Le déni français de religiosité du bouddhisme

 

Les dévots du bouddhisme  – 15 septembre 2016

 Préface de Charles Ramble, professeur de tibétologie à Oxford et à l’EPHE

UNE ENQUETE DE PLUSIEURS ANNEES AU CŒUR DES MILIEUX BOUDDHIQUES OCCIDENTAUX QUI VIENT FAIRE VACILLER TOUS NOS PRESUPPOSES. AU FIL DES RENCONTRES, DES EXPERIENCES RACONTEES, DES TEMOIGNAGES RECUEILLIS IL DEVIENT EVIDENT QUE LE BOUDDHISME N’EST RIEN D’AUTRE QU’UNE RELIGION. QUI PLUS EST, SA VERSION OCCIDENTALE CONNAIT DE TRES NOMBREUSES DERIVES : ORGANISATION SECTAIRE, DERIVES SEXUELLES, PYRAMIDES FINANCIERES, HUMILITAIONS HIERARCHIQUES… ETAT DES LIEUX.

L’auteure a soutenu en 2013 une thèse :

« Ceci n’est pas une religion» : l’apprentissage du dharma selon Rigpa (France)

par Marion Dapsance

Thèse de doctorat en Religions et systèmes de pensée

 

Sous la direction de Giordana Charuty.(Chaire : Ethnologie religieuse de l’Europe

Ecole Pratique des Hautes Etudes, section « Sciences religieuses »)

Soutenue en 2013

à Paris, EPHE , dans le cadre de École doctorale de l’École pratique des hautes études (Paris) .Le président du jury était Vincent Goossaert.

Dans Academia Edu  Marion Dapsance  s’oppose à la thèse soutenue en France par les médias et les intellectuels selon laquelle le bouddhisme n’est pas une religion mais une « spiritualité ».  La réalité observée sur différents terrains (Asie et Occident même) prouve le contraire. Comment expliquer l’écart persistant entre les représentations occidentales de cette tradition et sa réalité concrète ? La réponse est double : d’une part, le déni du religieux bouddhique sert trop d’intérêts pour être remis en cause, de l’autre, il résulte du contexte historique ayant prévalu à la constitution du « bouddhisme » comme catégorie occidentale au XIXe siècle. Le bouddhisme tel qu’il est aujourd’hui envisagé en Occident fonctionne essentiellement comme une arme idéologique pointée contre le christianisme.

sur Cairn.info

Marion Dapsance analyse une version du bouddhisme tibétain en Europe à travers le mouvement de Sogyal Rinpoché. L’ouverture de son centre de retraite international près de Montpellier en 2008 a attiré l’attention du grand public puisqu’il a reçu la visite du dalaï-lama, mais aussi à cause des scandales autour du leader, ses comportements excessifs envers ses disciples et des soupçons d’abus sexuels pesant sur lui. Le mouvement, aujourd’hui présent dans une quarantaine de pays avec 130 centres et des dizaines de milliers d’inscrits, débuta à Londres en 1978 où Sogyal Rinpoché fonda son organisation qu’il appela Rigpa. -cf Rigpa.fr-

Bien que le cadre de l’étude soit la France contemporaine, l’auteure prend soin de mettre en perspective historique le groupe qu’elle étudie en rappelant les circonstances de la rencontre entre l’Occident et le bouddhisme au xixe siècle. Alors que le Bouddha était apparu auparavant comme un ensemble de figures hétéroclites en provenance des divers pays d’Asie, Eugène Burnouf, philologue parisien du xixe siècle, a compris qu’il s’agissait d’un même personnage historique sous de multiples formes régionales qui avait fondé en Inde une nouvelle religion, rationnelle et égalitaire en opposition à l’hindouisme.

…L’interprétation occidentale a fait du bouddhisme une sagesse ancestrale déjà conforme aux idéaux des Lumières. L’auteure décrit la trajectoire de certains des concepts du bouddhisme et les dynamiques de transformation lors de ce voyage de l’Orient à l’Occident, en insistant sur les liens entre des idées religieuses et des contextes politiques particuliers – par exemple, le nationalisme birman au xixe siècle et la méditation de « la pleine conscience » qui a pris son essor sous la colonisation du royaume birman par l’Empire britannique. L’opposition aux colonisateurs et à sa religion, le christianisme, passa par le biais du bouddhisme. L’auteure souligne aussi que la « médiation » est loin d’être une pratique majoritaire du bouddhisme asiatique, seule une minorité de moines se consacrait effectivement à la méditation (p. 78).

…L’ouvrage, basé sur une recherche doctorale de plusieurs années, est conçu comme un « Journal d’enquête » d’où un style d’écriture plutôt essayiste qu’analytique. Un point de vue subjectif qui décrit l’itinéraire personnel de l’auteur dans sa découverte du bouddhisme tibétain en France, puis son chemin dans l’organisation de Rigpa se mêle à des analyses historiques et sociologiques.

…Les parties les plus intéressantes du livre – d’un point de vue sociologique – sont, sans doute, les descriptions et analyses du langage particulier de l’organisation et de ses rituels, comme la méditation devant les « reliques virtuelles »

…À travers ces diverses analyses l’auteure fournit des éléments de réponse à ses questions principales : comment peut-on expliquer que dans une société individualisée comme en Europe autant de personnes soient attirées par une forme du bouddhisme qui se présente comme une organisation hiérarchique (et sexiste parfois), basée sur des rituels collectifs nécessitant une implication communautaire importante ? Comment les adeptes vivent-ils ce décalage entre l’idéal d’un bouddhisme présenté comme un chemin spirituel vers l’épanouissement personnel et la pratique de soumission à un chef religieux capricieux et autoritaire dans les centres Rigpa ?

…La réflexion de Marion Dapsance sur le mouvement Rigpa se laisse transposer à d’autres mouvements religieux contemporains – bouddhistes, chrétiens ou musulmans – qui s’appuient sur une forte construction communautaire et ritualisée. Comment la collectivité mobilise-t-elle ses individus au point de guider toutes leurs actions ?

…Une des clés de cette mobilisation se trouve, en ce qui concerne l’organisation Rigpa, dans la création d’un langage propre inculqué aux adeptes lors des formations et retraites à mi-chemin entre concepts bouddhistes et psychothérapeutiques. L’importance de la formation pour de nouveaux convertis (ou d’une socialisation très codifiée et normative dans le cas d’organisations religieuses qui recrutent leurs membres par la transmission parentale) semble être une condition essentielle pour fonder et maintenir un habitus de groupe. Dapsance décrit minutieusement cette formation intensive durant laquelle les adeptes de Rigpa apprennent le dogme et les pratiques religieuses en s’appuyant sur un matériel ethnographique très riche.

…Un autre élément pour comprendre la soumission des membres au groupe est la notion de « folle sagesse » qui fait accepter les extravagances d’une personnalité au nom d’une soi-disant tradition tibétaine.

…Marion Dapsance décrit d’une manière très convaincante pour Rigpa, ce que l’on constate aussi pour d’autres groupes s’appuyant sur une forte construction communautaire sous l’autorité d’un maître : la dévotion n’est pas un sentiment spontané qui naît de la rencontre avec le chef spirituel, mais d’une inculcation méthodique au sein d’une microsociété fortement hiérarchisée. Les analyses présentées dans Les dévots du bouddhisme permettent de réfléchir sur le fonctionnement des groupes religieux hiérarchisés à travers le cas de Rigpa.

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