Philosophie-spiritualité
Vandi Moïse s’interroge sur les enjeux de la technique dans une présentation qu’il fait à l’Université de Yaoundé à propos de Jacques Ellul et les enjeux de la technique.
« En définitive, ce que j’écrivais (et mon avertissement aujourd’hui correspond exactement à celui de 1954) avait pour but de faire prendre conscience du potentiel avenir, contenu dans la Technique, de ce qui risquait de survenir étant donné la logique de croissance, afin précisément que, du fait de cette prise de conscience, les hommes de l’Occident soient capables de réagir, et de procéder à une maitrise de cette technique, qui leur échappait sans qu’ils ne s’en rendent compte. Il s’agissait véritablement d’un avertissement : un homme averti en vaut deux[2]. Jacques ELLUL.
(Jacques ELLUL (1912- 1994) est un professeur d’histoire du droit, théologien protestant et sociologue français d’ascendance maltaise. Il est, aux côtés de Habermas, Heidegger, Simondon, Leroi-Gourhan et Günther Anders, l’un des principaux penseurs au XXème siècle de la technique. Il a également été très largement cité par le critique social américain Neil Postman, notamment dans son livre Technopoly. » (kiwix)
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Si à l’époque de René DESCARTES, on disait cogito ergo sum, c’est-à-dire la quiddité de l’homme ou son être se réduit à la pensée, c’est en pensant qu’il est davantage ; au XXIèmesiècle, ce n’est plus le cas, en ceci que nous assistons à une immixtion mieux encore à une intrusion de la technique dans tous les domaines de la vie. Nous parlerons plutôt de « cogito technologically ergo sum »[6], c’est-à-dire « je pense technologiquement donc je suis » en ce sens que tout est déterminé par ce que notre auteur appelle l’esprit technique. La pensée, l’homme lui-même, l’agriculture, l’économie, la politique, l’enseignement et la société sont tous informatisés. De la sorte, l’homme est davantage parce qu’il pense technologiquement. Tout ceci se justifie dans la domestication de la technique que nous vivons par les pays en retard, et la déification de l’économie numérique par ceux-ci. Face à un tel problème, aucun chercheur avéré soit-il ou non, quel qu’il soit et penseur ne peut rester insensible d’une part et d’autre part bouche bée à ce constant probant qui ne relève pas de l’être de raison. C’est cela qui justifie le choix de ce sujet…
Ce sont les problèmes de la technicisation qui posent problème. Notre sujet pose en lui-même son problème c’est-à-dire les enjeux de l’informatisation. Ainsi, il y a problème parce que pour Jacques ELLUL, la technique ne sert plus l’homme, c’est l’homme qui sert la technique, au lieu que la technique devienne objet au service de l’homme, c’est l’homme, constate-t-il, qui est devenu objet au service de la technique. Vu notre attachement aux choses techniques, vu notre surconsommation des choses techniques ; l’homme (et pas lui seul car il y a la nature, la culture et bien d’autres) a perdu son autonomie et sa liberté ; en ceci que pour notre auteur, le propre de la technique est de désacraliser tous les domaines dans lesquels elle intervient. Par contrecoup, c’est elle qui devient maintenant le sacré. Et c’est cela également l’avis de Martin HEIDEGGER, lorsqu’il affirme que notre attachement aux choses techniques est maintenant devenu si fort que nous sommes, à notre insu, devenus leurs esclaves.
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L’ambivalence de la technique désigne le fait que la technique est à la fois un bien et un mal pour la société, elle a des effets positifs et des effets néfastes. Ce thème est développé par Jacques ELLUL dans la première partie du Bluff technologique, pour montrer le caractère incertain de la technique. Il dit :
Mais il ne faut pas se contenter de souligner cette ambivalence, il faut l’analyser, et je le ferai à l’aide de quatre propositions :
Tout progrès technique se paie.
Le progrès technique soulève à chaque étape plus de problèmes (et plus vaste) qu’il n’en résout.
Les effets néfastes du progrès technique sont inséparables des effets favorables.
Tout progrès technique comporte un grand nombre d’effets imprévisibles.