la plupart des scientifiques considèrent la fixité des lois naturelles comme un fait établi.
C’est à l’évidence une supposition purement théorique. Si le cosmos évolue la théorie des lois fixes a-t-elle un sens ? L’idée même de lois est anthropocentrique. Pour un matérialiste ,il n’existe ni dieu ni esprit transcendant susceptible de les avoir fondées.
Dans ce chapitre je propose une alternative aux lois éternelles : les habitudes évolutives.
Eternité mathématique (147-152)
Les matérialistes pensaient que les atomes constituant la matière étaient immuables et éternels tandis que Pythagore et ses adeptes croyaient que l’univers tout entier et en particulier les cieux répondaient à des principes éternels d’harmonie spirituelle.
les Pythagoriciens n’étaient pas seulement des philosophes. Ils formaient des communautés mystiques, mettaient leurs possessions en commun, traitaient les femmes en égales des hommes, mangeaient végétarien et croyaient en la transmigration de l’âme. Ils étaient convaincus que l’univers est gouverné et régulé par une intelligence qui se reflète dans l’esprit humain.
Fortement influencé par le Pythagorisme, Platon poussa la chose un cran plus loin. La notion de vérités mathématiques éternelles s’élargit chez lui à des Formes ou Idées, sortes d’archétypes englobant les mathématiques, les Formes de tout objet ou qualité. Toutes les Formes que nous connaissons sont les reflets des Formes transcendantes.
L’allégorie platonicienne de la caverne, bien connue, compare tous les objets perçus par nos sens à des ombres se reflétant sur la paroi d’une grotte où sont enchaînés des prisonniers qui, dos au feu ne peuvent voir qu’elles.
Platon emploie le terme noos pour désigner la part rationnelle et immortelle de l’âme grâce à laquelle nous pouvons connaître les Formes. Nombres d’éléments de la philosophie platonicienne ont été incorporés à la théologie chrétienne et sont implicites dans le début de l’évangile de Jean. « Au commencement était le Verbe » – Verbe est la traduction de Logos. Or dans la philosophie judaïque – Philon d’Alexandrie– le terme logos sert à désigner l’intermédiaire divin entre Dieu et le monde matériel. Platon compare Dieu à un jardinier donnant forme au monde grâce au modèle donné par le Logos.
L’Europe a connu un retour au platonicisme à partir du XV ième siècle. Copernic, Galilée, Descartes, Kepler et Newton étaient tous platoniciens ou pythagoriciens. Ils pensaient que le rôle de la science est de trouver les modèles mathématiques soous-jacents au monde naturel, les Idées mathématiques éternelles qui sous-tendent toute réalité physique.
La plupart des grands physiciens ont exprimé des idées comparables. Au XIX ième siècle Heinrich Hertz écrivait qu' »on ne peut échapper au sentiment que ces formules mathématiques ont une existence indépendante et une intelligence qui leur est propre… »
La théorie générale de la relativité d’Einstein fait partie de cette tradition et Eddington qui en a fourni la première preuve concluait « la substance du monde est mentale (…) La substance mentale ne s’étend pas dans le temps et l’espace… »
La théorie quantique a poussé le platonicisme jusqu’au coeur de la matière. Heisenberg, un de ses fondateurs, disait que « la physique moderne a définitivement opté pour Platon… »
Personne ou presque ne remet en question cette supposition , issue de la tradition, selon laquelle l’univers est gouverné par des lois fixes et des « constantes » littéralement constantes.
A quel point les constantes fondamentales sont-elles constantes ? (152-160)
La science considère certaines constantes comme plus fondamentales que d’autres. En font partie la vitesse de la lumière (c)la constante de gravitation universelle (G) et la constante de structure fine (α) qui est une mesure de la force d’interaction des particules chargées tels les électrons et les photons de lumière. A la différence de ¶, la valeur de ces constantes dépend de mesures en laboratoire. Selon la pensée officielle elles sont fixées à jamais.
Dans les livres de physique leurs valeurs sont rajustées de temps en temps par de comités d’experts internationaux. De meilleures valeurs viennent remplacer les anciennes et les scientifiques les considèrent constantes. Pourtant certains physiciens comme Dirac (1902-1984) ont pensé qu’au moins quelques-unes pouvaient peut-être changer avec le temps par exemple celle de gravitation qui pouvait fléchir.
Nous allons nous intéresser aux trois principales. D’abord la constante G. C’est celle qui fait preuve des variations les plus importantes. Ainsi entre 1973 et 2010 cette constante a varié de 6,6659 à 6,734 pour sa valeur la plus faible et la plus haute soit une différence de 1,1% alors que sa valeur est donnée à la troisième et parfois cinquième décimale. Soit cette précision apparente est illusoire soit G change réellement. En 1998, Le National Institute of Standards and Technology a publié les valeurs de G prises sur différents jours. La valeur de 6,73 relevée un jour passait à 6,64 quelques mois plus tard soit un écart de 1,3%. En 2002 une équipe du Massachusetts Institute of Technology a trouvé un rythme quotidien à ces variations dont la valeur maximale de G se retrouvait à 23,93 heures de différence correspondant avec le jour sidéral. ( période de rotation de la Terre par rapport aux étoiles. Il existe par ailleurs des indices de fluctuation annuelle.
De même l’astronome australien John Webb a trouvé de légers écarts de α aux confins de l’espace. En 2010 ces observations ont été confirmées et il apparaissait que la constante semblait plus grande dans une moitié de l’univers que dans l’autre.
La variation des constantes fondamentales fait l’objet aujourd’hui de sérieux débats entre physiciens.
Enfin qu’en est-il de la vitesse de la lumière ? Selon la théorie d’Einstein c’est une constante absolue lorsqu’elle se déplace dans le vide. En 1927 sa valeur convergeait vers 299 796 km/sc. Cependant entre 1928 et 1945 son estimation diminua de 20km/sc. Vers 1940 elle augmentait de nouveau de 20km/sc.
Depuis 1983; le mètre est fixé par rapport à la vitesse de la lumière si bien qu’il n’est plus possible de vérifier cette variation. Il en est de même de la seconde.
L’existence de constantes variables aurait des conséquences énormes.
Les univers multiples ( 160-165)
Avec une différence de ces lois et constantes le cycle du carbone n’existerait pas.
Une réponse à ces lois et constantes est celle de l’existence d’un concepteur intelligent. Mais l’appel à un esprit divin est contraire à la mentalité athée de la science moderne et beaucoup de cosmologues préfèrent penser qu’il existe de nombreux univers en plus du nôtre. Selon ce point de vue nous n’observons que l’univers qui soit fait pour nous.
La théorie des multivers rencontre l’assentiment des cosmologues pour 2 autres raisons dont celle de la théorie des cordes. Cette théorie à 10 dimensions et sa soeur la théorie M à 11 dimensions génèrent beaucoup de solutions possibles. Quelques théoriciens vont encore plus loin tel Max Tegmark qui propose que tous les univers possibles mathématiquement existent quelque part.
Le point commun à toutes ces théories c’est leur croyance en la primauté des mathématiques. C’est une forme moderne et extravagante du platonicisme.
Les habitudes évolutives (165-168)
L’alternative au platonicisme est l’évolution des constantes naturelles. Bien avant que les premiers atomes d’hydrogène apparaissent 370 millions d’années après le Big Bang existaient des photons, électrons, protons. la naissance de ces premiers atomes fut accompagnée du rayonnement fossile. Puis, enquelques milliards d’années sont apparues les molécules, les étoiles, les galaxies… les plantes et l’humanité.
Les « constantes » associées à ces habitudes atomiques comme celle de la structure fine et la charge des électrons sont très anciennes. L’hydrogène est probablement la molécule la plus ancienne. A l’opposé certaines molécules sont très récentes comme les molécules mises au point en chimie de synthèse au XXième siècle dont les habitudes sont toujours en formation.
Charles Sanders Peirce (1839-1914) fit remarquer que les lois imposées à l’univers étaient en contradiction avec la pensée évolutive. Il proposa donc l’idée « d’habitude » à la place de « loi ». Peirce voyait le cosmos en expansion comme un être vivant.
Le philosophe Nietzsche (1844-1900) suggérait que les « lois de la nature » subissent une sélection naturelle. L’origine du monde serait un jeu sans règle et donc nos lois seraient évolutives.
Le philosophe et psychologue William James (1842-1910) disait que si l’on prend la théorie de l’évolution au pied de la lettre on doit l’appliquer aussi aux strates rocheuses et aux étoiles.
De même le philosophe et mathématicien Whitehead disait que « la nature n’a pas de lois, elle n’a que des habitudes ».
Comme Peirce, James et Withehead l’avaient pressenti la cosmologie évolutive implique l’évolution des habitudes.
La résonance morphique (168-172)
Ma propre hypothèse est que la formation d’habitudes répond à un processus appelé « résonance morphique » . Des formes d’activité entrent en résonance à travers l’espace et le temps avec formes similaires précédentes et cette hypothèse s’applique à tous systèmes auto-organisés : atomes, molécules, cristaux, cellules, plantes , animaux etc…Tous tirent parti de la mémoire collective et adoptent les mêmes habitudes d’organisation.
En résumé,
1 les systèmes auto-organisés sont faits de hiérarchies imbriquées ou holarchies de holons et à chaque niveau le tout est davantage que la somme des parties.
2 le terme générique de « champ morphique » inclut :
- des champs morphogénétiques qui donnent forme à la croissance des plantes et animaux.
- des champs comportementaux qui organisent les mouvements, les instincts des animaux.
- des champs sociaux
- des champs mentaux qui forment les habitudes de pensée.
3 les champs morphiques contiennent des attracteurs (buts) et des chréodes (voies pour ces buts) qui guident vers l’état final.
4 Les champs morphiques sont formés par résonance morphique avec les systèmes passés similaires. Cette dernière n’est pas atténuée par la distance dans l’espace ou le temps.
5 la résonance morphique implique un transfert de forme plutôt qu’un transfert d’énergie.
6 Les champs morphiques sont des champs de probabilité comme les champs quantiques
7 Tous les systèmes auto-organisés sont influencés par la résonance de leur propre passé qui joue un rôle essentiel dans le maintien de l’identité du holon.
Cette hypothèse laisse ouverte la question de savoir comment la résonance morphique fonctionne. Plusieurs hypothèses sont avancées et des expériences ont été menées dans le domaine du développement biologique et comportement animal – cf chapitre 6 – et de l’apprentissage humain – chapitre 7.
Habitudes et cristallisations (172-177)
L’hypothèse de la résonnance morphique prédit que lorsque des chimistes tentent de fabriquer un nouveau composé il devrait être difficile d’en obtenir des cristaux parce que le champ morphique de ce cristal n’existe pas encore.
Le turatanose , une sorte de sucre, était considéré liquide jusqu’à ce qu’il cristallise pour la première fois en 1920 pour ensuite cristalliser sans problème partout dans le monde.
Encore plus frappant est le cas du xylitol, un alcool de sucre utilisé dans la fabrication du chewing-gum. De 1891 à 1942, il est considéré comme liquide puis des cristaux apparurent à la t° de 61°C . Après quelques années la t° de fusion s’éleva à 94°C et une nouvelle forme cristalline apparut.
les cristaux présentant différentes formes d’un même composé sont appelés polymorphes. Parfois ils coexistent comme le graphite et le diamant mais parfois comme pour le xylitol un nouveau polymorphe en remplace un autre.
Un remplaçant d’un polymorphe par un autre est un problème récurrent en pharmacie. Par exemple le Ritonavir, un médicament contre le sida des laboratoires Abbott est sorti en 1996. Après 18 mois un polymorphe nouveau est apparu qui a envahi en quelques jours la chaîne de production. L’incapacité des chimistes à contrôler la cristallisation constitue un défi majeur.
L’apparition de nouveaux polymorphes fait clairement comprendre que la chimie ne se situe pas hors du temps. Des petits fragments de cristaux anciens peuvent agir comme des « graines ».
Ces nouveaux cristaux sont un moyen de tester l’hypothèse de la résonance morphique.
Habitude et créativité (177-180)
Les habitudes ne peuvent à elles seules expliquer l’évolution. Elles permettent d’expliquer la répétition, pas la créativité. La créativité reste un mystère précisément parce qu’elle implique l’apparition de formes qui n’avaient jamais existé auparavant. Nous expliquons généralement les choses en terme de causes préexistantes. Une nouvelle forme de vie, d’art etc… sous-entend qu’elle était déjà présente sous forme de possibilité latente. Moyennant les circonstances appropriées cette forme latente devient réalité.
Ceci n’est rien d’autre qu’une théorie platonicienne de la créativité. Toutes les formes possibles existent depuis toujours en tant que Formes intemporelles ou potentialités mathématiques. Comme l’exprimait Bergson : « le possible aurait été là de tout temps, fantôme qui attend son heure… ». Il était un philosophe évolutionniste et exprime très clairement quelle rupture le concept d’évolution constitue par rapport aux idées platoniciennes.
Si Formes et Lois éternelles semblent avoir toute leur place dans un univers éternel, elles sont radicalement remises en cause par l’évolution qui est un processus de développement créatif.
Pour Charles Darwin, l’évolution de la vie avait lieu spontanément et sa source n’était ni extérieure à la nature ni présente dans les plans de Dieu. Henri Bergson attribuait cette créativité à l' »élan vital. » Comme Darwin, les marxistes et d’autres adeptes de l’évolution par émergence il refusait l’idée d’un processus évolutif planifié à l’avance.
Qu’est-ce que cela change ? (181-182)
Abandonner le dogme des lois immuables libère notre compréhension de l’évolution. L’idée que « les lois de la nature » sont fixes tandis que l’univers évolue est une supposition. Les « constantes fondamentales » pourraient être variables. Il se pourrait qu’il existe une mémoire inhérente à la nature. De nouveaux modèles et formes apparaissent spontanément et sont soumis à la sélection naturelle. Ceux qui survivent apparaissent par répétition de plus en plus habituels.
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