par Mathilde Fontez chef de service sciences fondamentales à Sciences & Vie – maîtrise de physique – master 2 journalisme scientifique
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Depuis un siècle la physique quantique n’en finit plus de dérouter avec ses lois étranges, irréductibles à la physique classique et incompatibles avec l’autre théorie fondamentale celle de la théorie de la relativité. Une nouvelle génération de physiciens ose considérer la physique quantique comme le cas particulier d’une théorie plus vaste exactement comme Einstein engloba celle de Galilée dans un cadre plus grand celui de la relativité. Quatre pistes se dessinent avec pour horizon le Graal de la théorie du Tout.
Qu’est ce que la quantique ?
Ce sont d’abord des règles mathématiques minimalistes de représentation– un vecteur psi (Ψ) dans un espace de Hilbert , d’évolution – comment Ψ évolue avec le temps-, d’interactivité – de mesure –le résultat est une probabilité (p) calculée à partir des paramètres mesurables.
Ce sont des phénomènes étranges :
– phénomène d’ubiquité -l’état d’une particule est défini comme une somme infinie de vecteurs et donc la particule est dans une infinité d’endroits en même temps,
– phénomène de télépathie – deux particules peuvent être inséparables et toute action sur l’une agit sur l’autre quelle que soit la distance entre les deux.
– phénomène d’incertitude – on ne peut connaître en même temps la position et la quantité de mouvement d’une particule comme par exemple celle de l’électron.
« Les effets quantiques sont déstabilisants et paradoxaux parce que nous n’avons aucune intuition ni compréhension qui pourrait permettre de les décrire » dit un de ses grands théoriciens actuels.
La mécanique quantique est d’une précision record jamais égalée : elle prédit les propriétés de l’électron à 12 chiffres après la virgule soit l’épaisseur d’un cheveu sur la distance terre-lune !
Des applications révolutionnaires : horloges atomiques, centrales atomiques et bombe H, laser, led, informatique avec transistors et semi-conducteurs, genèse de l’univers avec théorie des interactions des particules.
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les quatre pistes de la physique quantique
- Les effets peuvent précéder les causes
Selon une expérience réalisée par Cyril Branciard en 2007, menée à l’université Brisbane en Australie, un événement peut être à la fois la cause et l’effet d’un autre. C’est le principe de superposition quantique .
C’est avant tout trois théoriciens Ognyan Oreshkov, Fabio Costa et Caslav Bruckner qui en 2012 proposent une généralisation du formalisme quantique selon lequel aucune hypothèse n’est faite sur l’ordre causal suite à une expérience menée à Vienne. Il ne s’agit pas d’un ordre déterminé et inconnu mais d’un ordre fondamentalement indéterminé.
On ne sait pas ce que ce formalisme veut dire, on pense que cela va au-delà de la quantique dit Cyril Branciard physicien à l’institut Neel à Grenoble.
cf double cause.net
2.L’observateur se fond dans la théorie
Deux physiciens de Princeton Dominique Mayers et Andrew Yao ont résolu en 1998 le problème observateur/ observation en considérant l’ensemble comme une boîte noire et en se concentrant sur ce qui entre et sort de la boîte noire.
C’est l’approche la plus fertile qui a gagné la physique théorique depuis une dizaine d’années dit Alexi Grinbaum physicien et philosophe au CEA à Saclay. Il n’y a plus que des boîtes noires reliées à des sortes de circuits logiques et on regarde les corrélations entre les entrées et sorties. Cette approche est compatible avec la mécanique quantique mais elle permet de sortir du cadre et de tester des théories différentes. Surtout et pour la première fois une place est donnée dans la théorie à l’observateur car les physiciens sentent que ce concept d’observateur devenu modèle mathématique est la pierre angulaire. Voilà peut-être une théorie qui intègre une forme de conscience et esquisse une véritable » métaphysique quantique ».
3. Des super-intrications deviennent possibles
Nous n’avons pas d’intuition claire de ce que nous avons trouvé avoue Ana Belèn Sainz théoricienne au Perimeter Institut au Canada.
Dans certains cas deux particules peuvent être liées quelle que soit la distance qui les sépare. Les physiciens disent que ces systèmes sont « corrélés », » intriqués » ou « non locaux ».
En 1964, dans un célèbre théorème, John Bell a permis de quantifier cette ubiquité- cf paradoxe EPR-. Cette échelle prévoit que dans un monde classique la force de corrélation entre deux particules est toujours inférieure à 2 alors que dans un monde quantique elle peut s’élever à 2√2 ( soit environ 2,83).
Entre 1980 et 1982 Alain Aspect a réalisé la première expérience qui valide l’intrication quantique. Aujourd’hui les physiciens estiment que rien ne s’oppose au dépassement de 2,83 et les calculs disent qu’il est possible d’aller à une corrélation de 4. Il existerait des corrélations « plus que quantique ».
Découvert il y a 5 ans, un de ces ensembles a été baptisé de « presque quantique » car il comprend des corrélations qui ne surgissent jamais dans la théorie quantique dit Ana Belène Sainz. Les physiciens ne savent pas exactement ce qu’est vraiment cet ensemble qui ouvre au-delà du quantique mais le vertige est déjà là.
4.Le principe d’indétermination se généralise
la contextualité – propriété qui apparaît à la mesure du système et ne faisait pas partie de celui-ci avant cette mesure- est le phénomène caractéristique fondamental de la mécanique quantique avance Shane Mansfield théoricien à la Sorbonne. Cette caractéristique a été à l’origine présentée sous la forme du principe d’incertitude d’Heisenberg. Ce principe dit que quantité et mouvement ne peuvent pas être mesurés simultanément.
Dans les années 1960, cette notion d’incertitude est démontrée par le canadien Simon Kochen et le suisse Ernst Specker. Ce théorème va en fait plus loin que le principe d’Heisenberg : il remet carrément en cause l’idée que les caractéristiques d’un objet quantique ont des valeurs avant qu’on les aient observées.
Si la contextualité est à la base de la puissance calculatoire quantique et de l’étrangeté quantique c’est à partir de là qu’il faut espérer aller au-delà. De nombreuses équipes dans divers domaines comme le langage de l’information, les hypergraphes, les mathématiques topologiques ont reformulé le théorème de Kochen-Specker.
Le grand retour de la théorie du Tout
D’un côté, la relativité générale définit la gravité comme une propriété de l’espace-temps et définit l’univers à grande échelle et haute énergie. De l’autre, la mécanique quantique prédit les échelles infimes des atomes, électrons et autres particules.
Il existe des phénomènes communs : sans gravitation quantique impossible de savoir ce qui se passe quand on entre dans un trou noir ni de comprendre la naissance de l’univers. Depuis 100 ans il y a eu une multitude de tentatives pour réconcilier les deux théories.
Selon Carlo Rovelli théoricien à l’université de Marseille , le LHC a atteint sa puissance maximum en 2015 sans signe de particules de supersymétrie remettant en cause de nombreuses théories. Il y a aussi la découverte des ondes gravitationnelles et le fait que lors de la fusion de deux étoiles à neutron celles-ci voyagent à même vitesse que les ondes magnétiques ce que contredit aussi beaucoup de théories alternatives.
La théorie de la gravitation quantique à boucles reste en lice. Après la théorie des cordes c’est la deuxième théorie aboutie.
Une autre voie a été ouverte dans les années 1990 suite à une démonstration retentissante du physicien des cordes Juan Maldacena. Dans certains univers théoriques simplifiés les effets attribués à la force de gravitation peuvent être décrits comme des univers quantiques se déroulant à la frontière de cet univers. Mais cela reste insuffisant pour rejoindre les deux théories.
De nouvelles générations se lance dans une approche inédite : isoler les phénomènes les plus étranges de la quantique pour imaginer un au-delà. C’est avec la causalité que ce mouvement est le plus avancé car elle est un point commun aux deux théories.
La théorie du tout est bel et bien de retour !
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compléments
Réalisation expérimentale de sources de photons
uniques, caractérisation et application à la cryptographie
quantique
thèse 2004 Romain Alléaume -archives ouvertes