Le Tao-Te-King ou Dao de jing

Introduction

 

Ce livre fut écrit vers 600 ou 500 av.J.C. En Chine par Lao-Tse, un maître spirituel chinois contemporain de Confucius. La réécriture que je vous propose aujourd'hui n'est pas une fantaisie, une pure invention mais le fruit de recherches importantes dans les différentes traductions, reconnues par la communauté universitaire, et les commentaires de linguistes chevronnés. J'ai simplement réécris ce texte, sans en trahir le fond, à la lumière de La Voie d'aujourd'hui, qui est, selon nous, la même que celle enseignée par Lao-Tse.

 

Pour La Voie d'aujourd'hui, Lao-Tse était un maître éveillé et révélait, aux quelques très rares disciples qu'il a eu de son vivant, la même Connaissance, les mêmes techniques de Méditation et délivrait le même enseignement qu'aujourd'hui sur La Voie. Peu de gens le savent mais il existe des techniques de méditation taoïstes dont certaines très similaires au prànàyàma du yoga indien.

 

« Mon enseignement est facile à comprendre et à pratiquer. Pourtant peu cherchent à le comprendre et à le pratiquer. Mon enseignement a de profondes racines, mes actes ont une règle ancienne*.

 

Les hommes ne comprennent pas, c'est pourquoi ils ne prêtent aucune attention à mon enseignement. Rares sont ceux qui m'entendent et privilégiés sont ceux qui me suivent. C'est pourquoi le Sage, sous son apparence banale, cache un véritable trésor, Un trésor de jade. »

 

[Tao-Te-king, livre deux, chapitre 70]

 

 

Lao-Tse parlait du Tao et ce mot signifie La Voie. Le mot Tao-Te-King ou Dao De jing signifie: « classique sur les vertus de la voie ». Le mot « Tao » signifie donc « La    Voie », mais désigne, selon le contexte, La Voie, c'est-à-dire l'ensemble des pratiques ou le principe infini origine de toutes vies. J'ai pris le parti de différencier ces deux significations, dans la réécriture que je vous propose, en les écrivant différemment: pour le principe de vie le mot Tao est écrit avec une majuscule. Pour la voie spirituelle, c'est-à-dire sa pratique, le mot tao est écrit sans majuscule.

 

Le mot « Te » ou « De » signifie «Vertu ». Il ne s'agit pas de la vertu qui est une qualité morale mais des vertus dans les sens d’effets, de pouvoirs. Par exemple la vertu du feu est de brûler, celle de l'eau de mouiller. Pour nous l'expression « vertu du Tao » parle de ce que nous nommons aujourd'hui, le « Saint-Nom » ou « Verbe ».

Le mot « king » ou « jing » est un titre donné aux ouvrages importants. Le Tao-Te-King


est composé de deux livres: le premier, intitulé « Tao » ou « La Voie » et le second intitulé « De » ou « vertu ».

 

Lao-Tse était le contemporain de Confucius, en Chine et en Inde de Sri Gautama, le bouddha historique et du jaïnisme. Le Védisme était florissant, spiritualité issue de la fusion entre une spiritualité inconnue issue de la civilisation disparue de l'Indus et la spiritualité des Aryens venus de Perse via le Penjab, au nord-ouest de l'Inde.

 

Un épisode de la vie de Lao-Tse est plus particulièrement intéressant c'est son fameux voyage « secret » qu'il entreprit au sud-ouest de la Chine. Entre le nord du Penjab ou du Pakistan actuel (l'Inde avant la création du Pakistan) et le sud-ouest de la chine il y a peu de distance et de nombreux passages.

 

L'enseignement de Lao-Tse est si parfaitement identique aux enseignements dont l'origine est dans cette région de l'Inde antique que je formule l'hypothèse que Lao-Tse a été initié en Inde et qu'il enseignait cette spiritualité en Chine.

 

Évidemment Lao-tse parlait le chinois classique, pas le sanskrit et sa culture était aussi différente de celle des sages de l'Inde. Mais l'enseignement du Tao-Te-King et celui du Yogasûtra, de la Bhagavad-Gîtâ et du Bhaktimàrga sont identiques, sans compter sur les évangiles, une fois débarrassés des ajouts de l'église. Un évangile selon La Voie a été écrit : « l'évangile agnostique. »

 

Il s'agit du même enseignement.

 

Est-ce que je veux dire que Lao-Tse était yogi ? Hindouiste ? védiste ? Ou que Patanjali était taoïste ? Non: Lao-Tse n'était pas taoïste, Patanjali n'était pas un pratiquant du raja-yoga ou du hatha-yoga, pas plus que sri Gautama n'était bouddhiste ou le Christ chrétien. Quelle était la spiritualité du bouddha ? Quelle était sa pratique ? Quelle était la pratique de Gosala, le guru qui a initié bouddha ?

 

Le bouddhisme, le taoïsme, le christianisme ont été inventés après la disparition des éveillés dont ils se réclament.

 

La spiritualité de Lao-Tse n'est pas taoïste pas plus que celle du bouddha n'était bouddhiste. Il s'agissait de La voie et La Voie d'aujourd'hui est l'héritière directe de celle de Lao-Tse, de Krishna, de Patanjali, de bouddha, de Mani, du Christ et d'autres maîtres encore.


Tao-Te-King

LIVRE PREMIER

 

La Voie

 

 

 

1.

 

 

La voie qui peut se dire n'est pas La Voie*; le nom qui peut être dit n'est pas l'éternel, le sans nom, à l'origine du ciel et de la terre. Les êtres et les choses crées il y eut un nom, ce nom est la part du sans-nom, le Tao, contenue en chaque chose créé.

 

C'est pourquoi, lorsque l'on a réalisé la conscience de ce nom, en tout contenu, on voit l'Unité dans le multiple, tandis que lorsque l'on est dans la confusion de la dualité, on ne voit que ce qui sépare.

 

Une chose est l'être, l'autre le non-être et ces deux choses, le non-être et l'être, s'ils ont des noms différents, ont la même origine. Le non-être est le Tao, l'être est ce qu'il a créé par sa vertu, qui est son énergie. C'est ainsi que le non-être habite l'être. On dit ces deux choses profondes et elles le sont. C'est dans cette profondeur qu'est la porte de l'Unité, quand le Un et le multiple se confondent.

 

*La Voie ou tao.

 

 

2.

 

 

Dans le monde ancien, tous les hommes étaient droits, puis le vice a paru. Alors les hommes, en connaissant le vice, ont su voir et apprécier le bien. C'est toujours ainsi, les contraires existent l'un par l'autre comme l'être et le non-être.

 

Le difficile et le facile se comparent mutuellement. Le long et le court le sont l'un par rapport à l'autre. Le haut et le bas montrent l'un à l'autre leur différence. La tonalité et la voix s'accordent mutuellement. L'antériorité et la postériorité ne vont pas l'une sans l'autre.

 

De là vient que celui qui a réalisé l'Unité agit dans le non-agir, l'action faite dans le détachement de ses fruits et l'attachement constant à l'Unité. Le sage* enseigne même sans rien dire, alors ceux qui veulent bien le suivre se mettent à marcher sous sa guidance, que jamais il ne leur refuse. Mais s'il les guide, il ne se les approprie pas.


Il leur permet de se perfectionner sur la voie et n'attend rien de leur part. Ses mérites certains, le sage ne s'y attache pas , c'est ainsi qu'il les garde.

 

*Sage ou Saint ou éveillé. Saint est un terme très utilisé par les chrétiens, or il ne s'agit pas ici de saint comme ce mot est compris par le christianisme et éveillé est un mot utilisé par les bouddhistes, les hindouistes, les yogis etc. Je garde le mot sage mais il désigne, en fait, un éveillé ou un dévot sur La Voie de l'éveil.

 

 

3.

 

 

En ne mettant pas sur des piédestaux les sages, on évite de blesser le peuple et on le garde en paix. En ne montrant point ostensiblement le luxe on le garde loin du vol. En ne gardant pas son attention fixée sur les objets du désir on empêche le cœur de se troubler. C'est pourquoi, lorsque le prince est un sage il se tient hors de la confusion, gardant ainsi sa conscience au bon endroit, et il reste humblement dans le non-agir toujours plein de vie et de force.

 

Il travaille, exempt de désirs, à garder le peuple dans sa pureté originelle, loin des connaissances vaines. Il fait en sorte que les savants se méfient de leurs savoirs et n'osent plus agir en les prenant pour guide de conduite. Ce prince éclairé pratique le non-agir*, et alors il n'y a rien qui ne soit bien gouverné.

 

*Le non-agir est le Service, ce piliers de la pratique de La Voie d'aujourd'hui, qui consiste à agir tout en pratiquant une technique particulière de méditation.

 

 

4.

 

 

Le Tao est un vide inépuisable, il est si profond ! De lui sont sortis tous les êtres vivants. Éternellement, il émousse ce qui est pointu, dénoue le fil des existences, fait jaillir la lumière. Du rien, le Tao crée toute chose, sa pureté est indicible. Il n'a pas eu de commencement, il est. Nul ne l'a engendré; il était là avant le maître du ciel*.

 

*Le soleil.

 

 

5.

 

 

Le ciel et la terre ne différencient pas les passions humaines. Ils regardent toutes les créatures comme importantes. Le sage considère chacun comme important. Le Tao, ce vide plein d'une inépuisable paix créatrice, ressemble à un soufflet de forge qui ne s'épuise point.

 

Par une pratique assidue on se met dans son mouvement et on ne s'épuise point. Celui qui en parle beaucoup arrive souvent à l'épuisement. Quand c'est possible, mieux vaut se taire et rester dans le non-agir*.


*Agir dans le détachement et en pleine conscience (du Tao).

 

 

6.

 

 

Le Tao ne meurt pas ; on l'appelle la mère mystérieuse qui est à l'origine des racines du ciel et de la terre. Il est sans fin et sans paraître, toujours renouvelé, il occupe tout l'univers. Il ne s'épuise jamais.

 

 

7.

 

 

Le ciel et la terre durent éternellement. S'ils peuvent durer éternellement, c'est parce que leur existence n'est pas à leur seul profit. Tous les êtres dépendent d'eux. Le sage est ainsi : il s'oublie au profit des autres. Passant en dernier il devient le premier. Il est détaché de son corps et pourtant son corps reste jeune, n'est-ce pas parce qu'il s'oublie ? Pour cette raison il réussit dans ses intérêts privés.

 

 

8.

 

 

L'homme vertueux est comme l'eau : L'eau excelle à se rendre utile à tant d'êtres et, fluide, elle ignore la lutte, coulant dans la pente sans obstacles. Elle aime les lieux que déteste la foule. Les hommes veulent toujours s'élever, l'eau va toujours du plus haut au plus bas.

 

C'est pourquoi le sage, qui ressemble à l'eau, se rapproche du Tao. Il se plaît dans l'humilité, son cœur aime la profondeur. S'il fait du bien à autrui, il le fait sans vaine émotion. S'il fait des promesses, il les tient toujours. S'il gouverne, il apporte à tous la paix et la vertu. S'il agit, il le fait le mieux possible.

 

Se mettant en mouvement, il se soumet à la Guidance*. Comme l'eau, il ne lutte contre personne ; c'est pourquoi aucun blâme ne l'atteint. Quand l'eau rencontre un obstacle, elle le contourne sans se battre.

 

* L'harmonie active du Tao, ou Grâce, dans l'existence de celui qui se soumet au Tao.

 

 

9.

 

 

Il vaut mieux ne pas remplir un vase que d'avoir à le tenir à deux mains, quand il est plein, de peur qu'il ne se renverse. Aussi, quand vous agissez, faites en sorte que vous puissiez toujours garder une main pour tenir l'essentiel.


Le tranchant aiguisé ne peut que s'émousser, si une salle est remplie d'or et de pierres précieuses, personne ne pourra les garder. Tout à une fin, alors attachez-vous à ce qui est sans fin.

 

Si l'on est comblé d'honneurs et qu'on s'enorgueillisse, on s'attirera des malheurs. Lorsqu'on a fait de grandes choses et obtenu de la réputation, il faut se retirer à l'écart de la vanité du monde. Telle est la voie du ciel.

 

 

10.

 

 

L'âme doit commander au mental et le corps doit s'accorder à l'âme. Si l'homme reste centré, il pourra conserver la Conscience du Tao. S'il garde sa force vitale sous contrôle il pourra être comme un nouveau-né.

 

S'il se libère de l'illusoire lumière de l'intelligence, il sera à l'abri de la confusion. Les portes du ciel tantôt s'ouvrent, tantôt se ferment. L'éveillé tantôt se bougera, tantôt restera au repos selon les nécessités. Si la Lumière l'éclaire tout entier, le sage cachera son savoir par une ignorance feinte.

 

Comme le Tao donne la vie et la protège, le sage enseigne et éclaire les autres sans les regarder comme sa propriété. Il fait leur bien et n'attend rien d'eux. Il est au dessus d'eux* et ne les traite pas en maître. C'est le chemin du Tao.

 

*Comme le guide de montagne qui est toujours le premier de cordée.

 

 

11.

 

 

Trente rayons se réunissent autour d'un moyeu. C'est de son vide dont dépend toute l'utilité du char. Si le moyeu n'avait pas de trou, l'axe ne pourrait y entrer et le char ne servirait à rien.

 

On pétrit de l'argile pour faire un vase. C'est de son vide que dépend la contenance du vase. On perce des portes et des fenêtres pour faire une maison, c'est de leur vide que dépend l'usage de la maison. Sans le vide des portes et des fenêtres, comment pourrait-on entrer et sortir de la maison, comment le soleil pourrait-il l'éclairer ?

 

C'est pourquoi l'utilité vient de l'être, qui est comme la matière pleine et la réalisation du non-être, qui est comme le vide.

 

 

12.

 

 

Les cinq couleurs rendent aveugles les hommes*. Les cinq notes rendent sourds les hommes*. Les cinq saveurs trompent le goût des hommes*. Tout occupés aux plaisirs


de leurs sens tournés vers le dehors, les hommes ne voient plus l'essentiel en leur dedans.

 

Les courses violentes, l'exercice de la chasse rendent fou le cœur des hommes. La course aux biens inaccessibles pousse l'homme à des actes mauvais. De là vient que le sage se tourne vers l'intérieur et ne s'occupe pas uniquement de ce qu'il voit, de ce qu'il entend ni de ce qu'il goûte. C'est pourquoi il reste maître de ses choix.

 

*L'initié au Tao se tourne vers l'intérieur et ses yeux voient de nouveau, ses oreilles entendent, son odorat, son goût sentent et goûtent le Tao sous sa forme première. Sur La Voie d'aujourd'hui on connaît le moyen de faire cela. Lao-Tse révélait à ses disciples ces mêmes moyens : les techniques de Méditation du Tao.

 

 

13.

 

 

Le sage redoute la gloire autant que la disgrâce. Les honneurs sont, pour lui, une grande calamité. Pourquoi redoute t-il ainsi autant la gloire que la disgrâce ? Quand vous avez la gloire vous craignez de la perdre et vous craignez la disgrâce. Voilà pourquoi gloire et disgrâce sont toutes deux des choses à redouter.

 

Que veut-on dire en disant que les honneurs sont une grande calamité ? Que la vanité plonge dans une grande confusion et que la confusion est une calamité. Mais quand nous ne connaissons pas la gloire, quelle vanité pourrions-nous éprouver ?

 

Ainsi, les sages ne cherchent pas l'éloge. Ils servent simplement sans se soucier dʹeuxmêmes. Par conséquent, ils peuvent vivre en paix. Comme ils ne se battent contre rien ni personne, ils ne peuvent être battus.

 

 

14.

 

 

Vous regardez le Tao et vous ne le voyez pas : on le dit incolore. Vous l'écoutez et vous ne l'entendez pas : on le dit silencieux. Vous voulez le toucher et vous ne le pouvez pas, on le dit sans corps. Ces trois qualités ne peuvent être séparées, confondues elles n'en font qu'une.

 

Son aube n'est pas rayonnante ni son coucher obscur. Il est constant et on ne peut le montrer. On dit qu'il est une forme sans forme, une image sans image. Allant au devant de lui, vous ne voyez point sa face ; le suivant vous ne voyez point son dos.

 

C'est en allant sur La Voie de la renaissance que l'on peut connaître l'origine qui est aussi le but, le début qui est aussi la fin. Vous venez du Tao et vous y retournez, c'est en cela que le début est aussi la fin et que la fin est aussi le début.


15.

 

 

Depuis le début des temps les grands sages sont d'une telle subtilité, d'un esprit si pénétrant qu'on ne peut espérer les comprendre. Puisqu'on ne peut les comprendre, on peut au moins décrire leurs attitudes :

 

Ils sont prudents comme celui qui traverse un torrent en hiver. Ils sont circonspects, comme le voyageur averti d'un danger. Ils sont réservés comme l'invité. Ils s'effacent comme la glace qui fond. Ils sont solides comme le bois le plus dur. Ils sont emplis d'espace comme une vallée. Ils sont insondables comme une eau troublée.

 

Qui est-ce qui sait apaiser le trouble de son cœur en le laissant reposer ? Qui est-ce qui sait naître peu à peu à la paix par un calme prolongé ? Celui qui reste sur la voie du Tao aime la vacuité, ce vide si plein du Tout, il s'est vidé de ses attachements, de ses idées, de ses concepts, de son affect, de la vieille personne qu'il croyait être et ne désire pas être de nouveau plein*.

 

*De ces choses dont il s'est vidé. Mais de béatitude si : il veut bien en être plein !

 

 

16.

 

 

Ayant atteint la vacuité, ce vide de moi si plein du Tao, je me laisse porter par l'aile puissante du silence. Les dix mille êtres naissent en même temps; ensuite je les vois partir. Après avoir atteint son but, chacun d'eux revient à son origine. Revenir à son origine c'est retrouver le repos. Le repos, c'est le retour dans sa demeure véritable, c'est renouer avec sa destinée première.

 

Ce retour est la loi éternelle. Connaître la loi éternelle, c'est être éclairé. Celui qui ne s'y soumet pas se perd dans la confusion et la souffrance. Celui qui connaît la loi possède la Connaissance non apprise venue du Tao.

 

Celui là est tolérant est juste. Celui qui est juste est grand. Celui qui est grand atteint le Divin. Le Divin atteint il est uni au Tao et se trouve au delà des périls. Rien ne peut le surprendre. Rien ne peut l'émouvoir. Rien ne peut le toucher, pas même la mort.

 

 

17.

 

 

Des rois sages du passé, le peuple ne connaissait que le nom. Les suivants, qui étaient justes, il les aima et les loua. Les suivants, qui jugeaient, il les craignit. Les suivants, qui étaient prudents, il les méprisa.

 

Celui qui n'a pas confiance dans les autres ne gagne pas leur confiance. Les rois sages parlaient avec sagesse. Ils étaient des exemples pour tous, alors le peuple


disait : « C'est nous qui avons tout fait, nous sommes libres. »

 

 

18.

 

 

Dans les temps passés, le Tao était le maître et les hommes suivaient son harmonie. Puis le Tao fut oublié et ce fut l'humanité, et sa justice qui devinrent les maîtres. Ce fut le temps de l'intelligence, de l'habilité et les désirs ne connurent plus de limites.

 

Quand la prudence et la perspicacité s'emparèrent de l'esprit des rois et des princes, on vit naître une grande hypocrisie et de nombreuses trahisons. Quand les familles eurent cessé de vivre en bonne harmonie, on vit la piété filiale et l'affection remplacées par des concepts moraux.

 

L’état sombra dans le désordre. Mais c'est dans le désordre qu’apparaissent les serviteurs loyaux, ainsi est le Tao, toujours près de l'homme pour lui offrir son secours.

 

 

19.

 

 

Renoncez aux savoirs vains et à la morale, vous vous en trouverez cent fois mieux ! Abandonnez les lois et la justice humaines et les vertus familiales reviendront. Si vous renoncez au luxe et au profit, les voleurs et les brigands disparaîtront. Renoncez à toutes ces choses et soignez sûr de la vanité des apparences. C'est ce que je vous enseigne ; le vrai détachement. Soyez simples, demeurez fidèles à vous-mêmes. Rejetez l'égoïsme et les désirs. La Voie s'ouvrira devant vous.

 

 

20.

 

 

Renoncez aux vaines études et vous serez en paix. Combien est petite la différence entre un oui empressé et un oui insincère ! Mais combien est grande la différence entre le bien et le mal !

 

La peur qui est dans le cœur des autres ne doit pas effleurer le tien. Les Hommes sont excités et courent sans cesse après les plaisirs. Ils désirent avidement la chair du bœuf pour satisfaire leur gourmandise, au printemps, ils montent sur une tour élevée pour contenter leurs yeux.

 

Mais moi (Lao-Tse) je reste calme : étranger au tumulte comme le nouveau né, le regard tourné vers le dedans. Je suis dans le vrai détachement; comme sans but ni logis. Les hommes de la multitude ont amassé tant de biens. Je suis comme celui qui a tout perdu. Je suis comme un ignorant sans connaissances savantes.

 

Les hommes du monde sont brillants et je reste dans l'ombre. Les hommes ont de l'esprit; je parais ignorant. Je suis insondable comme l'océan; je flotte comme une


feuille emportée. Les hommes paraissent capables, on me dirait incapable. Je diffère des autres hommes parce que je bois à la source du Tao.

 

 

21.

 

 

La grande Vertu* vient du Tao. Voici quelle est la nature du Tao : Il est indistinct, indéterminable, profond et insondable. Il est la matrice de tous le vivant. Qu'il est profond et insondable ! En lui est l'essence vraie de l'être et la preuve de ce qu'il est. Depuis les débuts des temps son Nom** nous a été transmis et tous les êtres sont issus de lui. Comment je le sais ? Je le sais par la pratique de La Voie.

 

* C'est-à-dire la guidance, ou cette force créatrice qui engendre le monde et les êtres.

** Ce Nom est le Saint-Nom ou Verbe, sa Vertu.

 

22.

 

 

Ce qui est incomplet deviendra entier. Ce qui est courbé se redressera. Ce qui est vide se remplira. Ce qui est vieux rajeunira. Avec peu de connaissances on gagne la paix du Tao ; avec beaucoup de savoirs on s'égare dans la confusion. C'est à cause de ça que le sage reste dans l'Unité et qu'il est un modèle.

 

Il ne veut pas briller c'est pourquoi il brille. Il ne s'affirme pas et pourtant il s'impose. Il ne se vante point, c'est pourquoi il a du mérite. Il ne se glorifie point, c'est pourquoi il est au dessus des autres. Détaché de lui-même il ne lutte contre personne.

 

L'ancienne sentence: « Ce qui est incomplet devient entier » est pleine de vérité car celui qui sait être souple et plier reste intègre . Tout vient à ce qui est entier comme toutes les eaux vont à l'océan.

 

 

23.

 

 

Celui qui se tait connaît l'harmonie. Un vent rapide ne dure pas; une pluie violente ne dure pas. Qui est-ce qui produit ces deux choses ? Le ciel et la terre. Si le ciel et la terre ne font rien d'éternel, comment l'homme le pourrait-il ?

 

Si l'homme pratique assidûment le tao, il s'identifie au Tao; s'il vit pour posséder il connaîtra les plaisirs ; s'il se livre aux excès il sera en butte au malheur. Celui qui s'identifie au Tao gagne le Tao ; celui qui s'identifie à ses possessions gagne ses possessions ; celui qui s'identifie à ses excès gagne les fruits de ses fautes. C'est pourquoi l'action comme l'inaction traduisent l'invisible harmonie. La foi doit être totale ou ne pas être.


24.

 

 

Celui qui se dresse sur la pointe de ses pieds ne peut tenir longtemps ; celui qui trop allonge son pas ne peut marcher longtemps. Celui qui tient à son avis sans écouter n'apprend rien. Celui qui se montre reste dans l'ombre. Celui qui se vante n'a pas de mérites. Celui qui se croit le plus fort ne vit pas longtemps. De telles conduites repoussent la paix du Tao. C'est pourquoi l'humble persévère dans l'humilité. Ces faiblesses n’atteignent pas celui qui suit La Voie.

 

 

25.

 

 

Il est un être indéfinissable et indistinct qui existait avant le ciel et la terre. Il n'a pas de voix audible, il est immatériel ! Sa vie ne doit rien à personne, il est inchangeant. Il est en tout, constamment.

 

Vous pouvez le considérer comme l'origine de l'univers. Je ne sais quel nom lui donner. Pour parler de lui je l'appelle Tao. On ne peut lui trouver de nom. Invisible il  est immense, immobile il se propage à l'infini, en fuyant, il revient.

 

Le Tao est grand. L’univers est grand. La terre est grande. L’homme est grand. Ce sont les quatre grandes puissances. L’homme se base sur la terre. La terre se base sur l’univers. L’univers se base sur le Tao. Le Tao ne se base que sur lui-même.

 

 

26.

 

 

Les racines de la légèreté sont dans la profondeur. Le calme est maître de l'action. Ainsi le sage reste dans la Tao tout le temps. Il ne quitte pas la Paix profonde.

Pourquoi le seigneur du pays* devrait-il aller et venir comme un fou ? Si tu te laisses ballotter de-ci de-là, tu perds le contact avec la source. Si tu laisses l’agitation te gouverner, tu perds le contact avec celui que tu est vraiment.

 

*L'âme, votre véritable identité, devrait rester maîtresse du mental. Elle ne devrait pas se disperser comme se disperse le mental.

 

 

27.

 

 

Celui qui sait comment aller sur La Voie ne génère pas de résidus. Celui qui sait parler, sous la dictée du Tao, ne dit pas de choses fausses. Celui qui sait compter ne se sert pas d'un boulier. Celui qui sait se garder n'a pas besoin de verrou ni de clé. Celui qui assume ses devoirs n'a pas besoin d'y être obligé.


De là vient que le sage est capable d'enseigner aux autres hommes et qu'il ne les abandonne jamais. Cela s'appelle être éclairé deux fois, une fois par la Lumière du Tao, une autre fois par sa propre sagesse.

 

L'homme aux vertus du Tao prévaut sur les autres. Pour le maître, le disciple est une occasion de servir. Si l'un n'estime pas son maître, si l'autre néglige son disciple, même s'ils semblent pleins de prudence, ils se trouvent plongés dans l'aveuglement. L'un a besoin de l'autre. Voilà ce qu'est La Voie la plus importante et la plus subtile.

 

 

28.

 

 

Celui qui connaît sa force et reste doux est le centre où mènent toutes les routes. S'il est digne d'être un modèle, la vertu constante* ne l'abandonnera pas ; il redeviendra comme un enfant. Celui qui connaît sa valeur mais sait rester humble et modeste est un modèle. S'il est un modèle, ses vertus seront constantes, sans faillir il reviendra à ce qui n'a pas de fin.

 

Celui qui connaît sa gloire et reste dans le monde, parmi les hommes est aussi digne de servir de modèle. S'il est digne des servir de modèle, la vertu constante lui fera atteindre la simplicité parfaite. Quand la simplicité parfaite se trouve dans les choses les plus triviales, elle enseigne aux esprits avides de Vérité.

 

* Vertu constante : La Grâce, c'est-à-dire la guidance du Tao.

 

 

29.

 

 

Quand l'homme a à cœur de gouverner le monde parfaitement il n'y réussit pas. Le monde est une œuvre de Dieu, une œuvre parfaite. S'il y travaille, il le détruit ; s'il veut se l'approprier, il le perd. C'est pourquoi, parmi les hommes, certains avancent d'autres suivent ; les uns réchauffent et les autres refroidissent ; les uns sont forts et les autres faibles ; les uns sont en mouvement et les autres immobiles. Le sage évite l'incohérence et toute extrême, il vit dans la Vérité.

 

 

30.

 

 

Qui s'en remet au Tao ne cherche pas à soumettre ni à gouverner les hommes par la force des armes. Quoi que l'on fasse aux autres ça nous revient toujours.

 

Partout où reste longtemps une armée, les champs deviennent des ronciers stériles.  A la suite de grandes guerres, il y a toujours la famine. L'homme vertueux frappe un coup décisif et s'arrête. Il ne soumettra pas l'empire par la terreur. Il frappe un coup décisif et n'en tire nulle gloire. Il frappe un coup décisif et ne combat que par nécessité. Il frappe un coup décisif et ne veut pas se montrer fort.


Quand les hommes arrivent à la plénitude de leur force, ils vieillissent. Celui qui ne fait pas les choses dans le Tao va à sa perte.

 

 

31.

 

 

Plus les armes sont bonnes et plus elles tuent d'hommes. L'humanité les détestent. Celui qui se livre au Tao s'en détourne. En temps de paix le sage se place à la  gauche du maître de maison*; le guerrier se place à sa droite**.

 

Les armes sont des instruments de malheur. Le sage ne s'en sert que lorsqu'il ne peut pas faire autrement et met à la première place le non-agir. S'il gagne il ne louera pas sa victoire. S'en réjouir, c'est être sans compassion. Celui qui est sans compassion ne réussira pas à atteindre la maîtrise***.

 

Dans des circonstances fastes la gauche est la place d'honneur, dans des circonstances néfastes c'est la droite. Le général en second occupe la gauche ; le général en chef occupe la droite. C'est ainsi qu'ils sont placés selon les rites funéraires. Le carnage d'une multitude d'hommes doit être pleuré avec des lamentations. Celui qui a vaincu dans un combat doit porter le deuil.

 

* Le côté gauche, c'est-à-dire le « yang », symbole de vie et du bonheur.

** Le côté droit, c'est-à-dire le « in » ou principe neutre est le symbole de la mort. (le « yin » est un principe négatif, là il s'agit d'un principe neutre).

*** Traduction de « régner sur l'empire ». Le mot empire parle, en apparence, de la politique chinoise de l'époque de Lao-Tse mais avant tout il parle selon le Tao, de la maîtrise de soi, dans la Méditation ou Samyama (terme indien). Régner sur l'empire c'est avoir la maîtrise de ses sens et de ses pensées, être ainsi dans le Tao, le non-agir.

 

 

32.

 

 

Le Tao est éternel et il est insaisissable. Il est en même temps infiniment petit et infiniment grand, contenu et contenant. Si le Hommes, petits et grands peuvent être en Lui* la paix universelle régnera. Le ciel et la terre s'uniront pour faire descendre une douce rosée, et les peuples vivront en Paix de leur propre chef.

 

Dès que le Tao fut divisé il eut un nom. Alors les hommes furent divisés par contrées et par nations, et distingués chacun par un nom. Par le Tao on sait se garder du danger de la dualité. Depuis toujours le Tao réunit toutes les eaux pour les mener à l'océan.

 

* « Garder le Tao » (traduction souvent faite du texte chinois) signifie garder sa Conscience au centre, c'est-à-dire être « en-lui ». Le Christ disait, à ce propos : « je suis dans Le Père et Le Père est en moi ».


33.

 

 

Celui qui connaît les hommes apprend à être sage. Celui qui se connaît lui-même est éclairé. Celui qui dirige les hommes est puissant. Celui qui plie sa volonté et la garde au centre est le plus fort. Celui qui sait se contenter de peu est assez riche. Être libéré du désir c'est posséder le monde. Celui qui persévère fait preuve d'une forte volonté. Celui qui reste dans sa véritable nature est sage. Celui qui meurt et se libère entre au Royaume éternel.

 

 

34.

 

 

Le Tao est partout, il va à gauche comme à droite en même temps. Tous les êtres naissent à cause de Lui et il les supporte constamment. Il ne s'attribue aucun mérite. Il Commande tous les êtres sans vouloir en être maître.

 

Il est sans désir et dénué d'ambition. On peut le dire petit, quelle erreur : il est immense, sans mesures. Tous les êtres vivants retournent à lui sans qu'il ne demande rien. On peut alors le dire infini, nul ne peut le cerner. Suivant la leçon du Tao, le sage ignore sa grandeur, ainsi elle se réalise d'elle-même, à l'infini.

 

 

35.

 

 

Le sage garde le Tao* et les chercheurs viennent à lui. Il ne leur fait pas de mal ; il leur donne la véritable paix et la liberté.

La musique et les mets exquis retiennent l'étranger qui passe, mais lorsque la Vérité sort de la bouche du sage, elle est fade et sans saveur pour celui qui veut le plaisir des sens, car cette Vérité, il la regarde mais ne la voit voit pas, il l'écoute sans l'entendre. Pourtant celui qui puise cette Vérité dans le Tao a puisé l'inépuisable.

 

*  Comme on « garde le lit » autrement dit il reste dans le Tao, c'est-à-dire dans le centre (en lui ).

 

 

36.

 

 

Lorsqu'un être se contracte on sait qu'il avait commencé par se dilater. S'il s'affaiblit, on sait avec certitude qu'il a été fort. S'il semble s'éteindre on sait avec certitude qu'il a eu de la splendeur. S'il va se dépouiller de tout, on sait avec certitude qu'il a possédé.

 

Cette apparente évidence ne l'est pas pour tout le monde, c'est une doctrine à la fois cachée et éclatante. Ce qui est mou peut triompher de ce qui est dur ; ce qui est faible de ce qui est fort. La force de la voie ne doit pas être montrée à tous, sans discernement*.


*  Le Christ disait à ses disciples qu'il ne fallait pas donner le trésor de la Vérité aux chiens, il disait aussi

« que celui qui a des oreilles entende ».

 

37.

 

 

Le Tao est constamment dans le non-agir, pourtant il fait tout. Si tous, puissants et moins puissants pouvaient garder leur Conscience centrée, toute l'humanité serait convertie à la paix. Si, une fois convertis, ils voulaient encore prétendre diriger, je les remettrais* dans le non-agir grâce au tao.

 

Le Tao ne doit pas être l'objet du désir, il demande une grande soif. L'absence de désirs procure la paix. Alors l'empire sur soi s'améliore de lui-même.

 

*C'est Lao-Tse qui parle en disant « je ».

 

 

 

 

 

 

Tao-Te-King

LIVRE SECOND

 

La Vertu

 

38.

 

 

Le sage n'a pas d'admiration pour lui-même parce qu'il est sage. Les autres hommes se disent sages sans l'être. Le sage ne pense pas à la sagesse, les autres hommes font tout pour paraître sages.

 

Les hommes d'une grande humanité le sont naturellement. Les hommes justes le sont sans le vouloir. Les hommes qui n'ont que leur éducation comme vertu finissent toujours par user de violence pour imposer aux autres leurs principes.

 

C'est pourquoi, quand on a perdu la Conscience du Tao, on fait comme si on était sage, comme si on était humain, comme si on était vertueux, juste et poli. L'urbanité n'est souvent qu'une apparence qui remplace la droiture et la sincérité, c'est là une des sources de la confusion.


Les connaissances apprises et l'intelligence ne sont pour le Tao que des fleurs sans parfum. Elles sont souvent source d'erreurs. C'est pourquoi le sage puise au puits du Tao sans s'arrêter aux apparences. Il contemple le fruit plutôt que la fleur. Il ignore l'une et cueille l'autre.

 

 

39.

 

 

En harmonie avec le Tao le ciel est vaste et pur, le terre est stable et fertile, les esprits sont transcendants, les vallées sont riches en eaux, les êtres prospèrent ensembles, satisfaits de ce qu'ils sont, ne cessant de se multiplier, se renouvelant sans cesse, les princes et les rois sont des modèles. Voilà ce que produit l'Unité.

 

Si le ciel perdait sa pureté il s'évaporerait, si la terre perdait sa stabilité elle s'écroulerait, si les esprits perdaient leur transcendance ils s'anéantiraient, si les vallées ne se remplissaient plus, elles se dessécheraient, si les êtres ne se reproduisaient plus, ils s'éteindraient, si les princes et les rois s'enorgueillissaient de leur noblesse et n'étaient plus des modèles, ils seraient renversés.

 

C'est pourquoi la noblesse regarde le peuple comme son berceau et l'humilité comme son premier fondement. Ce qui est grand a pour base ce qui est infime. C'est pourquoi les souverains se nomment-ils eux-mêmes orphelins, hommes sans valeur et de peu de mérite. Ils manifestent ainsi leur compréhension de l'ordre profond des choses.

 

L'honneur suprême est en dehors des honneurs. Le sage ne cherche ni a briller comme le jade, ni a être rejeté comme un caillou, il vit au-dessus de l'estime et du mépris.

 

 

40.

 

 

Le non-être est le mouvement du Tao. Le Tao se sert le plus souvent de sa subtilité. Toutes les choses du monde sont nées de l'être et l'être est né du non-être, le Tao.

 

 

41.

 

 

Quand un esprit sage rencontre le tao, il le suit avec zèle. Quand un esprit moyen rencontre La Voie il n'y montre aucune constance. Quand un esprit superficiel entend parler de La Voie, il la tourne en dérision. S'il n'en n'était pas ainsi La Voie ne serait pas La Voie.

 

Les anciens nous enseignent que la Voie lumineuse semble sombre. Celui qui est avancé dans le Tao semble simple d'Esprit. Le sage ressemble à un homme banal, il est comme une vallée ; il n'y a rien qu'il ne puisse contenir. L’opprobre coule sur lui sans l'atteindre.


Le sage cache ses mérites, semble ne pas en avoir. L'homme d'une vertu solide semble paresseux. L'homme simple et vrai semble sans charmes comparé à ceux pourvus d'apparats précieux.

 

On ne peut voir les limites d'un espace trop grand. Le trop grand vase est impossible à modeler. La musique céleste est au-delà des sons. Le Tao est caché. Il n'a pas de nom Il est et il n'est pas. Mais c'est lui qui maintient le monde. Il en est le sens.

 

 

42.

 

 

Le Tao fit le un, le Un engendra le deux, deux donna naissance au trois et le trois aux êtres vivants. Tous les êtres tournent le dos au calme, ils cherchent le mouvement. Le souffle produit l'harmonie. Ce qui est humble, sans valeur ni mérites a tout créé et pourtant les hommes détestent ce qui est humble, sans valeur ni mérites mais les rois se disent ainsi eux-même ! Les rois se disent ainsi car celui qui se rabaisse s'élève et celui qui veut s'élever se rabaisse.

 

Les hommes enseignent à devenir fort, j'enseigne la vertu de la faiblesse. Les hommes violents n'ont pas une bonne mort. Je suis celui qui sonne aux oreilles des Consciences pour appeler à La Voie.

 

 

43.

 

 

Les choses les plus fluides renversent les choses les plus dures. Le non-être* traverse ce qui est sans interstices montrant ainsi l'utilité du non-agir. Dans le monde très peu d'hommes savent enseigner sans parler et faire sans agir.

 

*  C'est-à-dire le Tao. Le Tao est le non-être car pour être il faut être né et le Tao n'est jamais né.

 

 

44.

 

 

Notre personne vaut plus que notre gloire et notre richesse. Que vaut-il mieux, les acquérir ou les perdre ? Celui qui a de grands désirs devra consentir aux plus grands sacrifices. Plus vous possédez et plus vous avez à perdre. Celui qui n'a que peu de désirs est à l'abri du déshonneur. Celui ne veut pas s'élever ne tombe jamais.

 

 

45.

 

 

Quand le maître est parfait il semble plein d'imperfections, ainsi il reste dans le Tao*. Il est grandement plein, et il semble vide ; ainsi il reste dans le Tao. Sa grande franchise


paraît fausse au plus grand nombre. Sa grande éloquence ne persuade personne. Le mouvement triomphe du froid ; le repos triomphe de l'ardeur. C'est dans le calme et la sérénité que réside le bonheur, car la quiétude et l'immobilité règlent le monde. Ainsi est-il.

 

*Dans la paix-intérieure, la béatitude.

 

 

46.

 

 

Lorsque le Tao régnait dans le monde les chevaux de guerre étaient aux champs. Depuis que le Tao ne règne plus dans le monde, les chevaux de guerre se reproduisent aux frontières et les champs restent en friche.

 

Il n'y a pas de plus grande erreur que d'écouter ses désirs. Il n'y a pas de plus grande misère que de ne pas savoir se contenter. Il n'y a pas de plus grand fléau que l'envie de possessions. Celui qui sait se satisfaire est toujours content de son sort.

 

 

47.

 

 

Sans sortir de chez-moi je connais l'univers, sans regarder par ma fenêtre je vois les chemins du ciel. Plus on cherche dans le monde moins on apprend l'essentiel et plus on quitte la Connaissance non-apprise du Tao. C'est pourquoi le sage touche au but sans marcher ; il sait sans apprendre et fait de grandes choses dans le non-agir*.

*  Encore une fois le non-agir est l'action faite dans le vrai détachement. Sur La Voie nous ajoutons que c'est le fait d'agir tout en pratiquant la Méditation « portable » (la technique dite du Saint-Nom) ce qui est un des trois pieds de sa pratique.

 

 

48.

 

 

Celui qui étudie sans cesse pour augmenter son savoir voit grandir sa vanité. Celui qui se livre au Tao la voit chaque jour diminuer jusqu'au jour où il cesse d'agir. Dès qu'il pratique le non-agir, il n'est rien qu'il ne puisse accomplir. La maîtrise* revient à qui reste au-dessus de l'action. Celui qui lutte pour gagner la maîtrise ne l'obtient jamais.

 

*  J'ai remplacé le mot « empire » par le mot maîtrise car l'empire dont il est ici question est l'empire sur soi, sur ses désirs, ses pulsions, ses pensées. Dans le yogasûtra on parle de « Samyama ».

 

 

49.

 

 

Le sage n'est pas attaché à ses concepts, il règle sa Conscience sur le Tao. Il traite tout le monde de la même manière, comme s'il était méritant, le vertueux comme celui


qui ne l'est pas. C'est ainsi que fait un homme vertueux. Il fait de même pour l'homme sincère et pour celui qui ne l'est pas : il les traite tous comme comme s'ils étaient sincères. C'est ainsi que fait un homme sincère.

 

Le sage vit dans ce monde mais ne traite pas les hommes selon leurs consciences mais en suivant la sienne. Les hommes le considèrent avec étonnement, ils attachent sur lui leurs oreilles et leurs yeux. Le sage a le regard d'un petit enfant*.

 

*  C'est-à-dire spontané, simple, naturel, sans idées préconçues.

 

 

50.

 

 

L'homme sort de la vie pour entrer dans la mort et de la mort pour entrer dans la vie. Il y a treize causes* qui mènent à la vie spirituelle comme il y a treize causes contraires pour rester dans l'illusion.

 

A peine l'homme est-il né que ces causes contraires l'entraînent et le gardent dans la dualité et l'aveuglement. Pourquoi en est-il ainsi ? C'est qu'il a trop de désirs et d'ambitions.

 

Celui qui reste en son centre ne craint pas de voir sur sa route ni le rhinocéros, ni le tigre. S'il rencontre des hommes en armes il n'a besoin ni de cuirasse, ni d'armes. Le rhinocéros ne saurait le blesser de sa corne ni le tigre le déchirer de ses griffes pas plus que le soldat le percer de son glaive. Pourquoi ? Parce que détaché il est à l'abri de la mort !

 

*  La disponibilité (ou le vide de concepts) , l'attachement au non-être, la pureté, la quiétude, l'amour de l'obscurité (ou discrétion) , la pauvreté, la douceur, la faiblesse, l'humilité, le dépouillement, la modestie, la souplesse, l'économie. Les treize raisons contraires sont : se croire plein, arrivé , l'attachement aux êtres, l'impureté, l'agitation, le désir de briller, la richesse, la dureté, la force, la fierté, l'excès de l'opulence, la hauteur, l'inflexibilité, la prodigalité.

 

 

51.

 

 

Le Tao crée les êtres, sa Vertu* les garde en vie. Le Tao et sa vertu leur donnent  forme en les incarnant et les pousse sur La Voie du Tao par une secrète impulsion**. C'est pourquoi tous les êtres révèrent le Tao et honorent sa Vertu.

 

Personne n'en n'a décidé ainsi ; faisant cela, les êtres obéissent simplement à leur programmation. C'est pour qu'ils fassent ça que le Tao crée les êtres, les garde en vie, les fait croître, devenir meilleurs et les guide toute leur existence. Il les crée sans se les approprier ; il les fait sans en tirer profit ni gloire, il règne sur eux, et les laisse libres comme le soleil règne au milieu du ciel. C'est la vertu de toutes les vertus.

 

*  La vertu dont il s'agit ici n'est pas une vertu morale mais la manifestation du Tao qu'il y a en chaque être, sur La Voie nous disons « Saint-Nom » ou « Verbe ». Comme on dit que la vertu de l'eau est de mouiller, de satisfaire la soif, de faire pousser les plantes, comme on dit que la vertu du feux est de brûler, de cuire


et de chauffer, la vertu du Tao est de donner la vie, comme de la garder (entres autres vertus).

** Ou impulsion. La voie du Tao est la voie de la Libération, de L'Unité. La secrète impulsion, ou volonté agissante est comme une force qui pousse, de l'intérieur, les êtres vers le Tao ou la Libération.

 

 

52.

 

 

Le Tao est devenu la mère du monde. Dès qu'on connaît la mère, on connaît ses enfants. Celui qui connaît les enfants et qui garde un lien avec la mère, vivra longtemps, en toute sérénité. S'il ferme sa bouche, s'il ferme ses oreilles et ses yeux, jusqu'au terme de ses jours, il restera vivant en toute Conscience*.

 

Mais s'il ne se tourne que vers le dehors et ne voit plus que ses désirs, celui-là ne pourra être sauvé. Celui qui voit les choses subtiles est éclairé; celui qui reste humble est fort de la Grâce. S'il pratique La Voie et revient à Sa Lumière, il n'aura plus de craintes. C'est ce qui s’appelle cultiver le Tao**.

 

*  Cette phrase nous renvoie aux trois singes de la sagesse, ceux dont les oreilles, pour l'un, les yeux, pour l'autre, et le nez et la bouche, pour le dernier renvoient aux techniques secrètes de Méditation de La Voie qui ont à voir avec la Musique-intérieure, la Lumière-intérieure et le Saint-Nom ou vertu du Tao (sans compter le Nectar). Les initiés à La Voie comprendront. Cette phrase signifie que ceux qui pratiqueront régulièrement la Méditation, selon les quatre techniques de La Voie, vivront longtemps en pleine Conscience.

** Ou être doublement éclairé : une fois par la compréhension, une autre par la vision de la Lumière- intérieure.

 

 

53.

 

 

Si j'étais appelé à de hautes fonctions, voici ce que j'enseignerais : la vrai voie est simple mais les hommes aiment divaguer sur des chemins de traverse, sur des raccourcis qui ne sont que des impasses.

 

Devant vous se dresse un superbe palais mais ce n'est qu'une illusion : regardez tout autours, les champs sont en friche, les greniers sont vides. La richesse des princes se fait au détriment du peuple. C'est ce qu'on appelle voler et en être fier. Ceci est très éloigné du Tao.

 

 

54.

 

 

Celui qui est bien planté dans la pratique du tao ne pourra en être arraché. Sa réalisation accomplie son nom sera honoré de génération en génération. Si l'homme cultive le Tao*, sa vertu deviendra vraie**. S'il le cultive en famille, elle grandira. Si tout le village le cultive à son tour elle sera encore plus grande et si le royaume le cultive elle augmentera encore. Si tout le monde le cultive, la vertu du Tao deviendra omniprésente.


C'est en les comparant à lui-même que l'individu considère les autres et que la famille juge les autres familles. C'est aussi en fonction de lui-même que le village considère les autres villages, et le royaume les autres royaumes. Dans le multiple le sage voit l'Unité.

 

*  Cultive le Tao, c'est-à-dire pratique avec assiduité La Voie, les différentes pratiques dont elle est faite. Toute voie spirituelle est faite de différentes pratiques qui, réunies, se nomment Sadhàna ( en Inde). Sur La Voie, aujourd'hui, on dit l'agya.

** Pour ce qui est de sa vertu, encore une fois il ne s'agit pas de qualités morale mais de la vertu du Tao, c'est la vertu du Tao qui deviendra vraie pour celui qui pratique assidûment. La Vertu du Tao sont ses bienfaits : la paix-intérieure par exemple. Sur la voie nous disons « Saint-Nom ».

 

 

55.

 

 

Celui, pour qui la vertu du Tao est solidement installée, est comme un nouveau-né qui n'a pas peur de la piqûre des animaux venimeux, ni des griffes des bêtes féroces, ni des serres des oiseaux de proie.

 

Ses os sont faibles, ses nerfs sont fragiles pourtant quelle force ont ses petites mains ! Il ne connaît pas encore l'amour charnel pourtant sa virilité se manifeste déjà. Il crie tout le jour et sa voix reste claire tant il est dans l'harmonie.

 

Connaître l'harmonie c'est connaître le Tao. Connaître l'harmonie c'est connaître la Lumière. Abuser des plaisirs de la vie est néfaste. Être fort c'est se dominer par le souffle. Trop d'énergie dépensée nous éloigne du Tao. Dès lors, la fin est proche.

 

 

56.

 

 

L'homme qui connaît le Tao ne peut en parler, celui qui ne le connaît pas en parle savamment. Celui qui connaît le Tao ferme sa bouche, ses oreilles et ses yeux*, il reste dans le non-agir, il se dégage de tous liens, voile l'éclat dont il rayonne, il ressemble à tout le monde. Il est semblable au Tao. Il prend également l'amitié et l’inimitié, le mal et le bien, le profit et la perte, les honneurs et l’anonymat. Il est arrivé au détachement suprême par La Voie.

 

*  Là encore un « clin d’œil » aux singes de la sagesse et aux quatre techniques secrète de Lao-Tse. Ces techniques sont révélées encore aujourd'hui sur La Voie actuelle. Les initiés à ces techniques voient de quoi il s'agit. Fermer sa bouche c'est pratiquer les techniques du Nectar et du Saint-Nom, s'il ferme ses oreilles c'est pour pratiquer la technique de la Musique, c'est-à-dire écouter la Musique-intérieure, s'il ferme ses yeux c'est pour voir et regarder la Lumière-intérieure.

 

 

57.

 

 

Avec l’honnêteté on gouverne un pays, avec la ruse on fait la guerre ; avec le non-agir, on devient le maître de l'empire*. Comment je sais qu'il en est ainsi de l'empire ? En


considérant ceci : plus il y a d'interdits, plus le peuple s'appauvrit. Plus il y a d'armes et plus le pays est dans le désordre. Plus les hommes sont ingénieux et habiles, plus leurs inventions deviennent néfastes. Plus nombreux sont les décrets et les lois, plus les malfaiteurs et les bandits pullulent.

 

C'est pourquoi le sage dit : je reste dans le non-agir et le peuple s’amende de lui- même. Je demeure dans la paix-intérieure et le peuple s'améliore. Je ne cherche aucun profit et le peuple s'enrichit. Je me dégage de tous désirs, et le peuple retrouve les bienfaits d'une vie simple**.

*  Croyez-vous que Lao-Tse parlait du monde ou de cet empire sur soi que la pratique du tao amène au disciple ? Il parlait toujours des deux sens, celui mondain de l'empire en tant que pays gouverné par un empereur et il parlait aussi de la maîtrise de soi du yoga, dont il est question dans le Yogasûtra (Samyama). Souvenez-vous que l'enseignement de Lao-Tse ne séparait pas les deux faces d'une paire.

** Il est ici question de la vertu de l'exemple, fruit du non-agir.

 

 

58.

 

 

Lorsque l'administration est simple ; le peuple est honnête et prospère. Lorsque l'administration est soupçonneuse le peuple est roué et mesquin. Le bonheur prend racine dans le malheur, le malheur est caché au milieu du bonheur. Qui peut prévoir l'avenir ? Si le prince n'est pas droit, les autres imiteront son exemple. Cela fait longtemps que les Hommes sont aveuglés et sans droiture ! C'est pourquoi le sage admoneste sans blesser ; conseille sans vexer, redresse sans contraindre. Il éclaire sans éblouir.

 

 

59.

 

 

Rien de mieux que la sobriété quand on veut gouverner les hommes tout en servant le ciel. La modération doit être la priorité de l'homme. Quand elle est devenue sa priorité la vertu, en lui, devient grande*. Alors tout lui devient possible.

 

Personne ne connaît ses limites. Quand il n'a plus de limites, celui qui cultive le Tao peut connaître le Royaume**. Celui qui a dans sa vie la mère du royaume restera longtemps dans la joie. Il aura des racines profondes et une tige solide. Voilà comment vivre longuement dans la joie.

 

* La vertu en lui, c'est-à-dire les effets du Tao. La vertu n'est sans doute pas ici la qualité morale mais bien le « bénéfice » spirituel tiré de sa modération ou modestie des besoins et désirs. Une des vertus du Tao est la paix-intérieur, la Grâce et sa Guidance.

** De quel Royaume s'agit-il ? Les traducteurs prêtent souvent une pensée confucéenne à Lao-Tse, ainsi les mots royaume et empire sont-ils pris en tant que territoires et toute la phrase est traduite en ce sens, à partir de ce parti-pris. Mais Lao-Tse était un mystique et souvent le mot empire signifiait « empire-sur-soi » c'est-à-dire, dans le vocabulaire du yoga de Patanjali, « Samyama » et le mot Royaume désignait la Béatitude du Tao. Le Christ parlait aussi de ce Royaume qui était, disait-il, à l'intérieur de soi. Cet autre parti-pris change d'autant le sens de la phrase. La phrase suivante, où il est question de « la-mère du Royaume » conforte cette vision car qu'est-ce que la mère du Royaume, sinon le Tao ? Ceux qui traduisent


empire et royaume comme des territoires, traduisent « mère du royaume » comme l'économie. Vous voyez à quel point les traductions peuvent varier selon le point de vue du traducteur ! Donc, selon eux, Lao-Tse aurait été libéral ?

 

 

60.

 

 

On gouverne un état comme on cuit un petit poisson, avec précaution. Lorsque le prince dirige l'empire par le Tao, les mauvais-esprits sont désarmés. Ce n'est pas que les mauvais-esprits* soient sans force, c'est qu'ils ne peuvent atteindre les hommes**. Ce n'est point que les esprits soient incapables de blesser, c'est que le sage reste doux, ne blessant personne. Il soumet les esprits afin qu'ensembles ils ne se nuisent pas. Cet état de chose est une manifestation de la vertu du Tao*** dans le monde.

 

* Les mauvais-esprits n'existent pas, bien sûr mais quand l'Homme est dans la confusion, dans ce que l'on nomme, sur La Voie, le « faux-ego » il peut aller jusqu'à se comporter de telle façon qu'une personne extérieure peut tout-à-fait penser qu'il est sous l'emprise de démons.

** Lao-Tse et Confucius étaient contemporains et Lao-Tse s'exprimait comme le Christ, par paraboles pour dire autre chose, ainsi cet exemple de « gouverner un état avec précaution, comme on cuit un petit poisson », sans le vider ni l'écailler afin de désarmer les esprits est une allégorie de la Maîtrise que l'homme doit garder, par la douceur, sur son mental afin qu'il ne se fasse pas mauvais esprit. Un mauvais esprit est un mental sans maître, un mental plongé dans l'ignorance, dans la confusion.

*** La puissance du Tao, ses effets.

 

 

61.

 

 

Un grand royaume doit être comme un plaine où toutes les eaux arrivent. Le rôle de la femelle, dans le monde, est comme cette plaine : en restant passive elle prend le pas sur le mâle. Cette passivité* est la force de la femelle. En restant en repos, elle triomphe constamment du mâle.

 

Si un grand royaume se montre modeste devant les petits, il les gagnera à sa cause. Si les petits royaumes se montrent modestes face au grand royaume, ils gagneront sa protection. C'est pourquoi les uns se montrent humbles pour recevoir, les autres pour être reçus.

 

Ce que veut le grand royaume, c'est de réunir et de gouverner les autres. Ce que désire uniquement un petit royaume, c'est d'être admis aux côtés des plus grands princes. Ainsi tous obtiennent ce qu'ils désiraient. Mais les grands doivent se montrer humbles !

 

* Passivité, soumission, repos, détachement sont ici des notions positives. La plaine est plus basse que les montagnes et pourtant c'est elle qui récolte toute l'eau du monde.


62.

 

 

Le Tao est l'origine de tous les êtres ; le trésor de l'homme vertueux* et le refuge de celui qui ne l'est pas. Les paroles justes** sont profitables, les actes justes élèvent. Il ne faut pas repousser celui qui n'est pas vertueux. C'est pour réformer les hommes sans vertu qu'on avait établi un empereur sage et institué trois ministres.

 

Le jour où l'empereur est intronisé, avec les trois dignitaires qui seront ses ministres, quelle est la plus précieuse des offrandes ? Les bijoux de jade, pour en parer ses mains ? Les quadriges de chevaux pour ses cortèges ? Ou le tao que le Sage lui propose ?

 

Pourquoi les anciens respectaient-ils autant le tao ? C'est parce qu'il est la réponse du chercheur et le rachat de celui qui a failli. C'est pour cela que le tao est le plus grand trésor du monde***.

 

* Pour le maître Lao-Tse le vertueux ou celui qui a la vertu désigne celui qui va sur La Voie (ou tao), c'est- à- dire qui pratique l'enseignement du maître pour venir au Tao.

** Les paroles de vérité (le Satsang pour La Voie) sont profitables en ce sens qu'elles éclairent ceux qui les reçoivent avec de l'entendement.

*** Ici le tao est La Voie, c'est-à-dire la pratique spirituelle qui vise à faire que l'on retrouve la conscience du Tao, l'Unité.

 

 

63.

 

 

Le sage pratique le non-agir* et savoure ce qui est sans saveur**. Il regarde toutes choses, grandes ou petites, nombreuses ou rares avec le même regard. Il répond aux injures par le détachement, la sérénité.

Il fait ce qui est difficile en commençant par le plus simple. Les choses les plus compliquées ont nécessairement commencé par être simples : toutes choses prennent leurs origines dans ce qui est simple***, le Tao.

 

C'est la raison qui fait que le sage ne cherche pas à accomplir de grandes choses et que finalement il en accomplis. Celui qui promet à la légère ne tient que très rarement ses engagements. Celui qui trouve tout facile**** rencontre de nombreux obstacles. Le sage trouve tout d'une égale difficulté, ainsi fait-il tout sans peine.

 

* Pour La Voie d’aujourd’hui on aurait écrit : « Le sage pratique le Service », puisque le non-agir est le Service (un des trois piliers de la pratique), cette méditation dans l'action.

** Ce qui est sans saveurs, sans couleurs, sans formes est le Tao. Savourer le Tao se rapporte encore au non-agir, au lâcher-prise méditatif.

** Simple signifie unique, dans le sens du contraire de pluriel. L'unité avant le compliqué, avant le pluriel. Le Tao est l'Unité, le simple. Beaucoup de traductions parlent de facile, aisé.

**** Celui qui trouve tout simple est vaniteux et présume que ses forces sont grandes, aussi considère-t-il tout comme facile, à priori, mais la réalité le met en échec. Le sage, dans le non-agir, envisage toutes choses à faire d'égale manière : pensant au non-agir il trouve tout facile.


64.

 

Le calme déjà installé est facile à garder ; ce qui n'est pas encore arrivé est facile à éviter; ce qui est fragile est facile à briser ; ce qui est léger est facile à disperser. Ne laissez pas le mal s'installer ; prévenez le désordre avant qu'il n'éclate.

 

Un arbre géant est né d'une racine aussi fine qu'un cheveu ; une tour de neuf étages est sortie d'une poignée de terre ; un long voyage commence à la pointe de son pied. Celui qui agit selon sa volonté échoue ; celui qui s'attache à une chose la perd.

 

De là vient que le sage n'agit que dans le non-agir, c'est pourquoi il n'échoue point. Il ne s'attache à rien, c'est pourquoi il ne perd rien. Lorsque le peuple fait les choses, quand elles sont sur le point de réussir, il se relâche et échoue toujours.

 

Soyez concentré du début à la fin et vous n'échouerez jamais. Le sage a comme désir de ne point en avoir. Il n'accorde pas de valeur aux bien difficiles à gagner. Il apprend sans apprendre*, il se préserve ainsi des erreurs des autres. Il laisse à chacun son libre-arbitre, la possibilité de suivre sa propre volonté.

 

*     La Connaissance qu'il vise n'est pas une de ces connaissances que l'on peut apprendre mais la connaissance venue de l'intérieur à force de pratiquer avec assiduité la vertu du Tao.

 

 

65.

 

 

Dans l'Antiquité, ceux qui excellaient au Tao ne s'en servaient pas pour instruire le peuple de vaines connaissances mais pour le rendre simple. Enseigner le Tao au peuple est trop difficile car il est trop méfiant. Celui qui gouverne dans la simplicité fait le bonheur du royaume.

 

Celui qui gouverne selon ce principe possède la vertu suprême, il a, pour le guider, le modèle des modèles. Cette vertu* est profonde, immense, différente de celle des créatures. Par elle on parvient à une paix complète.

 

*   La "vertu du Tao" ou ses propriétés, sur La Voie nous disons beaucoup "Saint-Nom"

 

 

66.

 

 

Pourquoi les fleuves et les mers sont-ils les empereurs des eaux ? Parce qu'ils se tiennent en dessous. C'est pour cela qu'ils peuvent être les empereurs de toutes les eaux. Étant en dessous ils reçoivent toutes les eaux du dessus !

 

Aussi lorsque le sage souhaite éclairer le peuple il doit se tenir en dessous de lui. S'il veut le guider il doit se considérer comme le dernier de tous, de là vient que le sage est considéré comme le premier, qu'il n’opprimera personne et que personne ne sera


abaissé. Aussi tout l'empire aime à le mettre en avant et ne s'en lasse point. Comme il ne revendique pas le premier rang, il n'y a personne qui puisse le lui disputer.

 

 

67.

 

 

Tout le monde dit que grande est La Voie que j'enseigne mais que je ressemble à un homme borné. C'est justement parce que grande est La Voie que je suis borné*. Quant à ceux qu'on appelle éclairés, leur médiocrité est connue depuis longtemps !

 

Il y a trois trésors que je garde en moi : Le premier est l'amour, le deuxième est la frugalité ; la troisième est l'humilité qui m'empêche de vouloir être le premier de l'empire. Par l'amour je peux sembler courageux**. Je suis sobre, c'est ainsi que j'ai les moyens de dépenser. Je me place en dernier c'est pourquoi je peux enseigner aux hommes.

 

Maintenant on délaisse l'amour pour faire montre de courage, on délaisse la sobriété pour dépenser sans compter, on se croit le premier quand on est le dernier. Voilà ce qui conduit à une mort violente. Si l'on combat par amour l'on sort toujours vainqueur et la ville qu'on défend devient inexpugnable. Le ciel secourt l'homme empli d'amour, le rend invulnérable lui faisant un bouclier de sa Grâce.

 

*   Borné : « qui a des bornes » et les bornes d'un sage, sur La Voie, sont les limites que les ascèses de sa sa pratique lui donnent. Ces limites, loin de l'emprisonner le libèrent de lui-même.

** L'amour dont il est question ici est celui dispensé par la vertu (les “propriétés” ) du Tao. Celui qui vit cet amour ne se bat contre personne et personne ne se bat contre lui, c'est ainsi qu'il semble courageux, n'ayant pas d'ennemis.

 

 

68.

 

 

Le meilleur général n'est pas un va-t'en-guerre. Un bon combattant n'est pas guidé par la colère ni la haine. Il est vainqueur sans combattre. Un meneur d'hommes se montre humble et ceux qui le suivent le font par amour. C'est ainsi quand on a la vertu du non-agir*. C'est la force d'un seigneur de paix ayant l'art de conduire les hommes. C'est vivre avec l'harmonie qui régit la nature. Celui qui gagne contre lui-même** est le vrai triomphateur.

 

*   La vertu du non-agir, c'est-à-dire les effets, sur nous, de la pratique du non-agir. Encore une fois, le mot vertu est à prendre avec le sens de : « pouvoir de produire un certain effet »

** Le soi même dont il est question ici est le « faux soi », l'image que l'on a de soi.

 

 

69.

 

 

Un grand guerrier des temps anciens a dit : je ne porte pas le premier coup, je préfère attende celui de l'ennemi. Je préfère reculer d'un pas que d'avancer d'un pouce. Ainsi


on vainc sans se battre. C'est ne pas avoir d'orgueilleuse ambition, d'ennemis à poursuivre ni d'armes à saisir. Il n'y a pire désastre que de sous-estimer l'ennemi. C'est perdre son humanité.

 

S'il faut engager la bataille, les forces étant égales, le vainqueur sera celui qui n'avait pas souhaité se battre. Il vaincra par des armes invisibles. Son triomphe sera plus grand qu'il témoignera de sa victoire sur lui-même.

 

 

70.

 

 

Mon enseignement est facile à comprendre et à pratiquer. Pourtant peu cherchent à le comprendre et à le pratiquer. Mon enseignement a de profondes racines, mes actes ont une règle ancienne*.

 

Les hommes ne comprennent pas, c'est pourquoi ils ne prêtent aucune attention à mon enseignement. Rares sont ceux qui m'entendent et privilégiés sont ceux qui me suivent. C'est pourquoi le Sage, sous son apparence banale, cache un véritable trésor, Un trésor de jade.

 

*   Cette règle ancienne est celle qui guide le sage, en l’occurrence Lao-Tse, sur la voie spirituelle où il allait. Cette voie est le tao (avec un « t » minuscule) n'oubliez-pas que le mot tao signifie voie. Il s'agit de l'agya, la pratique de La Voie. En Inde cette « règle ancienne » serait la Sadhàna. Sur La Voie d'aujourd'hui nous disons « l'agya ».

 

 

 

71.

 

 

Savoir et se rendre compte que l'on ne sait pas grand chose, voilà l'humilité de celui qui sait. Ne pas savoir et croire que l'on sait, voilà une maladie commune chez les Hommes. Si vous ne vous ne vous rendez pas compte que vous souffrez de cette maladie, comment pourriez-vous en guérir ? Le Sage est conscient des difficultés et de ses erreurs. Ainsi il peut continuer de progresser, restant dans la sérénité.

 

 

72.

 

 

Lorsque les Hommes ne craignent pas ce qu'ils devraient craindre, alors arrive ce qui est grandement à craindre. Ne soyez pas insatisfait de votre séjour, ne vous dégoûtez pas de votre sort. Je ne me dégoûte point du mien, c'est pourquoi il ne m'inspire point de dégoût.

 

Le sage se contente de sa vie, il ne se vante pas. C'est pourquoi en tout il peut faire librement son choix et c'est dans la profondeur et non dans l'extérieur qu'il puise sa Connaissance*. C'est dans le dedans et non dans le dehors qu'il puise son amour.


*   Cette Connaissance est la Connaissance non-apprise, celle qui vient de l'intérieur à force de pratiquer le tao. C'est la vertu du Tao qui porte en elle cette Connaissance révélée.

 

 

73.

 

 

Celui qui met son courage à oser, trouve la mort. Celui qui met son courage à ne pas oser, trouve la vie. De ces deux choses, l'une est bonne, l'autre mauvaise. Qui peut comprendre les voies du ciel ?

 

C'est pourquoi le Sage ne prend pas parti. Telle est la voie du ciel. Le ciel gagne sans même se battre. Il ne parle point et tous les êtres lui obéissent. Il ne les appelle pas et ils viennent d'eux-mêmes. Il paraît lent mais personne n'échappe à ses filets.

 

 

74.

 

 

Quand le peuple ne craint pas la mort pourquoi le menacer de mort ? Mais s'il craint la mort, et que quelqu'un fasse le mal, je puis le saisir et le tuer, alors peu voudront suivre son exemple. Il existe un juge suprême maître de la vie et de la mort. Celui qui voudrait se substituer à ce juge suprême, pour infliger la mort, ressemble au maladroit qui voudrait refaire son toit sans l'aide d'un charpentier. Lorsqu'on veut tailler le bois à la place d'un charpentier, il est rare qu'on ne se blesse pas les mains.

 

 

75.

 

 

Le peuple a faim parce que ses princes le chargent d'impôts. C'est pourquoi il a faim. Le peuple murmure et s'agite parce que ses princes le harcèlent. C'est pourquoi il s'agite. Le peuple n'a pas peur de mourir quand sa vie est pénible. Et c'est pourquoi il gronde prêt à tout. Voilà pourquoi il méprise la mort. Seul celui qui n'est pas réduit à lutter pour survivre peut apprécier sagement la vie. Le Sage ne vit pas que pour vivre, ainsi il peut apprécier la valeur de la vie.

 

 

76.

 

 

Quand l'homme vient de naître, il est souple et faible ; quand il meurt, il est raide et fort. Quand les arbres et les plantes naissent, ils sont souples et tendres ; quand ils meurent, ils sont raides et secs. La raideur et la force sont les compagnes de la mort; la souplesse et la faiblesse sont celles de la vie.

 

C'est pourquoi, une armée forte ne remporte pas la victoire. Lorsqu'un arbre est devenu fort, on l'abat. Ce qui est fort et grand vient en dernier ; ce qui est souple et


faible vient en premier.

 

 

77.

 

 

La voie du ciel peut être comparée à un arc que l'on tend. Le haut est tiré vers le bas. Le bas est tiré vers le haut. Si la corde est trop longue, on la raccourcie, si elle est trop courte, on la rallonge. La voie du ciel* prend à celui qui a trop pour donner à celui qui n'a pas assez.

 

La voie des humains est différente. Ils prennent à celui qui n'a pas assez pour donner à celui qui a déjà trop. Qui sait se séparer du superflu pour en faire don aux autres ? C'est celui qui va avec le tao, la voie du ciel. Ainsi le Sage œuvre sans vouloir être reconnu. Il accomplit ce qu'il doit accomplir** sans en tirer gloire et il cache sa sagesse comme on cache un trésor.

 

*    Sur La Voie, aujourd'hui, on parle de la Grâce, de Sa Guidance. On parle aussi de la Lilà de Dieu (concept hindouiste), qui est le jeu qu'il joue avec ses créatures on parle aussi du tao ou de La Voie qui est la pratique spirituelle.

** Sur La Voie aujourd'hui, on parle de dharma (devoir sacré en Inde).

 

 

78.

 

 

Dans ce monde, rien n'est plus fluide et plus faible que l'eau et pourtant, l'eau attaque et emporte ce qui est dur et puissant. Dans la lutte éternelle entre l'eau et le roc, c'est toujours l'eau qui gagne. Rien ne lui résiste et rien ne peut la vaincre. Car la faiblesse a raison de la force, et la souplesse s'impose à la dureté.

 

Tout le monde sait cela, mais personne ne se conforme à cette réalité et le Sage dit : “ L'esprit du sol reçoit toutes les ordures du pays et devient le seigneur des moissons “ Ainsi celui qui accepte les refus devient le maître de l'empire*. Car le faux paraît vrai et le vrai paraît faux.

 

*    L'acceptation, le lâcher-prise, le détachement amène à la Maîtrise des fluctuations du mental.( voir le Yogasûtra)

 

 

79.

 

 

Même apaisée, une grave querelle laisse une rancune. Que peut-on faire suivant les préceptes du tao* ? Le Sage accepte ce qu'on lui donne et ne réclame rien d'autre. Il honore ses engagements et n'en veut pas plus. L'homme qui ne connait pas le tao veut s'approprier le maximum. La voie du ciel ** comble de biens l'homme de bien.

 

*   La voie spiritualle, pas le Tao principe immanent.

** La voie du ciel , soit la Grâce et la guidance dans la pratique.


80.

 

 

Si je gouvernais un petit royaume avec peu d'habitants, je leur défendrais d'utiliser leurs armes. Le peuple devrait considérer la mort comme redoutable et rester dans le pays de ses ancêtres. Bien qu'ayant bateaux et chars, il ne s'en servirait pas pour guerroyer loin de ses frontières. Bien qu'ayant armes et cuirasses, il les laisserait dans leurs caches. Il compterait jours et années avec des cordelettes comme dans le passé.

 

Il trouverait savoureuse sa nourriture, beaux ses vêtements, agréable sa maison, pleines de douceur ses coutumes ancestrales. Il considérerait avec joie les hommes du pays voisin. Il entendrait chanter leurs coqs et aboyer leurs chiens. Il vivrait au rythme des saisons, et mourrait de vieillesse sans avoir connu le pays voisin sinon pour partager.

 

 

81.

 

 

Les paroles vraies ne sont pas toujours agréables, les paroles agréables ne sont pas toujours vraies. La Vérité n’argumente pas. Les arguments ne sont que vaines paroles. L'ignorant croit tous savoir. Le sage pense qu'il ne sait rien. Le Sage ne garde rien pour lui. Plus il donne aux autres, plus il s'enrichit et il possède  un  trésor précieux : ce qu'il a donné aux autres. Ayant tout donné, tout lui est rendu au centuple. La voie du ciel est d'agir sans demander, d'obtenir sans lutter, de s'enrichir en donnant. Telle est la voie du ciel. Le tao.