Préface
la Vie divine est l’oeuvre essentielle de Shrî Aurobindo sur la métaphysique. Celle-ci repose chez lui sur son interprétation de ce qu’il appelle « l’ancien Védânta » c’est à dire essentiellement le Rig-Véda et les plus anciennes des Upanishads, à quoi il ajoute la Bhagavad-Gitâ.
Mais elle ne s’appuie pas sur une simple analyse des textes; c’est grâce aux expériences spirituelles par lesquelles il est lui-même passé qu’il redécouvre « la lumière de l’antique et éternelle vérité conservée pour nous dans les Ecritures védântiques.
Shrî Aurobindo ne rejette aucun système religieux, philosophique ou scientifique, spiritualiste ou matérialiste, ancien ou nouveau, hindou ou occidental. En eux tous il reconnaît des descriptions authentiques, mais partielles et « complémentaires comme le sont tous les opposés » de la vérité vue sur différents plans de conscience et sous différents jours. « Toutes les vérités, même celles qui semblent être en conflit, ont leur validité mais il faut qu’elles soient conciliées en quelque Vérité plus vaste qui les intègre en soi; toutes les philosophies ont leur valeur… toutes les expériences sont vraies. »
Il ne nie pas , comme le font les bouddhistes et les advantistes, la réalité du monde dont nous avons l’expérience.
Il ne rejette pas l’explication matérialiste de la genèse de ce monde, genèse dans laquelle la matière est apparue la première, pour être suivie ensuite par la vie puis par le mental.
Mais Shrî Aurobindo ne nie pas non plus, comme le font les matérialistes, la vision spiritualiste de la nature du monde et de sa genèse. Pour lui les deux théories peuvent être considérées « comme les éléments complémentaires formant une seule vérité.«
Pou Shrî Aurobindo, selon la conception traditionnelle hindoue, il y a » à l’origine » non-temporelle du monde, l’Absolu non-différencié ( Nirguna Brahman) et sa Puissance de manifestation, Mâyâ, Shakti qui pour lui n’est que Son aspect dynamique. Comme la Bhagavad-Gitâ il admet au dessus de l’absolu et de sa manifestation une entité primordiale, le Purushottama à la fois un et multiple, actif et non-actif, à la fois être et Devenir.
Il n’envisage pas la création comme le font les chrétiens. Nous pouvons parler de création en ce sens seulement que l’Etre devient en forme et en mouvement, ce qu’il est déjà en substance et en état.
Le mobile de la création est la Félicité suprême, l’Ananda.
Le premier stade qui n’est qu’une projection de l’Un dans le multiple, en est le triple-en-un Existence-Conscience-Béatitude suprêmes : Sat-Chit, Ananda.
Dans le monde que nous connaissons on trouve aussi trois registres : le plan matériel, le plan vital et le plan mental qui s’interpénètrent en grande partie.
Le passage des trois plans supérieurs aux trois plans inférieurs ne peut toutefois s’effectuer sans un septième plan intermédiaire, le plan Supramental et Il existe encore un plan intermédiaire entre le Supramental et les plans inférieurs c’est le plan du Surmental.
Ce Surmental est le domaine des dieux que connaissent les diverses religions et qui ne sont que des représentations limitées des noms des personnalités divines de l’unique Ishwara.
Le but de la création est la remontée de ces plans inférieurs vers les plans supérieurs.
A côté des ces divers plans nous avons aussi l’âme, « entité psychique subliminale », flamme du Divin toujours allumée en nous. C’est cette âme qui, selon la tradition hindoue s’incarne dans des corps différents.
Pour compléter ce tableau déjà si complexe il faut encore ajouter ce que Shrî Aurobindo appelle d’un terme général : le « subliminal » dans lequel nous avons un mental intérieur, un vital intérieur, un être physique subtil plus vaste que notre être et notre nature extérieurs.
Ces divers plans ne sont pas isolés les uns des autres et chacun est imprégné de ceux qui le précèdent ou l’accompagnent. Chaque plan ne peut être considéré autrement que dans ses apports avec les autres.
Puisque l’homme est l’être le plus développé sur le plus haut des trois plans inférieurs, le plan mental, c’est lui qui semble le mieux qualifié pour manifester le Supramental.
Le Supramental devra en effet émerger du mental comme le mental a émergé de la vie et la vie de la matière. C’est le but du yoga de Shrî Aurobindo et si l’homme n’y parvient pas, il faudra qu’apparaisse dans notre monde un autre être qui dépassera l’homme comme l’homme a dépassé l’animal, l’animal la plante et la plante le minéral.
Il y a d’ailleurs des sages qui sont parvenus au delà même du Supramental. Shrî Aurobindo le disait par exemple de Ma Ananda Moyî.
Celui qui pratique le yoga de Shrî Aurobindo ne peut donc se contenter de rechercher la libération à l’indienne, cet « idéal médiocre d’une évasion hors du tourment de la souffrance de la naissance physique. » Il travaille moins pour lui-même que pour l’humanité, ou plus exactement, pour le Divin.
Dans ce yoga , le yogin ne doit d’ailleurs pas se réfugier dans la méditation, si authentiques que soient les états sublimes auxquels elle fait accéder. Elle est certes indispensable pour découvrir et libérer progressivement de ses apparences le véritable Moi, base statique de notre dynamique. Mais « l’homme ne devient parfait que lorsqu’il a trouvé en lui-même ce calme, cette passivité de Brahman et qu’il en soutient, avec la même tolérance divine et la même divine béatitude une libre et inépuisable activité. »
Cette allusion à l »entité psychique »nous ramène à l’équation classique hindoue Atman = Brahaman, le microcosme est un avec le macrocosme ». « Brahman, la Réalité, apparaît dans l’existence phénoménale comme le Moi de l’individu vivant. » Cette identité de base n’exclut évidemment pas la multiplicité.
Il y a donc en fait des rapports entre les individus, entre les individus et la Nature, entre l’individu et le Divin.
Si notre logique habituelle, cartésienne, bouddhique ou autre, convient pour l’étude du monde matériel, elle est déjà beaucoup moins appropriée à l’étude du monde mental et elle doit être considérablement prolongée, élargie et assouplie pour se mettre à l’échelle des problèmes métaphysiques qui relèvent essentiellement de perceptions spirituelles.
Shrî Aurobindo s’attache constamment à démontrer la complémentarité essentielle et indissoluble d’éléments ou de rapports que nous considérons comme contraires ou incompatibles. La tradition védantique, par exemple, admet des relations qui n’ont rien de linéaire : Agni, disent les Ecritures, est le fils des dieux et il en est aussi le père. Shrî Aurobindo a volontiers recours à une terminologie sanskrite donnant à chaque terme une signification à la fois plus vaste et plus précise et aussi beaucoup plus profonde que celle qu’y ont vue nos orientalistes.
De plus, l’utilisation que fait Shrî Aurobindo des termes de base : Brahman, Ishvara, Purusha et Prakriti, Mâyâ, Shakti, Atman, est à la fois souple et différenciée. Souple, car chaque terme est à la fois précis mais il insiste que chacun d’eux se fond dans un ou plusieurs autres. Différenciée, parce qu’il distingue entre le Brahman sans attributs (nirguna) et le Brahman avec attributs ( saguna)
Pour Shrî Aurobindo, la métaphysique, quelque importance qu’il y attache, a toutefois pour principal intérêt qu’elle fournit une base sûre à son yoga. Vue dans l’expérience vécue, elle indique à la fois les possibilités d’évolution de l’individu, de la race et de l’univers, le cheminement de cette évolution et les techniques à appliquer pour s’y associer.
Shrî Aurobindo attend de ses disciples connus et inconnus, présents et à venir, qu’ils apportent leur contribution à cette évolution c’est à dire la descente du Supramental dans notre monde. A cette fin il a entretenu avec ses disciples une correspondance volumineuse ( les recueils suivants ont été publiés en français : Le Guide du Yoga en 1970 et Lettres , 3 volumes en 1950, 1952 et 1958)
Le but est essentiellement de s’ouvrir à la Mère Divine pour qu’elle descende en nous et nous permette d’orienter et d’accélérer notre évolution. Mais aussi, combiner la vie active et la vie contemplative : » Le fait de rechercher et éventuellement d’atteindre une vision de soi et du monde différente de celle dans laquelle nous agissons actuellement n’est une raison ni une excuse pour nous abstenir d’agir. »
La Luciole , novembre 1972
Ch1
L’aspiration de l’homme
Ch2
Les deux négations
1. Le déni matérialiste
Ch3
Les deux négations
2. Le refus de l’ascète
Ch 4
Omniprésente réalité
Ch 5
La destiné de l’individu
Ch 6
L’homme dans l’univers
Ch 7
L’ego et les dualités
Ch 8
Les méthodes
de la connaissance védantique
Ch 9
Le pur existant
Ch 10
La force consciente
Ch 11
La félicité d’être : le problème
Ch 12
La félicité d’être : la solution
Ch 13
La Mâyâ divine
Ch 14
Le supramental comme créateur
Ch 15
La suprême vérité consciente
Ch 16
Le triple statut du Supramental
Ch 17
L’âme divine
Ch 18
Mental et Supramental
Ch 19
La vie
Ch 20
Mort, désir et incapacité
Ch 21
La montée de la vie
Ch 22
Le problème de la vie
Ch 23
L’âme double en l’homme
Ch 24
La matière
Ch 25
Le noeud de la matière
Ch 26
La série ascendante de la substance
Ch 27
Le septuple accord de l’être
Ch 28
Le Supramental, le mental et la Mâyâ supramentale