Editions des Syrtes (23 août 2018)
Jean Claude Larchet est un théologien orthodoxe – docteur en philosophie et théologie et professeur des Universités
Les racines de la crise écologique que nous traversons actuellement sont très anciennes. Et il s’agit d’abord d’une crise spirituelle. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, il y avait, dans la société traditionnelle occidentale, un sens aigu de la sacralité de la nature. Parce qu’il y percevait la présence et l’action de Dieu, l’homme nourrissait à son égard du respect. À la Renaissance s’est développé l’humanisme et l’homme a perdu ce sentiment d’un lien entre Dieu et la nature. La nature n’a plus été considérée que comme un objet, utilisable par l’homme à ses propres fins, comme un ensemble de ressources à exploiter. À la même époque est apparue chez Descartes l’idée que la tâche de l’homme est de se rendre maître et possesseur de la nature. L’homme s’est alors attribué un pouvoir sur la nature qui n’était auparavant reconnu qu’à Dieu, et qui n’était plus de l’ordre du respect mais d’une domination et d’une exploitation sans limite. Cette attitude s’est développée à la fin du XIXesiècle et au XXe siècle avec le développement de l’industrie et de l’agriculture intensive suscité par le capitalisme. Fondées sur le rationalisme des « Lumières » les sciences ont remplacé l’approche intuitive et contemplative de la nature par une froide approche rationnelle, et la technique a transformé l’usage respectueux de la nature en une exploitation forcenée et destructrice de ses ressources, avec un développement croissant qualifié de « progrès ».
Qu’est-ce que le progrès ?
Il y a eu un changement considérable dans la façon dont on a conçu le progrès. Avant, dans notre société occidentale, comme dans toutes les sociétés dites « traditionnelles », le progrès était conçu comme spirituel, il s’agissait d’un progrès intérieur. À partir de la Renaissance, le progrès est devenu un progrès extérieur, ne se réalisant que dans l’accumulation de biens, dans l’accumulation matérielle. Il y a eu une transmutation, une dévaluation. Nous sommes passés de la recherche d’un progrès dans l’être à la recherche d’un progrès dans l’avoir. Mais cette extériorisation de la notion de progrès aliène complètement l’humanité. Le capitalisme a imposé cette idée très ‘bourgeoise’ que le bien-être consiste en une accumulation de biens matériels et dans la jouissance d’objets de consommation sans cesse renouvelés. La logique de croissance indéfinie dans laquelle nous nous trouvons n’est pas la bonne pour sortir de la crise écologique : il faut entrer dans une logique de décroissance et renouer avec un bien-être fondé sur le spirituel par un retour aux vraies valeurs.
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C’est donc une question cruciale pour notre temps et pour notre avenir qu’aborde Jean-Claude Larchet dans son dernier ouvrage. L’originalité et la pertinence de son approche résident dans ce qu’il va à la racine de cette question et ce fondement, comme pour tout, est spirituel, sinon, l’on se contente d’une agitation superficielle qui ne fait que repousser les problèmes. Il le fait de manière très pédagogique en se fondant sur la Bible, la tradition patristique et ascétique. Tout d’abord, il examine la place de l’homme dans la Création, celui-ci dit-il est son « couronnement ». Il a pour responsabilité d’en être le gardien, d’être le médiateur entre Dieu et la nature et d’en user tout d’abord et avant tout dans la dynamique d’un cheminement spirituel dans lequel tout prend son sens plénier et sa cohérence. L’auteur s’attache aussi à montrer comment le péché de l’homme rejaillit sur la nature. Un autre apport non moins passionnant de l’ouvrage est l’historique de la situation actuelle. Celle-ci prend son essor à la Renaissance, lorsque la pensée en Occident s’éloigne de l’enseignement chrétien et s’appuie toujours plus sur le rationalisme, le naturalisme, l’individualisme, le dualisme corps-âme, la mécanisation des corps (et des animaux), le capitalisme, le mythe du progrès et de la toute-puissance de la technique. Cette situation est également déclinée en lien avec les passions, car celles-ci s’y expriment pleinement. Là, Jean-Claude Larchet est dans le prolongement de plusieurs autres de ses ouvrages sur la théologie ascétique dont il montre qu’elle est aussi au cœur de ce sujet. Enfin, le livre se termine par des voies ascétiques de restauration des relations de l’homme avec la nature, restauration qui passe par la sobriété et la décroissance. Ce nouvel ouvrage, qui offre une synthèse nécessaire et très utile, est appelé à être une référence sur cette question pour tous ceux qui veulent aller au fond des choses.
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