Pour faire suite à l’article que j’ai fait paraître hier voici l’interview du Directeur de la publication du livre Transhumanisme : à la limite des Valeurs humanistes, paru en mars 2015.
« La science et l’humanisme peuvent et doivent se combiner pour mettre la science au service de l’amélioration de l’humanité : tel est le leitmotiv des réflexions du groupe Darwin. »
Cette phrase résume la position du groupe de réflexion qui se dit vigilant par rapport au transhumanisme mais qui lui est globalement favorable. Les positions défendues par le directeur de publication sur les points abordés sont difficilement contestables et sont favorables à l’homme amélioré : mourir plus vieux en meilleure santé, réparer l’être humain . Mais celui-ci refuse l’évolution vers un surhomme en tant que supermann sans donner de précisions sur la façon d’interdire l’accès à ces capacités suplémentaires que ces technologies nouvelles ouvriront à l’homme qui n’est ni vieux, ni physiquement diminué.
L’interview qui suit est publiée sur le site des éditions Memogrames
LE SURHOMME EST-IL POUR DEMAIN ?
Question : Qu’est ce que le groupe Darwin ? Et pourquoi s’est-il intéressé au transhumanisme ?
Le groupe Darwin est un groupe de réflexion humaniste qui fonctionne depuis 2007. Il a d’abord tenté de diffuser, auprès d’un large public, les notions d’évolution et de défaire des arguments créationnistes. Dans un second temps, nous sommes passés au thème de la bioéthique, car, dans ce cas aussi, des dogmes veulent nous imposer un mode de pensée, et veulent influencer notre mode de vie.
La notion « d’homme augmenté » est aussi un de ces domaines où certains veulent occulter nos connaissances, mais, pire encore dans ce cas, retarder ou empêcher des avancées scientifiques ou médicales en terme de cellules souches, par exemple, et empêcher donc des promesses thérapeutiques. La science et l’humanisme peuvent et doivent se combiner pour mettre la science au service de l’amélioration de l’humanité : tel est le leitmotiv des réflexions du groupe Darwin.
Question : Avec le transhumanisme, ne risque-t-on pas un darwinisme social ?
Mentionnons que Darwin considérait que l’être humain n’est pas le résultat d’une cause transcendante et que parler de création n’est qu’une superstition sans fondements. Il spécifiait, en 1871 dans The Descent of Man, que la sélection naturelle n’est plus la force principale de l’évolution humaine, c’est l’éducation qui prend le relais. Celle-ci permet de donner aux individus et aux sociétés des comportements opposés aux effets éliminatoires de la sélection naturelle et donne, au contraire, des comportements d’assistance aux plus faibles et aux plus déshérités. La sélection naturelle a donc engendré dans les populations humaines des instincts sociaux « anti-sélectifs », tournés de plus en plus vers l’altruisme et les valeurs de l’intelligence. C’est donc de manière totalement erronée que des auteurs ont utilisé le concept de la sélection naturelle en termes de darwinisme social, ou d’eugénisme ou encore de racisme. Mais je ne vois pas, d’autre part, le lien que vous feriez entre transhumanisme et darwinisme social ?
Question : Darwinisme social, dans le sens de l’homme augmenté, donc plus fort, voire immortel…
Je dirais plutôt l’homme amélioré. L’objectif peut être varié : réparer des déficits et maintenir des capacités ou améliorer une adaptation à un environnement en voie de changement ou, en effet, augmenter des performances. Cet homme amélioré donne lieu à des rapports futuristes, entrainant des réactions technophobes ou technophiles. Technophobe par des craintes d’évolution technologique déréglementée, d’une société déshumanisée, voire par un catastrophisme (ambiant) ou technophile dans les milieux technoscientifiques, surtout américains, ou dans des milieux économistes, industriels et médicaux. Quant à l’immortalité biologique, elle restera toujours un mythe, n’en déplaise à certaines religions, et n’en déplaise également aux fictions transhumanistes. En termes transhumanistes, ce qui est plus raisonnable d’envisager est de mourir plus vieux en meilleure santé. La vie n’étant que finie, il nous faut modestement travailler à se connaître nous-mêmes et aider à construire un monde meilleur. Et si, dans cette optique, nous pouvons « réparer » l’être humain, pourquoi pas ?
Question : A vouloir réparer, n’ouvre-t-on pas la porte à l’homme parfait ?
Nier la possibilité d’améliorer la qualité de vie grâce aux progrès scientifiques relève d’une attitude pour le moins conservatrice, ou d’une attitude liée à une idéologie. Trop souvent, nous conservons des réflexes de refus des changements, surtout si ceux-ci ont des implications sociétales. Les sciences et la médecine nous rendent-elles dépendants d’un modèle de bien-être ? Mais qui voudrait nier l’augmentation d’espérance de vie ? Mais qui voudrait refuser une vieillesse prolongée avec une qualité de vie améliorée ? Mais qui refuserait la possibilité de dompter ses souffrances et ses maladies ? Mais qui ne voudrait pas « réparer » un corps handicapé ?
Mais ne suis-je pas toujours moi-même si mon corps est artificialisé, voire robotisé ? Même si mon corps est objet, est-ce que je ne garde pas mon identité ? Crick a dit : « Je ne vois pas en quoi l’homme actuel serait si parfait qu’il ne faille pas chercher à l’améliorer ». L’être humain ne sera jamais parfait, mais il peut connaître parfaitement ses imperfections. Réfléchir à ses conditions de vie et à sa mort conduit nécessairement à des questionnements philosophiques sur la vie et la mort, réfléchir aux possibilités transhumanistes nous oblige à approfondir ces réflexions et à y ajouter un questionnement sur le sens de la vie. Peut-être est-ce cela qui est le plus dérangeant ?
Question : Le surhomme n’est-il pas pour demain ?
Surhomme ? Entendons-nous ! Si c’est le surhomme de « Ainsi parlait Zarathoustra » qui invite chacun à se construire, pourquoi pas ? Si, comme pour Nietzsche, c’est dire oui à la vie et non à la souffrance, pourquoi pas ? Le surhomme en tant que dépassement de soi, pourquoi pas ? Si l’éthique surhumaine est la morale humaine moins la transcendance, pourquoi pas ? Le consentement du corps est l’amour de la vie. Ce qui compte est la qualité de sa vie plus que sa quantité. Mais, naturellement, si on prend le terme « surhomme » dans un sens dégradé de superman ou dans le sens corrompu donné par la sœur nazie de Nietzsche, nous nous éloignons des applications humanistes des techno-sciences et nous entrons dans tous les phantasmes que la science-fiction peut nous proposer.
Question : Les techniques transhumanistes ne vont-elles pas exagérer les inégalités sociales ?
Je suppose que vos lecteurs savent que des inégalités sociales existent déjà ! Les techno-sciences en sont-elles responsables ? Si, aujourd’hui, les inégalités économiques croissent en mettant en concurrence permanente les nations entre elles, les régions au sein de chaque nation, et les personnes perçues par le néolibéralisme comme assistées, est-ce la faute aux sciences ? Et à qui la faute du fait que si, de 1950 à 1980, les revenus du travail avaient augmenté, qu’à partir de 1980 les restrictions salariales et sociales ont fait que les revenus financiers ont augmenté proportionnellement plus que ceux du travail ? Mais je ne veux pas éviter votre question, les problèmes éthiques liés au progrès de la médecine sont nombreux. Ils se couplent aux coûts de plus en plus élevés des techniques développées. Comment en donner le bénéfice au plus grand nombre en évitant des dépenses inutiles ? Comment répartir les nouveaux équipements ? Sur quels critères ? Et comment maîtriser des dépenses publiques de santé ? Il est clair qu’avec le vieillissement de la population, les frais d’intervention médicale augmenteront et l’augmentation de l’espérance de vie y participe. Les principes de solidarité sont essentiels aujourd’hui et le seront encore plus avec les nouvelles technologies. Les techniques transhumaines vont-elles exacerber ces inégalités ? Je ne le crois pas : prenez le cas de la carte génétique : en 10 ans, de 2000 à 2010, l’examen de votre génome est passé d’un coût de trois milliards de dollars à moins de 100 dollars actuellement.Cette cartographie génétique sera bientôt couverte par la sécurité sociale et permettra de mieux prendre en charge certaines pathologies, certains cancers notamment. Des traitements seront mieux ciblés, plus efficaces, et donc, en fait, on peut s’attendre à des gains pour la sécurité sociale. De plus, si les technologies coûtent cher au début, les privilégiés, qui peuvent se permettre de les acheter, servent de cobayes. Quand elles seront devenues fiables, elles seront accessibles à un plus large public et seront devenues plus acceptables au niveau financier. Toute nouvelle technique est expérimentale au début et est donc onéreuse. Et, par après, elle se démocratise. On pourrait multiplier ainsi les exemples, et la philosophie restera semblable pour les techniques transhumanistes.
Question : Nous allons donc vers le meilleur des mondes ?
Qu’on le veuille ou non, les sciences continueront à faire des découvertes dérangeantes et des techniques nouvelles suivront. N’en déplaise aux technophobes, les techniques font partie de nos civilisations et le seront de plus en plus. Ne sommes-nous pas déjà dans une forme de transhumanisme ? Greffe d’implants et de microprocesseurs, cœur artificiel, prothèse de hanches,… culture de cellules, thérapie cellulaire, thérapie génique…. Si on vous avait parlé de ces techniques il y a à peine dix ans, vous auriez déjà crié au transhumanisme. Il ne s’agit donc pas de diaboliser les sciences, ni d’ailleurs de les encenser. Une analyse critique reste nécessaire, mais, dans nos sociétés, les individus veulent comprendre leur vie, ils refusent de subir sans comprendre, et d’être le jouet d’une vie subie.
N’attendons donc pas de ces techno-sciences, ni un progrès de l’humanité elle-même, ni une forme de déshumanisation, ni encore son anéantissement. Mais soyons-en conscients : biotechnologie, nanotechnologie, neurosciences, génomique,… amèneront à des possibilités d’amélioration des conditions de santé, de réparations corporelles, et donc de vie plus longue.