vie aux les Andaman. Il sera libr en 1919).
Mais Sri Aurobindo entendait toujours la voix :
Souviens –toi, nĠaie jamais peur,
nĠhsite jamais. Souviens-toi, cĠest Moi qui fais, pas toi, ni personne
dĠautre. Quels que soient les nuages qui viendront, quels que soient les
dangers et les souffrances, les difficults, quelles que soient les
impossibilits, il nĠy a rien dĠimpossible, rien nĠest difficile. CĠest Moi qui
fais.
(98-101)
________________________
(p239-p250)
LorsquĠil sort de la prison
dĠAlipore, Sri Aurobindo retrouve une scne politique vide par les excutions
et les dportations massives du gouvernement britannique.
Il se remet au travail et
fonde un hebdomadaire bengali et un autre de langue anglaise, le karmayogin,
qui porte la devise bien symbolique de la Gt : Ç le yoga est
lĠhabilet dans les Ïuvres. È
Il proclame nouveau lĠidal
dĠindpendance et la Ç non coopration Ç avec les anglais. Mais ce
nĠest plus seulement le destin de lĠInde qui le proccupe mais celui de
lĠhumanit tout entire. Il sĠinterroge sur lĠavenir de lĠhomme. Que peut lĠhomme ?
Nous avons tous lĠespoir
quĠavec le dveloppement de la conscience et de la science runies, nous
arriverons une humanit meilleure et une vie plus harmonieuse. Mais on ne
change pas la vie avec des miracles, on la change avec des instruments. Et nous
nĠavons quĠun instrument : le Mental. Or tout se passe, semble, t-il,
comme si les plus belles ides, les plus hauts plans crateurs, les actes
dĠamour les plus purs, taient automatiquement dfigurs, contrefaits, pollus
ds quĠils descendent dans la vie.
Il est clair remarque Sri Aurobindo que le Mental nĠa pas t
capable de changer indfiniment les institutions humaines et pourtant
lĠimperfection finira toujours par briser toutes vos institutionsÉ Il faut un
autre pouvoir, qui non seulement pourra rsister cette gravitation descendante,
mais la vaincre. (Evening
Talks, 99-100)
Le Mental ne sait faire que
des systmes et il veut tout enfermer dans son systme.
Aux prises avec la vie, le Mental devient
empirique et doctrinaire. (The Human Cycle, 15 :102). Il attrape un bout de vrit, une goutte
dĠillumination divine et il en fait une loi pour tout le monde. Il confond
unit et uniformit.
Chaque homme appartient non seulement
lĠhumanit commune, mais lĠinfini qui est en lui, et, par consquent, chaque
homme est unique. Telle est la ralit de notre existence, et cĠest pourquoi la
raison intellectuelle et la volont intelligente ne peuvent pas tre les souverains
de la vie, bien quĠelles puissent tre actuellement nos instruments suprmes et
quĠelles aient pu tre suprmement importantes et utiles au cours de notre
volution. (The Human Cycle, 15 :100, 103-104)
Si lĠvolution est comme
lĠassure Sri Aurobindo une volution de la conscience, nous pouvons penser que
lĠhumanit ne restera pas sempiternellement au stade mental actuel ; que
son mental sĠilluminera, deviendra de plus en plus intuitif et peut-tre
sĠouvrira au surmental.
Le surmental est une
conscience de dieu, cĠest la conscience mme des plus grands prophtes que
lĠhumanit ait connus- une masse de lumire stable.
Malheureusement deux faits
viennent contredire cet espoir ; lĠun qui tient lĠingalit du
dveloppement des individus et lĠautre la nature mme du surmental. Le surmental peut sembler une puissance
assez formidable ct de notre mental mais cĠest une supriorit en degrs de
la mme qualit. Il peut diviniser lĠhomme mais aussi le Ç colossaliser È
dit Sri Aurobindo. ( The Life Divine, 19 :722), car si lĠhomme
attache cette nouvelle puissance son ego au lieu de lĠattacher son me, il
fera un surhomme nietzschen, non un dieu. Mme si on suppose que lĠhomme
accepte dĠobir son me, non son ego, le surmental ne changera pas la vie
pour les raisons mmes qui ont empch le Christ et tous les grands prophtes
de la changer parce que le surmental nĠest pas un principe de conscience nouveau.
LĠchec du surmental tient
plusieurs raisons. DĠabord, cĠest un principe de division. Ce nĠest pas un
principe de division dans la division comme le mental mais cĠest un principe de
division dans lĠunit : il voit tout, mais il voit tout de son propre
point de vue. (Letters on yoga, 24 :1154)
Il suffit dĠcouter les voix,
apparemment contradictoires de nos prophtes, pour sĠapercevoir que chacun voit
lĠunit mais que chacun la voit de son point de vue. Nous nous trouvons
ainsi devant une srie dĠexpriences ou de visions divines apparemment
inconciliables. Ils proclament, soit la vrit du Dieu personnel, la vrit du
Dieu impersonnel, la vrit du Nirvana, la vrit de lĠAmour, la vrit de la
Force, de la beaut, de lĠintellect.
Toutes sont des vrits
divines, toutes, des expriences totalement vraies mais toutes sont un seul
rayon de la lumire totale. Naturellement, ces hauts prophtes sont assez sages
pour voir la vrit des autres expressions divines - ils sont plus sages que
leurs Eglises, plus sages que leurs fidles - mais ils sont lis par une
incapacit de la conscience qui ne peut sĠempcher de diviser.
CĠest ainsi que des millions
dĠides-forces se partagent le monde : communisme, individualisme ;
non-violence, force guerrire, picurisme, asctismeÉ chacune est une facette
de la Vrit divine. Faire une synthse ne rtablira pas lĠunit car ce sera
encore une synthse mentale, non lĠunit.
Ce que nous semblons oublier
et cĠest lĠternelle faille, les hommes sont ingalement dvelopps. Nos foyers
de grce sont comme des les de lumire au sein dĠune humanit moins
volue qui, naturellement, tendrait constamment r-envahir, obscurcir ou
niveler la lumire privilgie. Nous savons tous le sort de la Grce et de Rome
au milieu du monde barbare.
LĠhistoire de tous les
mouvements religieux, occultes, initiatiques, chevaleresques, ou autres,
travers le monde, nous montrent assez quĠaprs la mort du Maitre et de ses
initis directs tout sĠparpille, se dforme ou meurt.
Sri Aurobindo tait en qute
dĠune vraie vie ici-bas : La vie, non quelque au-del lointain,
silencieux, extatique, la vie seule est le champ de notre yoga. (The Synthesis
of yoga, 20 :82) et il se rendait lĠvidence que les sommets de la
conscience ne suffisent pas faire de la vie une vraie vie.
Quand on est tout l- haut dans la conscience, constate la Mre, on voit les choses, on sait,
mais en fait, quand on redescend dans la Matire, cĠest comme de lĠeau qui
entre dans le sable.
Depuis des sicles nous avons
fait le voyage dĠascension mais nous nĠavons trouv que la moiti du Secret. Faut-il
peut-tre trouver ici-bas, dans la Matire, lĠautre moiti du Secret. Il nĠy a
quĠune seule issue, ce nĠest pas de sĠvader mais de trouver au fond de la Mort
et de lĠInconscience, au fond du Mal, la cl de la vie divine. CĠest de transformer cette barbarie et
notre nuit dĠen bas, non de la bannir de notre le.
Car le Secret, ce que Sri Aurobindo
a appel le Supramental, nĠest pas un degr de plus au –dessus du
surmental, ce nĠest pas un supramental ni une super-ascension, cĠest un nouveau
Signe qui nĠest plus celui des dieux et des religions et dont dpend lĠavenir
mme de notre volution.
En fvrier 1910, moins dĠun an
aprs sa sortie dĠAlipore, un soir, dans les bureaux du Karmayogin, Sri
Aurobindo est averti quĠon va lĠarrter de nouveau et le dporter aux les
Andaman. Il entend la Voix, soudain, qui prononce trois mots : Va Chandernagor.
Dix minutes aprs, il avait pris la premire barque pour traverser le Gange et
il tait parti. CĠtait la fin de sa vie politique, la fin du yoga intgral et
le commencement du yoga supramental.
(102-112)
_________
(p251-p275)
Nous pouvons tenter de dire ce
Secret, mais en nous souvenant que lĠexprience est en cours. Sri Aurobindo a
travaill pendant quarante ans Chandernagor ; il y a laiss sa vie. La
Mre continue.
Sri Aurobindo ne nous a jamais
dit les circonstances de sa dcouverte.
Quand il parlait, rapporte avec une surprise nave son hte de
Chandernagor, on sentait que cĠtait quelquĠun dĠautre qui parlait en lui. Je
mettais de la nourriture devant lui et il restait la contempler, puis il
mangeait un peu, mcaniquement. Il semblait absorb, mme en mangeant, et il
mditait les yeux grands ouverts !
Ce nĠest que plus tard,
travers ses Ïuvres ou des fragments de conversation que nous retrouvons le fil
de son exprience.
Le premier indice nous vient
dĠune remarque fortuite quĠil fit un disciple et qui montre que, ds Alipore,
il tait sur la piste : Pendant deux semaines, confia-t-il, jĠeus la
vision de toutes sortes de tortures et de souffrances, or, dans ces mondes,
visions est synonyme dĠexprience si lĠon comprend ce que cela veut dire. Au
moment mme o Sri Aurobindo faisait son ascension vers le surmental, sa
conscience descendait donc, simultanment, dans ce quĠil est convenu dĠappeler
les enfers.
Ce nĠest pas un yoga pour les faibles dit la mre et cĠest vrai.
(103-104)
(p252-p254)
Le subconscient dont parle la
psychologie moderne nĠest que la frange extrieure dĠun monde presque aussi
vaste que le supraconscient, avec ses degrs, ses forces, ses tres (ou ses
tres-forces si lĠon prfre). CĠest notre pass volutif, immdiat et lointain
avec toutes les empreintes de notre vie prsente et toutes celles de nos vies
passes, de mme que le Supraconscient est notre avenir volutif. Tous les
rsidus et toutes les forces qui ont prsid notre ascension de la Matire
lĠanimal et de lĠanimal lĠhomme sont non seulement graves l, mais
continuent de vivre et de nous influencer. Ce double mystre renferme la cl du
Secret total. Nul ne peut atteindre le ciel sĠil nĠest pass par lĠenfer. (Savitri,
28 :227)
Il est vrai que lĠon peut
parvenir aux batitudes spirituelles sans connatre ces mauvais lieux, sauf par
accident ; mais il y a ciel et ciel de mme quĠil y a enfer et enfer. ( chaque
degr de notre tre a son Ç ciel Ç et son Ç enfer È)
Gnralement, les hommes
religieux sortent de lĠindividu et du mme coup ils sortent du
subconscient mais cĠest seulement un passage. De mme, le ciel quĠils
contemplent consiste sortir de lĠexistence extrieure et plonger dans
lĠextase.
Le but de ce yoga, nous
lĠavons dit, nĠest pas de perdre conscience, pas plus en bas quĠen haut. Et
surtout de ne pas fermer les yeux en bas. Partout o il va, le chercheur
intgral doit voir, cĠest le premier stade de la matrise. Car il ne sĠagit pas
de Ç passer È une existence meilleure mais de transformer
lĠexistence prsente.
De mme quĠil y a plusieurs
degrs supraconscients, il y a plusieurs couches ou mondes subconscients,
plusieurs Ç enclos obscurs È comme dit le Rig-Veda. Et il
y a un subconscient derrire chacun
des degrs de notre tre.
On conoit donc quĠil ne peut
y avoir de vraie vie sur la terre tant que ces mondes seront les matres. Or
nous sommes le lieu o la bataille se joue en nous, tous les mondes se rencontrent,
du plus haut au plus bas.
(104-105)
(p254-p259)
La psychologie contemporaine
sĠest avise aussi de lĠimportance du subconscient et de la ncessit du
nettoyage. Seulement, ils nĠont vu quĠune moiti du tableau, le subconscient
sans le Supraconscient et ils ont cru quĠavec leur petite lueur mentale ils
pourraient clairer cette caverne. `
Il est une loi psychologique
fondamentale, laquelle personne nĠchappe, savoir que la descente est
proportionnelle lĠascension : on ne peut pas descendre plus bas que lĠon
est mont.
A moins que nos psychologues
ne soient particulirement lumineux, ils ne peuvent pas vraiment descendre dans
le subconscient et, partant, ils ne peuvent pas vraiment gurir. On ne peut
gurir que si lĠon gurit tout au fond, et on ne peut aller tout au fond que si
lĠon va tout en haut. Plus on va descendre, plus il faut une lumire puissante,
sinon on se fait manger.
Malheureusement la
psychanalyse est devenue un nouvel vangile, elle a puissamment contribu
fausser les esprits en les fixant de faon malsaine sur leurs possibilits
fangeuses plutt que sur leurs possibilits divines.
Il faudrait toujours commencer par une
exprience positive, non par une exprience ngative, et faire descendre
dĠabord, autant quĠon le peut, la nature divine, le calme, la lumire,
lĠquanimit, la puret, dans les parties conscientes de notre tre et qui
doivent tre changes ; cĠest seulement quand on y est parvenu
suffisamment et que lĠon a tabli une base positive solide, que lĠon peut
alors, sans danger, soulever les adversaires cachs dans le subconscient afin
de les dtruire ou de les liminer par la force du calme divin, de la lumire,
de lĠintensit et de la connaissance divines. ( Letters on Yoga, 24 :
1606-08)
Mais il est un autre dfaut de
la psychanalyse, plus grave encore. Les psychologues, du haut de leur mental,
ne peuvent pas voir suffisamment loin dans lĠavenir pour comprendre le bien que
ce mal prpare et la Force dynamique sous le jeu des contraires ; il faut
un autre pouvoir et, surtout, une autre vision.
Il faut connatre le tout avant de connatre
la partie, et ce qui est tout en haut avant de comprendre vraiment ce qui est
tout en bas. Tel est le domaine de la psychologie future. Quand son heure sera
venue tous ces pauvres ttonnements sĠvanouiront, rduits rien. ( Letters on
Yoga, 24 :1608-09)
Ç LĠarbre ternel a ses racines en haut
et plonge ses branches vers le
bas Ç dit la Katha Upanishad (II.III ;1).
LĠavenir ne va pas seulement
de bas en haut, sinon il nĠy aurait pas dĠespoir pour la terre. Il va de haut
en bas ; il descend de plus en plus dans notre brouillard mental, nos
confusions vitales jusquĠ ce quĠil ait tout clair, tout rvl, tout guri
et finalement tout accompli. Plus il descend, plus la rsistance augmente. Au
point suprme o cet Avenir touchera le fond du pass, o cette Lumire crvera
le fond de la Nuit, si Dieu veut, nous trouverons le secret de la Mort et de la
Vie immortelle.
La moiti obscure de la vrit
(105-108)
(p259-268)
CĠest par une exprience
positive que le chercheur a commenc. Il sĠest mis en route parce quĠil avait
besoin dĠautre chose. Il a fait des essais de silence mental et il sĠest aperu
que le seul fait de son effort provoquait une Rponse. Il a senti une vibration
nouvelle en lui qui faisait la vie plus claire, plus vivante.
Puis, soudain, aprs ce dpart
en flche tout sĠest voil : quelque chose est en train de se venger, en
lui par une leve de scepticisme, de dgot, de rvolte. Et ce sera le deuxime
signe, peut-tre le vrai signe quĠil est en train de progresser. Le
progrs, en dfinitive, ne consiste pas tant sĠlever quĠ dcanter tout ce
qui encombre-quand on est clair tout est l.
Et le chercheur dcouvre ses
multiples encombrements. On a souvent lĠimpression, sur la voie du yoga
intgral, de sĠtre mis en route pour le meilleur et de dcouvrir le pire,
dĠavoir cherch la paix et la lumire et de dcouvrir la guerre. En fait, cĠest
une bataille, il ne faut pas se le cacher.
Quand le chercheur aura eu une
premire ouverture dcisive sur le haut, quĠil aura vu la Lumire, il sentira
simultanment comme un coup de boutoir en bas. Il aura appris sa premire
leon : on ne peut pas faire un pas en haut sans faire un pas en bas.
Ce double mouvement
dĠascension et de descente constitue le processus fondamental du yoga intgral.
Tant que nos tats
psychologiques seront simplement lĠenvers dĠun autre et notre bien lĠenvers du
mal il nĠy a pas dĠespoir que la vie se transforme. En mme temps que ses illuminations
Rimbaud avait accs dĠtranges domaines qui lui faisaient Ç dresser des
pouvantes È.
La progression du yoga
intgral ne dcrit pas une ligne droite qui va se perdre de plus en plus haut
mais une spirale, dit Sri Aurobindo, qui lentement, mthodiquement,
annexe tous les niveaux de notre tre dans une ouverture de plus en plus vaste
sur une base de plus en plus profonde. Plus on progresse, plus les cycles
deviennent vastes, plus ils se relient un mouvement cosmique. Alors nous
verrons que nous sommes infailliblement conduits vers un But, que tout a un
sens, mme les choses les plus minuscules - pas un dtail ne bouge sans que
tout bouge -
Bientt une deuxime
contradiction nous frappera : non seulement il y a une loi de monte et de
descente mais, semble-t-il, une contradiction centrale. Nous avons tous un but atteindre, en
cette vie et travers nos vies, quelque chose dĠunique exprimer, parce que
chaque homme est unique. CĠest notre vrit centrale, notre tension volutive
spciale. Un sens de plus en plus prcis et aigu mesure que nous avanons.
Nous dcouvrons une difficult particulire qui est comme lĠenvers ou la
contradiction de notre but, comme si nous avions lĠombre de notre lumire.
Plus le but devient clair,
plus lĠombre devient forte. Alors nous avons connaissance de lĠAdversaire :
LĠAdversaire cach dans la poitrine humaine
LĠhomme doit le vaincre ou perdre son haut
destin
CĠest la guerre intrieure sans merci.
La Mre souligne dans ses Entretiens
le mme phnomne
dj constat par
Aurobindo : É Toujours vous trouverez quĠau-dedans de vous lĠombre et
la lumire vont de pair : vous avez une capacit, vous avez aussi la
ngation de cette capacit. Mais si vous dcouvrez une ombre trs paisse et
trs profonde, soyez sr, quelque part en vous, dĠune grande lumire. A vous de
savoir utiliser lĠune pour raliser lĠautre.
Si nous voulons atteindre le
But, il faut donc en finir avec notre manichisme et arriver une
comprhension raliste de ce que Sri Aurobindo appelait Ç la moiti
obscure de la Vrit È.
Le commencement pratique du
Secret est de sĠapercevoir, dĠabord, puis de voir que chaque chose en ce
monde, mme lĠerreur la plus grotesque et la plus gare contient une
tincelle de vrit sous le voile, parce que tout est Dieu ici-bas qui sĠavance
sa propre rencontre. Mme dans lĠerreur la plus grotesque, le mal le plus
sordide, le chercheur verra peu peu tout sĠclaircir sous ses yeux et il
dcouvrira non seulement des sommets, mais des abmes de vrit. (The
Human Cycle, 15 :159)
Il verra que son Adversaire
tait le collaborateur le plus diligent et le plus attentif la solidit
parfaite de sa ralisation.
Et il verra que chaque chose a
sa place invitable, non seulement que rien ne peut tre retranch mais que
peut-tre rien nĠest plus important ou moins important , comme si la
totalit du problme tait dans le plus petit incident, le moindre geste
quotidien, autant que dans les bouleversements cosmiques et que peut-tre
aussi, la totalit de la Lumire et de la joie tait dans le moindre atome,
autant que dans les infinitudes supraconscientes.
Il nĠy a pas de pchs, il nĠy
a pas dĠerreurs, il nĠy a que des misres infinies qui nous obligent nous
pencher sur toute lĠtendue de notre royaume et tout embrasser pour tout
gurir et tout accomplir.
Il fit de lĠerreur une porte par o la Vrit
pt entrer (Savitri, 29 :625)
Il y a une vrit dĠAmour
derrire le mal. Plus on descend vers les cercles infernaux, plus on dcouvre
lĠimmense besoin au fond du Mal, et que lĠon ne peut rien gurir sans une
intensit semblable : une flamme sĠallume dedans, de plus en plus
puissante et chaude- il nĠy a plus quĠelle, plus quĠElle, cĠest tout.
A mesure que lĠon avance, la
ligne supraconsciente recule vers le haut, la ligne subconsciente recule
paralllement vers le bas. ; tout sĠillumine mais tout se referme aussi,
tout sĠaccuse autour dĠun seul point, de plus en plus aigu, serr, se dbattant
sous la Lumire. Tout le mal du monde en un point.
LĠheure du Secret est proche.
La loi de descente nĠest pas une loi de chute, pas plus quĠune loi de repentir
mais une Loi dĠor en vrit, une insondable Prmditation qui nous tire en bas
en mme temps quĠen haut. Plus on approche du Sommet plus on touche au fond.
(108-112)
(p268-p275)
Les derniers degrs de la
descente se situent au fond de notre pass volutif, par-del le Subconscient,
qui tait la conscience dĠautrefois dans notre prhistoire, cĠest dire la
frontire de lĠInconscient matriel et de la conscience physique, dans notre
corps, tmoin et rsidu de cette premire naissance au monde.
Les organes, les cellules du
corps, ont une conscience propre, trs veille, qui sait choisir, recevoir,
rejeter et que lĠon peut manipuler ds que lĠon est parvenu un dveloppement
yoguique suffisant.
SĠil sĠagissait seulement
dĠamliorer les conditions de vie actuelle, la conscience yoguique ordinaire y
suffirait ; prolongation de la vie, immunit aux maladies et mme jeunesse
sont parmi les acquisitions frquentes de la discipline.
Or, sous cette conscience
physique, il y a une subconscience physique qui est le produit de lĠvolution
de la vie dans la Matire avec ses rflexes, ses habitudes dont la plus
mauvaise est de mourir. Tout au fond de cette subconscience physique on touche
une roche de fond qui est la Mort fondamentale laquelle la vie sĠest
arrache. CĠest trs vaste et trs dur et cĠest ce que les rishis vdiques
appelaient Ç le roc infini È. CĠest lĠInconscient. CĠest quelque
chose qui dit Non la vie :
Ce refus obstin dans les profondeurs de la
Vie
Ce NON ignorant lĠorigine des choses. (
Savitri,28 :91)
Ce fin fond nĠest pas un Nant
dĠinexistence mais ce fin fond est quelque chose.
Tous les ngatifs sont
ncessairement la moiti dĠun positif. Tous nos fonds sont la surface de
quelque chose dĠautre. Le sens mme du yoga de Sri Aurobindo est de trouver le
positif de tous les ngatifs.
A Chandernagor, Sri Aurobindo
tait parvenu aux derniers degrs du subconscient physique, il tait devant un
mur. Plus on descend plus il faut une haute conscience, plus il faut une
lumire puissante. Il y a de grosses difficults, mme des dangers, sur
lesquels nous reviendrons quand nous parlerons de Transformation.
Quand on descend il faut faire
face aux mensonges du corps dit la Mre cĠest dire aux maladies et
la Mort. CĠest pourquoi Sri Aurobindo et la Mre insistaient tant sur une base
physique toute preuve.
Travaillez des deux bouts, ne lchez pas lĠun
pour lĠautre.
En mme temps quĠils
atteignaient lĠextrme frange surmentale o les Ç grandes ondes
colores È se perdent une frontire blanche, Sri Aurobindo touchait
paralllement la roche noire dĠen bas.
JĠai creus longtemps, profond
Dans la fange et la boue(É)
Ç Va o nul nĠest all cria la voix,
Creuse plus profond, plus encore
JusquĠ la pierre inexorable au fond
Et frappe la porte sans clef È.
CĠest alors quĠun trange
phnomne se produisit, un jour de 1910 ChandernagorÉMais avant dĠaller plus
loin et de reconstituer lĠexprience qui change la face et le cours de notre
volution, arrtons-nous un bref instant pour faire le point et tracer
les coordonnes de cette condition humaine.
CĠest bien simple, nous sommes
enferms dans la matire, l dans lĠÏuf noir qui nous serre de tous cts. Il nĠy a que deux faons dĠen
sortir : cĠest de dormir (cĠest dire rver, sĠextasier, mditer, mais
tous sont des degrs de sommeil) ou de mourir.
LĠexprience de Sri Aurobindo
apporte la troisime cl qui permet dĠen sortir sans sĠextasier, sans mourir,
en somme sans en sortir et qui renverse le cours de lĠexprience spirituelle de
lĠhomme puisque lĠissue nĠest plus seulement en haut et en dehors mais en plein
dedans.
Ce jour de 1910,
Chandernagor, Sri Aurobindo tait arriv au fond du trou, il avait travers
toutes les couches immondes sur lesquelles la Vie a pouss, inexplicable fleur.
Il nĠy avait plus que cette lumire en haut qui brillait, plus intense mesure
quĠil descendait.
Tout dĠun coup, sans
transition, au fond de cette matire Ç inconsciente È et dans les
cellules obscures de ce corps, sans extase, sans perte de lĠindividu, sans
dissolution cosmique et les yeux grands ouverts Sri Aurobindo sĠest trouv
prcipit dans la Lumire suprme.
Il dboucha dans un autre espace, un autre temps
(Savitri, 28 :91)
La Nuit, le Mal, la Mort sont
un masque. La suprme Opposition veille la suprme Intensit et le semblable
se change en Lui-mme-il nĠy a plus quĠun.
Le degr au-dessus du
surmental nĠest pas
Ç au-dessus È, il est ici-bas et en toute chose - la porte dĠen bas
ouvre la porte dĠen haut et de partout :
Un tonnement de lumire scell au fondÉ(Collected
Poems,5 :150)
Un grand renversement de la Nuit et du Jour
Toutes les valeurs du monde
changesÉ(Savitri,28 :42)
Le haut rencontre le bas, tout est un plan
unique.(Savitri, 29 :541)
LĠextrme limite du Pass
touche le fond de lĠAvenir qui le conut, Dieu-Esprit rencontre Dieu-Matire et
cĠest la vie divine dans un corps.
Sat-Chit-ċnanda tout en haut et Sat-Chit-ċnanda tout en
bas. Existence-Conscience-Pouvoir-Joie. Tout sĠachve dans le cercle parfait.
La joie tout en haut et la joie tout en bas.
Un cÏur de batitude au fond dĠun monde de
peine.(Savitri, 28 :169)
Une illumination puissante
dans nos veines, au lieu d Ôune batitude strile sur les sommets de nos
ttes :
Des pouvoirs tout-puissants dans les cellules
de la Nature (Savitri, 29 :370)
Car le Supramental nĠest pas
une conscience plus thre mais une conscience plus dense, cĠest la Vibration
mme qui compose et recompose sans fin la Matire et les mondes, cĠest elle qui
peut changer la terre.
Tout au fond de lĠInconscience la plus dure,
La plus rigide, la plus troite, la plus suffocante,
Dit la Mre, jĠai touch un ressort tout-puissant
Qui mĠa projete dĠun seul coup dans une immensit
Sans forme et sans limite,
O vibrent les semences dĠun monde nouveau.
Et cĠest la cl de la
transformation, la cl de la victoire sur les lois de la Matire par la
conscience dans la Matire –la Conscience tout en haut et la Conscience
tout en bas ; cĠest la porte du monde futur et de la terre nouvelle que
lĠEcriture annonait il y a deux mille ans :
Une terre nouvelle o la Vrit habitera
Ç (IIPierre III.13)
Car en vrit la terre est
notre salut, la terre est le lieu de la Victoire et du parfait
accomplissement, point nĠest besoin de sĠenfuir au ciel, tout est l totalement
l dans notre corps - la joie, la Conscience, les Pouvoirs suprmes, si nous
avons le courage dĠouvrir les yeux et descendre et de faire du rve vivant au
lieu dĠun rve qui dort.
Il faut entrer dans lĠultime
fini pour trouver lĠultime infini. (Letters on Yoga, 22 :388)
Et du mme coup Sri Aurobindo
trouvait le Secret perdu, celui des Vedas et de toutes les traditions plus ou
moins dformes qui se sont transmises de lĠIran lĠAmrique centrale et au
bord du Rhin, dĠEleusis aux Cathares et de la Table Ronde
aux Alchimistes, le Secret de tous les chercheurs de perfection.
CĠest Apollon et le Python,
Indra et le serpent Vritra, Thor et les gants Sigurd
et Fafner. Le mythe solaire des mayas, la Descente dĠOrphe, la Transmutation.
CĠest le serpent qui se mord la queue.
Et cĠest surtout le secret des
rishis vdiques qui furent les premiers, sans doute, dcouvrir ce quĠils
appelaient Ç le grand passage È mahas pathah(
II ;24.6) le monde de la Ç lumire non-brise È, Swar, au
fond du roc de lĠInconscient.
Ç Nos pres, par leur
mantra, brisrent les places fortes et rfractaires ; par leur cri, les
voyants Angiras (les premiers rishis) mirent en pices le roc de la
montagne ; ils firent en nous un passage vers le Grand Ciel, ils
dcouvrirent le jour et le monde solaire Ç (Rig-Vda I.71.2) Ils
dcouvrirent Ç le soleil qui demeure dans lĠobscurit È(III.39.5)
lĠOmbre et la Lumire, le Bien
et le Mal prparaient une naissance divine dans la matire. Au bout du
Ç plrinage È dĠascension et de descente, le chercheur est Ç le
fils des deux Mres È (III.55.7) il est le fils dĠAditri, la Mre
blanche de lĠinfini supraconscient et le fils de Diti, la mre terrestre
de Ç lĠinfini tnbreux È et il possde Ç les deux naissances È
humaine et divine.
La prire du rishi est
accomplie : Ç Que la terre et le ciel soient gaux et un
Seul È (On Himself, 26 :425)
Et cĠest la joie –
ċnanda. Elle est au commencement des choses et la fin et partout si nous
creusons assez ; elle est Ç le puits de miel couvert par le
roc È (Rig-Veda II.24.4)
(113-121)
_____________________________
(p276-p298)
Il est bien difficile de
dfinir en termes mentaux la conscience supramentale, qui est non-mentale par
dfinition. Peut-tre est-ce le mot qui nous trompe ; il ne sĠagit pas
dĠun sommet de la conscience humaine, mais dĠune autre conscience.
Nous pouvons tenter quelques
approximations et distinguer deux aspects, de conscience ou de vision et de
pouvoir, mais dj nous tombons dans la trappe mentale.
(112-116)
(p276-p286)
CĠest une vision globale. Le
mental dcoupe des petits morceaux quĠil oppose les uns aux autres ; le
surmental relie tout dans un seul faisceau mais son faisceau nĠaboutit quĠ un
point et il voit tout de son propre point de vue ; il est unitaire et
universel par exclusion des autres angles ou par annexion.
Un unique regard innombrable (Savitri,29 :556)
La vrit nĠest pas une
question de pense ou de bonne conduite -encore que ce soit des tapes sur le
chemin - mais une question dĠtendue dĠtre, et notre croissance est lente et
difficile.
Comme Tes erreurs sont belles et lumineuses,
Seigneur ! Tes mensonges gardent vivante la Vrit ; par tes faux-pas
le monde se perfectionne. (Thoughts and Aphorisms,17 :133)
Mais le mental qui voit tout
juste la surface prsente des choses voudrait rectifier tout ce qui dpasse et
rduire son monde une vrit uniforme, bien- pensante et bien honnte.
La conscience supramentale
saisit non seulement tous les points de vue mais les forces profondes qui sont
lĠÏuvre derrire chaque chose et la vrit de chaque centre - cĠest une Conscience
de vrit - et parce quĠelle voit tout, elle a le Pouvoir. Si nous ne pouvons
pas cĠest que nous ne voyons pas. Voir et voir totalement, cĠest ncessairement
pouvoir.
LĠÏuvre crite de Sri
Aurobindo offre une illustration pratique de cette vision globale, encore que
ce soit une traduction mentale dĠun fait supramental. Elle est droutante pour
beaucoup. Sri Aurobindo tourne, littralement, autour de tous les points de vue, il
indique seulement comment chaque vrit est incomplte et dans quelle direction
elle peut sĠlargir. CĠest ce que la Mre appelle penser sphriquement.
Sri Aurobindo embrasse tout,
non par une sorte de Ç tolrance È qui est un succdan mental de
lĠunit mais par une vision indivise qui est rellement une avec chaque chose.
Peut-tre est-ce la vision
mme de lĠAmour ?
LĠillusion dĠoptique
sparatrice dans laquelle nous vivons sĠvanouit.
Pour le sens supramental, rien nĠest vraiment
Ç fini È, sparÉ
LĠoeil physique lui-mme semble contenir un
esprit et une conscience qui voient non seulement lĠaspect physique de lĠobjet,
mais lĠme de la qualit qui est en lui, la vibration dĠnergie, la lumire, la
force, la substance spirituelle dont il est faitÉEn mme temps il y a un
changement subtil et lĠon voit dans une sorte de quatrime dimension qui se
caractrise par une certaine intriorit ;on voit non seulement les
surfaces et la forme extrieure mais ce qui informe la forme et sĠtend
subtilement autour dĠelle.
Car, pour la vision supramentale, les objets
cessent dĠtre matriels au sens o il le sont maintenantÉils apparaissent
comme lĠEsprit Lui-mme et sont vus comme lĠEsprit Lui-mme dans une forme de
Lui-mme et dans une extension conscienteÉLa conscience supramentale relie
pass, prsent, futur et leurs connexions invisibles dans une seule carte de
connaissance continue, cte cte.(The Synthesis of Yoga, 20 :464)
La conscience nĠest plus un
obturateur qui avait besoin dĠtre troit, cĠest un Regard tranquille : Ç Comme
un Ïil tendu dans le ciel È dit le Rig-Veda (I.17.21)
CĠest une batitude constante,
inaltrable.
Ç Cette joie absolument large et pleine
sans lacune È dit le Rig-Veda (V.62.9)
LĠAbsolu est partoutÉchaque fini est un
infini. (The Synthesis of Yoga, 20 :408)
Et cĠest un merveillement
toujours renouvel qui ne procde pas de la surprise, mais de la dcouverte de
cette infinitude ternelle, de cet absolu intemporel et chaque chose de
lĠespace et chaque fraction du temps. Et cĠest la parfaite plnitude de la vie.
La conscience supramentale
nĠoccupe pas seulement une position cosmique, mais une position transcendante,
et les deux ne sĠopposent pas. Et non seulement elles ne sĠopposent pas, mais
leur simultanit est la cl de la vraie vie. Toutes les religions, toutes les spiritualits
sont issues de ce besoin fondamental dans lĠhomme : trouver une Base de
permanence, un lieu de refuge et de paix en dehors de tout ce chaos du monde,
cette impermanence du monde, cette souffrance du monde –infiniment en
dehors et protg. Et tout dĠun coup, au cours de notre qute, nous avons
dbouch dans un Silence formidable, une Etendue hors du monde, et nous avons
dit Dieu, nous avons dit Absolu, Nirvana, peu importe les mots, nous avons
touch la grande Dlivrance ? CĠest lĠexprience de base. Si peu que nous
approchions de ce grand Silence-l, tout change, cĠest la Certitude, la Paix.
Dans la vie, tout nous coule
des doigts, il nĠy a que ce Roc qui ne manque jamais. LĠexprience de Sri
Aurobindo avait aussi commenc par le Nirvana et elle finit par la plnitude du
monde.
Le mental, mme le surmental
de nos prophtes, est irrmdiablement li aux dualits.
Pour lĠexprience
supramentale, tout est rond, cĠest tout le temps oui et non en mme temps constate
la Mre, les deux ples sont toujours enjambs dans une autre dimension. Ainsi
le Transcendant nĠest pas ailleurs hors du monde ; il est partout ici-bas,
la fois totalement dedans et totalement dehors. On sĠaperoit trs vite, en
effet, quĠil suffit de faire un pas en arrire dans sa conscience, juste un
petit mouvement de retrait, et lĠon entre dans une tendue de silence par
derrire. LĠexprience finit par acqurir tant dĠagilit, si lĠon peut dire,
quĠen plein milieu des activits les plus absorbantes, dans la rue, quand on
discute, quand on travaille, on plonge au-dedans ou au-dehors et plus rien
nĠexiste quĠun sourire. Il suffit dĠune fraction de seconde. Alors on commence
connatre la Paix ; on a un Refuge inexpugnable partout, en toutes
circonstances.
Et on peroit de plus en plus
tangiblement que ce Silence nĠest pas seulement au-dedans, en soi ; il est
partout, il est comme la substance profonde de lĠunivers, comme si toute chose
venait de l et retournait l.
Pour le Supramental, il nĠy a
plus de Ç passage È plus de Ç seuil È franchir ; on
ne passe pas dĠun tat un autre, du Silence au vacarme, du Dedans,
Dehors, du Divin au non-divin, les deux sont fondus dans une exprience unique.
Tout le secret est de runir
les deux expriences en une, lĠinfini dans le fini, lĠintemporel dans le
temporel et le transcendant dans lĠimmanent. Alors on a la paix dans lĠaction
et la joie de toutes les manires. LĠvolution nĠa dĠautre but que de retrouver
tout en bas cette totalit dĠen haut, cĠest de dcouvrir sur la terre, au
milieu mme des dualits et des contradictions les plus poignantes, lĠUnit
suprme, lĠInfinitude suprme, la Joie suprme –ċnanda.
(117-121)
(p286-p298)
Les spiritualistes rejettent
le pouvoir comme une arme indigne du chercheur de vrit ; ce nĠest pas le
sentiment de Sri Aurobindo, au contraire, le concept de Pouvoir –Shakti-
est une cl de son yoga parce que sans pouvoir on ne peut rien transformer.
Je chris Dieu le Feu, non Dieu le
Rve ! sĠcrie Savitri. (Savitri, 29 :614)
Le Pouvoir est une chose divine et il a t
mis ici-bas pour un usage divin. –Volont, Pouvoir- est le moteur des
mondes ; quĠil sĠagisse de la force de connaissance, de la force dĠamour,
de la force de vie, de la force dĠaction ou de la force du corps, son origine
est toujours spirituelle et son caractre divin. CĠest lĠusage quĠen font la
brute, lĠhomme ou le titan dans le monde de lĠIgnorance qui doit tre rejetÉ
Le yoga intgral ne peut pas rejeter les
Ïuvres de la Vie et se satisfaire seulement dĠune exprience intrieure ;
il doit aller au-dedans afin de changer le dehors. (The Synthesis of Yoga,
20 :164)
CĠest cet aspect
Ç force È ou Ç Pouvoir È de la conscience que lĠInde a
reprsent sous le visage de la Mre ternelle., deux en un, insparables.
Sans Lui nous sommes
prisonniers dĠune Force aveugle, sans Elle prisonniers dĠun Vide bloui.
Ç Ils entrent dans une obscurit aveugle
ceux qui suivent lĠIgnorance, et comme dans une obscurit plus grande ceux qui
cherchent seulement la Connaissance È dit lĠIsha Upanishad.
Le Supramental est un pouvoir
avant toute chose, un pouvoir formidable. CĠest le pouvoir direct de lĠEsprit
dans la matire.
Plus on sĠlve plus le
pouvoir est puissant mais plus on sĠloigne de la terre. Il faudra donc le
faire descendre de plan en plan et quĠil surmonte les dterminismes de tous les
niveaux intermdiaires avant dĠarriver en bas dans la Matire.
Le Supramental est la
Conscience-Force suprme au cÏur mme de la Matire. Il peut donc tout changer.
Disons tout de suite que le
pouvoir supramental nĠopre pas par miracle, ni par violence. Sri Aurobindo lĠa
rpt bien souvent ; Il nĠy a pas de miracles (Life, Literature and
Yoga, 11)
Il nĠy a que des phnomnes
dont nous ignorons le processus et pour celui qui voit, il y a seulement
lĠintervention dĠu plan suprieur dans le dterminisme dĠun plan infrieur.
Une loi ordinaire, dit Sri Aurobindo, est
simplement un quilibre tabli par la Nature, cĠest une stabilisation de
forces. Mais ce nĠest quĠun sillon dans lequel la Nature a pris lĠhabitude de
travailler pour obtenir certains rsultats. Si vous changez de conscience, le
sillon change aussi, ncessairement. (Evening Talks, 76)
Ces Ç changements de
sillon È ont jalonn toute notre histoire volutive, commencer par
lĠapparition de la Vie dans la matire, qui a modifi le sillon matriel ;
puis lĠapparition du Mental dans la Vie, qui a modifi le sillon vital et
matriel. Le Supramental est un troisime changement de sillon, qui modifiera
le Mental, la Vie et la Matire.
Il a dj commenc.
LĠexprience est en route. Fondamentalement, le processus supramental consiste
dlivrer la conscience qui est contenue en chaque lment.
Le Seigneur de tous les
univers est aussi Ç lĠUn conscient dans les choses Inconscientes È
dont parle le Rig-veda
LĠInconscience apparente de lĠunivers
matriel contient en soi obscurment tout ce qui est ternellement rvl dans
le Supraconscient lumineux. (The Life Divine, 19 :642)
La vrit dĠen haut veillera une vrit dĠen
bas (Savitri, 29 :709)
Car la loi est ternellement
la mme : seul le semblable peut agir sur le semblable ; il fallait
le pouvoir qui est tout en haut pour dlivrer le pouvoir qui est tout en
bas ;
QuĠest-ce donc que ce
Pouvoir ? Toute concentration dgage une chaleur subtile, bien connue de
ceux qui ont tant soit peu pratiqu les disciplines yoguiques ; le pouvoir
supramental est une chaleur de ce genre, mais infiniment plus intense, dans les
cellules du corps. CĠest la chaleur dgage par lĠveil de la conscience
–force dans la matire. Cette chaleur est la base de toutes les
transmutations supramentales que les rishis vdiques connaissaient bien et
quĠils appelaient Agni, le Feu spirituel dans la Matire.
CĠest cet Agni suprme
que Sri Aurobindo et la Mre ont dcouvert dans la Matire et les cellules du
corps.
Il nĠest peut-tre pas inutile
de souligner que Sri Aurobindo a fait sa dcouverte spirituelle en 1910, avant
mme dĠavoir lu les Vdas et une poque o la physique nuclaire en tait encore
aux conjectures thoriques. Notre science est en avance sur notre conscience,
dĠo la course hasardeuse de notre destin.
Le Supramental est dĠune
qualit lumineuse toute diffrente des autres degrs de conscience ; il
runit la fois lĠimmobilit complte et le mouvement le plus rapide qui soit
- ici aussi les deux ples sont enjambs.
Cette immobilit dans le
mouvement est le fondement de toutes les activits de lĠtre supramental. CĠest
le b-a-ba pratique de toute discipline qui tend vers le Supramental peut-tre
mme le b-a-ba de toute action efficace en ce monde. Dj nous avions dit que
lĠimmobilit – intrieure sĠentend – avait le pouvoir de dissoudre
les vibrations ; que si nous savions rester totalement tranquille
au-dedans sans la moindre vibration de rponse, nous pouvions matriser
nĠimporte quelle attaque, animale ou humaine.
Ce pouvoir dĠimmobilit ne
sĠacquiert vraiment que quand on a commenc prendre conscience du grand
Silence par derrire et que lĠon est capable tout moment de faire un pas en
retrait. Il faut tre tout fait en dehors pour matriser le dedans de la vie.
CĠest ce qui frappait
tellement ceux qui ont vu Sri Aurobindo, ce nĠest pas tant la lumire de ses
yeux mais cette immensit immobile quĠon sentait si compacte, si dense, comme
si lĠon entrait dans un infini solide : la puissante immobilit dĠun
esprit immortel ; (The Synthesis of Yoga, 20 :95)
LĠimmobilit est la base du
pouvoir supramental, mais le silence est la condition de son fonctionnement
parfait.
La conscience supramentale
nĠobit pas des critres mentaux ou moraux pour dcider de ses actes –
il nĠy a plus de Ç problmes Ç pour elle – elle agit
naturellement et spontanment. Chaque seconde de temps, dans le silence de la
conscience, la connaissance voulue tombe comme une goutte de lumire : ce
quĠil faut faire, ce quĠil faut dire, ce quĠil faut voir, ce quĠil faut
comprendre. Ç Dans la grande Etendue tout se rencontre et lĠon sait
parfaitement È dit le Rig-Vda (VII.76.5). Et chaque fois
quĠune pense ou une vision passe dans la conscience, ce nĠest pas une
spculation sur lĠavenir, cĠest un acte immdiat :
L, chaque pense, chaque sentiment est un
acte (Savitri, 28 :183)
La connaissance est
automatiquement doue de pouvoir. Parce que cĠest une connaissance vraie, qui
voit tout et une connaissance vraie est une connaissance qui peut. Ce nĠest pas
un fait arbitraire qui va bouleverser la trajectoire, cĠest simplement
comme une pression lumineuse qui va acclrer le mouvement .
Nous lĠavons dit cĠest un
ferment volutif formidable.
Ni vous, ni personne ne savez rien de ma vie,
crivait Sri Aurobindo lĠun
de ses biographes ; rien ne sĠest pass la surface que les hommes
puissent voir.( On Himself, 26 :378)
Quand nous parlons de
Ç pouvoirs È, nous nous attendons tout de suite des choses
fantastiques, mais ce nĠest pas cela le vrai Pouvoir. Quand le Supramental agit,
ce ne sont pas des bouleversements mirifiques, cĠest une action tranquille ,
comme ternelle, qui pousse le monde et chaque chose du monde vers sa propre
perfection travers tous les masques dĠimperfection.
Et lĠindividu est la cl du
pouvoir supramental. LĠtre supramental occupe non seulement une position
transcendante et une position cosmique, mais une position individuelle. Son
travail sur la terre est de mettre en contact, directement, la Force suprme et
lĠindividu, la Conscience suprme et la matire –joindre les deux
bouts dit la Mre.
CĠest pourquoi nous avons
lĠespoir que les dterminismes aveugles qui commandent actuellement le monde
– la Mort, la Souffrance, la Guerre – pourront tre changs par ce
Dterminisme suprme et faire place une volution dans la Lumire. : CĠest
une rvolution spirituelle que nous prvoyons, dont la rvolution matrielle
nĠest quĠune ombre et un reflet. (The Ideal of Karmayogin, 2 :17)
Deux mois aprs son arrive
Chandernagor, Sri Aurobindo entendait nouveau la Voix : Va
Pondichry. Quelques jours aprs, il sĠembarquait bord du Dupleix
dpistant la police britannique et il quittait lĠInde du Nord pour toujours. Je
ne bougeais que comme jĠtais boug par le Divin. (On Himself, 26 :58)
Les quarante dernires annes
de sa vie, avec la Mre, vont tre consacres transformer cette ralisation
individuelle en une ralisation terrestre.
Nous voulons faire descendre le Supramental
ici-bas comme une facult nouvelle. Nous voulons crer une espce o le
Supramental sera un tat de conscience permanent, tout comme le mental
maintenant est un tat de conscience permanent parmi les hommes. (Letters
onYoga, 22 :69)
Pour quĠon ne se mprenne pas
sur ses intentions Sri Aurobindo soulignait - il lĠa soulign plusieurs
fois :
Loin de moi de vouloir propager quelque
religion, nouvelle ou ancienne, pour lĠavenir de lĠhumanit. Il ne sĠagit pas
de fonder une religion, mais dĠouvrir une voie qui est encore bloque. (
Lettres on Yoga, 22 :139)
(122-130)
_________________
(p299-p319)
Sri Aurobindo vcut dans une
grande misre ces premires annes Pondichry. Il tait loin de ceux qui auraient pu
lĠaider, suspect, son courrier censur, ses moindres gestes surveills par des
agents britanniques. On tenta mme de le kidnapper.
Sri Aurobindo nĠeut la paix
que du jour o le commissaire de police franais vint perquisitionner et
dcouvrit dans ses tiroirs des textes dĠHomre. Il fut rempli dĠadmiration pour
ce gentleman-yogi
Dsormais, lĠexil put recevoir
qui il voulait et circuler sa guise.
(124-126)
(p300-p307)
Une dcouverte marque les
premires annes dĠexil : la lecture des Vedas dans lĠoriginal.
Jusque-l il nĠavait lu que des traductions anglaises ou indiennes et nĠy avait
vu quĠune masse ritualiste assez obscure .
Tout coup dans lĠoriginal il
dcouvrait une veine continue de lĠor le plus riche tant par la pense que
par lĠexprience spirituelleÉ Je mĠaperus que les mantras vdiques
illuminaient dĠune lumire claire et prcise certaines expriences spirituelles
que jĠavais eues.
Et pour lesquelles je nĠavais trouv aucune
explication satisfaisante, ni dans la psychologie europenne, ni dans les
coles de yoga, ni dans lĠenseignement du Vdanta.(The Secret of the Veda,
10 :37)
Voici que le plus ancien des
quatre Vdas ( Rig-Veda, Sma-Veda, Yayur-Veda,Atharva-Vda), le Rig-Vda
lui apportait le signe quĠil nĠtait pas tout fait singulier sur cette
plante.
Que les rudits occidentaux ou
mme indiens nĠaient pas saisi lĠextraordinaire vision de ces textes ne nous
surprendra pas si lĠon sait que les racines sanskrites se prtent un double
ou triple sens qui vient son tour sĠenvelopper dĠun double symbolique,
sotrique et exotrique. Les rishis eux-mmes disaient Ç Paroles
secrtes, sagesses de voyant qui rvlent leur sens intrieur au voyant È.
On ne peut sĠempcher de
rester songeur et de sĠinterroger quand on pense que les rishis dĠil y a cinq
ou six mille ans transmettaient non seulement leur propre exprience mais celle
de leurs Ç anctres È ou des Ç pres des hommes È disaient
–ils.
Nous somme devant la plus
ancienne tradition du monde, intacte.
Que Sri Aurobindo ait retrouv
le Secret du dbut de notre cycle humain ( peut-tre y en a-t-il eu dĠautres
avant ?) un ge que les Indiens disent Ç noir È, kali-yuga
nĠest pas dpourvu de signification. (DĠaprs la tradition indienne, chaque
cycle se droule en quatre priodes : Satya-yuga, lĠge de vrit (
ou ge dĠor), puis lĠge o il ne reste plus que les trois-quarts de la vrit,
ttra-yuga puis une moiti de vrit, dwpara-yuga et enfin lĠge
o toute vrit a disparu , kali-yuga. Le kali-yuga est suivi
dĠun nouveau Satya-yuga mais entre lĠun et lĠautre il y a une
destruction totale, pralaya, et lĠunivers est raval. Selon Sri
Aurobindo, la dcouverte du Supramental ouvre dĠautres horizons.)
Nous aurions tort de lier Sri
Aurobindo la rvlation vdique car elle nĠest pour lui quĠun signe de
reconnaissance. Vouloir ressusciter le Vda au vingtime sicle est une futile
entreprise parce que la Vrit ne se rpte jamais deux fois.
Sri Aurobindo nĠallait pas
travailler seulement une ralisation individuelle, telle les rishis, mais
une ralisation collective.
Tout dĠabord il devait
consacrer beaucoup de temps une Ïuvre crite.
Pendant six ans, sans
interruption, jusquĠen 1920 Sri Aurobindo publiera dĠune seule haleine la
quasi-totalit de son Ïuvre crite, prs de cinq mille pages. Ce nĠest pas un
livre aprs lĠautre mais quatre et mme six livres en mme temps quĠil crit.
La Vie divine est son Ïuvre philosophique fondamentale et sa
vision spirituelle de lĠvolution.
La Synthse des Yoga o il dcrit les tapes du yoga intgral en faisant
le tour de toutes les disciplines yoguiques passes ou prsentes.
Les Essais sur la Gt est sa philosophie de lĠaction.
Le Secret du Vda avec une tude sur lĠorigine du langage.
LĠidal de lĠUnit humaine, le Cycle humain qui envisagent lĠvolution sous son aspect
sociologique et psychologique et les possibilits futures des socits humaines.
Je nĠai pas fait dĠeffort pour crire, jĠai
laiss le Pouvoir suprieur travailler et quand il ne travaillait pas, je ne
mĠefforais pas du tout.
Soulignons que Ç penser
en dehors du corps È nĠest pas du tout un phnomne supramental mais une
exprience trs simple qui peut se produire ds le dbut du silence mental.
Le vrai processus est
dĠarriver ne pas faire dĠeffort, sĠeffacer aussi compltement que possible et
laisser passer le courant.
Au bout de six ans, en 1920,
Sri Aurobindo estime quĠil en assez dit pour lĠinstant. CĠest la fin de lĠArya.
La fin de sa vie sera presque exclusivement consacre son norme
correspondance – des milliers et des milliers de lettres contenant des
indications pratiques sur les expriences yoguiques, les difficults, les
progrs. Et surtout, il va crire et rcrire pendant trente ans cette prodigieuse
pope de 23 813 vers, Savitri, comme un cinquime Vda, son message, o
il dit lĠexprience des mondes du haut et du bas, ses batailles dans le
Subconscient et lĠInconscient et toute lĠhistoire occulte de lĠvolution
terrestre et universelle jusquĠ sa vision des temps futurs.
Interprtant lĠunivers par des signes dĠme,
Il lisait du dedans le texte du dehors.
(Savitri,28 :76)
(126-127)
(p307-p308)
1920 est lĠanne o Sri
Aurobindo termina lĠArya et o la Mre vient sĠinstaller Pondichry ;
Quand je vins Pondichry, dit Sri
Aurobindo, un programme me fut dict du dedans pour ma discipline. Je le suivis
et progressai pour ma part, mais nĠarrivai pas grand chose quant lĠaide
apporter aux autres. Puis vint la Mre ; avec son aide je trouvai la
mthode ncessaire.(AnilbaransĠs Journal (unpublished)
La Mre cĠest une Force en
mouvement. Elle est toujours plus loin, toujours plus en avant. Elle est ne
pour briser les limites.
Disons simplement quĠelle est
ne Paris un 21 fvrier 1878 et quĠelle avait eu aussi, de son ct, la
vision supramentale. Il nĠest pas surprenant quĠelle ait reconnu lĠexistence de
Sri Aurobindo et quĠelle soit venue le rejoindre.
Entre onze et treize ans, dit-elle, une srie
dĠexpriences psychiques et spirituelles me rvlrent non seulement
lĠexistence de Dieu, mais quĠil tait possible, pour lĠhomme, de Le trouver et
de Le rvler intgralement dans sa conscience et dans ses actes et de le
manifester sur la terre dans une vie divine. Cette rvlation et la discipline
pratique pour arriver au but me furent donnes pendant le sommeil de mon corps
par plusieurs instructeurs, que je rencontrai par la suite dans la vie, du
moins certains dĠentre-euxÉ Ds que je vis Sri Aurobindo, je reconnus que
cĠtait lui qui tait venu faire lĠÏuvre sur la terre et que cĠest avec lui que
je devais travailler.
CĠest la Mre qui va prendre
la direction de lĠAshram quand Sri Aurobindo se retirera dans une solitude
complte en 1926, cĠest elle qui continue lĠÏuvre depuis son dpart en 1950.
La conscience de la Mre et la mienne sont
une seule et mme conscience. (On Himself, 26 :455)
Il est bien symbolique que la
synthse vivante que Sri Aurobindo reprsente dj entre lĠorient et lĠOccident
sĠachve par cette nouvelle rencontre de lĠOuest et de lĠEst et par la jonction
de ces deux ples de lĠexistence , la Conscience et la Force, lĠesprit et la
terre, Lui et Elle toujours.
(127-130)
(p308-p319)
Sri Aurobindo nĠest pas
intress par les thories, sa vision de lĠvolution repose essentiellement sur
une exprience et sĠil a tent de la formuler en termes qui peuvent apparatre
thoriques cĠest parce que nous nĠavons pas lĠexprience ce nĠest pas pour nous
faire partager une ide de plus parmi les millions dĠides-forces qui circulent
mais pour nous faire saisir le levier de notre propre dynamisme et prcipiter
le cours de lĠvolution.
Ce levier est Agni, la
conscience force et toute lĠvolution peut tre dcrite comme le voyage dĠAgni
en quatre mouvements – involution, dvolution, involution, volution
– partir du Centre ternel et en Lui. En fait le quadruple mouvement est
Lui. Tout est Lui. Lui-mme le jeu, Lui-mme le joueur, Lui-mme le terrain
de jeu.
Lui, hors du temps, hors de
lĠespace, lĠEtre pur, la Conscience pure, le Grand Silence blanc o tout est en
tat dĠinvolution, contenu, sans forme encore. Et Lui qui devient :
la Force se spare de la Conscience, Elle de Lui, le voyage dĠAgni commence :
Mais cĠest un commencement
perptuel, qui ne se situe nulle part dans le temps ; quand nous disons
Ç dĠabord È lĠEternel, Ç puis È le Devenir, nous tombons
dans lĠillusion du langage spatio-temporel ; En ralit, lĠĉtre et le
Devenir, Lui et Elle, sont deux visages simultans dĠun mme fait
ternel. LĠunivers est un phnomne perptuel, aussi perptuel que le Silence
hors du temps.
Ce passage perptuel de lĠĉtre
au Devenir est ce que Sri Aurobindo appelle la dvolution. CĠest un
passage graduel. La Conscience suprme ne devient pas dĠun seul coup la
Matire. Celle-ci est le prcipit final, lĠultime produit dĠune incessante fragmentation
ou densification de la conscience qui sĠopre lentement travers des plans
successifs. Au Ç sommet È mais ce nĠest pas un sommet, cĠest un Point
suprme qui est partout, la Conscience-Force supramentale contient rassembles
toutes les possibilits infinies du Devenir. Puis sĠouvre le Surmental, le
Ç grand clivage È de la conscience commence : les rayons du
Soleil se sparent, la Conscience –Force unique est dsormais lche en
des trillons de forces qui chercheront chacune se raliser absolument. Et la
conscience sĠparpille, se fragmentant de plus en plus, sĠpaississant,
sĠobscurcissant, se dposant en strates successives, ou en mondes, avec leurs
tres et leurs forces, leur mode de vie particulier.
La dvolution sĠachve, cĠest la
plonge de la Lumire dans sa propre ombre, la Matire. Et nous voici
devant deux ples : au sommet un suprme Ngatif ( ou Positif selon les
gots) o la Force est comme engloutie dans un Nant de Lumire, un gouffre de
paix sans ride o tout est contenu en soi et lĠautre ple, un suprme Positif
o la Conscience est comme engloutie dans un Nant dĠOmbre, un gouffre de Force
aveugle jamais prisonnire de son obscur tourbillonnement.
Et toute notre existence flue
et reflue dĠun ple lĠautre, les uns ne voulant voir que le Transcendant et
rejetant la matire, les autres ne jurant que par la matire en rejetant
lĠEsprit comme un mensonge dfinitif. Mais cĠest une illusion. La Conscience
nĠabolit pas la Force, ni la Matire lĠEsprit, ni lĠInfini le fini, pas plus
que le haut annule le bas.
Au sommet, Elle est comme
endormie en Lui, la base Lui est comme endormi en Elle, la Force dissoute
dans la Conscience ou la Conscience dans la Force, lĠInfini contenu dans le
fini comme lĠarbre et toutes ses branches dans la semence. CĠest ce que Sri
Aurobindo appelle Ç lĠinvolution È.
La nescience de la matire est une conscience
voile, involue ; cĠest une conscience somnambule qui contient dĠune
manire latente tous les pouvoirs de lĠEsprit. En chaque particule, chaque
atome, chaque molcule, chaque cellule de la Matire, vivent et agissent,
cachs et inconnus, lĠomniscience de lĠEternel et la toute-puissance de
lĠInfini. (The Hour of God, 17 :15)
On peut dire en un sens que lĠunivers entier
est un mouvement entre deux involutions : lĠEsprit o tout est involu et
dĠo part une volution descendante (ou dvolution) vers lĠautre ple de la
matire ; et la Matire o tout est galement involu et dĠo part une
volution ascendante vers lĠautre ple de lĠEsprit. (The Life Divine,
18 :243-244)
Sans cette involution il nĠy
aurait pas dĠvolution possible. Derrire lĠexplosion volutive des formes,
cĠest Agni qui pousse et qui tisonne, la Force en qute de la
Conscience, Elle, la recherche de Lui et de formes de plus en plus capables
de le manifester.
Si lĠme nĠtait dj dans la
Matire, elle nĠaurait jamais pu merger dans lĠhomme et travers lui
retrouver Lui.
Notre humanit est le point de rencontre
conscient du fini et de lĠInfini ; devenir cet Infini de plus en plus en
cette naissance physique elle-mme, tel est notre privilge. (The Problem of
Rebirth, 16 :241)
ÉBien que lĠhomme soit
infiniment suprieur la plante et lĠanimal, il nĠest pas parfait dans sa
propre nature comme le sont la plante et lĠanimal. (The Human Cycle,
15 :220)
Il ne faut pas du tout dplorer
cette imperfection dit Sri Aurobindo. En nous, la force nĠa pas fini de trouver
sa conscience ni notre nature son esprit, Elle de trouver Lui. Y eu-t-il jamais
Platon satisfait, Michel-Ange apais ? Ç Un soir jĠai assis la beaut
sur mes genoux, et je lĠai trouv amre ! È sĠcrie Rimbaud. CĠest le
signe que ni le sommet de lĠintelligence mentale, ni le raffinement esthtique,
nĠest le but du voyage, la plnitude – Lui en Elle-
En vrit, le monde et chaque
cellule de notre corps est Sat-Chit-ċnanda –
Existence-Conscience-Batitude – Nous sommes lumire et joie. Et tout est
joie. CĠest notre faiblesse de vision qui nous cache lĠallgresse absolue au
cÏur des choses, ce sont nos sens ples qui ne savent pas encore contenir
toute cette immensit.
LĠhomme dit Sri Aurobindo
nĠest pas le dernier terme de lĠvolution, cĠest un tre de transition (The
Hour of God, 17 :7)
É Il se pourrait bien que
lĠhomme lui-mme soit un laboratoire vivant et pensant o la Nature veut, avec
sa collaboration consciente,É manifester Dieu. (The Life Divine,
18 :3-4)
Alors, quand le grand
Equilibre sera atteint, nous entrerons dans Ç la Vaste demeure È
( Rig-Veda V68.5)
Mais les rishis aussi savaient
que le voyage nĠest pas fini : Ç Tissez une Ïuvre inviolable,
devenez lĠtre humain, crez la race divineÉ ï voyants de la Vrit, aiguisez
les lances lumineuses, frayez la voie vers Cela qui est Immortel ;
connaisseurs des plans secrets, formez les degrs par quoi les dieux
atteignirent lĠimmortalit È (Rig-Veda, X.53.6,10)
Alors nous aurons la joie des
deux mondes et de tous les mondes, ċnanda, de la terre et du ciel comme
sĠils taient un.
Car tel est le but de
lĠvolution, finalement, la Joie. On dit lĠAmour, mais est-il mot plus
truqu ? – Par nos sentimentalits, nos partis, nos Eglises - tandis
que cette joie-l personne ne peut lĠimiter !
(131-143)
____________________
(p320-p377)
LĠmergence de lĠesprit dans
une conscience supramentale et dans un corps nouveau, une race nouvelle, est un
phnomne aussi invitable que lĠapparition de lĠhomo-sapiens aprs celle des
primates. La seule question qui se pose vraiment est de savoir si cette
volution nouvelle se fera avec ou sans nous.
Nous pouvons tre les Ç collaborateurs
conscients de notre propre volution È accepter le dfi, ou, comme dit
Sri Aurobindo, nous laisser dpasser.
(132-133)
(p321-p329)
Comprendre le but est dj une
grande tape sur la voie de la transformation, car si peu que nous comprenions
et que nous aspirions ce Futur, nous ouvrons une porte invisible par o
des forces plus grandes que la
ntre peuvent entrer et nous commenons collaborer.
En vrit, ce ne sont pas nos
forces humaines qui opreront le passage au surmental, mais un abandon de plus
en plus conscient la Force dĠen haut.
La surhumanit nĠest pas lĠhomme grimp son
znith naturel ; ce nĠest pas un degr suprieur de la grandeur humaine,
de la connaissance humaine, du pouvoir, de lĠintelligence, de la volont, du
caractre, de la force dynamique et du gnie humains, ni mme de la saintet,
de la puret, de la perfection et de lĠamour humains. Le supramental est
au-del de lĠhomme mental et de ses limites.
Pouss lĠextrme, le Mental
ne peut que durcir lĠhomme, pas le diviniser ni mme simplement, lui donner la
joie.
Si nos conditions mentales
sont insuffisantes, mme leur znith, nos conditions vitales et physiques le
sont encore davantage.
Si une transformation totale de lĠtre est
notre but, la transformation du corps, ncessairement, en est une partie
indispensable ; sans elle aucune vie divine complte nĠest possible sur la
terre. (The Supramental Manifestation, 16 :24)
Selon Sri Aurobindo, la
caractristique essentielle de la matire supramentalise est la
rceptivit ; elle sera capable dĠobir la volont consciente et de se
modeler ses ordres, comme lĠargile obit aux doigts de lĠartisan.
Avant ces changements
spectaculaires qui seront probablement les derniers se manifester, Sri
Aurobindo envisage un changement considrable dans notre physiologie.
A un stade ultrieur de la
transformation, Sri Aurobindo envisage le remplacement des organes par le
fonctionnement dynamique de nos centres de conscience ou chakra. CĠest
le vrai passage de lĠhomme-animal tel quĠil a t conu par lĠvolution
infrieure, lĠhomme-homme de lĠvolution nouvelle. CĠest lĠune des tches que
Sri Aurobindo et la Mre ont entreprise.
Non seulement le corps et le
mental devront changer avec la conscience supramentale, mais la substance mme
de la vie. SĠil est un signe caractristique de notre civilisation mentale,
cĠest lĠartifice ; rien ne sĠy passe naturellement, nous sommes
prisonniers dĠun formidable truquage – avion, tlphone, tlvision, et
toute la plthore des instruments qui fardent notre pauvret -
Et nous dlaissons jusquĠ nos
capacits naturelles qui sĠatrophient de gnration en gnration, par paresse
et par ignorance.
Nous oublions une vrit
fondamentale trs simple, savoir que nos merveilleuses inventions sont
seulement la projection matrielle des pouvoirs qui existent en nous.
LĠ Èautorit È
supramentale nĠest pas une sorte de super-prestidigitation, il sĠen faut ;
cĠest un processus extrmement prcis et minutieux. Mais au lieu de manipuler
des corps extrieurs, lĠtre supramental manipule la vibration vraie qui est au
centre de chaque chose et lĠassocie dĠautres vibrations pour obtenir un
rsultat donn.
(133-136)
(p329-p336)
Autant les rsultats sont
voyants, autant le travail est modeste, humble, patient, comme celui du savant
devant ses bouillons de culture. Un travail microscopique dit la Mre.
Il sĠagit de dlivrer chaque atome, chaque cellule –force de la
conscience-force quĠelle contient.
On pourrait penser que ce
travail sur le corps implique lĠusage des mthodes psycho-physiques, un peu
comme le hatha-yoga, mais il nĠen est rien. CĠest la conscience qui reste le
levier central ; le changement de conscience est le facteur principal,
le mouvement premier ; la modification physique est un facteur subordonn,
une consquence.(The Life Divine, 19 :842)
É LĠvolution a toujours eu un sens spirituel
et le changement physique ne faisait que servir dĠinstrument, mais cette
relation se trouvait cache au dbut par lĠquilibre anormal des deux facteurs,
le corps de lĠInconscience extrieure lĠemportant sur lĠlment spirituel ou
lĠtre conscient et le voilant. Mais ds que cet quilibre est rtabli, ce
nĠest plus le changement du corps qui doit prcder le changement de
conscience, cĠest la conscience elle-mme qui par sa propre mutation imposera
et oprera toute mutation ncessaire au corps. (The Life Divine,
19 :843-44)
On peut distinguer trois
phases dans le travail qui correspondent aux dcouvertes de Sri Aurobindo et de
la Mre ; trois phases qui semblent aller du plus brillant au plus obscur.
Pendant la premire phase,
nous assistons une vrification des pouvoirs de la conscience ; cĠest ce
que certains disciples ont appel la Ç priode brillante È. Elle
sĠtend de 1920 1926.
En prsence du pouvoir nouveau
supramental quĠils avaient dcouvert, Sri Aurobindo et la Mre se livrent tout
dĠabord une srie dĠexpriences sur leur propre corps.
Sommeil, nourriture,
pesanteur, Sri Aurobindo vrifiait une par une toutes les soi-disant lois
naturelles pour sĠapercevoir quĠelles ne tiennent que dans la mesure o nous
croyons quĠelles nous tiennent ; si lĠon change de conscience, le
Ç sillon È change aussi. Toutes nos lois sont des
Ç habitudes È.
Il nĠy a quĠune Loi vraie,
celle de lĠEsprit qui peut modifier toutes les habitudes infrieures de la
Nature. Sri Aurobindo nĠa pas de recettes miraculeuses, pas de trucs
fantastiques. Son yoga repose sur une double certitude trs simple, la
certitude de lĠEsprit qui est en nous et la certitude de la manifestation
terrestre de lĠEsprit – cĠest le seul levier, le vrai levier de son
travail : En chaque homme, Dieu habite ; le rendre manifeste est
le but de la vie divine. Cela nous pouvons tous le faire. (Life of Sri
Aurobindo, 173)
Pour Sri Aurobindo, la vraie
cl est de comprendre que lĠEsprit n Ôest pas le contraire de la vie, mais
la plnitude de la vie, que la ralisation intrieure est le secret de la
ralisation extrieure.
CĠest cela que Sri Aurobindo
est venu nous dmontrer, avant toute chose, le fait quĠil nĠest pas besoin de
courir au ciel pour trouver lĠEsprit, le fait que nous sommes libres, le fait
que nous sommes plus forts que toutes les lois, parce que Dieu est en nous.
Croire, simplement cela. Parce
que cĠest la foi qui prcipite la frie du monde.
Ce qui mĠa sauv dĠun bout lĠautre, cĠest
un quilibre parfait. DĠabord je croyais que rien nĠtait impossible et, en
mme temps, je pouvais tout mettre en question. (Evening Talks, 163)
Pendant cette premire phase,
les disciples (ils taient une quinzaine) sĠaccordent dire lĠatmosphre trs
particulire, hautement concentre, qui rgnait alors. Ils avaient de
merveilleuses expriences comme en se jouant, des manifestations divines se
produisaient. Si les choses avaient continu ce train, Sri Aurobindo et la
Mre taient en bonne voie de fonder une religion nouvelle, et lĠashram de
devenir un de ces Ç hauts lieux È o les parfums spirituels
recouvrent des odeurs plus modestes.
Comme la Mre racontait Sri
Aurobindo lĠun des derniers incidents extra-naturels, il remarqua avec
humour :
Oui, cĠest trs intressant, vous arriverez
des miracles qui nous rendent clbres dans le monde entierÉ mais cĠest une
cration surmentale, ce nĠest pas la vrit suprme – The highest truth-
Ce nĠest pas le succs que nous voulons ; nous voulons tablir le
supramental sur la terre, crer un monde nouveau.
Une demi-heure aprs, tout tait
arrt : je nĠai rien dit, pas un mot, raconte la mre, en une demi-heure jĠavais tout dfait, coup la
connexion entre les dieux et les gens, tout dmoli. Parce que je savais que
tant que cĠtait l, cĠtait si attractif (on voyait des choses tonnantes tout
le temps) que lĠon aurait t tent de continuerÉ jĠai tout dfait. Et depuis
ce moment-l nous sommes repartis sur dĠautres bases.
Ce fut la fin de la premire phase.
Sri Aurobindo et la Mre sĠtaient aperus que les Ç miracles avec un
processus È, ou lĠintervention des pouvoirs suprieurs de la conscience,
ne font que dorer la pilule sans toucher lĠessence. Ils sont vains du point
de vue de la transformation du monde.
La lvitation, la conqute du
sommeil et de la faim et mme des maladies, ne font que toucher la surface du
problme, cĠest du travail ngatif contre un ordre des choses. CĠest
encore reconnatre ft-ce ngativement, la vieille loi, alors que cĠest lĠordre
lui-mme qui doit changer.
Tous les miracles ne sont que
lĠenvers, ou plutt lĠendroit de notre pauvret. Ce quĠil faut, cĠest un monde
nouveau.
Brusquement, le 24 novembre
1926, Sri Aurobindo annonce quĠil se retire dans une solitude complte ;
lĠAshram est officiellement fond sous la direction de la Mre. Les disciples
nĠeurent pas besoin dĠapprendre que le yoga se ferait dsormais Ç dans le
subconscient et dans lĠinconscient È, ils dgringolrent tous de leurs
splendides expriences pour se mesurer des ralits beaucoup plus dures.
Ainsi sĠouvrit la deuxime
phase du travail de transformation.
(136-137)
(p336-p341)
Au seuil de cette deuxime
phase nous retrouvons la conversation bien trange quĠil et en 1926, peu de
temps avant sa retraite avec un polytechnicien franais. Au sujet de la science
moderne.
ÉSri Aurobindo poursuit :
les anciens yogis connaissaient un triple
Agni :
1) Le
feu ordinaire, jada Agni
2) Le
feu lectrique, vadyuta Agni
3) Le
feu solaire, saura Agni
4) La
science ne connat encore que le premier et le second de ces feux. Le fait que
lĠatome est comme un systme solaire pourrait les conduire la connaissance du
troisime.
Comment se
fait-il quĠil ait pu savoir avant tout nos laboratoires, sans parler des rishis
il y a six mille ans, que la
chaleur solaire a une origine diffrente de ce que nous appelons le feu
lectrique et quĠelle est le produit dĠune fusion nuclaire ?
CĠest que
toutes nos ralits physiques, quelles quĠelles soient, sont doubles dĠune
ralit intrieure qui est leur cause et leur fondement.
Tout,
ici-bas, est lĠombre projete ou la traduction symbolique dĠune lumire ou
dĠune force qui est derrire sur un autre plan.
Tout ce
monde est vaste Symbole. La science analyse les phnomnes mais elle ne touche
que lĠeffet, jamais la cause vraie. Le yogi voit la cause avant lĠeffet.
Le monde
entier est une formidable opration magique, une magie continuelle.
Derrire nos
phnomnes de gravitation, pour prendre lĠun des rituels, il y a ce que les
anciens yogis appelaient Vyu, la cause de la gravitation et des champs
magntiques et cĠest ainsi que le yogi peut ventuellement dfier les lois de
la pesanteur.
Derrire le
feu solaire ou nuclaire, il y a lĠAgni fondamental, cet Agni spirituel
qui est partout. CĠest parce que Sri Aurobindo et les rishis avaient vu cet Agni
spirituel dans la Matire, ce Ç soleil dans lĠobscurit È quĠils
pouvaient avoir la connaissance de son effet matriel, atomique.
Finalement,
lĠunivers entier, du haut en bas, est fait dĠune seule substance de
Conscience-Force divine ; lĠaspect force ou nergie de la conscience est Agni :
Ç O Fils de lĠEnergie Ç dit le Rig Veda (VIII.84.4)
Quand nous
nous concentrons dans notre mental, nous dcouvrons la chaleur subtile de
lĠnergie mentale, ou Agni mental.
Quand nous nous concentrons dans notre cÏur ou dans nos motions, nous
dcouvrons la chaleur subtile de lĠnergie de vie, ou Agni vital ;
quand nous plongeons dans notre me nous connaissons la chaleur subtile de
lĠme ou Agni psychique.
Et il y a lĠAgni
fondamental, ou Agni matriel, qui est le stade ultime de lĠnergie de la
conscience avant sa conversion ou sa densification en matire.
Donc, en
manipulant la conscience, on peut manipuler lĠEnergie ou la Matire.
(138-141)
(p341-p354)
CĠest en
1926 que s Ôouvre la deuxime phase, et elle va sĠtendre jusquĠen
1940. CĠest une phase de travail
sur le corps et dans le subconscient. JusquĠici nous avons tous les indices,
tous les fils pour parvenir nous-mmes au changement de conscience supramental
et nous connaissons le principe de base de la transformation. CĠest Agni Ç qui fait le
travail È dit le Rig-Vda (IV.1.14)
Mais
comment, pratiquement, cet Agni va-t-il procder pour modifier la
matire ? Nous ne pouvons pas le dire encore, nous ne connaissons que des
petits bouts : Si nous connaissions le processus dit la Mre ce
serait dj fait. Nous savons tous les processus pour parvenir au Nirvana,
raliser lĠEsprit cosmique, trouver lĠme, vaincre la pesanteur, la faim, le
froid, le sommeil, les maladies, sortir volont de son corps et prolonger la
vie – tout le monde peut y parvenir, les voies sont connues, les tapes
dcrites par les sages hindous depuis des millnaires. CĠest une question de
discipline et de patience – de Ç moment È aussi. Mais la
transformation, personne ne lĠa faite, cĠest une voie totalement inconnue.
Pour citer
la Mre encore :
Nous ne savons pas si telle
ou telle exprience fait partie du chemin ou non, nous ne savons mme pas si
nous progressons ou non, car si nous savions que nous progressons, cĠest que
nous connatrions le chemin – il nĠy a pas de chemin ! Personne
nĠest all l ! On ne pourra vraiment dire ce que cĠest que quand ce sera
fait.
CĠest une
aventure dans lĠinconnu, dit Sri Aurobindo. LĠexprience est en cours. LorsquĠelle
aura t russie une fois, une seule, dans un seul tre humain, les conditions
mmes de la transformation changeront, parce que le chemin aura t fait,
trac, les difficults primaires dblayes.
Il faut
passer dĠun tat actuel un autre tat, dĠune vieille organisation une
nouvelle : il y a un vieux cÏur qui est l, de vieux poumons –
quel moment, remarquait la Mre, va-t-on arrter le cÏur pour lancer la Force
en circulation ?
Le premier
problme est dĠadapter le corps et pour cela il faut des annes et des annes,
peut-tre des sicles.
Sri
Aurobindo a travaill pendant quarante ans et la Mre pendant cinquante ans
cette adaptation.
Naturellement
il faut que le travail soit fait en une vie. On peut dĠune vie lĠautre
retrouver les progrs antrieurs de notre me et de notre mental, mme de notre
vital qui se traduiront en cette vie par des veils spontans, des facults
innes, un dveloppement dj acquis. Il y a mme une exprience assez
saisissante o lĠon voit exactement le point o sĠachve le dj fait des vies
passes et o commence le point nouveau. On renoue le fil. Mais pour le corps,
le progrs cellulaire ne peut passer dĠune vie lĠautre, cĠest vident, tout
sĠparpille.
Nous sommes
l en face des deux problmes fondamentaux du chercheur : donner aux
cellules du corps la conscience dĠimmortalit qui existe dj dans notre me et
mme dans notre mental et nettoyer compltement le subconscient. Le progrs dĠAgni
dans le corps dpend, semble-t-il de ces deux conditions. Le travail
reste donc toujours un travail de conscience.
A
lĠexprience, on sĠaperoit que le problme de lĠimmortalit est toujours li
un problme de vrit. Est immortel ce qui est vrai.
Plus on
descend lĠchelle de conscience, plus le mensonge sĠpaissit et plus cela meurt
naturellement parce que le mensonge est dĠessence pourrissante.
Il est
trange de voir comme, partout et toujours, les choses ont deux visages :
si lĠon regarde dĠun ct, il faut lutter, se battre, dire Non ; si lĠon
regarde de lĠautre, il faut rendre grce et encore grce, dire Oui et encore
Oui; et il faut pouvoir les deux.
Ce serait
une parfaite erreur de penser que lĠon peut entreprendre le yoga supramental
avant dĠavoir parcouru tous les chelons – il faut aller tout en haut
pour pouvoir toucher tout en bas, nous le savons.
Si le
silence est la condition de base de la transformation mentale, si la paix est
la condition de base de la transformation vitale, lĠimmobilit est le fondement
de la transformation physique – non pas une immobilit extrieure mais
intrieure, dans la conscience cellulaire.
Il y a aussi un mental
obscur, un mental du corps, des cellules mmes, des molcules, des corpuscules.
Haekel, le matrialiste allemand, a parl quelque part dĠune volont dans
lĠatome, et la science rcente, en prsence des imprvisibles variations
individuelles de lĠlectron, est sur le point de sĠapercevoir que ce nĠest pas
une mtaphore mais lĠombre porte dĠune ralit secrte.
Ce mental corporel est trs
tangiblement rel ; par son obscurit, son attachement obstin et
mcanique aux mouvements passs, sa facilit oublier, son refus du nouveau,
il est lĠun des obstacles principaux, lĠinfusion de la Force supramentale
dans le corps et la transformation du fonctionnement corporel. Par contre,
une fois effectivement converti, ce sera lĠun des instruments les plus prcieux
pour stabiliser la Lumire et la Force supramentale dans la Nature matrielle.(Letters
on Yoga, 22 :340)
Que dire de
ce travail ? Il est infinitsimal. Et la seule faon de le faire nĠest pas
dĠentrer en des mditations profondes qui ne touchent que le sommet de notre
tre, pas de russir des concentrations ou des extases extraordinaires mais de
travailler au niveau du corps, tout en bas, chaque minute du jour et de la
nuit. CĠest pourquoi Sri Aurobindo insistait tant sur la ncessit du travail
extrieur et des exercices physiques les plus ordinaires, seule faon de se
mesurer avec la matire et de pousser dedans un peu de conscience vraie ou
plutt de permettre Agni dĠmerger librement.
Tout le
travail du chercheur nĠest donc pas tant de lutter contre des vibrations dites
mauvaises que de garder la vraie vibration, la joie divine dans le corps, qui,
elle, a le pouvoir de remettre en ordre, dtendre, harmoniser, gurir toutes
ces petites vibrations, usantes, mensongres, dans lesquelles nos cellules
vivent constamment.
Toute
souffrance est une troitesse de
conscience tous les niveaux.
Nous
approchons du vrai problme. Le chercheur fait alors une autre dcouverte assez
brutale : tous ses pouvoirs yoguiques sĠcroulent. Il avait dj matris
les maladies, les fonctionnements du corps, peut-tre mme la pesanteur, il
tait capable dĠavaler des poisons sans en souffrir parce que sa conscience
tait le matre. Mais subitement, du jour o il se met en tte de transformer
ce corps, tous ses pouvoirs sĠvanouissent, comme de lĠeau dans les sables. Et
la Mort sĠen mle. Entre les deux fonctionnements, le vieux et le nouveau qui
doit remplacer les organes symboliques par la Vibration vraie, la ligne est
trs mince, parfois qui spare la vie de la mort. – peut-tre mme
faut-il tre capable de passer la ligne et de revenir pour vraiment
triompher ? CĠest ce que la Mre appelait mourir la mort, aprs
une de ces expriences dĠo elle faillit ne pas revenir.
Il y a un point
central tout en bas, un nÏud de vie et de mort o se joue le destin du monde.
Tout est ramass en un point.
Tu porteras toutes choses
pour que toutes choses puissent changer dit
Savitri (Savitri, 29 :700) ; cĠest pourquoi Sri Aurobindo a quitt
son corps le 5 dcembre 1950, officiellement dĠune crise dĠurmie, lui qui
pouvait gurir les autres en quelques secondes.
Deuxime
phase – le subconscient
(139-140)
(p354-p363)
Il y a donc
une autre catgorie de difficults (mais cĠest la mme sous un autre visage)
qui tient la rsistance subconsciente de la terre entire. CĠest l que Sri
Aurobindo a rencontr la Mort. CĠest l que la Mre continue lĠÏuvre.
LĠmergence
dĠun degr nouveau dans lĠvolution, que ce soit celle de la Vie dans la
Matire ou du Mental dans la Vie, sĠaccomplit toujours sous une double
pousse : une pousse du dedans ou dĠen bas, du principe involu qui
cherche merger et une pousse du Ç dehors È ou dĠen
Ç haut È du mme principe, tel quĠil existe dj sur son propre plan.
Actuellement,
le supramental involu dans la matire, pousse du dedans, sous forme de tension
spirituelle, dĠaspirations terrestres lĠImmortalit, la Vrit, la
Beaut, etcÉ et en mme temps il presse dĠen haut, de son propre plan ternel,
sous forme dĠintuitions, de rvlations, dĠilluminations.
LĠmergence
du nouveau degr de conscience, un stade quelconque de lĠvolution, nĠest pas
une magie soudaine qui change tous les degrs anciens. Entre lĠapparition des premires amibes
et celle des mammifres nous avons les millions dĠannes quĠil fallut pour
surmonter lĠinertie matrielle et Ç vitaliser È la matire.
Plus
lĠvolution progresse, plus elle touche des couches profondes. Plus on sĠlve plus on est tir vers le
bas. LĠvolution ne va pas de plus en plus haut mais de plus en plus profond.
Quand la
jonction sera faite, lĠEsprit mergera dans la Matire, dans un tre
supramental complet et dans un corps supramental.
Sri
Aurobindo et la Mre allaient sĠapercevoir
au cours de cette deuxime phase que la transformation nĠest pas
seulement un problme individuel mais terrestre et quĠil nĠy a pas de
transformation individuelle possible sans un minimum de transformation
collective.
Plus on a de
lumire, plus on dcouvre dĠobscurit ; la trace, nuit aprs nuit, se
rvle le pourrissement sournois qui mine la Vie.
CĠest le
monde entier qui rsiste. Ce nĠest pas la difficult dĠun corps mais la
difficult du corps. Sri Aurobindo et la Mre dcouvraient ainsi matriellement,
exprimentalement, lĠunit substantielle du monde.
Ainsi
sĠachve la deuxime phase du travail de transformation. Aprs avoir travaill
pendant quatorze ans, de 1926 1940 dĠune faon individuelle concentre, avec
une poigne de disciples tris sur le volet, Sri Aurobindo et la Mre taient
arrivs devant un mur. Il est significatif que le point culminant de la
deuxime phase du travail de transformation ait concider avec le dbut de la
deuxime guerre mondiale.
Aprs ces
quatorze annes de concentration individuelles, en 1940, Sri Aurobindo et la
Mre ouvraient toutes grandes les portes de leur Ashram.
Ainsi
commence la troisime phase de la transformation, qui continue encore, une
phase dĠexpansion et de travail terrestre.
(141-142)
(p363-p377)
Note de lĠauteur (1984)
Ce
sous-chapitre nĠa hlas quĠune valeur historique. AujourdĠhui, aprs le dpart
de Mre en 1973, lĠ ÈAsram de Sri Aurobindo È nĠest plus gure quĠune
institution prospre sans rapport avec lĠexprience volutive de Sri Aurobindo
et Mre.
Le lecteur
dsireux dĠen savoir davantage sur le travail de Mre aprs le dpart de Sri
Aurobindo en 1950, ainsi que les vnements qui ont entour le dpart de Mre
en 1973, est pri de se rfrer lĠAgenda de Mre (1951-1973, 13 volumes ainsi
quĠ la trilogie de Satprem sur Mre :
1)
le Matrialisme
divin
2)
lĠEspce nouvelle
3)
la Mutation de la
Mort
(144-145)
LA FIN QUI
EST TOUJOURS AU COMMENCEMENT
(Savitri, 28 :295)
(p378-p383)
La
ralisation des rishis vdiques est devenue une ralisation collective ;
le Supramental est entr dans la conscience terrestre, descendu jusque dans le subconscient
physique, la frontire de la Matire ; il ne reste quĠun pont franchir
pour que la jonction soit faite.
A lĠheure quĠil est, nous
sommes en plein dans une priode de transition o les deux
sĠenchevtrent : lĠancien persiste, encore tout-puissant, continuant
dominer la conscience ordinaire, et le nouveau se faufile, encore trs modeste,
inaperu au point quĠextrieurement il ne change pas grand-chose, pour le
momentÉEt pourtant il travaille, il crot, jusquĠau jour o il sera assez fort
pour sĠimposer visiblement.
É
La cl de lĠnigme nĠest
pas lĠascension de lĠhomme au ciel mais son ascension ici-bas dans lĠEsprit et
la descente de lĠEsprit dans son humanit ordinaire, une transformation de la
nature terrestre ; cĠest cela que lĠhumanit attend, une naissance
nouvelle qui couronnera sa longue marche obscure et douloureuse et non quelque
salut post mortem. (The Human Cycle, 15 :250)
A chaque
hauteur conquise, tout change, cĠest un renversement de conscience, un ciel
nouveau, une terre nouvelle ; le monde physique changera bientt sous nos
yeux incrdules.
LĠvolution
nĠest pas finie ; ce nĠest pas une absurde ronde, pas une chute, pas une
foire aux vains plaisirs, cĠest :
LĠaventure de la conscience
et de la joie. (Savitri, 28 :2)
Pondichry,
14 avril 1963