Commençons par présenter l’auteur au parcours scientifique exceptionnel :
Alexander Grothedieck, né à Berlin en 1928, est d’abord connu comme un génie des mathématiques.
Il obtiendra en 1966, avec la médaille Fields, la distinction suprême qui couronne au niveau international les mathématiciens de moins de 40 ans. Cette distinction sera suivie de plusieurs autres dont le prix Crafoord en 1978.
Ces pairs le placent au niveau d’Einstein et Claire Voisin, mathématicienne membre de l’académie des sciences, interrogée sur les autres mathématiciens de son niveau, répondra qu’il n’y en a pas. Et pourtant, elle dit ne pas aimer l’homme. « « En moins d’un an Grothendieck avait la solution de quatorze questions mathématiques non résolues » dit-elle. cf là pour une présentation succinte du mathématicien auteur de la clé des songes.
Le premier grand virage dans la vie de Grothedienck surviendra avec son engagement contre la guerre du Vientnâm en 1967 puis pour le printemps de Pragues et mai 68. Ce virage le conduira en 1970 à démissionner de l’IHES (Institut des Hautes études scientifiques) ce qui ne l’empêche pas l’année suivante d’obtenir un poste de professeur au Collège de France où il commence par un cours intitulé : » Science et technologie dans la crise évolutionniste actuelle : allons-nous continuer la recherche scientifique ?« . Il s’agit là du grand virage écologique de l’auteur, époque où il militera dans des mouvements d’écologie radicale et fondera, avec d’autres, la revue Survivre et vivre éditée de 1970 à 1975. Son enseignement au Collège de France commencé en novembre 1971 ne sera pas renouvelé par ses pairs. En 1972, après avoir rencontré une étudiante en mathématique américaine il fonde avec elle une communauté près de Paris puis, l’année suivante, obtient un poste de professeur de mathématiques à l’université de Montpellier qu’il gardera jusqu’à sa retraite en 1988.
Ce qui nous intéresse ici aujourd’hui c’est la troisième vie d’Alexander Grothendieck, après celle de mathématicien de génie, puis son engagement politique dans l’écologie radicale antimilitariste, celle qui le conduit à sa rencontre avec Dieu. Lui qui est issu d’une famille athée anarchiste, lui-même évoluant jusque-là dans le même environnement idéologique, va s’ouvrir à Dieu. Cette rencontre est développée dans son livre la clé des songes que je présente dans cet article. Ses premières retrouvailles, comme il l’écrit dans ce livre commenceront exactement le 30 avril 1988 quelques mois après son départ en retraite. « Le premier rêve dans ma vie dont j’ai sondé et entendu le message a aussitôt transformé le cours de ma vie, profondément ».
Premières retrouvailles
Le livre commence donc par ce choc issu d’un rêve chez un homme jusque-là ouvert uniquement à la raison. Il écrit que ce fut le moment de retrouvaille avec son âme, avec l’enfant en lui.
Les dix années qui vont suivre vont être une période d’écoute intense, de recueillement durant laquelle il va se séparer du vieil homme qu’il a été pour re-naître.
Ces dix années dit-il, sont celles de l’approfondissement de sa psyché qui se confond avec son expérience des rêves. Le rêve se révèle comme un témoignage direct parfaitement fiable, d’une finesse incomparable de la vie profonde et qui délivre souvent un message percutant. Il y a, en nous, un oeil qui voit et une main qui peint ce qu’il voit et c’est à nous de déchiffrer le tableau. Ce livre s’adresse à tous ceux qui osent croire à leurs rêves.
Découverte du rêveur :
Dès ce rêve de 1988 qu’il a scruté, Alexander a bien senti qu’il n’était pas de lui.
« Je suis venu à mes rêves comme un petit enfant » dit-il, l’esprit vide et les mains nues, avec une faim qui le poussait et qu’il n’aurait su nommer.
Pendant longtemps et depuis 1976, Alexander notait les rêves qui le frappaient le plus et encore pas toujours. Malgré les annotations, la plupart du temps ils restaient énigmatiques. C’est en 1982, six ans après le début de ses observations, qu’il comprit que tout rêve, qu’i soit loufoque, foireux ou scabreux est porteur d’un sens.
En 10 ans, il dit avoir noté environ un millier de rêves dont trois à quatre cents dont il a saisi le message mais aucun qui puisse être le produit d’un mécanisme psychique plus ou moins aveugle. Il reconnaît dans ceux-ci le même souffle, la même griffe qui ne vient pas de lui.
Il souligne parmi ceux-ci les grands rêves ceux qui marquent profondément avec une acuité exceptionnelle des perceptions et des pensées et parfois même une force bouleversante des émotions.
Il y a aussi les rêves au langage transparent, sans code secret, lettre vivante de la Parole adressée. Chaque mot porte et s’accomplit en toi pour exprimer par les mouvements de ton âme un sens qui te concerne.
Ecouter un tel rêve, accepter vérité qui t’est offerte c’est aussi voir ta vie changer profondément, dans l’instant même. C’est bien pourquoi une parole aussi brulante soit peu entendue à cause d’une inertie immense.
Je ne savais pas alors que j’avais une âme et je n’avais ni vu ni fait un travail sur un rêve. C’était l’inexpérience totale. Pourtant au réveil de ce premier rêve étudié il y eu quatre heures de travail intense en quatre ou cinq « jets » successifs, chacun reprenant le précédent avant de se rendormir.
La voix du bon sens me disait d’abandonner ce travail dans la nuit mais comme pour les mathématiques, c’est à l’encontre de cette voix du bon sens que j’ai écouté une autre voix.
Avec le recul de dix ans je vois bien maintenant que c’est cette voix qui m’a toujours aiguillé vers l’essentiel, ces choses délicates et les moins sûres.
Quand tu fais taire cette autre voix pour suivre benêtement celle que tout le monde suit, tu te coupes du meilleur en toi. Sans l’écouter, tu ne peux entrer dans un seul de tes rêves, aurais-tu lu tous les livres du monde. Cette voix est aussi la voix de la faim de l’âme. Cette faim en toi voilà « la clé du grand rêve », du rêve messager. Tant que tu n’as pas tourné jusqu’au bout rien ne se passe et rien ne s’est passé. Quand tu as tourné jusqu’au bout, la porte jusque-là fermée s’ouvre. Tu étais dans le noir et voici une irruption de lumière.
La découverte vient comme une révélation sur toi-même bouleversant aussi ta relation au monde.
J’ai pensé aussi à la foi en le rêve. Quand je me suis réveillé, j’ai su d’une façon sûre que ce rêve me parlait avec une telle puissance bouleversante qu’il était crucial que j’en prenne connaissance. Je l’ai su de manière immédiate et certaine. Ce n’est pas là une impression mais bien une connaissance. Un tel discernement n’est pas de l’ordre de la raison ou d’une intuition de nature intellectuelle, c’est un acte de perception d’essence spirituelle.
Je crois qu’une telle perception aigüe du vrai et du faux, l’espace d’un éclair, est présente dans la psyché plus souvent qu’on pourrait le penser. Assumer une telle connaissance fugace surgie en toi, t’en saisir, c’est un acte de foi. Il ne s’agit pas de la foi en Dieu ou en telle personne mais il s’agit de la foi en quelque chose d’immédiat qui se passe en nous à ce moment. On pourrait dire une foi « en soi-même ».
A vrai dire, l’acte de connaissance au plein sens du terme, inclut l’acte de foi car tant qu’il n’est pas inclus, la connaissance reste entachée de doute et reste inefficace.
Dans quelle mesure un tel état nous vient comme une grâce, comme un don gratuit venu d’ailleurs… C’est là un mystère, un des grands mystères de la psyché et de sa relation à la Source de toute connaissance. La psyché a un rôle passif et la Source, le Rêveur, la Mère, ou Cela, un rôle actif.
L’acte de foi, par contre, provient de nous, de l’âme : nous ajoutons foi à ce qui nous est dit. Ainsi l’acte complet est un acte commun auquel participent deux partenaires : l’initiative revient à Dieu et l’âme y fait figure d’interlocuteur de Dieu. Bien sûr comme pratiquement tous les processus et actes de création, ils ont lieu dans l’inconscient.
Cette totale confiance en le rêve n’est pas le fruit de l’expérience, elle allait de soi. Elle est de même nature, il me semble, que celle qui m’a permis, en mathématiques, de connaître de première main sans imiter personne.
Cette foi m’a accompagné toute ma vie. Elle se confond avec ma foi « en la vie », « en l’existence ».
La porte étroite ou l’étincelle et la flamme (p 20)
Je sais bien pourtant que les grands rêves, tout exceptionnels qu’ils soient, sont ceux qui, de très loin, sont les plus importants, plus importants que tous les autres réunis ! C’est sauter d’un niveau de conscience à un niveau supérieur que dix ans, ni cent ans ni mille expériences de ta vie ne sauraient à elles seules accomplir : le seuil est là devant toi, sur le chemin de la connaissance. Que tu l’abordes dans le sillage d’un grand rêve (cette main tendue par Dieu) ou de toute autre façon, il te faut passer par cette porte-la. Sa clé est dans ta main et dans celle de nulle autre. Foi, désir, volonté sont l’étincelle jaillie soudain. Point n’est besoin de prescrire à l’étincelle ce qu’elle doit faire.
Travail et conception -ou le double oignon
C’est sur le travail pour entrer dans un rêve messager que je m’apprêtais à dire quelques mots. C’est dans les choses les plus fondamentales qui lorsqu’elles sont saisies frappent par leur caractère d’évidence qui nous étonne. Ce même étonnement, je l’ai rencontré dans le travail de méditation, ce travail à la découverte de moi-même, qui est venu se confondre avec le travail sur mes rêves. La chose n’est vue qu’au terme de ce travail et apparaît dans toute son évidence, dans sa vivante simplicité.
Le travail dont je veux parler est un travail d’approfondissement, de pénétration de la périphérie vers les profondeurs qui présente deux aspects :
L’un, qualifié d’externe, va de l’extérieur jusqu’à toucher le fond, moment où prend naissance la chose nouvelle. Le deuxième travail est d’aspect interne. C’est la psyché qui est pénétrée et qui joue le rôle de passif féminin. La fécondation ultime, la conception de l’être nouveau n’a lieu que lorsque le travail arrive à son terme. Il n’y a pas de moyen terme.
Il semblerait bien qu’il y ait un archétype commun à tous les processus de découverte quels que soient les plans d’existence sur lesquels ils peuvent se dérouler.
Dieu est le rêveur
Il est grand temps d’en venir au message de ce livre : le fait dingue est que ce rêveur n’est autre que Dieu. Pour beaucoup de lecteurs, ce que je viens de dire n’est que des mots qui ne font ni chaud ni froid. La chose fut constatée en cours de méditation comme « en passant ». C’est au cours des mois suivants que la portée de ce « fait curieux » a commencé à m’apparaître : ce centre vivant c’est Dieu. Pour te parler de Lui je ne pourrai m’empêcher de parler de moi.
La connaissance perdue ou l’ambiance de fin des temps
Ce fait que je découvre aujourd’hui était bien connu de tous les temps : il était reconnu que Dieu ou les puissances invisibles nous parlent dans les rêves.
Ce respect pour le rêve a fait place à un mépris quasi universel. Ma redécouverte du sens profond du rêve, comme Parole vivante de Dieu s’est faite dans une atmosphère de solitude et de recueillement intense.
Pour ce qui est de l’existence du Rêveur si j’en ai eu le cœur net, ce n’est pas à la suite d’une réflexion mais par l’apparition du Rêveur en personne ! C’était comme de juste dans un rêve, il va y avoir cinq ans en août 1982. Cette apparition, suivie par d’autres dès les semaines qui ont suivi, a mis fin une bonne fois pour toute sur la réalité du Rêveur. La voix de la raison n’avait plus qu’à remballer ! Le changement a été radical dès les premiers jours qui ont suivi cette première apparition du rêveur.
Dans le rêve dont je parle, le Rêveur m’apparait sous les traits d’un vieux Monsieur bienveillant qui m’indique mon chemin. J’ai reconnu qui était le vieux monsieur le lendemain matin du jour où j’ai eu ce rêve. Cette découverte fut vécue comme une révélation subite qui m’a empli d’une joie exultant. Ce signe m’a fait comprendre la chance inouïe qui m’était offerte. Cette confiance absolue ne s’est jamais démentie depuis. Malgré cette sorte de familiarité avec le Rêveur, j’ai persisté à m’interdire de savoir qui était le Rêveur. J’avais un guide et cela me suffisait.
Le Rêveur, je le sentais bien distinct de moi. Il n’est pas une partie de moi-même, de ma psyché.
Passons aux choses sérieuses :
Retrouvailles avec Dieu -ou le respect sans la crainte
Dès les derniers jours de décembre, l’action de Dieu en moi, par la voie du rêve, était devenue si éclatante que celle-ci était une certitude.
Il me faudra revenir de façon circonstanciée sur l’histoire de la relation à Dieu, et de l’idée que je me faisais de Lui. Jusque vers le mois de novembre, l’an dernier, ma relation au Rêveur était loin de se placer dans des tonalités que l’on peut appeler « religieuses ». Le Rêveur était bien différent de moi et de toute autre personne au monde. Et en même temps, je me sentais pourtant tout proche. Son autorité souvent malicieuse n’était jamais une contrainte. Je n’ai pas vu Sa colère mais la pensée de sa colère n’a rien pour m’effrayer car je sais que sa colère n’efface pas son amour.
Il n’y a qu’un rêveur -ou l’Autre moi-même
Pour un lecteur qui n’aurait aucune expérience vivante de Dieu ou celui-ci ne serait qu’un mot, voire une superstition d’un âge désormais bien dépassé par le triomphal essor de la pensée rationnelle et de la Science, je ne sais s’ils liront mon témoignage mais c’est pour eux que j’écris avec l’espoir qu’il secouera une vision des choses trop bien assise.
Comme je l’ai déjà dit, celui qui se manifestait à moi par les rêves était infiniment plus fort que moi. C’était quelqu’un, en somme, qui percevait par mes sens, sensoriels et extrasensoriels avec la fraîcheur de perception que j’avais à ma naissance.
Et voici le fait nouveau vraiment extraordinaire dont j’ai acquis connaissance sans le moindre doute : le Rêveur en moi est le même que le Rêveur en toi.
Le CREATEUR – ou la Toile et la pâte
Le Rêveur on pourrait le voir comme une sorte de mémoire géante étant donné que ce n’est pas le savoir inerte d’ordinateur mais une connaissance vivante. L’action du rêveur en nous ne se limite pas aux messages qu’il nous envoie dans le sommeil mais cette voix qui dans nos veilles nous souffle où est le vrai. C’est lui la voix de la « déraison » alors que nous nous accrochons si fort à ce qui est « raisonnable » ce qui est sérieux, « connu », fiable. C’est Lui le Créateur qui nous encourage à créer.
Ce souffle créateur qui traverse toute chose et que parfois tu as perçu en rêve, ou en certains moments bénis d’abandon et de silence, c’est Son souffle. Le monde est ce souffle. Son souffle fait matière et énergie et les créatures douées d’âmes qui l’habitent sont Sa pensée Son souffle fait chair.
La pensée créatrice de Dieu se concerte et agit, croît et se déploie. C’est le Verbe originel. Selon Sa volonté aimante, nous sommes des instruments vivants pourvus du libre arbitre. Le prix de la résistance au sens de la vie, au Tao, c’est la souffrance.
Dieu ne se définit ni se prouve – ou l’aveugle et le bâton
De toutes façons tout raisonnement qui prétendrait établir une vérité ou un fait concernant la psyché ou l’âme ou Dieu, est toujours spécieux. Prétendre prouver une telle chose serait tromper le monde.
Mon premier propos est de brosser à grands traits la vision qui s’est dégagée en moi au sujet du rêve en général. Par son action en moi tout au long de l’année écoulée il est devenu à présent le Centre omniprésent de cette vision, le centre de ma vie et celui de ma vision du monde.
Ceci m’amène à mon deuxième propos, le témoignage ; esquisser, faire passer tant soit peu mon expérience du rêve et de Dieu. C’est en faisant passer quelques effluves de cette expérience que la vision prendra chair en toi.
J’en viens à mon troisième propos qui m’apparaît comme faisant le pont entre l’exposé d’une vision et le récit d’une expérience. Il s’agit du compte rendu d’un certain nombre de mes rêves. Les rêves qui me sont venus au cours des mois de janvier à mars de cette année sont si forts qu’ils ont le caractère d’une révélation.
Parmi ceux-là il y a les « rêves prophétiques » qui annonce la fin brutale d’une ère à son déclin, d’une culture en pleine décomposition et l’avènement d’une ère nouvelle. Mais la vision est personnelle et seule la « sanction par l’histoire » donnera un fondement objectif. Sur mes vieux jours me voici promu messager et même « prophète « . Non seulement il y aura encore une humanité d’ici quelques décennies et je sais qu’elle ne sera pas morte spirituellement. Viendra alors le choc de la tempête et les oreilles de ceux qui vivront entendront et les yeux verront.
III Le voyage à Memphis, l’errance
J’avais annoncé que j’esquisserais un historique de ma relation à Dieu et il est temps que je tienne parole.
J’ai vécu les cinq premières années de ma vie à Berlin auprès de mes parents et de ma sœur issue d’un précédent mariage de ma mère. Mes parents étaient athées mais issus de familles croyantes. Pour eux les Eglises étaient des survivances archaïques. Mon père était issu d’une famille juive pieuse ayant vécu dans une petite ville d’Ukraine. A 14 ans il rejoint un groupe anarchiste qui sillonne le pays pour prêcher la révolution. C’était en Russie tsariste en 1904. Après un lourd combat, le groupe est arrêté et ses membres condamnés à mort à l’exception de mon père sauvé par son jeune âge. Mais il reste en prison pendant onze ans et il est libéré par la révolution de 1917. En 1924, à l’occasion d’un voyage en Allemagne il fait connaissance de ma mère et ils resteront unis, souvent pour le pire, jusqu’à sa déportation à Auschwitz où il mourra en 1942. Ma mère est née à Hambourg dans une famille protestante aisée. A 17 ans après une crise religieuse elle perd la foi. Mes parents avaient des dons littéraires. Après l’avènement d’Hitler en 1933, mes parents émigrent en France. Nous sommes internés en camp d’étrangers indésirables, mon père en 1939 et ma mère et moi en 1940. Je reste deux ans au camp puis je rejoins une maison d’enfants du « Secours Suisse » en pays cévenol. Mon père est déporté et meurt à Auschwitz. Ma mère reste au camp jusqu’en 1944.
Splendeur de Dieu – ou le pain et la parure
Ma mère m’a parlé de ce qui était arrivé à mon père bien après sa mort. Il était dans sa huitième année de captivité, donc en 1914. L’expérience qui suit lui est arrivée au bout d’une année de réclusion passée dans une solitude totale. Au terme du sixième jour de cachot eut lieu la chose inouïe qui devint le secret le mieux gardé de sa vie. Une vague soudaine d’une lumière d’une intensité indicible, en deux mouvements successifs, emplit sa cellule et lui-même, effaçant toute douleur. Cette lumière était accompagnée d’un amour sans borne qui lui fit perdre toute notion d’ami et d’ennemi. J’appellerais maintenant cet instant une « illumination » bien que cette expérience eût lieu en dehors de tout contexte religieux. Cette expérience n’a pas été pour lui l’amorce d’un travail intérieur.
Ainsi le pain donné par Dieu comme inépuisable nourriture a fini par devenir une parure familiale et il alimenta chez mes parents, une commune vanité.
Rudi et Rudi – ou les indistingables
Le premier vestige concret de ma relation avec Dieu remonte à l’âge de trois ans environ. Il s’agissait d’un dessin gribouillé sur un livre d’enfant de ma soeur où mon père renversait une casserole d’eau sur la tête du bon Dieu.
En janvier 1934 vers l’âge de six ans et jusque-là élevé dans un milieu athée, anarchiste et marginal, je fus placé dans une famille très comme il faut d’un ancien pasteur où je resterai plus de cinq ans avec seulement quelques lettres par an de ma mère. A l’occasion des retrouvailles avec moi-même en 1976, je me remémorai l’amour que j’avais reçu de cette famille et sans prosélytisme, ce qui n’a été que plus agissant.
C’est une grande grâce de rencontrer un tel homme dans sa vie.
J’ai fait un rêve où il est question de ces êtres-là, représentés dans ce rêve par un groupe d’enfants. D’après les témoignages recueillis, Rudi n’avait rien d’un mystique et je ne me rappelle pas d’avoir entendu parler de Dieu. A vrai dire il n’en avait aucun besoin. Dans la scène finale de mon rêve il y avait deux messieurs assis dans un fauteuil : c’était deux fois Rudi. Dans le travail que j’ai fait sur ce rêve j’ai su que l’un était Rudi et l’autre était Dieu. Ils étaient indistinguables.
La cascade des merveilles -ou Dieu par la saine raison
(17 et 18 juin) Jusqu’à ma seizième année, je considérais que ce qui parlait de Dieu était pure invention de l’esprit contraire au bon sens le plus élémentaire. Mon appréhension du monde était coupée de toute perspective historique et je ne m’étais pas posé la question du caractère apparemment universel de la croyance au divin. La réponse à cette question est apparue dans la foulée de mes rêves il y a quelques mois à peine.
La première brèche eut lieu en mars 1944 alors que j’allais avoir seize ans à l’occasion de deux causeries de mon professeur de sciences naturelles, très croyant, sur l’évolution de la vie. J’ai compris pour la première fois des choses essentielles qui n’étaient dans aucun de mes livres : la moindre cellule vivante, sans parler du souffle qui l’anime est une telle merveille de finesse que toute l’industrie de l’homme en comparaison est pur néant. Vouloir expliquer une telle merveille par les lois du hasard est une aberration. On voit la même Intelligence s’exercer tout au long de l’évolution sur terre : on voit se profiler une Intention et un Dessein. Ces choses-là sont restées ma vie durant et m’ont montré l’aveuglement de l' »Eglise scientiste » bien plus énorme encore que celui, passé, des Eglises.
Les retrouvailles perdues
Le soir même de cette présentation de mon professeur devint pour moi une connaissance au plein sens du terme. Je comprenais que ce Dieu qu’on mettait à toutes les sauces était cette Intelligence souveraine, infinie, créatrice de la Vie. Alors que je me disais jusquel-là « athée » je me dirai depuis ce jour « déiste ». Je me rendais bien compte alors, que ce Dieu créateur était loin du Dieu des Evangiles.
Alexander évoque ensuite la conversion de sa mère à la même époque et dont il eut connaissance par deux lettres quelle lui adressa. Il évoque que cette conversion resta hélas chez elle lettre morte.
L’appel et l’esquive
Avec un recul de près de quarante ans, quelle portée attribuée à ce tournant dans ma relation avec Dieu. Cette découverte cruciale faite lors de mes seize ans, je décidai qu’elle ne me concernait pas et je restai dans le cercle de l’univers de mes parents.
Le premier pas hors de cet univers parental je ne l’ai effectué que trente ans plus tard, bien après qu’ils soient morts l’un et l’autre.
Il y eut cette année 1944, deux appels de Dieu, l’un à ma mère et l’autre à moi, à des niveaux de profondeur différents mais très clairs. Mais la paresse spirituelle des deux, fit barrage aux forces de renouvellement. Chez ma mère, elle dura jusqu’à sa mort en 1957 et chez moi, longue de trente ans, jusq’en 1974 où je me trouvai dans une crise existentielle.
Le tournant ou la fin d’une torpeur
Des années 1945 à 1970, toute mon énergie fut consacrée à ma recherche en mathématiques. Quand je quitte ce milieu, ma vision du monde connaît un bouleversement considérable alors que je me libère du consensus du groupe auquel je m’étais jusquel-là identifié.
Par la suite, ma critique s’étendit à « la civilisation occidentale « , des valeurs qui la fondent, de « l’esprit du temps » qui le gouverne. Cette réflexion idéologique qui a eu lieu au cours des trois années 1970 à 1972 n’ont aujourd’hui encore rien perdu de leur actualité, bien au contraire ! Mais ce renouvellement idéologique ne pouvait être un renouvellement spirituel. C’est pour l’avoir senti confusément que je me retire en 1972 de mes activités antimilitaristes, écologiques et de « subversion culturelle » sentant par ailleurs qu’elles étaient en train de s’enliser dans une routine militante au lieu de s’insérer dans un mouvement plus ample. Je me lance alors et successivement en 1972 et 1973 dans deux expériences communautaires qui se soldent toutes deux par les plus lamentables échecs. Je comprends en 1974, à travers eux, à quel point je vivais sur des idées toutes faites et non sur la connaissance de la réalité.
Je prenais conscience alors de la précarité des valeurs culturelles qui étaient intangibles pour mes parents : la « science », la « technique », « l’art », « l’instruction », « l’abondance », « la civilisation », le progrès ». Mais ces ingrédients-là restent encore périphériques et ne touchent pas en moi la relation à autrui. C’est bien là que depuis vingt ans ma relation à mes proches est une longue suite d’écroulements. Ma vie familiale semblait frappée par une malédiction secrète : d’une violence hallucinante entre ma mère et moi (1952-57) puis au sein de la famille que j’avais constituée (1957-1976). Ce poids se détache de moi à la fin de cette période. Sue le plan spirituel, le changement s’accomplira en avril puis juin et juillet 1974.
Foi et mission -ou l’infidélité
(22 et 23 juin) Je commence à me rendre compte qu’il serait artificiel de me borner au pied de la lettre à la relation à Dieu. J’observe que même quand Dieu n’est pas nommé toute notre évolution spirituelle concerne notre relation à Dieu.
Mon propos depuis le début est en fait une esquisse à très gros traits de mon évolution spirituelle.
Dans les 26 années qui sépare 1944 où je découvre le créateur (et le range dans le tiroir) et 1970 où je m’arrache au milieu mathématique, je perçois un temps fort en 1957, année exceptionnelle à plus d’un titre dans ma vie et dont je voudrais parler.
C’est d’abord l’année la plus fertile dans ma recherche en mathématique et qui a inspiré toute mon oeuvre de géomètre dans les douze années qui ont suivi. C’est aussi l’année de la mort de ma mère et celle de la rencontre avec celle qui deviendra ma compagne. C’est encore une autre circonstance qui m’incite à faire mention de cette année là. J’étais confronté pour la première fois à la différence de niveau entre deux réalités de nature distincte : la réalité intellectuelle du travail mathématique et la réalité spirituelle qui échappe à ce travail. Il n’y eut aucune résistance contre la connaissance qui montait ainsi des profondeurs. Ce travail prit dans ma vie une place dévorante. Cette voix intérieure que j’ai su écouter, je la reconnais comme une voix d’une mission que je portais en moi à mon insu comme chaque être qui doit la découvrir.
La mort interpelle – ou l’infidélité
(24-25 juin) J’ai repensé hier à l’homme qui avait beaucoup de biens et qui s’en alla tout triste de ne pouvoir suivre Jésus qui l’avait appelé à donner ses biens aux pauvres et à le suivre. Il y a d’autres richesses que des maisons, des terres et des comptes en banque. Chez moi ça a été mon oeuvre de mathématicien qui me tenait depuis les années cinquante. J’ai compris hier, non sans un certain malaise, que j’étais moi-même le jeune homme riche car j’avais beaucoup de biens.
Au cours de l’année 57, il m’a été donné d’être auprès de ma mère dans les dernières années de sa vie, de la soigner et de la voir mourir et de voir aussi se dissiper l’âpre désespoir dans lequel elle s’était enfermée ces cinq dernières années. Dans ces dernières semaines tout en moi se cabrait contre elle mais une fois l’impensable consommé, le premier choc passé, il y eut une tendresse pour celle qui était morte, un dernier acte de réconciliation et d’amour.
Dès ce moment, je crois, la mort a commencé par devenir presque une amie. C’est la première fois, je crois, que j’ai senti qu’il y avait quelque chose à comprendre. C’est dans les jours qui ont suivi sa mort qu’est revenue, d’abord discrètement puis de plus en plus fortement, une idée que voici :
Ma mère laissait à sa mort le manuscrit d’un roman autobiographique s’arrêtant en 1924, l’année où elle rencontra mon père complété d’autres écrits de 1945 à 1952. Elle estimait qu’aucun de ses écrits n’était en état d’être publié. Je sentais bien que sa décision n’était pas sans fondement car quelque chose clochait dans ce témoignage faute d’atteindre à la qualité de vérité. C’était comme un pain d’une pâte très riche qui, faute de levain, n’aurait pas levé.
Commence à poindre en moi cette idée folle qui lui donnait sa force, celle de mon attachement à ma mère, de mon admiration que je lui vouais pour pouvoir la servir par-delà sa mort par un travail qui perpétuerait sa mémoire. Et ce travail qui m’appelait et me montrait le chemin de mon propre être m’était destiné comme une bénédiction. Cet appel reprenait celui que j’avais éludé : « que vais-je donc écrire ? »
Le travail que Dieu m’a confié, j’ai commencé par m’y mettre en août 1979 et il commença par un tout autre biais. Il commença par une méditation sur mes parents. Cette fois toute l’angoisse des cinq dernières années que je venais de vivre était englobé dans cet appel. Pourtant, cette fois encore, j’ai éludé et j’ai choisi d’être infidèle au meilleur de moi-même ; à l’instinct très sûr qui me montrait la voie d’une toute autre aventure.
Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus mais les élus sont ceux qui entendent, écoutent et suivent l’appel : Dieu choisit quand et comment il appelle mais ce n’est pas lui qui choisit les « élus », c’est nous qui choisissons.
Cette voix imperceptible de l’appel est comme un vent léger qui passe dans les herbes folles. C’est pourquoi il est si rare que nous écoutions et plus rare encore que nous suivions. C’est pourquoi sûrement, il y a si peu d’élus.
Les prophètes eux-mêmes, les mystiques, les saints l’ont d’abord récusée comme une vaine chimère, comme un songe fou avant d’oser la reconnaître et de miser leur vie sur cette foi téméraire, cette foi folle défiant toute sagesse. C’est leur foi qui les rend grands en les rendant eux-mêmes et à eux-mêmes. Non la foi à un « credo » partagé par tous, par un groupe de zélateurs mais la foi en la réalité qui passe comme la brise. C’est cela la véritable « foi en Dieu ». Nous sommes et devenons vraiment nous-mêmes quand nous écoutons cette voix seulement.
Dieu parle à voix très basse
(26 et 28 juin). Cette perspective toute nouvelle me fait embrasser ma vie dans sa globalité et avec un regard tout neuf. Je vois s’y manifester pas à pas un secret dessein, alors que j’entre dans ma soixantième année et c’est une grâce toute particulière qui m’a été signifiée expressément et de façon aussi claire.
J’ai pensé à l’apôtre Pierre et à son reniement du Christ qui venait d’être livré pour être crucifié. Relisant ce récit dernièrement j’ai beaucoup sangloté comme si c’était moi qui venait de renier et trahir celui qui devait mourir abandonné de tous.
Cette foi n’est d’autre que la foi en nous-mêmes non en celui que nous voudrions être.
Parfois pourtant la voix se fait forte et claire et parle avec puissance. Telle est-elle dans le rêve messager fait pour nous secouer d’une torpeur.
C’est miracle que l’Inimportant, le Tout patient, l’Insensé, l’Ignoré, soit écouté jamais ! Alors que le monde entier tonitrue, commande, décrète et statue, promet, menace, fulmine, excommunie et taille sans merci quand il ne massacre pas sans vergogne au nom de tous les dieux … du progrès, de la science de l’honneur…
Les voies de Dieu, je le reconnais, sont insondables, si insondables qu’on ne peut s’étonner que l’homme s’y perde.
De nos jours, le bon Dieu a passé de mode mais le cirque macabre tourne toujours aussi fort que jamais : les prêtres et les poètes font toujours leur boulot de croquemort… Seul Dieu se tait.
Années-ouvrables et années-dimanche – ou tâche et gestation
Il est temps de reprendre à nouveau le fil de mon récit. Je m’étais arrêté à la fin lamentable de la deuxième expérience communautaire survenue en août 1973… Les trente hectares de broussailles, héritage de la communauté qui s’était volatilisée, étaient laissés à mes soins. Pendant quelques années encore j’ai fait effort pour susciter la formation de jeunes néo-ruraux sur ces terrains.
A dire vrai pas un seul projet que j’entreprenais alors ne s’est réalisé.
Les cinq années qui ont suivi – 1975 à 1978 ont été des occupations seulement et n’étaient pas vécues comme de grandes tâches. J’avais passé près de trente ans de ma vie à trimer sans jamais m’arrêter- trimer math d’abord et écologie, « Survivre et vivre « , « Révolution culturelle et tout ça ensuite. Maintenant je m’accordais quelques années à muser. Cinq années-dimanche après trente années-ouvrables !
Avec le recul de plus de dix ans, je pressens que ce très long dimanche a été une chose nécessaire et salutaire. Ces années-là qui, au regard superficiel, auraient pu sembler gaspillées ont été des années exceptionnellement fécondes. C’étaient les années qui après de longues semailles ont permis de lever la moisson.