Vers une vision intégrale conciliant science et
spiritualité
Andreas K. Freund
Association Via Cordis,
Bordeaux, e-mail : kafreund@free.fr
La
découverte de la physique quantique au début du siècle dernier a révolutionné
notre compréhension de la nature. Aujourd’hui, les applications technologiques
de cette nouvelle forme de science ont un impact très important sur nos vies.
Mais relativement peu de personnes sont conscientes des aspects philosophiques,
métaphysiques, également révolutionnaires de cette science qui représente un
véritable changement de paradigme. La vision quantique du monde se rapproche de
façon étonnante mais tout-à-fait logique de l’enseignement des traditions
spirituelles millénaires. La relation étroite entre la science orientée vers
l’extérieur (physique, chimie, biologie, …) et l’expérience de la connaissance
par la recherche intérieure (méditation, expansion de conscience, …) devient de
plus en plus visible. Les aspects matérialistes de la science s’effacent
progressivement dans la lumière d’une nouvelle approche plus globale, où la
science est non seulement compatible avec mais associée à la spiritualité :
dans ce nouvel espace science rime avec conscience.
Aujourd’hui notre compréhension de nous et du monde, de la vie et de notre existence, est en train de passer par une transition profonde. Un processus de passage sans précédent vers une nouvelle ère est ressenti partout dans le monde, à tous les niveaux, dans toutes les cultures. Ce choc violent secoue les fondations des concepts et schémas scientifiques, sociales, politiques, économiques – la fameuse crise. La tradition védique, la plus ancienne du monde, source de toutes les religions et de tous les courants spirituels, parle d’un changement de yuga qui a lieu périodiquement. Cette transition est précédée de turbulences qui se manifestent par des crises de plus en plus fortes. Ce ne sont pas des crises d’énergie ou des crises d’économie, mais ce sont des crises d’ignorance et d’absence de conscience, des crises de compréhension de ce qui se passe en arrière-plan, et ceci malgré le progrès extraordinaire de la science, en particulier de la physique quantique qui a fait son entrée dans d’autres domaines de recherche scientifiques comme la chimie et la biologie.
On peut considérer la science comme une vision extérieure, une approche partielle de quelque chose beaucoup plus vaste, plus profond et mystérieux. C’est une fenêtre de compréhension d’une réalité qui évolue depuis la création de l’univers. Les scientifiques mesurent les dimensions de ces fragments de la réalité (galaxies, planètes, atomes, particules élémentaires), et déterminent leur structure et leur mouvement par des techniques d’imagerie de plus en plus performantes. Ensuite ils créent des modèles qui sont capables de reproduire les observations en se servant de la mathématique. Dans un deuxième temps, en appliquant les lois trouvées, l’homme construit des machines. Il invente des schémas et des systèmes qui fonctionnent dans certaines limites. En effet, ces modèles sont valables seulement à l’intérieur du périmètre de ses connaissances et de sa conscience. Ensuite il projette cette vision partielle qui caractérise la fragmentation de son esprit sur la nature et dit avec fierté : "la nature obéit aux lois de la science". Puis il enferme ses observations, y compris lui-même, dans une normalisation des fragments, produit une statistique, et définit ainsi le monde. Sauf que le monde – et les scientifiques l’ont prouvé eux-mêmes en début du 20ième – ne fonctionne pas vraiment de cette façon-là.
Pourquoi ? Parce qu’il existe des liens entre les fragments qui font que le tout est toujours plus grand que la simple somme des parties : {1 + 1} > 2. Il est donc intéressant de se concentrer sur ce qui se trouve entre les morceaux de matière, entre les éléments d’un ensemble complexe qui constitue le minéral, le végétal, l’animal, le corps humain et celui de l’humanité, voir du monde et de l’univers. Plus encore, il faut comprendre non seulement ce que (le knowhow) mais aussi celui qui (le knowwho) fait fonctionner notre monde, de plonger depuis les symptômes en apparence dans les sphères plus subtiles, plus difficile à explorer car les lois de la nature en profondeur ne sont plus les mêmes qu’on a l’habitude d’observer à la surface. Les grecs définissaient l’atome comme la plus petite brique de la matière. Aujourd’hui nous savons
que l’atome consiste d’électrons, de protons, de neutrons et de tout un zoo d’autres particules dites "élémentaires" encore plus petites. Toutes peuvent êtres classifiées selon leur propriétés de masse, charge, magnétisme, polarisation, énergie, etc. L’atome a été remplacé par une autre quantité de matière ou énergie qui ne peut plus être subdivisée, le "Wirkungsquantum" de Planck (littéralement traduit "quanton d’action"), désigné par la lettre h, une nouvelle chaise pour y asseoir un modèle totalement différent de la physique mécaniste Newtonienne – jusqu’à ce qu’émergera une théorie différente dans une période post- quantique à venir, une fois le mur de Planck sera transcendé. Nous savons aujourd’hui que toutes les propriétés macroscopiques (couleur, structure, dureté, etc.) du monde visible à l’œil nu dépend de la structure microscopique qui, quant à elle, est décrite par la physique quantique.
On ne peut arrêter la recherche car elle est inhérente à l’évolution de l’homme. On pourrait dire qu’elle suit l’instinct de découvrir dans un sens noble. Puisque le niveau de la question du chercheur détermine le niveau de la réponse, c’est son niveau de conscience qui détermine la nature et – plus encore – le niveau d’impact des découvertes. Ainsi les découvertes de l’homme sont toujours à l’échelle de sa conscience sans cesse grandissante. Grâce à ce principe, à priori il ne court donc pas un danger s’il fait de la recherche. Mais quant aux objectifs des applications des résultats, l’homme possède une liberté de choisir, de prendre ses décisions soit en faveur du placebo de son ego que je nommerai "placego" (ce qui plaît à l’ego), soit pour servir un but supérieur pour le bien de l’humanité.
L’humilité est un facteur très important dans tout ce que nous
entreprenons. Être émerveillé dans l’admiration de la création, avoir un
sentiment de gratitude profonde de pouvoir découvrir l’immensité de tout ce que
la nature nous offre de beau, nous maintient dans un respect de ce grand
principe créateur qui est à l’origine de tout et à qui tout revient. Beaucoup
de grands scientifiques ont exprimé ce sentiment. Einstein a dit que "l’âme de celui qui ne sait plus
s’émerveiller et se laisser envahir par une admiration respectueuse [de la
création] est déjà morte." Nous pouvons célébrer ce que nous savons
tout en étant conscient de cette immensité que nous ne savons pas. Si un jour
nous nous voyons devenir arrogants, si l’effet placego se manifeste, nous pouvons nous rappeler la question posée
par Stephen Hawkins : "Même s’il
existe une théorie unifié, ce n’est qu’un ensemble de règles et d’équations.
Qu’est-ce que c’est qui souffle le feu dans les équations et crée l’univers
qu’elles décrivent ?"
La science est quantitative. Elle pose la question du "comment" et non du "pourquoi". La physique parle du know-how et ne se préoccupe pas du know-who. Mais ces deux parties de l’ensemble sont liées, elles sont interdépendantes. Une des conséquences est que la science est incomplète, et la physique elle-même le prouve mathématiquement cette incomplétude (théorème de Gödel).
On ne peut comprendre la physique quantique par une approche mentale ordinaire, affirment les pères de cette révolution scientifique, et c’est toujours le cas. Même si le formalisme mathématique fonctionne parfaitement bien et donne des résultats qui sont vérifiables par les expériences, la compréhension profonde de la philosophie derrière ce concept nécessite une transformation de la conscience, de notre instrument de perception et d’interprétation intérieure. Cette révolution intérieure a déjà commencée, comme le témoignent les publications en nombre croissant sur la signification du quantique dans notre vie. Elle est basée sur une perception globale d’un système où tout est connecté, une structure dynamique ouverte de tous les possibles où plus rien n’est prédéterminé comme dans la physique classique. D’où l’importance du lien, c’est qui se trouve entre les objets, devient primordiale. Ce n’est pas un hasard que l’internet a été inventé au CERN à notre époque.
Un résultat important de cette théorie quantique est que les particules (électrons, protons, neutrons, etc.) se comportent soit comme des petits corpuscules, soit comme des ondes selon de mode d’observation. Dans la célèbre expérience de Young, le fait d’être observé change l’aspect ondulatoire de l’électron en aspect corpusculaire. On nomme cet effet dualité onde-particule. Donc c’est l’observ-action qui crée la réalité. De plus, il est impossible de déterminer simultanément le lieu et la vitesse (ou l’énergie) d’une particule avec une précision absolue (principe d’incertitude de Heisenberg). A l’échelle quantique, rien n’est plus sûr ; il n’y
existe que des probabilités, et le résultat ne nous appartient pas. L’approche quantique reconnaît et accepte sa propre incomplétude ce qui la pérennise car la recherche n’est jamais terminée.
Une revue exhaustive des retombées philosophiques de la mécanique quantique est donnée dans un livre récent de Jean Staune1. En observant c’est l’observateur participant qui crée la réalité tout en étant créé lui- même par elle2. Cette interaction observateur-observé se passe au sein d’un champ3 appelé "champ du point zéro" ou "champ quantique unifié" qui consiste en une mer subtile d’énergies fluctuantes à partir desquelles tout émerge: atomes, galaxies, étoiles, planètes, êtres vivants.4 Les interactions subtiles dans ce champ de cohérence universelle5 sont tellement sensibles que seulement l’intention de procéder à une observation produit déjà un effet6. La philosophie védique emploie les mots akasha et éther pour nommer ce champ.
La physique moderne nous a fait découvrir que la matière n’est pas une masse inerte sans vie, mais bien au contraire une chose qui vibre, qui possède une dynamique, sa propre vie. Elle est lumière condensée qui a la faculté de rayonner, "esprit coagulé" comme disait H.P. Dürr, élève de W. Heisenberg, un des pères de la physique quantique qui a voyagé en Inde sur invitation de Rabindranath Tagore. Dans le contexte de la physique quantique on parle souvent de "dématérialisation" du monde. Si nous changeons notre perception de la matière, nous devrions aussi changer la signification des mots dérivés, par exemple "matérialisme", et inventer un nouveau vocabulaire et prononcer le verbe créateur, exemple : le mot "corde". Effectivement, dans un nouveau mode de vision l’apparence des choses change, ce qui nous montre que nous sommes bien des cocréateurs subjectifs, et que la "réalité" telle que nous l’observons dépend de notre niveau d’évolution. L’objectivité si chère aux scientifiques est devenue un mythe du passé : ceci est également un résultat de la physique quantique.
Une véritable découverte implique une mise en évidence de sa propre subjectivité. Habituellement ceci est une affaire complexe et longue mais en même temps excitante et gratifiante. Par "véritable" nous comprenons une découverte réelle qui signifie un changement de paradigme de base, et non un développement purement technologique. Elle apparaît suite à un reset (remise à zéro) du connu et au grandissement intérieur suivant qui permet de dépasser le cadre limité auparavant par le rayon des connaissances devenues obsolètes. Ceci correspond à un changement de niveau de conscience définitif suite à une zone de turbulence caractérisée par des sauts ponctuels ou changements d’états de conscience. On peut assimiler cette transition définitive à une sorte de "micro-bigbang". Patrick Drouot décrit cette nouvelle dynamique de la pensée intégrale et donne des outils précieux menant à une évolution intérieure indispensable à un changement de niveau de conscience7.
En résumant, toute matière provient d’une force et n’existe que par celle-ci. "Nous devons présumer l’existence, sous cette force, d’un esprit conscient et intelligent" disait Max Planck, un des fondateurs de la physique quantique. L’esprit se manifeste à travers la matière, il l’habite. La matière est donc un lieu de l’esprit. La lumière est également une expression de l’esprit. L’esprit utilise ces deux aspects pour se manifester. Il pourrait y en avoir d’autres, qu’en savons-nous ? Cet esprit est la matrice de toute la matière. Dans cette matrice, nous sommes le contenant dans lequel existent toutes choses, les cocréateurs reliant notre monde intérieur au monde extérieur dans un espace où science extérieure et science intérieure fusionnent. Dans cet espace-là la dualité esprit-matière n’existe plus ; les deux sont expression du créateur.
1 Jean Staune, Notre existence a-t-elle un sens? Presses
de la Renaissance, Paris (2007).
2 Henry P. Stapp, Mindful Universe. Springer Verlag,
Berlin-Heidelberg-New York (2007).
3 Harald Walach, Stefan
Schmidt, Wayne B. Jonas, Neuroscience,
Consciousness and Spirituality. Springer (2011).
4 Ervin Laszlo, Science et Champ Akashique. Ariane,
Outremont, Canada (2005).
5 Lynne Mc Taggart, Le Champ de la Cohérence Universelle.
Ariane Éditions, Outremont, Canada (2008).
6 Lynne Mc Taggart, Le Lien Quantique. Macro Éditions,
Cesena, Italie (2012).
7 Patrick Drouot, La Révolution de la Pensée Intégrale. Editions
Alphée, Jean-Paul Bertrand (2010).
Puisque c’est le niveau des questions qui détermine le niveau des réponses, c’est le niveau de la conscience qui détermine la nature et le niveau des connaissances. Mais dans cette boucle de question-réponse intervient une dimension supérieure propre à l’homme le distinguant de l’animal, qui lui permet de découvrir du nouveau. Les découvertes de l’homme proviennent de l’inspiration qui fait grandir sa conscience. Grâce à ce principe il ne devrait pas courir un danger s’il fait de la recherche, à condition qu’il respecte l’origine de cette force d’élévation et reste dans la gratitude et dans l’humilité. Alors en plus des niveaux de la connaissance et de la conscience qui définissent le niveau de réalité à un moment donné, il existe un troisième facteur, essentiel pour un fonctionnement harmonieux de l’homme dans la société et l’univers, c’est le niveau d’être. Il correspond à la présence de l’âme dans ses pensées et actions. C’est elle qui parlait à travers François Rabelais quand il prononçait la célèbre phrase "science sans conscience n’est que ruine de l’âme". La conscience se sert de la science comme outil indispensable pour construire la réalité derrière les phénomènes observés. Mais seulement si science et conscience sont animées par l’âme, l’alchimie de la transformation sera complète. L’amour seul crée du nouveau.
Moins l’effet placego est présent, plus l’âme peut se faire entendre. Le siège de l’âme se situant traditionnellement dans le cœur, les décisions seront alors prises au niveau du cœur. Le siège du mental et de l’intellect est le cerveau. Le centre émotionnel qui a également son importance se trouve au niveau du ventre. Mais c’est le cœur qui doit être le maître. Sur le plan du mesurable physiquement, les champs électrique et magnétique du cœur sont largement supérieurs à ceux du cerveau. Nous devons apprendre à accéder aux connaissances non seulement par le mental. Nous devons apprendre à apprendre autrement. Pour cela regardons notre façon de percevoir.
La façon dont nous percevons le monde et nous-mêmes dépend de plusieurs facteurs. Le résultat final de la perception qui conditionne l’action est fonction non seulement de notre instrument de la vision physique – les yeux – et ses prolongations, le télescope et le microscope, mais aussi de la nature de la lumière utilisée. Par exemple, en nous servant de la lumière visible nous pouvons distinguer les cellules de notre corps, mais non leur structure intérieure et leurs constituants, les molécules. Ces dernières peuvent être perçues grâce aux rayons X, lumière d’une longueur d’onde dix mille fois plus petite, invisible à l’œil nu. Toujours de nature électromagnétique, elle pénètre plus loin dans la matière. On pourrait dire qu’elle est plus subtile. De plus, l’objet observé montre différents aspects selon le degré de polarisation et de cohérence de la lumière.
Ensuite l’image qui s’imprime sur un ensemble de pixels de la rétine avec des intensités et fréquences différentes et codées, est analysée et interprétée. Cette tâche est accomplie par le cerveau, qui, lui aussi, va employer, pourrait-t-on dire, une certaine forme de « lumière » psychologique, selon la nature de l’objet et du passé, du conditionnement de l’observateur. De cette façon nous créons notre réalité individuelle. L’objet devient également sujet parce qu’il exerce une influence sur nous. Inversement, à un niveau quantique, l’observateur influence l’objet qui se comporte différemment s’il est observé ou non (expérience de double fente de Young).
Il est toujours intéressant de remonter à l’origine des mots qui ont été empruntés par la science pour contenir ou habiller une idée, un concept ou une observation du monde extérieur. Par exemple, le mot science utilisé dans les langues française et anglaise provient du mot latin scientia qui est apparenté à connaissance. Le mot connaissance à son tour peut être compris comme "être né avec". Par contre, en allemand, le mot pour science à une racine différente : Wissenschaft est composé de wissen qui peut être associé avec le mot latin videre (voir) et le mot allemand schaffen (créer). Donc Wissenschaft est ce qui est créé par la vision. Mais il y a encore des racines plus anciennes: le mot wizzan de l’allemand ancien veut dire avoir vu. Ceci nous inspire que tout a déjà été vu et est donc déjà connu. Ainsi nous recréons le monde par notre expérience. "Aucun homme ne peut rien vous révéler sinon ce qui repose déjà à demi endormi dans l'aube de votre connaissance" dit le poète Khalil Gibran. Chaque découverte est en fait une redécouverte partielle sous un angle particulier de quelque chose qui existe en nous de façon globale. C’est une manifestation de notre fragmentation.
Une nouvelle forme de perception devient possible grâce à l’ouverture de l’esprit vers une conscience supérieure ce qui nécessite l’acceptation du fait qu’une telle conscience existe et qu’elle nous est accessible. Ceci est enseigné dans toutes les grandes traditions spirituelles. Nous pouvons l’appeler la supraconscience, le champ de tous les possibles, l’océan infini, Dieu, le grand ingénieur, le principe de création, la loi universelle, la vérité ultime... L’accès au champ de la connaissance devient possible grâce à l’élimination systématique et progressive des projections mentales produites par l’effet placego et des illusions issues de l’ignorance, par un développement de la capacité de discernement, appelée viveka en sanskrit. Par viveka nous accédons à tattva, la vérité. Ce processus est profondément scientifique mais dirigé vers l’intérieur. Ici l’aide d’un maître est extrêmement précieuse.
Il est intéressant de noter que les acteurs majeurs, les physiciens à l’origine de ce saut quantique de la physique étaient connectés à l’Inde et à la philosophie védique. Par exemple, Erwin Schrödinger connaissait très bien la Bhagavad Gita. Sa fameuse équation, mantra central du formalisme mathématique quantique, contient un terme statique et un terme dynamique qu’on peut associer avec Shiva et Shakti, deux principes de la création selon l’enseignement védique. En même temps, à la fin du 19ème – début du 20ème siècle, des sages indiens comme Swami Vivekananda ou Paramahansa Yogananda voyageaient vers l’occident pour y apporter la sagesse millénaire d’origine védique qui contient une grande partie dédiée à la science. Pour eux il n’y a pas de séparation entre science et spiritualité. Swami Vivekananda écrivait : "La vérité obtenue grâce à l’expérience intérieure correspond à la religion et à la métaphysique. Celle issue de l’expérience extérieure correspond à la science physique. Une vérité parfaite doit être en harmonie avec les vérités de ces deux mondes. La vérité physique doit avoir sa contrepartie dans le monde intérieur et le monde intérieur doit avoir sa vérification à l’extérieur." La séparation entre science et spiritualité est arrivée plus tard dans la philosophie grecque. Aujourd’hui nous assistons à une convergence consciente des deux disciplines – la boucle se ferme.
Figure 1: ‘Painting’ par Alex Grey.
"La
vie en elle-même est une toile vide. Elle devient ce que vous peignez dessus.
Vous
pouvez peindre la misère ou vous pouvez peindre la joie.
Cette liberté est votre
splendeur." Osho
Aujourd’hui il s’agit une fois de plus de sortir de la vision du "ou ceci – ou cela", p.ex. "ou phénomène ou noumène" d’Emmanuel Kant (1724-1804)8 comme deux mondes séparés dont le second est inaccessible, afin d’arriver au "et ceci – et cela" ou par le "ni ceci – ni cela (néti-néti)" si la chose ne peut être décrite par une affirmation de ce qu’elle est. Pour Kant, le vrai est l’opposé du faux et le faux l’opposé du vrai. Ces affirmations sont posées comme des préalables dans "Les premiers principes de la connaissance métaphysique" de Kant. Ou il y a de la matière ou il n’y en a pas, ou c’est de la matière ou c’est le vide, dirait
8 Pour une discussion des philosophies kantiennes et hégéliennes par
rapport à la physique quantique, voir http://www.matierevolution.fr/spip.php?article2773
Kant. Mais il y a quelque chose, de la "matière", dans le vide. La matière est une forme de structuration du vide selon la physique quantique. La philosophie de Friedrich Hegel (1770-1831) s’est construite par opposition à celle de Kant, non pas que Kant renonce à l’existence d’une essence des choses qui dépasse les apparences ou même contredise les apparences, mais il refuse l’idée de Kant qui mène à une inconnaissabilité de la réalité et même à une impossibilité d’étudier autre chose que l’interface homme- matière. Pour Hegel, la pensée humaine fait partie de la nature et n’a pas de frontière étanche avec elle. Il n’y a, pour lui, aucune frontière intraversable entre expérience, intuition et raison, contrairement à Kant.
"La spiritualité
est le meilleur moyen de trouver sa place dans ce monde, mais aussi de se
perdre" disait le pianiste Alfred Cortot. Il
convient de cultiver nos facultés spirituelles en se servant de notre capacité
scientifique, c’est-à-dire en développant systématiquement viveka – le discernement.
Sans cet ingrédient la spiritualité prend le risque de devenir un ensemble de
fausses croyances et de superstitions. Le
discernement est un apprentissage quotidien. Par l’expérience la vie
nous enseigne de distinguer entre illusion et réalité. Ici nous retrouvons une
nouvelle et en même temps très ancienne conception du monde. Dans cette vision
globale le matérialisme est dématérialisé, le mysticisme est démystifié, la
superstition ne trouve plus sa place. Les opposés classiques tels que science
et spiritualité ou raison et foi deviennent deux modes complémentaires de recherche
et d’expérience de la vérité qui s’enrichissent mutuellement. Les "quantons" de la science extérieure,
côté pile, trouvent leur pendant dans les "véritons" ou graines de vérité de la science intérieure, côté
face. L’opposition farouche entre créationnisme et évolutionnisme devient
obsolète car le principe créateur est non seulement compatible mais synonyme avec le principe de
l’évolution. La recherche de l’expression de la vérité extérieure s’allie à la
quête de la vérité intérieure.
Figure 2: Union entre spiritualité
et science. En haut le temple "Dharma
Peetha" construit par le sage indien Sri Tathata à Kollur, Inde du
Sud. En bas un temple de la science ultramoderne : la source de lumière
superbrilliante du laboratoire ESRF (European
Synchrotron Radiation Facility) à Grenoble.
Tout ceci paraît simple – en principe. Les outils – des instruments performants de perception – ont été développés pour servir les deux types de recherche : nos sens et leur extension (microscopes et télescopes) pour l’extérieur, méditation et contemplation pour l’intérieur. Il ne manque que la motiv-action pour prendre la décision ferme de les utiliser à bon escient, c’est-à-dire avec discernement, de nettoyer régulièrement les "lentilles" et d’augmenter leur acuité. Bien sûr, il y a des obstacles, des résistances à franchir et des problèmes complexes à résoudre. Mais comme c’est l’homme qui complique les choses, l’homme peut aussi les simplifier, et il n’est pas seul au monde. Les traditions spirituelles disent qu’en temps
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de crise des êtres de conscience supérieure tels les prophètes et sages (Bouddha, Jésus…) viennent aider l’humanité à élever son niveau de conscience. Ils sont des passeurs ; c’est à nous de les reconnaître et de les suivre.
La tradition millénaire védique transmis par les rishis (sages anciens) dit qu’il existe un ordre naturel des choses appelé dharma. Le mot dharma désigne aussi bien la vérité absolue que la porte qui ouvre la possibilité de connaître cette vérité et d’aller vers un état de perfection grandissant. Ainsi le dharma est en même temps le but et le moyen de l’atteindre : le chemin qui mène à l’éveil total de tout notre être et par conséquence à une divinisation de la vie sur terre. Dans l’enseignement védique, le chemin du milieu réunit science extérieure et science intérieure. Et c’est une histoire sans fin…
Le corps, longtemps négligé, occupe une place essentielle dans l’approche spirituelle, d’où l’importance du yoga. Aujourd’hui les résultats des neurosciences, de la biologie cellulaire et de la recherche sur le cerveau nous disent que notre corps est un système extrêmement complexe dont le fonctionnement ne peut être décrit par un modèle classique avec une relation linéaire de cause à effet. Le réseau de communication intra- et intercellulaire de nos 30 trillions de cellules est conçu pour optimiser les processus chimiques suivant un schéma quantique où chaos et ordre, maladie et santé, coexistent. A un certain niveau les informations sont propagées par des électrons de façon plutôt mécanique – on pourrait dire automatisée.
En parallèle, beaucoup plus rapidement et sur un niveau plus complexe, c’est la lumière qui sert de média de communication afin d’alimenter les critères de décision. L’ADN, par exemple, émet de la lumière. Les cellules échangent des biophotons. Ces découvertes relativement récentes ont pu être réalisées grâce au développement de détecteurs photoniques ultra-sensibles ET parce que l’homme a décidé de focaliser son attention sur ce sujet.
Le traitement des données nécessaires à un bon fonctionnement est effectué non seulement par notre cerveau – mieux, nos cerveaux, car nous en avons plusieurs – mais aussi en coopération collective de l’ensemble du réseau des organes et ses cellules. En effet, le corps possède une intelligence collective de tous ces composants. Cette intelligence est basée sur un ordre où chaque élément trouve sa place juste. A son tour, cet ordre est à l’image d’une cohérence globale, universelle, représentée par le champ quantique unifié. Pour que le corps devienne l’image fidèle de cet ordre et reflète ce que nous pouvons appeler ordre cosmique, le processus d’imagerie ne doit pas être perturbé ou déformé. De l’autre côté, le chaos qui s’exprime par les fluctuations quantiques prend une place juste, car il permet d’introduire la perturbation qui à son tour provoque la remise en question de l’ordre devenu obsolète et déclenche la mise en place d’un nouvel ordre plus global.
Si nous nous alignons à cet ordre global et supérieur, si nous connectons notre conscience individuelle à la conscience universelle, nos décisions, notre comportement, nos attitudes sont justes et tout est fluide tout en incluant la facette chaotique. Si l’image reçue à travers nos organes de perception – les sens plus la conscience – reste déformée ou brouillée, l’harmonie ne peut s’établir et le côté chaotique de la vie devient dominant. De l’autre côté, sans aucune impulsion chaotique la vie devient figée et stagne. L’évolution et la création du nouveau sont bloquées. D’où le besoin d’un équilibre dynamique, d’un va-et-vient entre chaos et ordre. L’entropie croissante du monde temporel d’énergie, la tendance vers le désordre, est compensée par la néguentropie conjuguée provenant d’un monde intemporel d’information sans jamais se stabiliser car ceci équivaudrait la mort. Mais il est également important de souligner l’instant de grâce qui survient au moment même où ce mouvement pendulaire passe par le point d’équilibre qui est représentée par le bindu. C’est cette grâce qui nous donne la confiance de ne pas abandonner le chemin poursuivi et nous procure la force si l’on s’abandonne au supérieur en se libérant du connu.
La conscience est l’organe subtil qui observe, coordonne et régule notre système à corps multiples, les véhicules de notre incarnation dans l’ici et maintenant. Elle travaille sur plusieurs plans : physique, émotionnel, mental et spirituel, et sur plusieurs niveaux : inconscient, conscient et supraconscient. Plus nous devenons conscients du degré grandissant de la complexité de la nature par notre observation, plus nous
avons besoin d’outils pour les gérer ce savoir avec sagesse. Cela ne veut pas dire que nous devons intervenir à tout prix dans les processus qui fonctionnent bien, bien au contraire. Mais le stress généré par la soif du pouvoir égotique tend incessamment à parasiter le déroulement harmonieux de notre vie en créant des besoins, peurs et désirs artificiels. Pour différencier ce qui est dû au placego de ce qui demande notre âme, la connexion avec une conscience supérieure, la supraconscience, devient indispensable, ceci pour maintenir et renouveler continuellement un système de référence adapté, une déontologie cosmique, une écologie universelle.
Nous sommes tous "condamnés"
à l’évolution, que nous le voulions ou non, à nous adapter à une accélération
progressive de la complexification et diversification de la nature dans un
monde en mouvement perpétuel, sans début ni fin. On peut se demander si c’est
seulement parce que nous découvrons progressivement cette complexité qu’elle
nous paraît grandissante ou si elle grandit vraiment. La réponse est (comme souvent) : les deux. Nous l’avons constaté auparavant : l’observation est un
processus, une action de création – l’observ-action.
La réalité ne peut exister sans réalisateur. Au fur et à mesure la vérité
conjuguée observateur-objet se manifeste devant les yeux étonnés – émerveillés
ou terrifiés – de l’être grandissant qui l’a peinte à son image, voir figure 1.
La figure 3 montre un modèle qui illustre la coexistence des domaines
scientifiques et spirituels avec un point très important, nommé bindu dans l’enseignement védique. Son
rôle primordial dans la connexion des deux mondes non-manifesté et manifesté
sera expliqué ultérieurement. Et derrière ces royaumes existe encore une
"autre chose (une autre cause)"
qui ne peut être décrit par des mots : "Aucun livre, aucune écriture, aucune science ne peut seulement imaginer
la gloire du Soi qui apparaît comme être humain, le Dieu le plus glorieux qui a
existé depuis toujours, existe à présent et existera à jamais." (Swami Vivekananda).
Figure 3: Un modèle, le schéma du huit
– la lemniscate ou le symbole de l’infini – pour illustrer la circulation des
énergies entre le pôle esprit et le pôle matière. Au moment de la transition de
l’univers par le Big Bang, le "UN" s’est déployé en deux mondes à
partir du bindu, point qui contient
toute l’information de la création. Par la méditation, l’homme peut avoir accès
au monde subtil, se connecter à la conscience globale (supraconscience) et
faire descendre la connaissance.
L’homme créateur se reproduit et se retrouve lui-même dans sa perception du monde autour de lui. Le chercheur scientifique réfléchit et se réfléchit dans les modèles scientifiques et dans les machines qu’il imagine et crée, exemple : l’ordinateur. De cette manière il se rassure et pacifie la peur qu’il puisse être perdu. Il est capable de développer toute une technologie merveilleuse qui peut servir dans la vie matérielle.
C’est cela la science extérieure. Mais pour éviter de s’enfermer dans les dogmes d’un esprit limité et/ou se perdre dans l’errance sans un but noble, de mourir dans l’auto-contemplation narcissique, l’homme doit écouter l’écho de son âme, renaître dans la connexion avec un cosmos global beaucoup plus vaste avec ses règles immuables à respecter qui, quant à eux, relèvent de la science intérieure, sacrée, initiatique. Aligné dans une direction verticale il défragmente sa conscience au fur et à mesure qu’il acquiert et accumule du savoir sur un plan horizontal en passant par l’expérience de la vie.
Dans cette évolution spiralique on arrive au but non pas parce qu’on cherche, mais parce qu’on (y) croit et parce qu’on grandit en cheminant sur une voie initiatique. La vie nous offre une immense opportunité de grandir. Le créateur nous a confié un cadeau précieux : la liberté. Mais ce cadeau n’est pas totalement gratuit. En échange nous devons perfectionner et utiliser notre conscience, la conscience du cœur et l’outil du discernement, qui nous confère la capacité de faire le choix juste afin de pouvoir assumer la responsabilité associée à la liberté : celui qui a reçu une réponse a aussi une responsabilité. La danse de la vie comprend des figures imposées et des figures libres. C’est en persévérant que nous transformons graduellement le potentiel illimité, nous passons du virtuel au réel, du paraître au être.
Nous avons reçu des talents, que nous en soyons conscients ou non. Notre cadeau en retour est de développer ces talents et les mettre au service de l’humanité, de l’univers entier. Ceci commence par guérir nos blessures en les transformant en initiations. Nous avons tous des chances de guérison et des dons de guérisseur. Nous avons la capacité de donner un sens aux choses, même à la maladie, de transcender les obstacles et de les transformer en révélateurs qui nous guident sur notre chemin.
Guéris-toi toi-même et tu guériras le monde.
Notre corps dans sa globalité est un observatoire à dimensions multiples. La spiritualité nous ouvre la porte et apporte la lumière dans l’espace du corps sacré où ça crée. La création prend forme dans nos corps manifestés sans arrêt : c’est l’apprentissage, le grandissement. L’homme va vers sa divinité, inexorablement. C’est CELA, sa véritable destinée.
Nous terminons par un poème9 de Pythagore, grand scientifique et philosophe du VIème siècle avant J-C:
C'est
aux humains dont la race est divine à discerner l'erreur, à voir la vérité.
La
nature les sert, toi qui l’as pénétrée homme sage, homme heureux, respire dans
le port.
Mais
observe ses Lois, en t'abstenant des choses que ton âme doit craindre en les
distinguant bien, En laissant sur ton corps régner l'intelligence, afin qu'en
t'élevant dans l'Ether radieux
Au
sein des Immortels, tu sois un Dieu toi-même.
9 Tiré de "Vers d’Or
– la perfection"