INDUSTRIE DE LA VIANDE : DANS LES COULISSES DE L’HORREUR

Vu sur Paris Match

Journaliste d’investigation, Anne de Loisy a enquêté durant 3 ans au cœur de la filière industrielle de la viande. Abattoirs non conformes, tromperies à répétitions, intoxications alimentaires… : dans son livre  « Bon appétit ! », elle dresse un bilan sans concession. Rencontre.

Anne de Loisy : Normalement, il doit y avoir un vétérinaire dans chaque abattoir. Dans la réalité, il n’y en a pas ou très rarement. On ne décèle plus les abcès sur les animaux par exemple. Un boucher consciencieux se rendra compte du problème et les enlèvera. Mais en industrialisation, quand on fait du steak haché, tout est broyé, abcès et ganglions compris. Dans l’abattoir de Jossigny, en Seine-et-Marne, le directeur de l’établissement m’a avoué que, faute de contrôle vétérinaire, c’est la caissière qui s’occupait de faire un premier diagnostic de l’état sanitaire des animaux et de mettre de côté les malades, blessés ou fiévreux.

Comment êtes-vous parvenue à enquêter dans ce milieu qui refuse toute transparence ?

A.d.L : J’avais déjà réalisé un sujet pour « Envoyé spécial » diffusé lors de la campagne électorale. J’ai alors pu accéder à certains abattoirs grâce à des associations comme l’Oeuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA) qui a accepté de me présenter comme une de leurs assistantes. Puis j’ai poussé d’autres portes grâce à des techniques d’infiltration. J’ai visité une quinzaine d’établissements en tout.

Qu’avez-vous constaté ?

A.d.L : L’industrialisation est le vrai problème. On doit abattre entre 50 et 60 vaches à l’heure, soit une par minute ! Celles-ci sont découpées encore vivantes alors que la réglementation stipule que l’on doit attendre la mort avérée de l’animal. Pour des questions de rentabilité, les abattoirs ont été centralisés. Suivant certains endroits, les éleveurs n’ont pas d’autres choix que de faire abattre leurs bêtes de manière rituelle ; halal ou casher. Si un éleveur d’Ile-de-France veut faire étourdir ses bêtes, il devra sortir du département et parcourir 380 kilomètres de plus. Alors désormais, quand on mange de la vache, un morceau sur deux est abattu de manière rituelle. C’est 95% pour l’agneau et entre 20 et 40% pour le poulet.

« L’INDUSTRIALISATION DE L’ABATTAGE NUIT À L’HOMME »

Pourquoi ce type d’abattage est-il en train de devenir la norme ?

A.d.L : C’est plus économique et plus simple pour l’abatteur. Les abattoirs qui pratiquaient les deux systèmes (conventionnel et rituel) étaient obligés de nettoyer les chaînes entre chaque. Entre temps, certains employés ne travaillaient pas, ce n’était donc pas rentable. Passer au tout rituel permet de réaliser des économies et de supprimer le poste d’étourdissement. Le problème également, c’est la formation des sacrificateurs. J’en ai vu un très expérimenté et habile. A contrario, j’ai, dans un second cas, assisté à une scène d’atrocité. Le sacrificateur, pas formé et apeuré, tranchait le cou des bêtes comme s’il coupait du pain. Pourtant, le sacrificateur musulman ou juif a pour obligation d’alléger au maximum la souffrance des bêtes.

Quel est le risque sanitaire ?

A.d.L : Il y a un risque de régurgitation. Le fait que l’œsophage ne soit pas ligaturé ouvre la porte à des bactéries présentes dans l’appareil digestif de l’animal. Elles peuvent se déverser sur les viandes de tête, de gorge et de poitrine. Si on prend la loi au pied de la lettre, tout doit être prévu pour que ce soit propre. Les parties contaminées doivent être ôtées. Mais si on n’enlève une grande quantité, on perd de l’argent. Alors une fois de plus, on raccourcit le process.

Animaux gavés d’hormones, malades, stressés, viande contaminée par le ténia, E.coli… Finalement, comment acheter « sainement » ?

A.d.L : Il faut privilégier les circuits les plus courts possible. Quand un boucher connaît son éleveur, s’il y a un souci, il y a un échange et les choses peuvent s’améliorer. On retrace plus facilement le parcours de l’animal. L’avantage du circuit court permet aussi à tout le monde de vivre correctement. En revanche, les marges des grandes distributions sont telles que les éleveurs n’arrivent plus à boucler leurs fins de mois. Rappelons qu’en France, 1 à 2 éleveurs se suicident chaque jour. Il est urgent de réagir.

De l’élevage à l’abatage, votre livre témoigne également de la souffrance humaine. 

A.d.L : L’industrialisation de l’abatage nuit à l’homme car la cadence est effrénée. Tous les employés, souvent peu formés, souffrent de troubles musculo-squelettiques. C’est un des secteurs où il y a le plus d’accidents. Les sols sont glissants ; on tombe, on se blesse aussi avec les couteaux.

Des associations de protection animale comme la Fondation Brigitte Bardot* ou L214* publient régulièrement des enquêtes et organisent des campagnes d’information. Pensez-vous que leurs actions puissent faire bouger les choses ? 

A.d.L : C’est à force d’informer les gens que les consciences peuvent s’éveiller. Notre plus grande force, c’est notre pouvoir d’achat. Les Français avalent 84 kilos de viande par personne et par an. Chaque consommateur, par son porte-monnaie, a un bulletin de vote entre les mains. En Angleterre, des grands chefs comme Gordon Ramsay ont montré, dans des émissions télévisées, l’envers du décor dans les élevages. Résultat : en un an, les ventes de poulet bio, par exemple, ont augmenté de 30 %. Alors pourquoi pas nous ?

« Bon appétit ! Quand l’industrie de la viande nous mène en barquette », par Anne de Loisy, éditions Presses de la Cité, 19,50 euros.

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