Qui sont les mystiques chrétiens ?

► Qu’est-ce qu’un mystique ?
Dans le christianisme, ce terme désigne une personne qui vit intimement unie à Jésus-Christ. Saint Paul peut être considéré comme le premier mystique, lui qui a été saisi par le Christ sur la route de Damas et qui n’a cessé ensuite de parler de lui. Dans des cas assez rares, cette union se manifeste par des phénomènes extraordinaires : visions, connaissance des cœurs, prophéties, extases, lévitations, bilocations, stigmates…
Mais l’authenticité et la profondeur de l’union à Dieu ne se mesurent pas à l’aune de l’exceptionnel : de très grands mystiques, tels Vincent de Paul (mystique de l’action) ou Thérèse de Lisieux (mystique missionnaire), n’ont jamais vécu de tels phénomènes. « Ce qui caractérise la mystique chrétienne, à la différence d’autres traditions spirituelles, c’est qu’elle est une mystique du désir, impliquant la chair, car le Christ s’est incarné », précise le P. François Marxer, professeur de théologie spirituelle au Centre Sèvres à Paris.
► Selon quels critères l’Église authentifie-t-elle un mystique ?
Selon « l’hymne à la charité » (1 Co 13), l’amour seul permet d’atteindre la perfection. L’Église se montre donc toujours prudente à l’égard des fidèles qui vivent des expériences mystiques extraordinaires et prend le temps de vérifier qu’il s’agit bien d’une vie mystique apostolique.
Ainsi, les autorités ecclésiastiques n’ont pas reconnu d’autorité spirituelle à Clémence Ledoux (1888-1966) qui, contrainte par sa hiérarchie de quitter la vie religieuse, s’installa à Bois-le-Roi (Seine-et-Marne) d’où elle fit connaître Marie sous le titre de Reine immaculée de l’Univers.
► Quels ont été les principaux courants de la mystique chrétienne ?
Selon le P. Marxer, « la mystique en Occident commence vraiment au XIIe siècle ». Certes, les premiers siècles ont vu de grands spirituels, comme Antoine d’Égypte (IVe siècle), Denys l’Aréopagite et Augustin (Ve), Benoît de Nursie (VIe siècle), ou les fondateurs de grandes abbayes tels Odon de Cluny (Xe), Anselme de Cantorbéry (XIe), Pierre le Vénérable, et Bernard de Clairvaux (XIIe) qui a développé une théologie de l’expérience spirituelle. De fait, un très grand nombre de saints et de saintes furent des mystiques ; et parmi les 33 docteurs de l’Église, dix ont légué un enseignement mystique à partir de leur expérience d’oraison et parfois de révélations privées.
Mais c’est vraiment avec les mystiques féminines médiévales, notamment Angèle de Foligno, Mechtilde de Magdebourg et Gertrude de Helfta (XIIIe), Brigitte de Suède et Catherine de Sienne (XIVe), sans oublier la visionnaire Hildegarde de Bingen (XIIe), que le mysticisme va connaître un formidable essor.
C’est aussi au XIIIe siècle que l’on commence à distinguer entre « mystique de l’essence » (ou platonicienne), qui consiste à sortir du monde par l’ascèse pour se joindre à l’Être divin, et « mystique nuptiale » qui permet de recevoir Dieu dans la réciprocité d’un amour mutuel.
Ainsi, les mystiques rhéno-flamands recherchent une union à Dieu interprétée comme une coïncidence de la créature avec son Créateur – d’où le risque de réduire la foi à une vision métaphysique de l’unité, ce qui amènera le magistère à condamner Maître Eckhart en 1329. Tandis que les trois grands mystiques espagnols des XVe-XVIe siècles, Thérèse d’Avila (avec son génie littéraire), Jean de la Croix (le « mystique des mystiques ») et Ignace de Loyola (qui transmet les révélations reçues à travers ses « Exercices spirituels »), expriment leur union à Dieu, selon le P. Marxer, « dans le double registre d’une intelligence croyante et d’une union affective avec l’Absolu dans le quotidien de la vie ».
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’Église se montre de plus en plus prudente face aux révélations « privées » qui se multiplient. L’évêque d’Annecy, François de Sales, introduit des critères de vérification psychologique dans son Introduction à la vie dévote et dans son Traité de l’amour de Dieu.
Le XIXe siècle connaît surtout des visionnaires de la Vierge : Catherine Labouré à Paris, Bernadette Soubirous à Lourdes et Jacinta et Francisco à Fatima, sans oublier Anne-Catherine Emmerich à Dülmen (Allemagne) qui « voyait » la Passion…
Enfin, au XXe siècle, plusieurs mystiques ont été « salués » de leur vivant : Yvonne-Aimée de Malestroit (1901-1951) a vécu tous les phénomènes répertoriés ; le capucin italien Padre Pio (1887-1968), qui porta les stigmates de la Passion pendant cinquante ans, a été canonisé ; Maurice Zundel (1897-1975) fut qualifié de « génie mystique » par Paul VI ; Marthe Robin (1902-1981) vivait la Passion unie au Christ chaque fin de semaine…
► La vie mystique est-elle réservée à une élite ?
Ce fut l’objet d’un grand débat, au XIXe siècle, entre le jésuite Auguste Poulain et le chanoine Auguste Saudreau ; le second, à l’inverse du premier, considérant que tout chrétien est susceptible d’être mystique, dès lors qu’il se donne à Dieu et Le reçoit à la mesure de ses capacités… qui n’en feront que croître.
Les mystiques étonnent même les plus croyants. Essayons d’en savoir un peu plus avec l’historien Patrick Sbalchiero qui a dirigé l’équipe des auteurs du « Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens »(Fayard)

Qu’est-ce qu’un mystique ? C’est une personne en union au Dieu de Jésus-Christ, conduisant parfois – mais non toujours – à des faits extraordinaires : visions, locutions, stigmates, etc. Au fil des siècles, évêques, religieux et laïcs ont ainsi rencontré le Ressuscité.
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La mystique est inséparable de la foi. Elle est son aboutissement : une union à Jésus, selon un mode exceptionnel respectant l’humanité, mais l’élevant et lui ouvrant le chemin de l’éternité. C’est pourquoi vérité et profondeur de l’union à Dieu ne dépendent jamais des expériences extraordinaires. Ainsi de très grands saints ont-ils vécu leur vie entière sans connaître le moindre fait surprenant, comme, par exemple, Thérèse de Lisieux (+ 1897) ou Mère Teresa de Calcutta.
Les miracles de Jésus, puis ceux des apôtres entraînent la conversion des leurs. L’Église naissante n’oppose pas ‘mystiques’ (du latinmysterium : mystères) aux théologiens. Le premier mystique, saint Paul (+ v. 65/67) parle de foi. Sa vision du Christ près de Damas réoriente son existence. « Pas de théologie sans mystique, et pas de mystique sans théologie », écrit Dom Pierre Miquel. L’Esprit Saint fonde la vérité de telles expériences en transmettant aux hommes la Parole de Dieu.
Les principaux mystiques chrétiens
Il faudrait un annuaire pour citer tous les mystiques ! Presque toutes les saintes et les saints ont été des mystiques ! Nous ne citons ici que les plus grands.
Tous les Docteurs de l’Eglise ont tiré leur inspiration théologique de l’oraison et de la contemplation, parfois de révélations privées. Sur les 33 Docteurs de l’Eglise, dix ont légué un enseignement sur la vie mystique.
Dans les premiers siècles, les ermites orientales dominent le paysage mystique, comme saint Antoine d’Egypte (+ 356) : visions, exorcismes, apparitions du diable sous diverses formes, l’homme de Dieu mena un combat spirituel de chaque instant. À son image, saint Benoît de Nursie (+ 560), patriarche des moines d’Occident, multiplie les prodiges.
Du Ve au IXe siècle, évêques, prêtres et religieux prennent le relais : saint Ambroise de Milan, saint Isidore de Séville, et même saint Grégoire le Grand, pape (+ 604).
Ensuite, les grandes fondations d’abbaye monastique donnent à l’Église latine leur lot de mystiques : Odon de Cluny, Pierre le Vénérable, saint Pierre Damien, Anselme de Cantorbéry… À la même époque, saint Bernard de Clairvaux (+ 1153), conseiller des papes et des princes, développa une théologie sur les visions célestes et vécut lui-même guérisons, exorcismes, extases et le don de connaissance.
Mais la mystique féminine connait au XIe siècle un bel essor. De manière indiscutable, sainte Hildegarde de Bingen (+ 1179), abbesse allemande, visionnaire, familière des saints et des anges, exorciste et guérisseuse, phénomènes consignés dans ses œuvres, devient la grande mystique européenne.
Au XIIIe siècle apparaissent les Ordres Mendiants. Saint François d’Assise (+ 1226) est le premier stigmatisé. Dans son sillage, saint Antoine de Padoue (+ 1231) multiplie les prodiges: prophéties, visions diverses… Sainte Claire d’Assise (1253) connait aussi l’indicible et les prodiges : multiplications de vivres, musiques célestes, ravissements et lecture des cœurs…
La fin du Moyen-Âge marque un développement rare de la mystique féminine à partir des couvents et des béguinages : Mechtilde de Magdebourg (+ vers 1282), Gertrude d’Helta (+ 1302), Brigitte de Suède (+ 1373), etc. Toutes entretiennent une relation privilégiée avec Jésus. Elles revivent sa Passion, avec des extases et locutions… Le clergé leur demande parfois d’écrire leurs expériences.
Au XVe siècle, les laïcs apparaissent. Sainte Jeanne d’Arc (+ 1443) entend des ‘voix’ : Dieu lui adresse des paroles qu’elle est incapable d’oublier sinon de comprendre. Vers 1500, cette veine féminine change : les phénomènes demeurent mais les femmes sujettes à ces faits sont fondatrices d’ordres et issues de la haute noblesse (sainte Jeanne de France + 1505). Parallèlement, des missionnaires attirent les foules en proclamant la foi comme une conversation avec le ciel (saint Vincent Ferrier + 1419).
Le XVIe siècle est celui de la mystique espagnole. Trois figurent dominent : sainte Thérèse d’Avila (+ 1582) qui, avec son génie littéraire, explique ce qu’elle vit et ce qu’elle voit : extases, visions, messages… Saint Jean de la Croix (+ 1591), le « mystique des mystiques », inquiété par les autorités religieuses de son temps pour la radicalité de son œuvre et ses «transverbérations», extases, etc. Ce saint est en partie à l’origine de la prudence de l’Église vis-à-vis du merveilleux. Il influença des générations de fidèles, jusqu’à Jean-Paul II qui lui consacra une thèse ! Le troisième homme fut fondateur d’un ordre promis à un avenir unique, saint Ignace de Loyola (+ 1556), aussi d’origine espagnole. Ses Exercices spirituels placent le fidèle en ‘situation’ lui faisant vivre des scènes évangéliques. Ignace a connu le don des larmes, les extases, les visions de la Sainte-Trinité…
Les XVIIe et XVIIIe siècles multiplient les mystiques. Toutefois, l’Église contrôle de plus en plus les révélations dites ‘privées’ : viennent-elles de Dieu, de l’esprit humain et du diable ? Saint François de Sales (+ 1622), sujet à des visions lumineuses, à des conversations avec des êtres invisibles, traite de la mystique dans son œuvre universelle. Saint Alphonse de Liguori (+ 1787), extatique, thaumaturge, sujet à des bilocations, voyant de la Vierge, reste prudent face aux allégations de certains de ses paroissiens…
Le XIXe siècle, ère de la révolution industrielle, connaît son lot de mystiques, comme des voyantes de la Vierge Marie : sainte Catherine Labouré (+ 1876), sainte Bernadette Soubirous( + 1879), la voyante de Lourdes en 1858, ou Jacinta et Francisco, les pastoureaux de Fatima (1917).
Uniquement des femmes ? Non ! Deux hommes méritent leur place : saint Jean-Marie Vianney, le saint curé d’Ars (+ 1859), victime des tracasseries du ‘Grappin’(le diable) et sujet à des visions de la Vierge ou de saints, des guérisons inexpliquées, etc.
En Orient, saint Charbel Maklouf (+ 1898), le saint libanais vénéré par tous les Maronites, dont le corps resta, après la mort, in-corrompu ; de multiples miracles et guérisons eurent lieu sur son tombeau.
Enfin, au XXe siècle, deux personnes doivent être citées : Yvonne-Aimée de Malestroit (+ 1951), (sur Wikipedia) dont le procès de béatification vient d’être rouvert, qui réunit au cours de sa vie tous les phénomènes répertoriés depuis le Moyen-Âge : visions, matérialisations, extases, bilocations, stigmates ; surtout, ces prédictions ont été les plus précises de l’histoire du Christianisme !
De son côté, saint Padre Pio (+ 1968), capucin italien, porta les stigmates de la Passion pendant 50 ans et connut des manifestations aussi incroyables les unes que les autres : bilocations, lévitations, don de guérison, de science et de prophétie…
Ce petit historique n’épuise en rien les richesses de la mystique.
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Dictionnaire de l’extraordinaire chrétien -14/11/2002 sous la direction de Patrice Sbalchiero
L’extraordinaire chrétien désigne une immense variété de phénomènes – physiques et psychologiques – manifestés dans la Bible et au long de deux millénaires de christianisme. Leur origine serait étrangère aux réalités sensibles de notre monde, et leur mode de manifestation incompréhensible à la seule démarche scientifique. Récits bibliques, vies de saints et traités de théologie spirituelle attestent leur pérennité et leur récurrence en Occident comme en Orient. On peut, pour simplifier, distinguer quatre grandes strates.
La première est le « socle biblique » : la naissance virginale de Jésus, ses miracles, sa Transfiguration, sa Résurrection et son Ascension, les prodiges accomplis par les premiers apôtres, le ravissement de saint Paul, les visions rapportées dans l’Apocalypse de saint Jean…
Viennent ensuite les phénomènes propres aux mystiques chrétiens : certains, physiques, entraînent une modification du métabolisme (extase, guérison, hyperthermie, inédie, lévitation, stigmatisation…), ou bien, comme la fragrance post mortem ou l’incorruptibilité, apparaissent au moment du décès du sujet, voire après. Quant aux phénomènes intellectuels (ou « subjectifs »), ils ont pour dénominateur commun l’abolition des limites spatio-temporelles : prédictions (négation du temps), clairvoyance (négation de l’espace)…
En troisième lieu, le merveilleux chrétien recouvre l’ensemble des « prodiges » rapportés par les vies de saints absents des Ecritures (légendes populaires et récits hagiographiques). Il s’agit de matériaux littéraires servant à l’édification des lecteurs, dont une partie tire son origine de textes apocryphes.
Enfin, la tradition chrétienne affirme que les puissances du mal ne sont pas des figures symboliques ou des principes métaphysiques, mais des êtres vivants créés par Dieu, doués d’une intelligence supérieure et dont certaines interventions parmi les hommes aboutiraient à des phénomènes sensibles : apports, possessions, visions diaboliques…
Reste à expliquer l’omniprésence de ces phénomènes extraordinaires dans la tradition chrétienne. Les sciences humaines et celles de la nature peuvent-elles aider à une meilleure compréhension de ces faits ? Comment articuler lecture théologique et interprétation scientifique ? La psychologie humaine constitue-t-elle une base favorable ou un obstacle au surnaturel extraordinaire ?
Plus de 230 auteurs, pour l’essentiel historiens, médecins et théologiens, universitaires ou ecclésiastiques, croyants ou non, apportent, à travers 830 articles rédigés sous la direction de Patrick Sbalchiero, des réponses documentées à des questions qui suscitent d’infinies curiosités.
Patrick Sbalchiero est docteur en histoire. Enseignant à l’Ecole cathédrale de Paris, il dirige la revue Mélanges carmélitains et a publié des entretiens avec le cardinal Poupard, président du Conseil pontifical de la culture (éditions CLD).
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Histoire d’une âme -Sainte Thérèse de Lisieux -mars 2018 de Thérèse de Lisieux
« Ce que je relis dans ce cahier, c’est si bien mon âme !… Ces pages feront beaucoup de bien. On connaîtra mieux ensuite la douceur du Bon Dieu… » Bien plus qu’une autobiographie, Histoire d’une âme est une oeuvre immense où une petite carmélite normande dépeint les merveilles que Dieu peut accomplir. Thérèse nous fait ainsi entrer dans la » petite voie » de confiance et d’amour qu’elle a ouverte pour nous. Un texte simple et brûlant, qui a changé bien des vies, dans le monde entier, touchant jusqu’aux plus humbles chrétiens, et inspirant toutes les grandes figures de l’Eglise. Plus qu’une lecture, une véritable rencontre.
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Sagesse d’un pauvre – 8 juin 2007-Frère Eloi Leclerc
Née au coeur de la tourmente des Croisades, Hildegarde de Bingen fut dès son plus jeune âge, et jusque dans sa vieillesse, gratifiée de visions mystiques extraordinaires. Ses cosmologies divines, à l’imagerie puissante, sont de plus ancrées dans une théologie rigoureuse qui l’ont imposée de son vivant même, comme un modèle de sainteté et comme une autorité en matière de foi.
Consultée aussi bien par les papes que par les empereurs (Frédéric Barberousse), communiquant avec Bernard de Clairvaux, elle incarna ce xiie siècle grandiose et tourmenté, pétri de mystique et de politique, et vivant dans l’imminence du Royaume de Dieu.
Le Livre des oeuvres divines, son ultime recueil de visions, sublime la confusion de son siècle, finalement si proche du nôtre.