Pour une agriculture locale et biologique

Témoignage de Philippe Desbrosses

  • Généraliser l’agriculture vivrière

Chaque jour 1500 camions remplis de fruits et légumes importés des pays du Sud traversent la frontière espagnole. Ce recours massif à l’importation réduit l’espace consacré au maraîchage : la France importe 1,7 million de tonnes de légumes ( tomate, poivron, salade, carotte, oignon) et en exporte 0,9 million( chou-fleur, salade, carotte, tomate, oignon). L’absurdité est encore plus évidente quand on sait que ces fruits et légumes sont constitués à 90% d’eau.

L’agriculture industrielle est sans doute le moyen le plus désastreux que l’homme ait inventé pour produire sa nourriture. Les intrants provoquent des déséquilibres dus aux antagonismes entre minéraux : l’azote chasse  le cuivre dans le sol et la potasse en excès chasse le magnésium pour ne citer que ces deux là.

 

  • Un virage fondamental 

Les décideurs sont toujours focalisés par les solutions techniques articulant semences améliorées, fertilisants chimiques et recours aux machines.

Il existe pourtant une alternative qui allie productivité, préservation des sols, protection des écosystèmes et alimentation en circuits courts : l’agro-écologie. Celle-ci va au delà des critères de l’agriculture biologique. Elle inclut autant que possible la traction animale, le reboisement des surfaces dénudées, la réhabilitation des savoirs-faire traditionnels et une consommation en circuit court plus proche des lieux de production.

Récemment le rapporteur spécial de Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter a présenté son rapport Agroécologie et droit à l’alimentation devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Ce texte démontre qu’on peut doubler la production alimentaire des régions touchées par la faim en 10 ans.

Malheureusement en Europe et en France le savoir nécessaire à l’agroécologie a disparu. Ce vide résulte d’un véritable lavage de cerveau depuis 40 ans basé sur l’usage d’intrants chimiques  et  la spécialisation des systèmes.

J’aimerais rappelé la définition de l’agronomie par Jean-Pierre Berlan : une science de la gratuité, l’art de faire produire gratuitement par la nature.

  • Multiplier les lieux de formations

L’un des enjeux principaux est l’essaimage des savoir-faire. Les fermes des lycées doivent devenir de vrais laboratoires de l’agroécologie. Par définition l’acquisition de ,ces connaissances ne doit pas être coûteuse mais s’apparenter à un “écocompagnonage”, c’est à dire une transmission libre des connaissances.

L’image des Amanins ou de la ferme Sainte-Marthe que je préside doivent se multiplier sur les territoires. Nous devons accompagner l’installation en milieu rural d’agriculteurs exploitant de petites surfaces en vue d’approvisionner les circuits courts et d’assurer l’autosuffisance alimentaire de leurs familles.

En Turquie, Amartya Sen, prix Nobel d’économie a démontré qu’une exploitation d’un hectare est 20 fois plus productive qu’une exploitation de 10 hectares.  Favoriser l’installation de fermes de tailles modestes aura pour effet d’atténuer les conséquences d’une crise sociale et alimentaire qui est sur le point de toucher 7 à 8 millions des Français les plus pauvres.

  • La relocalisation : une perspective réaliste

Cuba, en dehors de toute considération politique,  offre l’exemple du passage d’une situation de dépendance extérieure à l’autonomie alimentaire. L’histoire de ce peuple a basculé à partir de la chute du mur de berlin en 1989. L’économie de Cuba était basée sur la production de tabac et de canne à sucre et les échanges internationaux. Le basculement a conduit à une pénurie au début des années 1990 et une crise alimentaire spectaculaire.

Alors le moindre espace, champ, terrain vague, courette a été cultivé pour produire fruits, légumes, céréales. Faute de moyen, nul ne put déverser de produits phytosanitaires ce qui aboutit par la force des choses à une production 100% bio.

Dix ans plus tard le pays a quasiment atteint l’autosuffisance à l’échelle nationale mais aussi à celle de ses territoires : une ville comme La Havane est devenue excédentaire en fruits et légumes.

Dans les décennies à venir la généralisation de ces bonnes pratiques est susceptible de provoquer une évolution profonde qui ne concerne pas seulement l’agriculture mais toute la vie économique et sociale.

A nous d’activer le système immunitaire de ce grand corps fébrile et de lui rendre vie !

 

Témoignage de Philippe Pointereau 

Notre assocition Solagro élabore un scénario appelé Afterres 2050 qui vise la satisfaction des besoins alimentaires de 71 millions de français d’ici 2050.

Outres la volonté de modifier en profondeur les méthodes de production que nous partageons avec Philippe Desbrosses ce scénario nous montre que l’adaptation de nos habitudes alimentaires et la relocalisation réclament l’implication de tous : depuis le producteur jusqu’au consommateur, en passant par les élus. Afterres 2050 met avant tout en évidence l’importance de notre régime alimentaire dans l’évolution future de l’agriculture.

  • le scénario Afterres 2050 

Parviendrons-nous à limiter le réchauffement climatique à 2 degrés d’ici 2050 ?

Au delà l’humanité s’expose à des conséquences dramatiques et perturbations irréversibles au niveau planétaire.

La chaîne alimentaire représente 30% des rejets de gaz à effet de serre en France. Pour autant la précipitation serait une terrible erreur. L’élaboration sereine d’un scénario augmente considérablement les chances de parvenir à une véritable mutation de l’agriculture. Elle devrait permettre de remplacer l’éparpillement d’actions non coordonnées et sans objectif précis par une action planifiée. Construire un scénario permet une évolution progressive qui limite le risque de conflit social.

Ce raisonnement recoupe celui du scénario négawatt de transition énergétique auquel nous sommes associés. Peut-on envisager l’avenir des terres agricoles sans tenir compte de la demande future des énergies renouvelables, principalement la biomasse ?

 

La construction de ce scénario Afterre 2050 est un travail d’une grande complexité.

Les conclusions de Solagro à ce stade envisagent une production pour 2050 pour moitié biologique et pour moitié production dite “intégrée” et de “conservation”. ( Ces mots désignent un modèle qui reprend les fondamentaux de l’agriculture biologique (rotations longues des cultures, plantation de légumineuses pour enrichir le sol en azote, association de cultures etc…) mais s’autorise l’utilisation d’azote minéral et en cas d’urgence un recours contrôlé à des traitements pesticides. ce scénario offre une marge de manoeuvre sur quelques millions d’ha, lesquels pourraient satisfaire d’autres besoins tels que la production de biomasse pour la nature, l’énergie, la chimie verte ou la fabrication d’éco-matériaux.

  • Produire et s’approvisionner localement

A ce stade du travail Afterres 2050 ne définit pas les politiques à mettre en oeuvre mais dès maintenant il est indispensable d’imaginer les conditions favorables telles que la nécessaire revitalisation des filières locales.

Or aujourd’hui la multiplication des normes sanitaires oblige par exemple un producteur de viande des Pyrénées à parcourir une longue distance pour rejoindre le premier abattoir s’il veut vendre sa viande autour de sa ferme. Il faut lever les barrières qui entravent ses filières courtes. Nous devons aussi conserver et enrichir tout le tissu de PME de transformation type séchoirs de graines, meuneries , abattoirs conserveries, fromageries etc….

Une fois les produits locaux transformés leur distribution doit aussi bénéficier d’un tissu local dense pour éviter les déplacements pour s’approvisionner.  Il faut donc développer les réseaux de paniers, petits commerces, AMAP, magasins fermiers, marchés présentant des étals variés etc…

La renaissance n’aura pas pour seul effet d’affranchir les agriculteurs de la grande distribution et du poids des intermédiaires.  la variété des productions ne nous permet pas de donner une surface moyenne d’exploitation. Mais le système de subvention doit être mis à contribution pour encourager cette évolution.

Aujourd’hui le fuel agricole est détaxé. Il faudrait le taxer pour un mode de production moins energivore et moins polluant.

De même les dépenses de potabilisation de l’eau coûtent chaque année 360 millions d’euros alors que la  redevance sur les pesticides ne rapporte que 27 millions d’euros.

Dans le scénario Afterres 2050 le régime alimentaire des français évolue fortement.  Il réduit la consommation de calories et de protéines ainsi que de graisses et sucres. Il inverse le rapport actuel entre protéines animales (2/3) et protéines végétales (1/3). Depuis 15 ans les citoyens ont déjà réduit leur consommation de viande passant de 100kg à 90 kg.

Au total l’évolution de notre régime conduirait à une réduction de 60% de l’élevage.

Aujourd’hui 82% des surfaces agricoles utilisées le sont pour la production animale. Cette évolution libèrerait 4 à 8 millions d’ha.

  •  Reconnecter le citoyen aux producteurs et à l’environnement 

Notre scénario n’est qu’un levier. les économies liées à la réduction de l’usage des pesticides représente plus de 2,3 milliards d’euros par an en France et les engrais chimiques 2,6 milliards.

Ce tissu implique la renaissance d’un lien entre les individus : les circuits courts représentent autant d’occasion pour les producteurs de s’entretenir  avec les consommateurs.

——En résumé——

Comment transformer les filières agro-alimentaires ?

grandes directions 

  • Re-localiser la production alimentaire pour assurer à chaque territoire son autonomie.
  • Viser une production pour moitié biologique et pour moitié intégrée en 2050.
  • Réduire l’élevage de 60% et aller vers des élevages de qualité, moins gourmands en ressources et moins émetteurs de CO2.
Quelques mesures qui vont dans ce sens

  • Donner une place prépondérante à l’agro-écologie dans les cursus de formation des jeunes agronomes et agriculteurs. Créer parallèlement des fermes-écoles qui dispensent un enseignement sous forme de compagnonnage.
  • Réduire la surface minimale d’installation afin de permettre à des petites unités de production en agro-écologie de se créer et de se multiplier.
  • Assouplir les normes sanitaires pour les productions locales.
  • Protéger les PME qui assurent la transformation alimentaire sur chaque territoire (séchoirs de graines, meuneries, huileries, abattoirs, fromageries, conserveries, cidreries, etc…). Stimuler la réinstallation des entreprises qui ont disparu.
  • Encourager les réseaux de distribution locaux (marchés, magasins fermiers, AMAP, commerces de proximité).
  • Augmenter les subventions à destination de l’agriculture biologique et de l’agriculture intégrée.
  • Conditionner les aides à un effort de protection de l’environnement.

Pour en savoir plus : 

voir le site d’ intelligence verte

le site Solagro

le site les Amanins

——

<—– vers la page : (R)évolutions-Pour une politique en actes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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