La Vierge Marie est-elle apparue à Medjugorje ?
Le pape François doit se prononcer sur l’authenticité des apparitions mariales de la petite ville de Bosnie. Retour sur un miracle controversé.
C’est le 24 juin 1981 qu’une « figure féminine lumineuse, au visage long et aux yeux bleus, un voile blanc sur la tête et un enfant dans les bras », apparaît pour la première fois à six enfants âgés de 6 à 16 ans sur un sentier de Medjugorje, alors petit village yougoslave et aujourd’hui en Bosnie-Herzégovine, à 110 kilomètres au sud-est de Sarajevo. Le lendemain, Vicka, Jakov, Mirjana, Ivanka, Marija et Ivan la voient pour la seconde fois. Pour la petite communauté de moines franciscains présente à Medjugorje depuis des siècles, il n’y a aucun doute : c’est la Madone qui s’est matérialisée devant les enfants. Le sanctuaire marial de Medjugorje vient de naître. Depuis ce jour, la Vierge Marie aurait révélé aux voyants dix « secrets » concernant le sort de l’humanité.
Les six jeunes voyants sont désormais des adultes. Certains d’entre eux affirment que la « dame blanche » continue à apparaître tous les jours à 17 h 45 très précisément. Pour d’autres, elle ne se manifeste que deux ou trois fois par an. Le soir de Noël notamment, elle est accompagnée de l’Enfant Jésus et de Joseph.
Miracle touristique
Deux millions de pèlerins se rendent chaque année en pèlerinage à Medjugorje, contre six millions à Lourdes. Les plus gros contingents de dévots viennent d’Italie, de France et des États-Unis. Et s’il est un miracle qui ne fait aucun doute, c’est celui de la prospérité apportée par ce tourisme religieux. Vendeurs de souvenirs, restaurants, hôtels : toute la région vit du sanctuaire.
Certains des six voyants sont restés sur les flancs de la colline Gospa, lieu de la première rencontre avec la Vierge, et d’autres sont partis aux quatre coins du monde. Marija se rend ainsi chaque année en Alabama dans une communauté appelé Caritas – sans rapport avec l’organisation de bienfaisance – vouée au culte de la Madone de Medjugorje et fondée par Terry Colafrancesco. Et c’est sur le lit des époux Colafrancesco que la Vierge apparaîtrait, notamment chaque 4 juillet, date de la fête nationale américaine. Accusé de lavage de cerveau et d’abus de faiblesse par plusieurs anciens membres de la Caritas, Terry Colafrancesco a négocié une transaction à l’amiable pour éviter les poursuites de la justice américaine.
« La Madone n’est pas le facteur »
L’Église est restée très prudente sur la Madone de Medjugorje. L’évêque de Mostar, dont dépend Medjugorje, est un fervent détracteur du sanctuaire et la Conférence épiscopale bosniaque a déclaré que rien ne permet d’affirmer qu’« il s’agit de révélations supranaturelles ». Même Jean-Paul II, pourtant friand de piété populaire et responsable de la canonisation de Padre Pio, est resté très discret sur Medjugorje. En 2010, le Vatican a ouvert une enquête, confiée au cardinal Ruini, qui a duré quatre ans et dont les conclusions, restées secrètes, ont été communiquées à la Congrégation de la doctrine de la foi, l’ex-Saint-Office.
Mais la décision finale reviendra au pape François. Et, à en juger par les propos du souverain pontife, les marchands du temple de Medjugorje ont du souci à se faire. Le 7 septembre 2013, Jorge Bergoglio a déclaré : « La Révélation s’est terminée avec le Nouveau Testament. Ceux qui cherchent des choses spéciales, des révélations privées, n’ont qu’à lire l’Évangile. » Le 23 novembre 2013, il s’est fait encore plus précis : « La Madone n’est pas un facteur qui envoie des messages tous les jours ! » Et le 9 juin dernier, de retour de Bosnie, il a encore enfoncé le clou : « Mais qui sont ces voyants qui nous annoncent la lettre de la Madone tous les jours à 16 heures et qui gagnent de l’argent avec ça ? »
Une « non-décision »
La messe serait-elle dite ? Pas forcément. Car les avis des cardinaux sont partagés. « L’Évangile se reconnaît aux fruits qu’il donne et le sanctuaire de Medjugorje a donné des fleuves de grâces », a ainsi déclaré le cardinal Schonborn.
Subtil, le cardinal Ruini, président de la commission d’enquête, a évoqué « une réponse articulée ». Or, dans le langage ecclésial, la position d’un mot change tout. Ainsi, un « non-constat de surnaturalité » n’est pas la même chose qu’un « constat de non-surnaturalité ». Dans le premier cas, une « non-décision » dont pourrait bénéficier Medjugorje et qui a des précédents. Ainsi, l’Église s’est bien gardée de confirmer l’authenticité du suaire de Turin, contredite par des analyses au carbone 14, pas plus que son inauthenticité. Elle se borne à considérer que la piété qu’il suscite est d’ordre divin.