Jésus, personnage historique ou mythe ?- Jean-Marie Salamito en réponse à Michel Onfray

Une introduction par Elian Cuvillier, professeur de Nouveau Testament à l’Institut protestant de théologie

 

 

 

 

30 novembre 2017

Dans son ouvrage Décadence, Michel Onfray s’en prend avec virulence au christianisme antique et à son héritage. Selon le philosophe, la personne de Jésus n’est qu’un mythe sans consistance historique et la religion chrétienne se trouve à l’origine des violences et de l’intolérance qui obscurcissent, jusqu’à nos jours, le devenir de l’Occident, à travers son lien étroit au pouvoir politique.

Il revient ici à Jean-Marie Salamito de répondre point par point à ces affirmations aussi définitives que contestables : non, le christianisme n’est pas un obscurantisme bon à jeter aux poubelles de l’histoire. L’existence et le message de Jésus sont bel et bien attestés. Saint Paul n’est pas l’inventeur d’une religion obscurantiste qui manie le glaive. Et l’on ne peut réduire la relation Eglise/politique au seul épisode de Constantin. Et si le christianisme décrit par Michel Onfray n’était, au fond, qu’un mythe, une vision réinventée et caricaturée, sans plus de réalité que les personnages fantasques de Lewis Carroll ?

Jean-Marie Salamito, normalien, agrégé de lettres classiques, est professeur d’histoire du christianisme antique à la Sorbonne (Paris-IV). Spécialiste de saint Augustin, il a publié Les virtuoses et la multitude (Editions Jérôme Millon) et Les chevaliers de l’Apocalypse. Réponse à MM. Prieur et Mordillat (Lethielleux/DDB). Il a récemment codirigé avec Bernard Pouderon et Vincent Zarini, chez Gallimard, le volume de la Pléiade consacré aux Premiers écrits chrétiens.

Monsieur Onfray au pays des mythes (sur Wikipedia)

 

Propos de l’ouvrage

On peut résumer le message de Salamito par cet extrait de l’« envoi » qu’il adresse à Onfray en guise d’épilogue : « Que vous critiquiez le christianisme ancien ne choquerait en moi ni l’historien ni le citoyen ni même le chrétien, si vous y procédiez avec les armes de la raison, les ressources des sciences et un sens minimal des nuances. Mais que vous le fassiez avec une bibliographie bancale, des sources lues trop vite, des affirmations sans fondement, des généralisations abusives, de grossiers amalgames et une assurance qui confine au dogmatisme, cela déçoit en moi l’historien, attaché à l’exigence d’un travail rigoureux, le citoyen, aspirant à un débat ouvert et éclairé, et le chrétien, partie prenante, à sa petite place, d’une tradition religieuse qui, depuis ses origines, n’a guère négligé l’histoire ni sous-estimé l’intelligence. »

Les principales affirmations d’Onfray qui sont contredites par Salamito sont les suivantes :

1) Que Jésus n’aurait eu aucune existence matérielle;

2) Que Paul de Tarse (saint Paul) ait été un impuissant névrosé qui aurait transféré son handicap à l’Église en lui enseignant la haine du corps;

3) Que Augustin d’Hippone (saint Augustin) ait prêché la violence contre les non-convertis;

4) Que le christianisme ait connu son essor essentiellement grâce à une violente coercition politique instituée par l’empereur Constantin et ses successeurs.

Dans Le Devoir du Louis Cornellier expose un argument central du livre révélant bien l’esprit de l’ensemble de celui-ci : « […] le portrait de Jésus que trace Onfray ne tient pas la route. Pour appuyer sa thèse selon laquelle Jésus serait un personnage imaginaire, un mythe, le philosophe affirme que les écrits le concernant le dépeignent sans corps, comme un concept plus que comme une personne. Une simple lecture des Évangiles canoniques permet pourtant de découvrir un Jésus qui mange et boit — on le traite de glouton et d’ivrogne —, qui dort et qui pleure. Onfray les a-t-il lus ? »

Salamito émaille sa thèse de très nombreuses citations du Nouveau Testament et d’autres textes de l’Antiquité. Il reproche à Michel Onfray de ne s’intéresser qu’aux sources mythologiques, en négligeant les sources historiques sérieuses. Il fait remarquer que la seule source récente dans la bibliographie de Décadence est une brochure de propagande communiste anti-chrétienne de 1963, et qu’après l’année 1963, Michel Onfray ne cite pas un seul livre sur Jésus ou le Nouveau-Testament.

Le Devoir -Louis Cornellier -5 septembre 2017

 

Michel Onfray a beaucoup de lecteurs et d’admirateurs, au Québec et ailleurs. Cela se comprend. Le philosophe français a du nerf, du front, du style et un évident charisme médiatique. Or, en matière de rigueur et de bonne foi, le penseur ne brille pas par son exemplarité.

Son Traité d’athéologie (Grasset, 2005), par exemple, présentait Hitler comme un chrétien convaincu et avançait que le nazisme était compatible avec le christianisme, afin de discréditer ce dernier. Cette thèse délirante, pulvérisée par la théologienne Kathleen Harvill-Burton dans Le nazisme comme religion (PUL, 2006), a été, pour moi, la goutte qui a fait déborder le vase. Avant, j’aimais lire Onfray. Depuis, je reçois tout ce qu’il écrit avec de très grosses réserves. Souvent divertissant, l’essayiste, en effet, n’est pas fiable.

Professeur d’histoire du christianisme antique à la Sorbonne, Jean-Marie Salamito en arrive à la même conclusion. Après avoir lu Décadence. De Jésus à Ben Laden, vie et mort de l’Occident (Flammarion, 2017), la récente somme d’Onfray, l’historien confiait au magazine La Vie, en mai 2017, que 80 % des affirmations du philosophe concernant le christianisme des origines sont inexactes ou fausses.

Scandalisé par tant d’hostilité et d’ignorance, Salamito, qui n’a rien d’un polémiste, a résolu de ne pas laisser passer les élucubrations du philosophe. Son Monsieur Onfray au pays des mythes. Réponses sur Jésus et le christianisme (Salvator) relève de l’exercice de salubrité intellectuelle.

Jésus : mythe ou vérité ?

Depuis des années, Onfray va répétant que Jésus de Nazareth n’a jamais existé. Pourtant, note Salamito, « à l’échelle mondiale, l’existence historique de Jésus fait de nos jours l’objet d’un consensus dans le public et, plus encore, chez les spécialistes de l’Antiquité, du Nouveau Testament et des origines chrétiennes ».

Les sources citées par le philosophe pour nier l’existence de Jésus sont dépassées, explique Salamito, ou douteuses. Onfray rejette les Évangiles canoniques, « les sources les plus fiables et les plus précises sur Jésus », écrit l’historien, pour leur préférer des écrits apocryphes déconsidérés par les spécialistes.

 » Il faut le dire une dernière fois, c’est la théorie de la non-existence de Jésus qui est un mythe. C’est même, par contraste avec la richesse des recherches philologiques, historiques et archéologiques sur le judaïsme antique, le Nouveau Testament et les origines chrétiennes, une sorte de régression intellectuelle. »

De plus, le portrait de Jésus que trace Onfray ne tient pas la route. Pour appuyer sa thèse selon laquelle Jésus serait un personnage imaginaire, un mythe, le philosophe affirme que les écrits le concernant le dépeignent sans corps, comme un concept plus que comme une personne. Une simple lecture des Évangiles canoniques permet pourtant de découvrir un Jésus qui mange et boit — on le traite de glouton et d’ivrogne —, qui dort et qui pleure. Onfray les a-t-il lus ? Pour Salamito, « c’est la théorie de la non-existence de Jésus qui est un mythe ».

Salir le christianisme

L’historien ne cache pas son irritation devant les grossièretés débitées par Onfray. Spécialiste de saint Augustin, Salamito n’en revient pas de lire, dans Décadence, que l’auteur des Confessions aurait été un évêque animé par de fortes ambitions politiques, voire un homme violent. Le philosophe, accordons-lui cela, reprend là des thèses formulées par certains spécialistes du personnage. Augustin, réplique toutefois l’historien, a cultivé sa vie durant « la pauvreté monastique », n’a justifié que des guerres défensives et détestait la violence. Il faut dire que, pour Onfray, même Jésus justifie la violence en chassant les marchands du Temple !

Onfray, au fond, ne veut pas, comme il le prétend, comprendre ; il dit n’importe quoi — Paul souffrait d’impuissance sexuelle, Jean le Baptiste n’a jamais existé, le christianisme est nécessairement antisémite —, sans preuve, sans justification, pour salir le christianisme. De nos jours, malheureusement, cela suffit pour faire recette.

Salamito sait bien qu’en matière de notoriété et de flamboyance, il ne fait pas le poids devant Onfray. « Vous êtes une star, je suis un tâcheron de la recherche et de l’enseignement, lui écrit-il. Vous êtes un homme des médias et moi du quotidien. » Il relevait néanmoins de son devoir, précise-t-il, non pas de défendre le christianisme dans la position du croyant, ce qu’il est aussi, mais de faire oeuvre d’historien dans ce débat.

« Il existe, écrit Salamito, un socle de connaissances que n’importe qui peut admettre, et à partir duquel chaque conscience peut bâtir en toute liberté des interprétations. C’est ce socle, ce bien collectif, que Décadence met en péril. » Il fallait répliquer. L’historien, sans compromis mais sans hargne, a bien fait son travail.

Laurent Dandrieu, dans Valeurs actuelles, rapporte que Salamito livre sur un ton courtois une analyse sereine, précise et puissamment documentée8.

Pour sa part, le philosophe Patrick Rödel, dans Mediapart, affirme : « Cela s’appelle une leçon – magistrale et morale – de quelqu’un qui sait, d’un savoir partagé, à quelqu’un qui prétend savoir et être le seul à savoir. Jean-Marie Salamito est professeur d’histoire du christianisme antique : il a lu les textes, il connaît les études qui leur ont été consacrées, il sait faire le tri entre ce qui est avéré, ce qui est en débat, ce que nous ne pourrons sans doute jamais savoir parce qu’il nous manque des documents, il a la volonté de comprendre. Michel Onfray est un philosophe médiatique qui sait adapter son travail aux exigences de la télévision : pas de démonstrations argumentées, mais des affirmations péremptoires qui ont pour but de démolir ce qu’il a choisi comme punching-ball […] 9. »

Enfin, dans La Revue des Deux MondesSébastien Lapaque écrit : « La documentation de Michel Onfray est va

 

Trad. de différentes langues par un collectif de traducteurs. Édition publiée sous la direction de Bernard PouderonJean-Marie Salamito et Vincent Zarini avec la collaboration de Gabriella AragioneGuillaume BadyPhilippe BobichonCécile BostFlorence BouetMarie-Odile BoulnoisCatherine Broc-SchmezerMarie-Ange Calvet SebastiMatthieu CassinFrançois Cassingena-TrévedyFrédéric ChapotRose Varteni ChetanianLaeticia CiccoliniHélène Grellier DeneuxSteve JohnstonMarlène KanaanSébastien MorletThierry MurciaPierre PascalMarie-Joseph PierreJean Reynard et Joëlle Soler

Textes traduits du grec ancien, du latin, de l’arabe, de l’arménien, de l’hébreu, du slavon et du syriaque

. Index de Jérémy Delmulle

Collection Bibliothèque de la Pléiade (n° 617), Gallimard
Parution : 20-10-2016

 

 

voir aussi  sur Agoravox : le véritable Jésus du professeur Guillemin

 

 

 

Jean-Marie Salamito en réponse à Michel Onfray :

 

 

11 janvier 2017 –

Quatrième de couverture

Les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain : autant de traces de civilisations mortes prouvant… qu’elles sont mortelles! La nôtre, vieille de deux mille ans, n’échappe pas à cette loi. On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur «paradis à l’ombre des épées», de grands inquisiteurs, des procès d’animaux, la résurrection de Lucrèce, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, sans parler de mille autres choses… Ce livre n’est ni optimiste ni pessimiste, mais tragique, car il ne s’agit plus de rire ou de pleurer, mais de comprendre. –

Thèse mythiste ( Jésus)

(sur Wikipedia)

La thèse mythiste est une théorie selon laquelle Jésus de Nazareth n’a pas de réalité historique : le personnage de Jésus serait une création mythique ou mythologique. Cette thèse est née à partir du xviiie siècle et du développement des méthodes historico-critiques dans l’étude des textes du Nouveau Testament. Elle tente d’expliquer entre autres l’apparition du christianisme ancien.

Selon certaines variantes de cette thèse, Jésus est un personnage légendaire, mythique, haussé à une dimension archétypale, et qui a la même (in)consistance que les personnages décrits par exemple dans Le Rameau d’or de James George Frazer. Il est ainsi souvent comparé à MithraDionysosSol Invictus ou Esculape. Selon d’autres courants, sa personnalité est le fruit d’une élaboration théologique, ayant pris progressivement une dimension historique à partir du iie siècle de l’ère chrétienne. Dans ce contexte, Jésus devient un personnage conceptuel, instrumentalisé par les premiers chrétiens.

Cette thématique se développe selon deux axes complémentaires :

  • d’une part, aucun document probant et aucune preuve archéologique n’attesteraient de l’existence de Jésus de Nazareth : les textes chrétiens ne seraient pas dignes de foi, et les textes non chrétiens seraient d’authenticité douteuse ou pourraient être l’écho du discours chrétien ;
  • d’autre part, des indices peuvent amener à croire qu’il serait un personnage mythique ou fictif.

La thèse de l’inexistence historique de Jésus est restée marginale au sein de la recherche historique académique, complètement rejetée par les spécialistes universitaires du christianisme depuis la fin des années 1930.

La thèse mythiste a néanmoins continué d’être reprise régulièrement par des auteurs en dehors du milieu académique. Elle a été défendue dans les médias au début des années 2000, par exemple aux États-Unis par Earl Doherty, et en France par Michel Onfray, lequel a repris les thèses de Paul-Louis Couchoud et Prosper Alfaric.

 

 

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