Le Monde des religions
- Yves Bonnefoy : « La poésie, c’est ce qui reprend à la religion son bien »
ENTRETIEN
Yves Bonnefoy : « La poésie, c’est ce qui reprend à la religion son bien »
propos recueillis par Stéphane Barsacq et Jennifer Schwarz – publié le 30/12/2011
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Quelle différence établissez-vous entre poésie et mystique ? Ne participent-ils pas de la même démarche ? D’autant que certains grands mystiques furent aussi de grands poètes (Angelus Silesius, John Donne, Jean de la Croix).
C’est vrai que poésie et mystique ont en commun une expérience qui les distingue des religions et de leurs croyances. L’une et l’autre se portent dans la perception de ce qui est au-delà des lectures qu’on peut en faire avec le discours conceptuel. Mais c’est en venir à un point, un carrefour, où les deux voies se séparent. La mystique veut aller toujours plus avant dans la profondeur du réel, là où l’abandon de soi à l’unité prend le pas – et c’est comme une nuit – sur tout reste de représentation de choses : ce n’est pas seulement la langue des concepts qui est transgressée, ce sont les mots, la mystique tend au silence. Mais la poésie constate, en ce même point, que cette plongée est solitude, la présence grandissante de l’Un efface, avec le langage, le souvenir des autres êtres. Et sa décision, c’est alors de se souvenir du langage ; de considérer que le réel, ce n’est pas l’abîme cosmique mais la terre humaine ; et de revenir vers la société pour partager avec les hommes et les femmes du temps présent, historique, cette mémoire de l’infini de la chose dont je disais tout à l’heure que le conceptuel le fait méconnaître. L’infini du pain et du vin, ce qui permet le partage.
La poésie n’est pas la mystique. Mais des mystiques, ainsi Angelus Silesius ou Jean de la Croix, peuvent être des poètes quand pour un moment, qui risque d’ailleurs de durer, ils se retirent du projet de la « nuit obscure ». Ils accomplissent alors ce mouvement de retour que je viens de dire. Et Rimbaud n’est guère différent d’eux quand il écrit Alchimie du Verbe, après « des silences, des nuits », de « l’inexprimable », des « vertiges ».