À l’origine, la raison a d’abord le sens de « mesure », de « comparaison ». La Critique de la raison pratique définit la raison comme une connaissance a priori dont l’existence est certaine, car si l’on voulait le mettre en doute, « Ce serait tout à fait comme si quelqu’un voulait prouver par la raison qu’il n’y a pas de raison.
A l’époque classique est celui qui possède l’art de la mesure ou plus encore de l’art de faire une comparaison mesurée avec précision. Cette comparaison s’opère au moyen de l’intellect. Pour un rationaliste, la raison est la seule source possible de connaissance réelle.
Dans la ligne de la tradition kantienne notamment, plusieurs philosophes comme Habermas opposent raison pratique et raison théorique (pouvant être via la raison scientifique, la raison qu’il appelle instrumentale ou la technique).
Pour le rationaliste, la religion est au mieux un objet d’étude des comportements et égarements humains, produits par la peur et la fuite du réel. L’une et l’autre se reprochent ainsi ce qu’elles perçoivent comme leurs propres limitations.
Le rationalisme est la doctrine qui pose la raison discursive comme seule source possible de toute connaissance du monde.
Sources dans la Grèce antique :
L’attitude intellectuelle visant à placer la raison et les procédures rationnelles comme sources de la connaissance remonte à la Grèce antique, lorsque sous le nom de logos (qui signifie à l’origine discours), elle se détache de la pensée mythique et, à partir des sciences, donne naissance à la philosophie.
Platon ne voit dans la sensibilité qu’une pseudo connaissance ne donnant accès qu’à la réalité sensible, matérielle et changeante du monde. Se fier à l’expérience sensible, c’est être comme des prisonniers enfermés dans une caverne qui prennent les ombres qui défilent sur la paroi faiblement éclairée, pour la réalité même.
Ce n’est pas l’usage de la raison, ni sa revendication, qui suffit à définir le rationalisme comme doctrine. Le rationalisme moderne se constitue et se systématise à la fin de la Renaissance, dans le cadre de la controverse ptoléméo-copernicienne, qui aboutit à la mathématisation de la physique. Après le procès de Galilée (1633), et conforté dans le projet de réformer la philosophie dont le cardinal de Bérulle lui avait fait une « obligation de conscience » quelques années auparavant, René Descartes concrétise son projet en publiant plusieurs ouvrages de philosophie, notamment le célèbre Discours de la méthode (1637), et les Méditations métaphysiques (1641). Descartes, avec son Cogito ergo sum, devient ainsi l’un des principaux représentants du rationalisme moderne.
Il en résulte que la raison, contenant des principes universels et des idées a priori exprimant des vérités éternelles, est immuable et identique en chaque homme. C’est en ce sens que Descartes, dans le Discours de la méthode, écrit : Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée
, précisant que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes.
Selon Serge Carfantan : « La seule position que la raison puisse tenir pour rendre justice à l’esprit religieux, c’est de reconnaitre qu’il y a au-dessus d’elle un supra-rationnel que le mental discursif ne parvient qu’avec difficulté à saisir, comme il y a en dessous d’elle un infra-rationnel qu’elle se doit aussi de reconnaître ».
Rationalisme et empirisme
Selon l’empirisme, l’expérience est la source de toutes nos connaissances. Comme l’explique John Locke dans l’Essai sur l’entendement humain de 1690 :
Le rationalisme, cependant, nous le verrons plus bas sous sa forme critique, ne répudie pas l’expérience sensible mais la soumet à des formes a priori qui la rendent possible et en organisent le donné.
Rationalisme et irrationalisme
Il faut entendre ici par irrationalisme la référence à toute expérience ou toute faculté autre que la raison et n’obéissant pas à ses lois, supposée donner une connaissance plus profonde et plus authentique des phénomènes et des êtres, et laissant place à une frange d’ineffable, de mystère, ou d’inexplicable. Le rationalisme s’oppose en ce sens au mysticisme, à la magie, à l’occultisme, au sentimentalisme, au paranormal ou encore à la superstition. Seuls font autorité les processus rationnels : évidence intellectuelle, démonstration, raisonnement.
Ainsi, pour Descartes, la recherche de la vérité peut se faire par la raison seule, sans la lumière de la foi
Dans les années 1830, Auguste Comte, en son Cours de philosophie positive, décrit en ces termes l’état positif, ou scientifique, auquel est enfin parvenue l’intelligence :
« Enfin, dans l’état positif, l’esprit humain, reconnaissant l’impossibilité d’obtenir des notions absolues, renonce à chercher l’origine et la destination de l’univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s’attacher uniquement à découvrir, par l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation, leurs lois effectives, c’est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude. »
Il s’agit désormais de comprendre comment un phénomène se produit. Les faits observables sont liés par des lois qui en expriment seulement les relations constantes.
C’est dans cette perspective qu’en 1964, E. Kahane, dans son Dictionnaire rationaliste, peut le définir de la manière suivante : Le rationalisme comporte explicitement l’hostilité à toute métaphysique, le refus de tout inconnaissable a priori, et l’exclusion de tout autre mode allégué de connaissance, tel que la révélation, l’intuition réduite à elle seule, etc.
La dialectique expérimentale
fait l’une des deux sources de nos connaissances et réconcilie en ce sens rationalisme et empirisme. Mais il convient de préciser ce que l’on entend dès lors par « expérience » :
Sans la médiation de la raison en effet, l’expérience resterait muette et ne saurait rien nous enseigner. Les faits ne parlent pas d’eux-mêmes. Kant – il faut encore ici l’évoquer – y insiste longuement dans la Critique de la Raison Pure .
Historicité de la raison
Avec la Phénoménologie de l’esprit, Hegel mettait en avant l’historicité d’une raison qui développe ses formes à travers l’histoire du monde. Comme le fait observer Gilles Gaston Granger, la grande découverte hégélienne, c’est le caractère historique de la raison
Bachelard, en introduisant dans La formation de l’esprit scientifique (1938)
Les conquêtes progressives du rationalisme se font dès lors contre la raison elle-même, de sorte qu’en revenant sur un passé d’erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel.
Passé d’erreurs : généralisation hâtive de la connaissance, habitudes verbales, pragmatisme, substantialisation, réalisme naïf qui sont autant d’obstacles que la science dresse face à elle-même. Préciser, rectifier, diversifier, ce sont là des types de pensées dynamiques qui s’évadent de la certitude et de l’unité et qui trouvent dans les systèmes homogènes plus d’obstacles que d’impulsions.
L’esprit rationnel, dans le cadre des sciences, doit être un esprit critique toujours en alerte devant ses propres facteurs d’inertie, toujours prompt à remettre en question ses propres conquêtes. Reste ensuite la tâche la plus difficile : mettre la culture scientifique en état de mobilisation permanente, remplacer le savoir fermé et statique par une connaissance ouverte et dynamique, dialectiser toutes les variables expérimentales, donner enfin à la raison des raisons d’évoluer.
Dans un même ordre d’idées, Karl Popper, dans La logique de la découverte scientifique, tente de montrer que le caractère d’une théorie scientifique tient à sa réfutabilité. On ne peut en effet, à partir d’expériences singulières, aussi nombreuses soient-elles, conclure à l’universalité d’une loi.
Critique contemporaine du rationalisme moderne
Hans Jonas, dans Le Phénomène de la vie, vers une biologie philosophique, fut l’un des premiers à critiquer le dualisme cartésien entre le corps et l’esprit : « Le dualisme cartésien laissa la spéculation sur la nature de la vie dans une impasse : si intelligible que devint, selon les principes de la mécanique, la corrélation de la structure et de la fonction à l’intérieur de la res extensa, celle de la structure accompagnée de fonction avec le sentiment ou l’expérience (modes de la res cogitans) fut perdue dans la séparation et par là le fait de la vie lui-même devint inintelligible au moment même où l’explication de son effectuation temporelle semblait assurée ».
Le dualisme cartésien et l’absence de finalisme dans la technoscience sont, pour Hans Jonas et son disciple Vittorio Hösle, les causes principales de la crise écologique.
Le culte de la raison : (Wikipedia)
Le culte de la Raison des hébertistes athées (automne 1793 – printemps 1794) consiste, en France, en un ensemble d’événements et de fêtes civiques.
Ce fut un des éléments de la déchristianisation qui a accompagné la Révolution française. Il trouvait sa justification dans une certaine forme de résistance civique, la recherche de la défense des « acquis » de la Révolution française, notamment les libertés individuelles.
Ce culte se voulait une expression des idéaux des Lumières : liberté (d’expression, de pensée, etc.), égalité.
Philosophiquement, le culte de la Raison et celui de l’Être suprême correspondent à une religion naturelle, concept né à l’ère des Lumières.
Le culte de la Raison procède de l’athéisme et du naturalisme de Denis Diderot, dont s’inspirait Jacques-René Hébert.
Plusieurs églises furent transformées en temples de la Raison, notamment l’église Saint-Paul-Saint-Louis dans le Marais. Le « culte » s’est manifesté en 1793 et 1794 (ans II et III) par des cortèges carnavalesques, des dépouillements d’églises, des cérémonies iconoclastes, des cérémonies aux martyrs, etc. Le culte de la Raison a commencé à se développer particulièrement à Lyon et dans le Centre, où il était organisé par des représentants en mission souvent proches de l’hébertisme. Le mouvement se radicalisa en arrivant à Paris avec la fête de la Liberté à la cathédrale Notre-Dame le , organisé par Pierre-Gaspard Chaumette. Le culte était célébré par une beauté figurant la déesse de la Raison. Joseph Fouché (dans la Nièvre et en Côte-d’Or) –Joseph Fouché, dit Fouché de Nantes, duc d’Otrante, comte Fouché, est un homme politique français, né le au Pellerin près de Nantes et mort le à Trieste. Il est particulièrement connu pour la férocité avec laquelle, durant la Révolution, il réprima l’insurrection lyonnaise en 1793 et pour avoir été ministre de la Police sous le Directoire, le Consulat et l’Empire Il entre au séminaire de l’Oratoire de Nantes où il reçoit les ordres mineurs; les idées répandues chez les Oratoriens sont celles des Lumières, et il en ressort athée4Il effectue une intense entreprise de déchristianisation de la Nièvre et de l’Allier. C’est au cours de ses missions dans le Centre et la Bourgogne que se manifesteront certaines dérives : destructions d’églises, croix brisées, pillages de trésors d’églises, autodafés de livres pieux et de vêtements sacerdotaux, etc.,Fouché est-il chargé de faire exécuter le décret qui ordonnait la destruction de la ville de Lyon, et il encourage les cruautés qui furent commises alors : à cette occasion, il gagne le surnom de « mitrailleur de Lyon », pour avoir substitué à la guillotine, jugée trop lente, l’exécution de masse des habitants jugés suspects par la mitraille (des canons tiraient sur des groupes de plusieurs dizaines de condamnés). 1 683 Lyonnais sont tués, victimes de la répression de Fouché, En qualité de ministre de la Police, il fait arrêter les Directeurs lors du coup d’État du 18 Brumaire[réf. nécessaire]. Sans avoir confiance en sa probité, le Premier Consul le maintient dans son poste et il obtient ainsi son portefeuille de ministre, ministère qu’il réorganise, cumulant la direction de la police et celle de la gendarmerie.-. Joseph Fouché et Chaumette (à Paris) furent parmi les instigateurs de ces événements du culte de la Raison, avec les hébertistes. Les églises parisiennes furent fermées le par la commune de Paris, la liberté des cultes étant toujours théoriquement garantie par la Convention. Les régions les plus touchées ont été la Bourgogne et les départements de l’actuelle région Centre, le bassin parisien, la région lyonnaise, le Nord, et le Nord du Languedoc. L’Est, le Grand Ouest, l’Aquitaine (sauf le Lot-et-Garonne) ont été relativement épargnés. La carte comporte certaines affinités avec la carte des prêtres assermentés de 1791 (Timothy Tackett).
Le Temple de la raison
Un temple de la Raison, créé sous la Révolution française en 1793, est un temple athée consistant en un monument chrétien reconverti pour y organiser le culte de la Raison des hébertistes athées (automne 1793-printemps 1794), puis le culte de l’Être suprême des montagnards déistes (printemps 1794-été 1794).
La « religion » centrée sur le culte de la Raison devait rassembler tous les peuples sous la devise de la liberté et de l’égalité afin de revenir aux principes fondamentaux de la République romaine, ce qui signifiait explicitement la fin de toutes les monarchies.
Le principal instigateur du culte de l’Être suprême fut Robespierre. Député du tiers état, puis chef de file du parti des montagnards devenu l’un des accusateurs, avec son collaborateur direct Saint-Just lors du procès de Louis XVI et figure prépondérante du Comité de salut public de juillet 1793 à juillet 1794, il proposa, pour contrer la religion catholique mise à l’index depuis 1792, mais aussi pour contrer les idées athées, de créer une nouvelle « religion », d’où l’idée de « reconsacrer » des églises, dont celle de sainte Geneviève à Paris, en temples maçonniques dits « de la Raison ». En effet, sainte Geneviève était vénérée pendant la Révolution, car elle avait protégé Paris contre l’invasion des Huns en 451.
De nombreuses églises furent transformées en temples de la Raison :
- la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 1 ;
- l’église de la Madeleine à Paris ;
- l’église Saint-Sulpice à Paris ;
- l’église Saint-Paul-Saint-Louis à Paris dans le Marais, ancienne maison professe des jésuites ;
- l’église des Invalides à Paris ;
- l’église Saint-Thomas-d’Aquin à Paris ;
- le Panthéon de Paris ;
- l’église Saint-Pierre à Paris dans le quartier de Montmartre (dévastée) ;
- l’église Saint-Pierre de Caen ;
- la cathédrale Notre-Dame de Chartres ;
- l’église Saint-Hermeland de Bagneux ;
- l’église Notre-Dame de Bordeaux ;
- la cathédrale Notre-Dame de Reims ;
- l’église Saint-Sauveur de Rennes ;
- la cathédrale Notre-Dame de Rouen ;
- la basilique Saint-Denis ;
- l’église Saint-Charles-Borromée de Sedan ;
- la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg (30 brumaire an II, ) ;
- la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Troyes ;
- l’église Notre-Dame de Versailles.
Un grand nombre d’autres églises de province connurent le même sort. Cependant, de nombreuses églises qui servaient d’entrepôts avaient été vendues ou affectées à d’autres usages et ne furent pas transformées en temples de la Raison ou en temples de l’Être suprême.
Le concordat rétablira en 1801 le culte catholique dans les églises.