Le Discernement

Le discernement

« Soyez à vous-même votre propre flambeau, votre propre refuge »
Siddharta Gautama

Le discernement – par Michael

Lorsque l’on découvre le chemin spirituel, nous avons tendance à nous émerveiller de nos premiers ressentis, de nos prises de conscience. Tout ceci est nouveau et révolutionne notre esprit. Nous voudrions que tous sachent ce que nous ressentons. Un tel enthousiasme crée l’esprit du missionnaire, qui souhaite faire partager à tous ses découvertes spirituelles, parfois en imposant son mode de pensée à autrui. Dans ce tourbillon d’énergie naissante nous recherchons parfois de manière frénétique des ouvrages multiples, des écrits de toutes sortes dans le but d’apaiser notre soif nouvelle de savoir spirituel. Il arrive que nous recherchions même un « maître », que nous pensons plus éveillé que nous et qui nous guiderait afin de nous aider à canaliser toute notre énergie vers une voie juste et honnête. Bien qu’il soit légitime de trouver un tel guide pour nous permettre d’avancer il ne faut pas oublier cette citation d’une des grande figure du bouddhisme chinois, Hui Neng :  » C’est un non sens de soutenir que nous ne pouvons obtenir l’illumination sans maitres instruits et pieux. Parce que la sagesse est innée, nous pouvons tous nous illuminer nous-mêmes.

Dans cette quête de soi, le novice a tendance à se jeter parfois corps et âme dans un enseignement, et rentre sans y faire attention dans une sorte d’assistanat spirituel. Il laisse le maître penser à sa place, l’écrit « saint » lui dicter sa conduite. Le drame des religions est rempli de cette attitude où l’on abandonne son propre pouvoir créateur au nom de la religion ou d’une divinité qu’on croit extérieure à soi. C’est un sujet délicat car bon nombre de nos semblables sont prisonnier de l’appartenance qu’ils ont désirée à leur premier pas sur le chemin. Certains ont renoncé à vivre leur divinité, ont renoncé à leur pouvoir créateur, car créér, être libre, impose d’être aussi seul devant l’inconnu et l’ego a peur de ce qu’il ne connaît pas. On n’a pas laissé à ces êtres l’opportunité de travailler leur esprit de discernement, non pas l’esprit critique, mentalisé, qui tente de trouver la faille pour justifier ses certitudes, mais le discernement véritable.

Le Bouddha en son temps, dans le célèbre Kalama Soutra, en parlait déjà, devant le doute permanent. Il exhortait au discernement, à ne pas croire un écrit parce qu’il est « sacré » ou parce qu’une autorité l’a imposé, mais regarder en soi-même comment l’être intérieur réagit. En quelque sorte ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Facile à dire devant la multitude d’enseignements, de maîtres, des voies spirituelles parfois contradictoires où l’on trouve de tout et surtout n’importe quoi. Evidemment le doute fait peur au pratiquant novice, il ne sait plus où donner de la tête, qui écouter, il passe souvent sa vie d’un maître à l’autre, d’un bouquin à l’autre sans aller à l’essentiel des choses. Il est perdu et l’angoisse le tenaille, alors il se raccroche à la première bouée de sauvetage spirituelle, puis il aliène son propre pouvoir créateur et subit le statut de victime dépendante d’un système spirituel.

Mais alors qu’est-ce qui permet de créer le discernement en nous ?

Bonne question, oui, c’est sûr, je vais essayer d’y répondre alors tant que j’y suis.

Le discernement m’apparaît comme proche de la vision pénétrante chère à Krishnamurti, c’est lui à mon sens qui en a le mieux parlé, je le laisse introduire mes propos : « Toujours nous voyons les choses partiellement. D’abord parce que nous sommes inattentifs, secondement parce que nous les regardons à partir de nos préjugés, d’images verbales et psychologiques accompagnant ce que nous voyons. Jamais nous n’observons quoique ce soit d’une façon complète. C’est chose ardue que de regarder objectivement même la nature. Regarder une fleur sans qu’il n’y ait aucune image, aucune notion botanique, simplement l’observer. Cela devient assez difficile parce que notre esprit vagabonde et ne s’intéresse à rien. Et même s’il s’intéresse, il contemple la fleur avec certaines appréciations, certaines descriptions verbales qui donnent à l’observateur le sentiment d’avoir vraiment regardé. Regarder de propos délibéré, c’est ne pas regarder. Donc jamais nous ne voyons la fleur, nous la voyons seulement à travers son image. »

Nous voyons ici que le manque de discernement vient du fait que notre mental est embrumé d’un tas de conditionnement sociaux, de préjugés, de certitudes toutes faites. Si nous tombons dans le piège du manque de discernement c’est que nous avons laissé le mot, l’image, l’émotion, la pulsion prendre le dessus sur le réel. Par exemple, si une personne sur le chemin ressent une angoisse, elle va vite prendre son livre « saint » pour y puiser une parole de réconfort, un enseignement et ainsi perdre de son autonomie. Au lieu de systématiquement avoir recours à cette béquille mentale, la personne pourrait laisser l’angoisse prendre toute son ampleur, la regarder calmement et voir ce qu’elle apporte comme compréhension. Tout de suite elle pourrait écrire une solution psycho spirituelle bien plus évoluée j’en suis sur que dans son livre « saint ». Car elle aura laissé agir en elle sa part de divinité, elle aura ressentit Dieu ou un autre mot, agir en elle et ainsi la voie de la maturité spirituelle s’ouvre à elle. Mais nous sommes conditionnés depuis des millénaires à croire qu’il existe un Dieu, une entité parfaite extérieure à nous, et que nous ne valons rien et devons nous soumettre à la bonne parole. Tout ceci est une machination qui a trop duré, on a brisé l’humain depuis des millénaires, on lui a arraché son droit de créer. La vie n’est pas une vallée de larme.

Le discernement, c’est aussi accepter la part d’ombre qui vit dans le monde et aussi en nous. Par peur de cette « part de ténèbre » , certains se réfugient dans un idéal fantasmatique de pureté, d’amour inconditionnel, alors qu’ils n’en vivent même pas le quart. Ils veulent de l’amour et de l’harmonie uniquement pour les protéger du réel, pour les utiliser comme les verrous de leurs pulsions internes non résolues. Un cache misère, voila ce que c’est, si l’on refoule ce côté obscure celui-ci s’infiltrera sournoisement dans l’attitude en apparence altruiste mais dont le fond est gangrené par l’angoisse de vivre. Cette attitude créée les gourous, les illuminés et les missionnaires. Sous couvert de beaux apparats, de mots doux, on ne se rend pas compte du mal qui peut filtrer par le manque de discernement. Car on ne peut apprendre à discerner si l’on ne veut voir qu’une facette de l’existence : discerner c’est aussi intégrer toutes ces parties et en extraire la vue juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, le moyen d’existence juste, l’effort juste, l’attention juste et la concentration juste. C’est ce que le Bouddha nommait le noble sentier octuple, tout un programme.

Lorsque l’aptitude au discernement commence à être ancrée, la sérénité n’est pas loin, car la confusion s’est éloignée. On a plus peur de se tromper, ou d’être absorbé par un enseignement. Le discernement permet de lire tout, de rencontrer toutes les personnes sans peur de perdre notre esprit créateur. Car souvent les pratiquants qui manquent de discernement ont peur de rencontrer des personnes qui cheminent différemment. Ils appréhendent la lecture d’ouvrages qui viendraient ébranler leurs certitudes spirituelles. Ceci est un manque de compréhension de la nature des êtres et de l’existence. Ne comprenant pas le fond commun qui unit toutes choses, le novice par son manque de discernement se perd dans la forme, dans le concept, dans le mot et en oublie le fond. Il prend encore de vessies pour des lanternes. Le pratiquant qui discerne lui, peut tout lire, rencontrer toutes les personnes sans avoir peur de se perdre, il sait que tout unit les êtres et que seul la forme les divise. Il sait faire la part des choses, ne s’attache pas au folklore, au discours pompeux sur la nature de Dieu, à la mission des prophètes et à tout le fatras ésotérique qui va avec. Grâce à sa vision pénétrante, il voit au cœur des cœurs et reste naturel. Il sait la voie qu’il arpente, elle lui convient mais il comprend aussi que la voie de l’autre, même si elle lui parait imparfaite, est celle qui lui convient à un instant T de son parcours de vie. Alors il ne tente pas d’influencer, comme le dit la sagesse taoïste : « Le sage ne ressent pas le besoin d’influencer les êtres, qui viennent à lui naturellement. » Ah, merveille du non-agir !

Mais le maître peut avoir un rôle dans ce travail du discernement, il permet de recadrer, structurer le disciple et offrir un support stable à son évolution. Mais ce maître alors n’est pas une béquille (comme le perçoivent certains disciples qui s’y réfèrent sans cesse), mais un tremplin et c’est là la différence, on s’appuie sur une béquille car on manque de force. Sur un tremplin il faut apprendre à générer la vitesse et l’amplitude nécessaire pour pouvoir décoller de manière harmonieuse, c’est une différence cruciale à mon avis. Dans cet article je m’adresse à l’esprit occidental et son attrait à la « gouroutisation », à la perte de son pouvoir créateur au nom d’une autorité : « Quand le disciple est prêt, le maître apparaît. » Certes, mais on peut y ajouter, quand le maître est apparu, le disciple prépare son envol.

Au final, il faut une bonne dose de discernement pour arpenter le chemin, pour éviter les pièges tendus par les sectaires, mais aussi les pièges où l’on se fourvoie soi-même. On ne peut arriver au bout d’un chemin si la graine du discernement n’a pas fleurie, car l’on est ainsi démuni. La vie n’est pas difficile, mais elle n’est pas facile. Nous avons des défis à relever en ce monde et le discernement est notre sabre affûté qui brille de mille feux dans les ténèbres de l’ignorance. Des guerriers de la lumière voilà ce que nous sommes comme l’expose Paulo Coelho dans son livre du même nom. Nos combats sont intérieurs, la voie du guerrier est une école de vie, elle permet par la suite d’appréhender la voie du sage avec sérénité. Yoda fut un vaillant guerrier de la lumière avant d’être le sage aux axiomes énigmatiques que nous connaissons dans Star Wars. Quand nos combats seront terminés, nous pourrons ainsi goûter à la félicité, au repos du guerrier… Mais chaque chose arrive quand il est temps, et à chaque étape son défi à relever. Travaillez, affûtez votre discernement, il vous sauvera la mise dans de multiples combats, en attendant le jour ou il restera dans son fourreau pour laisser infuser l’être tout entier au-delà des mots et des hommes.

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