Introduction : Jésus de Nazareth

 

(Daniel Marguerat, né le 30 octobre 1943, à Lausanne, est un exégète et bibliste suisse, professeur émérite de théologie protestante de l’université de Lausanne, spécialiste de la narratologie appliquée aux recherches sur le Nouveau Testament.)

Il est évident que le mouvement chrétien n’est pas né d’un coup. Ni d’un geste de Jésus. Le parcours qui l’a conduit du judaïsme sectaire à une forme institutionnelle autonome fut long. Deux faits contradictoires doivent être pris en considération : Pâques marque le changement de statut du Nazaréen qui de propagateur d’un message devient objet de prédication. C’est à cette date que l’on peut faire remonter le christianisme. Mais la foi chrétienne vit d’une référence obligée à l’homme de Nazareth. D’ailleurs Jésus a rassemblé autour de lui un groupe d’adhérents qui constituera le noyau de la communauté.

I. Reconstruire la biographie de Jésus : une tâche possible ? 8 –

La « quête du Jésus de l’histoire » : on reconnait à Samuel Reimarus ( 1694-1768) l’initiative de cette quête qui consiste à rassembler la documentation ancienne et procéder à son examen critique.

1. Les sources documentaires, 8

Aucun document ne nous est parvenu de sa main. Il existe quatre type de sources documentaires qui proviennent de l’historiographie romaine, de la littérature juive, du Nouveau Testament ou de la littérature chrétienne extra-canonique.

Les sources romaines

Pour les Romains, Jésus n’avait aucune espèce d’intérêt et seule la foi des premiers chrétiens est signalée pour les troubles qu’elle provoque.

Vers 116/117, Tacite, historien et sénateur, évoque dans ses Annales l’incendie de Rome.  Il partage la haine que voue le peuple à ceux qu’anime « la haine de la race  humaine » mais condamne la façon dont Néron fit porter sur les chrétiens, nom qui vient de Christ condamné par Ponce Pilate procurateur ( praefectus, titre militaire ou préfet de Judée ) de Tibère alors empereur de Rome.

Vers 111, Pline le Jeune( avocat et consul) parle de la vénération des chrétiens de Bythinie pour Christus.

Plus explicite est le témoignage  du rhéteur Lucien de Samosate   qui dans son pamphlet  De morte Peregrini   ( vers 169/170) parle de ce grand homme qui a été empalé en Palestine pour avoir introduit une célébration religieuse nouvelle.

Les sources juives

La Michna qui est la compilation ( rajouté : vers le début du IIIième siècle) de l’enseignement des sages d’Israël  ne contient aucune mention de Jésus. Les productions plus tardives ( le Talmud de Jérusalem et celui de Babylone) présentent quelques notations polémiques à l’encontre du Nazaréen. Notamment, un passage du traité du Sanhédrin dans le Talmud de Babylone parle de Yéchou qui « fut pendu au soir de la veille de Pâques … »

Dans l’ensemble, le mutisme des rabbins   s’explique par le conflit très tôt envenimé entre juifs et chrétiens.

L’historien juif Flavius Josèphe se réfère  par deux fois à Jésus dans son oeuvre Antiquités juives publiée en 93-94. La première présente Jacques comme « frère de Jésus appelé le Christ » et il n’y a pas lieu à penser à une surcharge chrétienne du texte original.

Le Nouveau Testament 

Pour le nouveau Testament l’attestation première dans l’ordre chronologique émane  de l’apôtre Paul.   dont la correspondance rédigée par l’apôtre entre 50 et 58 contient peu de références à la vie de Jésus. On identifie chez lui la structure fondamentale de l’éthique de Jésus qui est celle de l’amour. ( Galates 5, 14    équivalent à Marc 12, 29-31). On retient aussi la cohérence essentielle entre la vie et la mort de Jésus (2 Corinthiens 8,9 ; Galates 1,3 ; Romains 2, 24s)

La deuxième source est un recueil des sentences de Jésus , la source des logia (dite aussi source Q , source commune à Matthieu et Luc)

Un troisième groupe est constitué des trois plus anciens évangiles dit synoptiques L’évangile de Marc rédigé vers 65. Marc, lui aussi, hérite de sources plus anciennes rassemblées avant lui et déjà mises par écrit. Selon la tradition il aurait recueilli le témoignage de Pierre.

Quatrième source : l’évangile de Jean rédigé vers 90.  Par comparaison avec les trois premiers évangiles il recélerait peu d’informations fiables mais sur plusieurs points livre des données précieuses ( durée du ministère de Jésus et date de sa mort)

La littérature chrétienne extra-canonique : On range sous cette appellation une masse d’écrits échelonnés entre le IIè et VI è siècle. Ces documents aussi appelés « apocryphes « parmi lesquels on peut citer : l’évangile des nazaréens , l’évangile des ébionites, l’évangile des hébreux. Ces textes sont marqués par le durcissement entre Synagogue et Eglise après la seconde guerre juive de 135.

LEvangile de Pierre – rédigé entre 100 et 150) et l’Evangile de Thomas, d’origine copte, sont nettement plus conséquents.

Mentionnons aussi le Protévangile de Jacques (150-200) qui recourt largement à la fiction théologique.

De ces trois évangiles celui de Thomas est le plus fructueux.

Possibilités et limites de la reconstruction historique 

Pour ce qui concerne Jésus nous disposons de sources documentaires abondantes, d’origines diverses. Aucun personnage de l’Antiquité ne dispose d’une telle richesse.

Mais ce constat doit être immédiatement nuancé : hormis le Testimonium Flavianum  et les références forfaitaires  des historiens de l’Empire, l’essentiel des sources provient de la littérature chrétienne.

Or, celle-ci est immédiatement exposée aux soupçons de subjectivité. Elle n’a pas le statut de compte-rendu neutre. Dans sa quête de l’histoire, l’historien moderne soumet donc les évangiles à un questionnement de type documentaire. (Il en résulte que) nul ne peut avec une garantie suffisante, situer dans l’espace et dans le temps la plus grande partie des paroles et des gestes attribués à Jésus.

Quelques repères sûrs demeurent pourtant : activité essentielle en Galilée, conflit montant avec les autorités religieuses d’Israël, exécution décidée par les Romains sur dénonciation juive.

2. Les critères d’authenticité 

En l’absence de documents autographes, « l’authentique »,  pour un homme dont la langue est l’araméen et la tradition transmise en grec, n’est pas le registre verbal mais sémantique.

Par authentique nous ne comprenons pas la restitution des propos de Jésus mais la coïncidence la plus proche avec la substance et l’intentionnalité des mots ou gestes du Nazaréen. Les chercheurs usent de quatre critères principaux et deux secondaires :

1. critère d’attestation multiple : sont réputés authentiques les faits et gestes attestés par au moins deux sources.

2. critère de l’embarras ecclésiastique : sont retenues les paroles ou actes de Jésus qui ont créées des difficultés dans les premières communautés chrétiennes.

3. critère d’originalité : Une tradition peut être considérée authentique à ,condition de n’être pas la pure  reprise d’un motif présent dans le judaïsme. Exemple : « laissez les morts enterrer leurs morts » ( Luc 9,60)

4. critère de plausibilité historique : par exemple le fait que deux courants anciens du christianisme aient pu défendre l’un l’attachement à la Torah ( Matthieu ) et l’autre le détachement à l’égard de la Loi ( Paul et Marc) fera attribuer à Jésus une position qui génère ces deux développements.

A ces quatre critères s’ajoutent deux critères adjacents :

5. le critère de cohérence : une logique doit être recherchée entre ses paroles et ses gestes.

6. Une logique de crise : toute reconstruction doit faire apparaître ce qui a déclenché le conflit mortel entre Jésus et les leaders religieux juifs.

 

II. Le cadre historique et géographique de la vie de Jésus 17

  1. Situation politique de la Palestine au 1ier siècle, 17 —

La mainmise de Rome sur la Palestine et entre autre sur la région de la Judée et  de la Galilée, date de l’intervention des légions de Pompée en 63 av JC. et depuis lors cette région vit sous l’autorité directe ou indirecte de Rome, Pompée mettant fin ainsi à la dynastie juive des Hasmonéens qui avaient reconquis la Samarie (134-104 av JC) et la Galilée (105-104 av JC).

Rome disposait de trois formules institutionnelles :

  • les provinces sénatoriales étaient placées sous l’autorité d’un proconsul redevable de sa gestion devant le Sénat.
  • les provinces impériales : gouvernées par un légat de l’empereur entouré de chefs militaires et de procurateurs. ( exemple la province de Syrie avec siège Damas). Les plus éloignées ou les plus remuantes des provinces recevaient le rang  de provinces procuratoriennes administrées non par un sénateur mais par un membre de l’ordre équestre ( exemple : la Judée dont les légions stationnées dépendaient du gouverneur de Syrie, le préfet de Judée ne disposant que de troupes auxiliaires).
  • la royauté alliée : les souverains disposaient de la gestion politique mais devaient une gestion sans faille à Rome. Ainsi Hérode le Grand reçut le titre de roi de Judée en 40 av JC. Son règne dura jusqu’en 4 av JC et sa succession ne fut pas sans problème : l’un de ses fils, Archelaüs, reçut le titre d ‘ethnarque et eu autorité sur la Judée, la Samarie et l’Idumée. En 6 ap JC Auguste le déposa et Judée et Samarie devinrent provinces sénatoriales gouvernées par Hérode Antipas jusqu’en 39. Durant la jeunesse et l’activité de Jésus  Galilée et Judée connaissaient deux régimes différents : la Galilée était un royaume juif sous contrôle romain et la Judée vivait un régime d’occupation dirigé par un préfet aux ordres de l’empereur alors que le sanhédrin et et le grand prêtre s’occupaient des questions religieuses.
  1. Naissance et mort de Jésus : la datation, 19

C’est Denys le Petit qui, au quatrième siècle, a établit le comput chrétien. L’unique information sur la date de naissance de Jésus provient des Evangiles. Elle  incompatible avec la date de recensement du gouverneur de Syrie. On situe donc la date de naissance de Jésus entre -7 et -4 av JC.

Le lieu de naissance est Bethléem, « la ville de David ».  Les hypothèses de naissance entre Nazareth et Bethléem restent ouvertes. Les évangélistes de même que  Paul sont unanimes ;: Jésus avait des frères et soeurs (mais dans la Bible le terme frère pouvait désigner un cousin.)

La mort de Jésus est dite le jour de la fête de Pâque juive par Marc soit le 15 du mois de Nisan alors que Jean la situe le 14 veille de la Pâque ce qui est plus plausible. ( soit le 7 avril 30 plus crédible  ou le 3 avril 33)

 

  1. La Galilée du 1er siècle, 21.

L’économie de la Galilée se compose avant tout d’agriculture et pêche. La vie se polarise entre riches propriétaires et petits paysans et journaliers. La, vie de ces derniers est précaire et une mauvaise récolte ou l’absence de travail peuvent les ruiner entraînant leur vente en esclavage. Il y avait alors une triple imposition : celle des Romains, celle d’Hérode Antipas et l’impôt du Temple. Il y avait aussi des tensions entre la culture urbaine et villageoise, la première où se concentrait la richesse.

L’activité de Jésus se situait autour de Capharnaüm et il partageait la culture et les soucis des petits artisans, paysans et pêcheurs.

Du point de vue religieux, la renommée des Galiléens auprès des Judéens est notoirement mauvaise : « il ne sort pas de prophète de Galilée » ( Jean 7, 52) et le grand  rabbi Ben Zakkaï  s’est écrié vers 70 :  » Galilée, Galilée tu hais la Torah ! ». Déjà Esaï parlait de « Galilée des nations » pour désigner cette terre de païens qui à la suite de sa colonisation sous le règne d’Aristobule 1er ( 105-104 av JC ) avait été judaïsée. Elle parlait araméen.

III. Jean le Baptiseur et les prophètes de renouveau 23

L’un des faits les plus sûrs de la vie de Jésus est son baptême par Jean dans le Jourdain.  Jean n’est pas une figure unique en son genre dans le judaïsme palestinien du Ier siècle où l’on observe une constellation de groupes messianiques protestataires axés sur un programme du renouveau.

  1. Jésus, disciple de Jean le Baptiseur, 23 —

Les Evangiles font de Jean le précurseur de Jésus ( Marc 1,7). Historiquement Jean fut le maître et Jésus le disciple.  Jean exerçait son activité sur les bords du Jourdain en un lieu désertique appelée Béthanie. ( Jean 1,28). Jésus s’est associé étroitement au mouvement du Baptiseur avant de s’en séparer et conduire un ministère autonome.

Le baptême de Jean a une valeur sacramentelle.  L’unicité de son baptême tranche sur la répétition des rites d’ablution auxquels se soumettaient les juifs pieux notamment à Qumrân. Le fond du message de Jean est eschatologique. Il rompt avec la filiation  illusoire d’Abraham et il prescrit une rémission des péchés par le baptême s’écartant ainsi des sacrifices expiatoires mis en place autour du Temple.

Son baptême vient du ciel et non des hommes dira Marc ( Marc 12, 30-32). Les raisons de la rupture de Jésus avec Jean nous échappent mais on peut relever quatre différences :

  • Jésus n’est pas un ascète contrairement à Jean qui pratique l’ascèse vestimentaire ( habit en poil de chameau) alimentaire ( sauterelles et miel sauvage) et domiciliaire ( vie au désert). Jésus au contraire est l’homme des foules et des villages.
  • Le Dieu de Jésus est un Dieu de la grâce, de l’amour sans limite qui aime les mauvais comme les bons ( Matthieu 5, 45)
  • Aucun geste thérapeutique n’est attribué à Jean alors que le miracle est une action forte de Jésus.
  • Jésus n’introduit pas la pratique du baptême dans son groupe que l’Eglise reprendra après lui. Jésus transfère le pardon dans le rapport à autrui et le ritualise par des gestes de communion et de compassion. Jean est crieur de l’aube et son baptême une offre de dernière minute alors que Jésus est un charismatique doué d’un exceptionnel pouvoir de rayonnement.

2.Les prophètes messianiques du renouveau, 26.

La vie de Jean le Baptiseur finit mal. Selon Flavius Josèphe il fut exécuté à la forteresse de Machéronte sur ordre d’Hérode Antipas. Celui-ci a conduit en Galilée et en Transjordanie une politique moderniste. Participer à la cour d’Hérode revenait à opter pour la mode hellénistique au mépris des valeurs traditionnelles juives. Ce réflexe de modernité était dans l’air du temps. La résistance des juifs y fut plus vive qu’ailleurs.

Quant au préfet Pontius Pilatus son portrait selon Flavius Josephe et Philon d’Alexandrie ressemble peu à celui arrangé des Evangiles.  Tout porte à penser qu’il fut partisan d’une répression sans faille et aussi l’agent zélé d’une stratégie romaine d’assimilation culturelle.

Cette survie des traditions juives provoqua l’effervescence de la piété messianique.  A la mort d’Hérode le Grand (-4) le vide de pouvoir fit surgir de nombreux prétendants messianiques au trône.

On peut citer Anthrongès, un berger aspirant à la royauté, Simon ancien esclave du roi, ceint lui aussi du diadème, Judas le Galiléen  en qui l’on voit l’initiateur de l’idéologie zélote et qui soutient contre Rome la théologie de l’appartenance de la terre au Dieu d’Israël. Puis après la mort de Jésus il y eut l’affaire du mont Garizim où un prophète samaritain entraîna des foules pour voir la vaisselle sacrée que Moïse y avait enterrée. Il y eu aussi l’Egyptien qui rameutait la foule au mont des Oliviers et aussi Theudas qui parvint à rassembler quatre cents hommes. Toutes ces figures protestaient contre la souillure du pays par l’occupation romaine.

A la différence de ces hommes et mouvements Jésus malgré sa parenté avec ses mouvements prit ses distances car il ne lie jamais ses actes à l’exode. Toute idée de reconquête du pays est exclue. L’état de disciple de Jésus n’est pas volontaire ni provisoire. Jésus n’est pas marié et exerce une activité nomade. Il est radicalement séparé de l’idéologie zélote par son éthique de non résistance à autrui ( Luc 6,27-36)

Avec les hassidim, les pieux, Jésus a en commun l’activité charismatique : guérisons, exorcisme et visions.

Il n’est pas plus proche du sage cynique connu du monde gréco-romain, moraliste hirsute égrenant ses paradoxes dans un discours subversif.

Que perçoit alors au coeur de sa conviction ?

IV. Au cœur de la conviction de Jésus : le Règne de Dieu 30

Au coeur du discours et de l’agir de Jésus se trouve une notion toujours présente mais jamais définie : le Règne de Dieu. Elle va de soi pour le judaïsme ancien et remonte au Psaumes où s’exprime l’idée d’une royauté permanente et éternelle du Dieu d’Israël. Cette royauté universelle est magnifiée dans le culte céleste célébré par la cour des anges et reconnue dans le culte terrestre qui lui est rendu au Temple de Jérusalem.

  1. Le Règne de Dieu déjà présent, 31 

Jésus ne fait que partager l’espérance commune de son temps en une venue future du Dieu-Roi. Elle se réalise déjà avec lui : pouvoir de chasser les démons qui lui vient de Dieu. La force de Dieu se coule dans l’agir de Jésus. Aux soixante-douze disciples qui lui rendent compte du succès de leur pratique Jésus répond :  » Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair  » (Luc 10,18)

Le verbe « voir » n’est pas l’unique attestation d’une expérience visionnaire de Jésus mais cette expérience lui a communiqué que le grand basculement du rapport de force entre Dieu et Satan a commencé. Dieu prend le pouvoir doit se vivre au présent dans une expérience qu’il faut bien dire mystique.

  1. Une pratique thérapeutique, 32  . La vision de Jésus n’est pas fortuite et il s’agit de la pratique à laquelle il entraîne ses disciples. Cinq types de miracles lui sont attribués : des guérisons allant jusqu’à la réanimation de morts, des exorcismes, des miracles justifiant une pratique (ex : transgression sabbat), des prodiges de générosité  ( multiplication des pains) et enfin des sauvetages sur le lac.

Aucun de ces types de miracles n’est inconnu de la littérature gréco-romaine (ex : Appolonius de Tyane chez les Romains)  ou des écrits juifs (le rabbin  Honi ou Hanina ben Dosa)

Les interlocuteurs de Jésus ne constent pas ses miracles mais l’accusent d’agir au nom de Béelzéboul ( Bezébuth)le chef des démons ( Marc 3, 20-22). Ils l’accusent de faire de la magie. Jésus se fait le vecteur du pouvoir de Dieu qui prend possession de l’humanité.

Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez: 5les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.…(Matthieu 11 : 4)

Dans la mentalité juive, la maladie a rapport avec le péché mais Jésus refuse d’attribuer la souffrance à une faute personnelle (Jean 9, 2)

  1. Conjurer la déception, 33 

Jésus ramène au présent ce que ses contemporains attendaient du futur. ( parabole du grain de moutarde (Matthieu 13, 31-32) et du levain ( Matthieu 13,33). Le règne de Dieu n’est pas vu comme une dynamique de progrès mais une structure de contraste. La grandeur future se voit dans la médiocrité des petits commencements. Jésus le regard sur l’actualité du Règne et non la fin des temps. En cela il se sépare de la spiritualité apocalyptique : le règne est à découvrir « parmi vous ». Le miracle concrétise la venue du Règne et la parabole éclaire la mystérieuse présence de Dieu.  ( parabole du fils perdu, Luc 15, 11-32) , l’invitation au festin ( Luc 14, 16-24) le débiteur impitoyable ( Matthieu 18, 23-35), la parabole du Samaritain ( Luc 10, 30-37), le pharisien ( Luc 18, 9-14)

  1. Un Règne à l’horizon de l’histoire, 34 

Nous avons parlé jusqu’ici de la dimension présente du Règne de Dieu dans la conscience. Les source documentaires abondent en faisant état d’un Règne encore à venir :  » Père que soit sanctifié ton nom, que vienne ton Règne  » ainsi débute la prière dans laquelle s’exprime l’identité du groupe de Jésus ( Luc 11,1). Jésus s’est exprimé aussi sur le temps de la fin ( Marc 13)

Le futur du Règne comporte inévitablement, comme la tradition juive, un jugement divin portant sur les oeuvres des hommes.

Le Règne de Dieu n’est pas un segment de calendrier met une dynamique que Jésus met en branle. L’histoire bascule déjà, Dieu est à la porte. Au temps nouveau correspond la mise en place de comportements nouveaux.

 

V. La refondation de la Loi 35

Comment Jésus s’est-il situé ? A-t-il approuvé ou rejeté l’autorité de la Torah ?  La chrétienté subséquente se réclamera de lui pour soutenir deux points de vue opposés : d’un côté, un courant critique envers la Loi, avec Paul et Marc qui propage un Evangile sans Loi et d’un autre côté, Matthieu et Jacques qui maintiennent l’autorité de la Loi en régime chrétien. Quelle fut la position de Jésus ?

  1. Respecter ou transgresser la Loi, 36 

Observer les interventions de Jésus sur la question de la Loi donne lieu, d’emblée, à deux considérations.

Premièrement les strates les plus anciennes de la tradition n’ont retenu aucune déclaration de Jésus sur l’autorité ou la validité de la Torah.  Jésus s’est exprimé de cas en cas, s’inscrivant dans l’espace de reconnaissance de la Loi sans la problématiser comme telle.

Deuxièmement, la tradition a retenu le souvenir  de l’étonnement des foules : « parce qu’il les enseignait en homme qui a autorité et non comme les scribes. ( Marc 1,22). Jésus ne fonde pas d’école de la Torah et ne s’engage pas dans la réglementation casuistique que l’on appelle la halakah. (ensemble des prescriptions, traditions).

Le débat entre Jésus et les scribes s’est enflammé sur la question du sabbat que Marc désigne comme la cause de la mort de Jésus.  En effet Jésus choisit le jour du sabbat pour effectuer une guérison ou un exorcisme. Pour Jésus, ce n’est pas le sabbat mais l’alternative de faire vivre ou faire  mourir  qui prévaut.

Il faut relever aussi le désintérêt de Jésus à l’égard du code de pureté : Jésus touche les lépreux ( Marc 1,41)  et ne se choque pas de l’attouchement des femmes en état d’impureté ( Marc (, 25-34) ; Luc (7, 37-39). Pour Jésus la défense de la pureté doit céder le pas à l’impératif de l’amour.

La Torah tout entière promeut l’amour d’autrui et lorsque ce n’est pas le cas, alors la prescription doit plier devant cette exigence première.

  1. Le principe de l’amour, 38.

Parce que Dieu « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes » ( Matthieu 5, 45)

La Torah n’est donc pas suivre par elle-même mais parce qu’elle sert l’amour. Cette focalisation culmine dans l’exhortation à aimer l’ennemi ( Matthieu 5, 43-48)

Jésus ne brise pas le monde de la Torah mais il répugne à dire : « Moïse a dit… » et met en avant son « Je » : « mais moi je vous dis … » ( Matthieu 5, 21-48)

Le primat de l’amour n’est pas qu’un discours, il orient son comportement, notamment son choix de solidarité sociale et le recrutement de ses adhérents.

VI. Jésus et son groupe 40

 

  1. Des choix de solidarité sociale, 40 

Jésus s’est rendu solidaire des catégories sociales que marginalisait la société juive  : enfants, collecteurs d’impôts, femmes, Samaritains, malades.

Jésus a choqué les pharisiens en frayant avec le « peuple de la terre »  ( ham ha-aretz   : juifs ruraux restés au pays alors que les classes aristocratiques et sacerdotales étaient déportées en exil à Babylonne)

Au total Jésus s’est rendu solidaire de toutes les marginalités sociales de son temps. Les repas de Jésus anticipent ce banquet de salut et dans la secte de Qumrân aussi, les repas communautaires étaient conçus comme l’anticipation du festin messianique.

Les repas de Jésus  traduisent un refus du particularisme religieux. La composition de son groupe d’adhérents est révélatrice.

 

  1. Disciples et adhérents, 41

Contrairement à l’image figée des douze disciples groupés autour du maître que dessine les évangiles, l’entourage de Jésus se composait de trois cercles concentriques.

  • d’abord le cercle des douze, tous mâles, tous Galiléens dont la liste varie un peu mais comprend toujours Pierre, André, Jacques et Jean, Judas.
  • puis des hommes et femmes qui suivaient Jésus : Marie de Magdala, Jeanne femme de l’intendant d’Hérode, Suzanne, Salomé et « beaucoup d’autres » ( Luc 8, 1-3) Marc 15, 40-41)
  • enfin un cercle plus large avec Joseph d’Arimathie, Nicodème, Lazare, Marthe et Marie

Ce large éventail est le contraire d’une secte.

Le groupe des douze confirme l’option d’ouverture : un collecteur d’impôts, un  zélote , des noms grex et et hébreux ( Marc 3, 16-19). Pour rassembler dans son Règne, Jésus ne procède ni par sélection ni par classement mais accueille ceux en quête de pardon.

Jésus travaille à l’inverse des pharisiens; de Jean la Baptiseur ou des prophètes de renouveau qui opèrent par exclusion, sélection en vue de constituer le pur Israël. Son message et son action visent exclusivement le peuple d’Abraham.  Le débordement d e cet espace sera le fait des premiers chrétiens  à partir d’Antioche.

  1. Le Dieu de Jésus, 42.

Quelle image de Dieu habite la conviction de Jésus ?

le Père qui secourt la détresse des souffrants

le Dieu du Règne qui accueillera au banquet eschatologique

le Dieu-juge qui rétribuera chacun selon ses oeuvres

Une face demande à être éclairée : Jésus  invite à ne pas se soucier du lendemain et prend l’exemple des oiseaux du ciel et des lis des champs basée par une théologie de la création basée sur l’agir providentiel de Dieu.

Alors que la théologie pharisienne fait de la conversion le préalable de la réintégration du pécheur Jésus met en avant la grâce divine qui ne grève aucune condition. Ave Jésus l’offre de la grâce surplombe  et déclenche l’appel à agir, non l’inverse. (invitation au festin Matthieu 22, 1-10) ; serviteur impitoyable ( Matthieu 22, 1-10) ; le serviteur impitoyable ( Matthieu 18, 23-35), le figuier ( Luc 13, 6-9)

L’éthique du sermon sur la montagne ( Matthieu (5-7) avec exigences immodérées à ne pas résiszter au méchant, à n,e pas se soucier du lendemain contredit le soin des sages et des rabbis. jésus ne se range pas à cette politique de l’acceptable.

VII La crise et la croix 44 

Après deux ou trois années en Galilée, Jésus décida, pour des raisons qui nous échappent, de monter à Jérusalem.

En s’approchant de la fin de cette dernière période de sa vie, l’historien voit la difficulté de son travail s’accroître. Plus qu’ailleurs, il importe de légitimer la lecture critique  des textes.

  1. L’agression au Temple, 44

La tradition la plus sûre place au début du séjour une altercation dans l’enceinte. Voici comment Marc la rapporte : Entrant dans le Temple, Jésus se mit à chasser ceux qui vendaient et achetaient dans le Temple ; il renversa les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes et il ne laissa personne traverser le Temple en portant quoi que soit… ( 11, 15b-17)

Ce scandale a semble-t-il provoquer l’intervention de la police du Temple. Les grands prêtres et les scribes, en l’apprenant « cherchaient comment ils le feraient périr« ( Marc 11,18). L’homme n’a plus la faveur des gens. Pourquoi ?

La réponse tient au geste de Jésus contre le Temple qui joue en Israël un rôle symbolique déterminant puisqu’il consacre l’attachement de Dieu à son peuple.

L’attentat de Jésus a clairement une portée symbolique. Laquelle ?  L’événement ne se produit pas dans le Temple mais dans son enceinte  appelée « le parvis des païens » là où juifs et païens pouvaient se côtoyer. Ce parvis fonctionne comme un sas séparateur du pur et de l’impur , là où les fidèles se dépouillent de la monnaie romaine pour payer l’impôts du Temple en monnaie juive. On y achète aussi les animaux sacrificiels choisis selon des exigences codifiées.

A l’époque de Jésus l’espérance messianique attendait pour la fin des temps la disparition du Temple parce qu’il serait devenu superflu. Dans l’Apocalypse 21, 22 on lit « Mais du Temple, je n’en vis point dans la cité ». 

Le geste de Jésus s’inscrit dans le fil de cette attente messianique.

 

2.Les motifs de la crise, 45 

Les événements qui ont conduit à l’exécution de Jésus est entachée de nombreux points d’obscurité.

Un point sur lequel concordent les sources chrétiennes et juives est celui-ci : la peine fut romaine et la sentence délivrée par le préfet Ponce Pilate mais l’initiative d’arrêter Jésus émane de l’autorité juive. Mais le Sanhédrin, conseil supérieur de la nation s’est-il réuni en session officielle, avaient-t-il les compétences et quels griefs sont invoqués contre Jésus ?

Pour les premiers chrétiens nul doute que l’accusation porte sur la messianité de Jésus ( Marc 14, 53-65 et 61-64)

Mais dans le judaïsme du 1er siècle, se déclarer Messie n’encourt pas la peine capitale. La foi juive était à cet égard d’une grande tolérance et plusieurs faux messies se sont levés avant Jésus. Comment admettre que Jésus se soit déclaré comme Messie lui qui toute sa vie s’est refusé à bloquer son identité sur un titre ?

L’identité messianique de Jésus lui fut attribuée après coup par les premiers chrétiens. Les griefs devaient faire l’unanimité du Sanhédrin contre Jésus. On sait qu’Anus fut déposé de sa fonction de grand prêtre pour avoir condamné Jacques, frère de Jésus sans l’assentiment total du conseil, c’était en 62. Or le grand prêtre Caïphe resta grand prêtre 19 ans de 18 à  36. Pareille erreur ne lui ressemble pas.

Les deux griefs capables de faire l’unanimité du Sanhédrin contre Jésus sont d’abord son attitude au Temple et d’autre part sa position sur la Loi. C’est d’ailleurs ces griefs  qui seront retenus contre Etienne.

La Loi juive prévoit que le faux prophète doit mourir ( Dt 18, 20).  «  Certains se mirent à cracher sur lui et lui donner des coups en lui disant « Prophétise » ( Marc 14,65)

deuxième grief : la Loi. Jésus a cassé les règles de la Loi :  » mais moi je vous dis « .  En s’attaquant au Temple et à la Loi Jésus s’en prenait pour ainsi dire à la foi juive.

3.Une conscience de la fin ?, 48 

Jésus a-t-il prévu sa mort ?

Les annonces claires des évangiles dans Marc (8,31 par exemple) semblent façonnées par la foi née de Pâques et concrétisent trop bien la conviction chrétienne que la fin de Jésus était une vocation et non un accident.

Quitter sa Galilée natale pour Jérusalem était prendre des risques et le destin de son maître Jean lui enseignait ( Marc 6, 17-19)

Citons aussi comme deuxième indice, la réponse de Jésus aux pharisiens qui le mettent en garde : « Voici, je chasse les démons et j’accomplis des guérisons aujourd’hui et demain et le troisième jour j’atteins la fin ! » ( Luc 13, 31-32)

Le dernier repas qu’il partage avec ses intimes à la veille de son arrestation , fut l’occasion d’un geste de solidarité et de communion.  Ce ne fut pas un repas pascal car il manque l’agneau !   Jésus a voulu instaurer un rite de convivialité destiné à lui survivre. Qu’à cette occasion Jésus ait interprété sa mort à venir comme une mort « pour vous », les sources n’autorisent pas à le dire ( j’y reviendrai)

4. Le procès, la sentence, le supplice

Le gouverneur romain suivit la procédure judiciaire habituellement appliquée en province et connue sous le nom de « cognito  extra ordinem« . Cette procédure donnait d’abord la parole au plaignant, ici les autorités juives issues de l’aristocratie et de rangs sadducéens. Il n’y a aucune mention de la participation des pharisiens.

Les plaignants signalent à Pilate les actes que les Romains réprouvent : troubles à l’ordre public en fonction d’une prétention messianique.

La parole était ensuite donnée à l’accusé : Jésus se tut et son silence décontenança Pilate. ( Jn 19, 9)

Pilate ne tenait pas à servir les caprices des chefs juifs qu’il détestait cordialement. Il offrit donc de libérer un prisonnier à l’occasion de la fête juive pascale. et offrit le choix entre Jésus de Nazareth qu’il espérait ainsi libérer et le zélote Barabbas qui se prénomme aussi Jésus ( Mt 27, 17).

La foule survenue sur ces entrefaites déjoue ses plans. Il feint de céder à la foule et conclut à la sentence de mort pour Jésus. L’écriteau indicateur du délit , le titulus  porte la mention : INRI, Jésus le Nazaréen, roi des juifs.

Selon la tradition Jésus a été battu de verges  et une mise en scène qui parodiait les fêtes saturnales où l’on couronnait un roi tiré au sort remit au prisonnier les emblèmes d’une royauté de carnaval : tunique de pourpre, roseau en guise de sceptre, couronne d’épines.

Jésus a été chargé de la croix , non toute la croix mais vraisemblablement la partie transversale, la partie verticale étant fichée en terre sur la colline du Golgotha, hors de la ville. Jésus a faibli en chemin et fut remplacé par Simon de Cyrénaïque qui rentrait des champs pour la fin du parcours ( Marc 15, 21)

La découverte dans un ossuaire de Jérusalem des restes d’un crucifié permet de penser que Jésus a été pendu par trois clous, deux plantés aux avant- bras et non dans les mains et un plus long à travers les talons joints. L’agonie pouvait être longue mais celle de Jésus fut brève.  » Mon Dieu, mon Dieu, en vue de quoi m’as -tu abandonné » ( Psaume22,2) est sans doute de composition tardive. La mort de Jésus n’eut d’extraordinaire que sa rapidité et on eut juste le temps d’ensevelir Jésus avant le coucher du soleil car les familles se préparaient à partager le repas pascal.

 

VIII. Naissance de la tradition de Jésus 52

Les événements de Pâques marquent, d’un point de vue historique, le départ de la tradition de Jésus. C’est à partir de là que se recrute, d’abord à Jérusalem, une communauté juive croyant au Messie Jésus. Les titres décernés à Jésus – Messie ou Christ, Fils de l’homme ou Fils de Dieu- émanent-ils de lui ou lui ont-ils été attribués par les premiers chrétiens ?

  1. Pâques, une expérience visionnaire, 52 

Jésus est-il ressuscité ?  L’historien n’est en mesure ni de l’infirmer ni de la confirmer. Les sources documentaires sont exclusivement chrétiennes et les évangiles ne décrivent jamais le phénomène de la résurrection.

Pour un historien cet événement est spirituel. En revanche ses effets entre dans le champ de sa compétence. Témoins d’un événement complétement inattendu d’eux, les disciples répètent que celui que les hommes ont pendus au bois, Dieu l’a relevé et lui a conféré le nom de Seigneur ( Actes 2;23-24 ; 3,14-15 ; 4,10 ; 5, 30 ;10, 39-40 ; 13, 27-31). Pâques va désormais fonctionner comme le point focal des relectures de l’histoire de Jésus. Paroles et gestes du prophète sont interprétés à partir de l’effet pascal.

La question qui devient primordiale, su coup est celle de l’identité de Jésus : qui était cet homme pour que Dieu le relève des morts ?

  1. En quête de l’identité de Jésus, 53.

Les sources documentaires nous placent devant ce paradoxe ; d’un côté sa prédication du Règne et son interprétation de Torah laissent transparaître une très nette revendication d’autonomie ; d’un autre côté Jésus fait silence sur son identité.

Jésus s’est-il déclaré Messie c’est à dire Christ ? Les Evangiles lui attribuent une réponse différée sauf dans son procès au Sannhédrin ( Marc 14, 62) . L’homme s’efface derrière l’événement qu’il fait éclore.  L’annonce de l’irruption du Règne prend le pas sur toute forme de prétention messianique. Sa prétention est millénariste.

Bien qu’il fut condamné par les Romains pour prétention messianique , Jésus a annoncé et préparé le dépassement des catégories messianiques auquel travaillera après Pâques la foi des premiers chrétiens.   Les déclarations johanniques en « je suis » sont notoirement le résultat de la méditation christologique de la tradition de Jean.

 C’est dans l’apocalypse juive , réservoir des espérances messianiques, que les premières formulations de la foi en Jésus  ont trouvé leur matrice culturelle. Du milieu apocalyptique provient le titre « fils de l’homme « , titre qui revient fréquemment dans les propos de Jésus. Il statue que l’attitude adoptée envers lui sera sanctionnée dans le Règne par le Fils de l’homme ( Luc 12, 8-9). Jésus s’est présenté comme l’initiateur de la fin, comme l’énonciateur d’une ultime exhortation ; il a fait entendre à qui voulait comprendre qu’il serait l’acteur décisif de la fin des temps.

Jésus a prévu sa mort comme l’aboutissement inexorable de son engagement pour autrui, de sa vie consacrée à autrui. D’une vie donnée aux autres les premiers chrétiens sont passés à une mort donnée aux autres. Voire dans la croix une expiation des péchés n’est donc pas le fait de Jésus mais un fruit de Pâques.

 

IX. Épilogue: la mémoire de l’origine 56

 

Notre étude sur Jésus de Nazareth  a commencé par poser le paradoxe qui la rendait nécessaire : d’un côté on ne peut parler de « christianisme  » qu’après Pâques et d’un autre l’histoire du christianisme ne saurait faire l’impasse sur l’histoire originaire qu’est l’histoire de Jésus.

En préservant et en canonisant quatre évangiles de biographie à l’ancienne que de relecture pascale de l’histoire de Jésus, l’Eglise primitive n’a pas seulement voulu fixer un souvenir historique mais elle a voulu surtout sanctionné un choix théologique : l’identité du Christ ne peut être saisie en dehors d’une narration qui restitue la vie de Jésus, ses faits et gestes. En régime chrétien la référence au Jésus terrestre constitue le lieu de vérification obligé de toute parole de salut.

En canonisant quatre évangiles l’Eglise ratifiait la pluralité  des accès au Jésus terrestre et l’impossibilité de revendiquer une lecture unique de la vie de Jésus.

 

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