"Je suis le chemin, la Vérité et la Vie"- Vers un monde transrationnel
lectures tous azimuths – livres antérieurs à 2000
0001 -Métanoïa
Aimé Michel -3 mars 1986
Cet ouvrage fondamental traite des phénomènes physiques du mysticisme, des plus aberrants : lévitation, stigmates, bilocations, etc., aux plus simples: effets psychosomatiques dus à des changements d’états de conscience aujourd’hui étudiés et pris en compte par la science. Car, des annales historiques qui nous rapportent que sainte Thérèse d’Avila ou saint Philippe de Méri lévitaient en hurlant devant des cours royales stupéfaites, aux laboratoires qui analysent les ondes alpha, béta, téta… du cerveau lors de la méditation, en passant par les innombrables témoignages sur la vie des mystiques à travers le monde, une seule et même question se pose : comment la quête métaphysique peut-elle créer des phénomènes et des faits qui transcendent, apparemment, les lois connues de la nature?
Ce livre passionnant y répond clairement, preuves à l’appui : il n’y a pas là dépassement mais accomplissement.
—
001 – Contre la méthode – Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance– 1 mars 1988
Passionné et provocant, ce plaidoyer pour un savoir libertaire, contre tout carcan méthodologique, se fonde sur une analyse minutieuse des coups de force qui ont fondé l’évolution de la science. Dévoilant les ruses de l’histoire des sciences, critiquant le dogmatisme caché des épistémologies modernes, Feyerabend renouvelle avec véhémence et humour le débat sur la raison.
» Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance « , ce livre est désormais un classique de la philosophie des sciences.
Paul Feyerabend (1924-1994)
Il a suivi après la guerre une double formation de physicien et d’homme de théâtre à Weimar puis Vienne. Il s’est alors tourné vers l’histoire et la philosophie des sciences qu’il a renouvelées par sa posture fondamentalement critique. Il a enseigné à Berkeley (Université de Californie) et à Zurich (Institut de technologie).
—
01 – Dialogues avec l’ange, édition intégrale– 4 janvier 1994
Par ces mots commence, dans un petit village de Hongrie, une étonnante aventure spirituelle.
En 1943, au coeur de l’Europe déchirée, quatre jeunes gens – Hanna, Lili, Joseph et Gitta – décident d’installer à la campagne leur atelier de décoration.
Eloignés de toute pratique religieuse, mais en quête de vérité, ils souhaitent vivre une vie plus attentive à l’essentiel.
Dès lors, et durant dix-sept mois, des forces de Lumière – que les quatre amis appelleront aussi «Anges» ou «Maîtres intérieurs» – s’expriment de façon régulière par la bouche de Hanna :
«Attention, ce n’est plus moi qui parle !»
Ces entretiens brûlants s’achèvent tragiquement par la déportation et la mort de Joseph, Lili et Hanna, juifs tous trois ; Gitta, la seule survivante, entreprend de transcrire mot à mot les messages de l’Ange.
Les petits cahiers où elle a consigné le reportage de cette expérience spirituelle donneront naissance à ce document stupéfiant que sont les Dialogues avec l’ange, publiés pour la première fois en 1976, et traduits depuis dans une quinzaine de langues.
Ce volume est la version intégrale et définitive des Dialogues avec l’ange revue par Gitta Mallasz.
» Avoir ou être ? » Le dilemme posé par Erich Fromm n’est pas nouveau. Mais pour l’auteur, du choix que l’humanité fera entre ces deux modes d’existence dépend sa survie même. Car notre monde est de plus en plus dominé par la passion de l’avoir, concentré sur l’acquisivité, la puissance matérielle, l’agressivité, alors que seul le sauverait le mode de l’être, fondé sur l’amour, l’accomplissement spirituel, le plaisir de partager des activités significatives et fécondes. Si l’hommene ne prend pas conscience de la gravité de ce choix, il courra au-devant d’un désastre psychologique et écologique sans précédent…
Dans cet ouvrage essentiel de l’épistémologie contemporaine, Paul Feyerabend s’attaque au mythe de la Raison, et à l’idée d’objectivité qui encadrent la figure de la science. Il y questionne l’universalité de la connaissance scientifique, la pertinence de ses applications et la portée de ses implications.
L’objectif de l’auteur, en fait, est de défendre sans compromission des valeurs humaines essentielles : la multiplicité de la pensée, la pluralité des visions du monde, la diversité des modes de vie, menacées par une uniformisation planétaire largement fondée sur la domination de la technoscience.
Une réflexion incisive et dérangeante qui touche au cœur même des débats contemporains sur la nature de la démarche scientifique.
Présentation Benoît Lemaire spécialiste de Thibon -2012- « espérer sans illusion » – sur l’Agora
(conférence donnée à Montréal en 2006 dans le cadre du colloque Raison et mystère chrétien)
Gustave Thibon naît le 2 septembre 1903 à Saint-Marcel d’Ardèche, aux confins de la Provence. Il y fréquente l’école communale, qu’il doit quitter à l’âge de treize ans pour relayer son père vigneron mobilisé dans l’armée française. Deux ans plus tard, il perd sa mère, victime comme tant d’autres de la grippe espagnole. Ces événements dramatiques marquent son destin. Pendant sept ou huit ans, il vit dans une indifférence presque absolue à l’égard du problème religieux ; il abandonne pratiquement toute recherche intellectuelle, partagé qu’il est entre les travaux des champs et les plaisirs de son âge. À vingt-trois ans, la soif de connaître le reprend. Seul, sans maîtres, il se remet à l’étude du latin, du grec, de l’allemand, des mathématiques, sans pour autant délaisser le travail de la terre. Il lit les philosophes et les poètes dont il connaît des milliers de vers par cœur. Borisz de Balla souligne ce phénomène étrange : Thibon lit Sénèque en latin, Platon en grec, Hölderlin en allemand, Cervantès en espagnol, il n’a jamais étudié à l’université. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas d’obtenir des diplômes, mais bien plutôt de se livrer tout entier, dans le silence et la solitude, à son besoin de connaissance.
En 1930, il rencontre le philosophe français Jacques Maritain, qui l’incite fortement à écrire. « Je n’ai pas cherché à faire carrière, d’autres m’y ont poussé », confesse Thibon. Ensuite, ce sont les rédacteurs des Études carmélitaines, puis Gabriel Marcel, Henri Massis et Marcel de Corte. Thibon publie ses premiers essais à partir de 1931 dans la Revue thomiste et dans les Études carmélitaines. Peu à peu, sa recherche se tourne plus directement vers les grands problèmes métaphysiques et religieux : Dieu, la mort, l’amour.
Une longue carrière d’auteur et de conférencier s’amorce. À quatre-vingt-neuf ans, cet écrivain inclassable, qui se situe au-delà des modes, reprend, sous forme de mémoires intitulées, Au soir de ma vie, les questions qui résument son existence. Il s’éteint tout doucement le 19 janvier 2001, mais auparavant, dans l’année précédant sa mort, il aura reçu le Grand prix de Philosophie, comme si l’Académie française avait voulu témoigner de sa reconnaissance et souligner l’importance de cet écrivain pour inspirer le nouveau millénaire.
À travers toute cette activité de penseur, d’écrivain et de conférencier, Thibon demeure le paysan qui, jusqu’aux années 1950, continue de travailler la terre, menant avec sa femme et ses trois enfants une vie modeste mais heureuse, accueillant chez lui aussi bien les clochards que les grands hommes. Fait étonnant : jusqu’à sa mort, ceux qui le sollicitent le plus sont les jeunes et les athées. Le cheminement spirituel de Thibon se reflète dans l’évolution de sa pensée et de son œuvre. C’est d’abord par la beauté, comme il le confie lui-même à Chabanis, que dès sa jeunesse, il communie avec le divin. La soif d’absolu qui amènera Thibon à choisir, à maintes reprises, le mode poétique, s’enracine paradoxalement dans l’attachement à la nature et à la terre qu’il tient de son père. C’est à partir de cet enracinement paysan, dont il ne s’arrachera jamais, que Thibon rejoint Dieu, et cela grâce à l’intuition qu’il a des trois transcendantaux : le Beau, le Vrai et le Bien. Mais il s’agit là d’un long cheminement.
Itinéraire spirituel
Ce cheminement est jalonné de rencontres décisives. Celles d’abord de grands philosophes, Hegel en particulier, à qui il doit son premier contact avec la métaphysique. Hegel lui révèle que l’univers a un sens et que la destinée humaine transcende les vœux et les horizons de la personne. Thibon découvre ensuite Thomas d’Aquin, dont la vision du monde et de Dieu répond à ses exigences intellectuelles de synthèse et d’harmonie en articulant de façon cohérente l’univers de la nature et de la grâce. Puis vient la découverte de Nietzsche, dont Gabriel Marcel dit qu’il a révélé Thibon à lui-même. Nietzsche, cet ascète de l’esprit qui perce à jour toutes les comédies que nous nous jouons et dont nous sommes dupes, exerce sur Thibon une influence déterminante en lui apprenant la nécessité des purifications en même temps que leurs difficiles exigences. Thibon découvre ensuite Klages, avec qui il explore le dynamisme intérieur et les mobiles qui tissent la trame inégale de nos vies. Cette dernière influence joue également un rôle important dans l’expérience spirituelle de Thibon. Celui-ci, cependant, discerne très tôt, par-delà l’effet bénéfique et purificateur de ses contacts avec Nietzsche et Klages, l’aspect corrosif de leurs œuvres. C’est alors qu’il se tourne vers la mystique chrétienne, en particulier celle de saint Jean de la Croix. Survient la rencontre de sa vie : Simone Weil, d’où naît une amitié nourrissante au sens le plus plénier. En 1945, il affirme qu’il se sent libéré pour toujours de Klages et de Nietzsche.
Tout au long de son cheminement spirituel, il devient manifeste que Thibon se montre surtout sensible à la théologie négative, car « savoir, dans le vocabulaire de l’expérience religieuse, n’est-ce pas encore chercher et ne va-t-on pas à Dieu par des commencements sans fin » ? Il aime répéter l’expression de Sénèque : « II faut toujours apprendre ce qu’on ne peut jamais vérifier si on le sait ou non… » auquel fait écho saint Augustin s’adressant aux explorateurs impatients et présomptueux du mystère : « Réjouis-toi de ne pas comprendre, car c’est en ne comprenant pas que tu comprends ». Thibon y reconnaît « la voie négative des Auteurs spirituels ». Massis, qui connaissait bien Thibon, affirme que celui-ci « a toujours été animé par le côté nocturne incréé de Dieu » expliquant qu’en ce qui concerne le divin, il s’est toujours méfié des créations trop humaines, qu’il s’agisse d’idées, d’images, avec toutes les fausses certitudes et tous les fanatismes qui s’y rattachent ! Massis rapporte même cette déclaration de Thibon : « Je suis l’homme de la voie négative ».
Georges Laffly a décelé dans L’Ignorance étoilée : « un chrétien qui se fait la guerre et ne cesse de faire subir à sa foi les épreuves du feu ». Il pratique cet épurement et cet approfondissement qui mènent un peu plus près du vrai. Une réflexion en profondeur fait que l’homme « retrouve Dieu dans cette partie divine de lui-même qui juge et rejette les faux dieux ». Rien d’étonnant que Thibon dise aussi : « Je ne sais rien de Dieu ». C’est exactement ce que disait saint Thomas d’Aquin. Thibon croit que pour être vraiment un témoin de Dieu, il faut se faire jusqu’au bout l’avocat du diable.
Si nous voulons résumer la spiritualité de Thibon, nous devons nous référer à ses deux saints préférés : Jean de la Croix et Thérèse de Lisieux. Le saint réformateur du Carmel insiste sur le détachement de soi pour accéder à l’intimité divine. Être rien pour pouvoir tout recevoir. Nous étions néant quand Dieu nous a appelés à la vie ; il faut redevenir néant pour recevoir dans sa plénitude la vie surnaturelle. L’ascèse de Jean de le Croix ne détruit rien. Elle nous invite à tout quitter pour l’amour, tout perdre pour accéder au grand Amour. Thérèse de Lisieux, en plein siècle janséniste, est venue nous rappeler que Dieu n’est qu’amour et que l’amour seul mène à Dieu. L’originalité de son message est d’avoir montré que le cœur de Dieu n’est pas ouvert seulement aux héros et aux parfaits, mais aussi aux pauvres et aux faibles d’où l’importance d’être trouvé pauvre devant Dieu comme l’exprimait Mère Marie-Thérèse du Carmel d’Avignon. « Ce n’est pas la vertu que Dieu demande, c’est d’être trouvé pauvre. »
Témoignage
L’intention de Thibon, telle qu’elle affleure partout dans son œuvre, est double : démystifier et, surtout, témoigner. Il cherche d’abord à purger la vérité chrétienne des idées vagues qui usurpent trop souvent son nom pour réapprendre le réalisme des choses d’en haut. Écarter les faux semblants, les faux respects, les faux scrupules et les faux espoirs, c’est pour Thibon, déblayer le terrain pour la vérité, cette vérité qui est enracinée au sol et ancrée au ciel.
Mais, par-delà cette nécessaire purification, Thibon veut surtout apporter un témoignage pour « les valeurs transcendantes, pour les étoiles fixes de notre être et de notre destinée qui, bien qu’au-delà de l’histoire, sont néanmoins présentes à tous ses moments : le Beau, le Bien, le Vrai, tout ce qui n’est pas rongé par le temps, mais imprègne chaque heure du temps et nous fournit les critères pour distinguer à l’intérieur même de notre temps ce que nous devons accueillir et ce que nous devons rejeter. »
Le témoignage de Thibon apparaît comme le fruit d’une expérience intérieure et non d’une méditation abstraite. L’essentiel de ce témoignage tient fondamentalement en deux vérités que Thibon considère comme absolues. L’une est d’ordre métaphysique : Dieu est ; l’autre est d’ordre surnaturel : Dieu est amour.
On pourrait reprocher à Thibon de n’enseigner que des évidences. C’est que ces évidences demeurent largement méconnues, malgré qu’elles soient les plus importantes. Pour Thibon, ce qui est de l’ordre de la distraction, du spectacle ou de l’apparence, a besoin d’un incessant renouvellement, tandis que ce qui fait vivre profondément passe le plus souvent inaperçu. C’est « notre regard qui manque à la lumière », pour reprendre le titre d’un de ses livres. Aussi, son témoignage, en tant qu’il est personnel, compte-t-il fort peu ; seul importe ce qui peut passer à travers lui de lumière universelle. « Je n’aspire pas à éclairer les hommes avec ma lanterne, dit-il, ma seule ambition est de les aider à mieux contempler le Soleil après l’avoir peut-être secrètement poursuivi de ruine en ruine, à travers les éboulements successifs des images et des idées que nous nous faisons de Lui. » Thibon veut aider les hommes à retrouver leur profondeur authentique, mais il désire surtout que son témoignage ne se dégrade pas à travers lui. À un jeune qui lui demandait dans quelle mesure il vivait ses conceptions, il répondit : « Ne vous faites aucune illusion, très peu, mais assez pour n’être pas fier de tout le reste ».
L’aspiration profonde du témoignage que livre Thibon est tout entier contenue dans ces paroles : « II faudrait montrer aux hommes le vrai Dieu — Celui qui, par pudeur et par respect, s’est dépouillé de sa puissance, le Dieu enfant et le Dieu crucifié qui, étant tout amour, s’est fait toute faiblesse, le Dieu qui nous attend en silence et dont nous sommes responsables sur la terre ».
Le drame de notre temps
Comment expliquer l’indifférence de tant de chrétiens devant une révélation qui devrait transfigurer leur existence ? Si Dieu existe, si Dieu nous aime, s’Il s’est incarné pour nous sauver, s’Il nous prépare dans le Ciel un bonheur sans mélange et sans limite auquel nous pouvons déjà participer ici-bas, pourquoi cette disproportion scandaleuse entre cette promesse infinie et l’accueil infinitésimal qu’elle trouve en nous ? Les athées au moins sont logiques, tandis que la plupart des chrétiens vivent à rebours de leurs convictions…
Cette indifférence aux choses divines faisait l’effroi de Pascal. On ose à peine de parler d’un refus, il s’agit plutôt d’une anesthésie, non de la pensée mais de l’âme, qui nous rend impropre à saisir Dieu comme une présence vivante et un appel intérieur. Dieu, pour ces « croyants » étrangers à leur foi, c’est un mot, une abstraction qui n’a pas plus d’influence sur leurs sentiments et leur conduite que les théorèmes de géométrie appris dans l’enfance…
N’en a-t-il pas toujours été ainsi ? Oui et non. Les époques de chrétienté ont connu cet oubli de Dieu qui est à la base de toutes les erreurs et de toutes les fautes de l’homme. Mais du moins la présence divine y était-elle affirmée à chaque instant par le climat où baignait la société, par le style d’une civilisation imprégnée jusqu’au fond de christianisme, par la vigilance des ministres de la religion rappelant sans cesse aux hommes leur origine divine et leurs fins dernières. Cette voix d’en haut, on pouvait ne pas l’écouter, on ne pouvait pas ne pas l’entendre.
Dieu aujourd’hui est absent des mœurs, des institutions, des habitudes, de presque tout ce qui fait la trame concrète de l’existence. Et — pourquoi ne pas oser le dire ? — absent en partie de la religion elle-même, si souvent dégradée par ses représentants en humanitarisme insipide et en messianisme nébuleux où les promesses de l’éternité se diluent en vision utopique de l’avenir, où la poursuite du bonheur terrestre estompe la fidélité aux exigences surnaturelles de l’Évangile.
Notre temps est celui où l’on constate la mort de Dieu, où Dieu semble s’être retiré et l’homme s’être substitué à Lui, grisé par ses succès technologiques mais, curieusement, se retrouvant seul et orphelin. Dieu, s’Il n’est rien de plus que l’homme lui-même, peut-Il encore être recherché ? Pouvons-nous encore Le ranimer en un monde où Il semble avoir disparu ? Tel est le drame de notre temps, que Thibon a d’ailleurs présenté dans une pièce de théâtre au titre révélateur : Vous serez comme des dieux. Car nous sommes aujourd’hui encore en proie à cette tentation des débuts de l’humanité, et le monde moderne semble y succomber de plus en plus. On peut même imaginer un monde, dans un avenir pas si lointain, où Dieu aurait disparu et l’homme se trouverait déifié. Thibon a imaginé ce monde. Ce drame gravite autour de cette interrogation suprême : Dieu est-Il pour nous une promesse authentique de vie éternelle ou bien une assurance imaginaire contre les maux qui affligent la vie d’ici-bas et contre la mort qui l’abolit ? Dans la première hypothèse, le fondement essentiel de la religion reste intact, quoi qu’il arrive ; dans la seconde, chaque victoire de la créature marque une défaite du créateur, et le triomphe sur la mort, à supposer qu’il soit possible, éliminera définitivement Dieu de l’histoire, car le temps aura pris la place de l’éternité. À partir de là, l’univers se partage en deux : celui de la nature et du temps, où l’on ne peut à priori fixer des limites aux progrès technologiques et scientifiques, et celui de la grâce et de l’éternité, où Dieu seul peut nous introduire.
Dans le premier univers, le monde souffre d’un mal profond, malgré l’élimination de ce que les gens redoutaient : la faim, le froid, la maladie, la servitude, l’ennui ; malgré aussi la conquête de ce qu’ils souhaitaient : l’abondance, la santé, la liberté, l’ivresse sans revers et sans terme. Amanda, l’héroïne du drame, demeure insatisfaite, et c’est là que commence la tragédie, car tout change devant ce fait que quelqu’un a retrouvé son âme et du même coup ce besoin et cette soif de Dieu. Amanda incarne précisément ce besoin de Dieu, non plus en tant que souverain guérisseur ou consolateur temporel, mais en tant que Dieu : l’Inconnu et le mystère à l’état pur. Elle choisit le risque irréversible de la mort pour retrouver l’ineffable unité de son origine. Et cette irruption impondérable de l’absolu suffit à renverser tous les calculs des hommes-dieux et à disloquer leur paradis.
Dans ce monde, Dieu n’a plus la mort à son service. Il ne contraint pas : il attend. Dieu est nu et lié comme le Christ en croix. Il est réduit à se prouver par son silence. « Nous sommes à la croisée de deux chemins qui ne se rejoindront jamais […] un monde à conquérir ou un Père à retrouver, le culte orgueilleux de l’humanité triomphante ou l’adoration d’un Dieu dépossédé, d’un Dieu sans Église et sans prêtres, expulsé de l’univers comme un parasite ». Ce drame évoque bien deux types d’homme : le premier voit dans le progrès l’avenir de l’homme, Dieu est pour lui la dernière auberge de Baudelaire, le bouche-trou de Nietzsche ou l’opium du peuple de Marx. Le second met son espérance en Dieu seul. Même gorgé de biens et de sécurité, il désire du fond de son être voir Dieu.
Le message de Thibon arrive à point au moment de l’effondrement de la tour de Babel. Notre époque est en quelque sorte le temps de l’agonie de Dieu. Pour Lui, qui est notre Sauveur dans l’éternité, nous devons être ses sauveteurs dans le temps. « Le salut de l’homme par Dieu passe par le sauvetage de Dieu par l’homme » ! Ce défi peut être stimulant. « J’aime notre époque parce qu’elle nous force à choisir entre la puissance de l’homme et la faiblesse de Dieu. Religion nue où l’attente du miracle fait place à l’adoration du mystère » …
Sauvetage de Dieu par l’homme
Dieu n’a pas d’autre voix que le silence, pas d’autre preuve que l’absence de preuve. On ne prouve, on ne démontre que les faux dieux. Ou plutôt la seule preuve acceptable de l’existence de Dieu, c’est la coïncidence entre l’impossibilité de la preuve et l’universalité au désir. L’esprit est aussi incapable de le saisir que l’âme de renoncer à crier vers lui. La meilleure réponse de Dieu est dans la persistance de cet appel qui n’a jamais de réponse. Dieu entend tout, et c’est parce qu’il entend tout qu’il ne répond rien.
Purification du sentiment religieux. Écarter toute soumission servile à une puissance absolue qui juge, récompense et châtie du dehors ; écouter plutôt l’appel muet d’un Dieu sans défense, sans consoler, dans son intarissable agonie humaine, ce Christ crucifié qui ne peut ni vivre parce qu’il est étranger au monde ni mourir parce qu’il est Dieu. Pascal a pressenti cette forme suprême de la pitié lorsqu’il a dit : « Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde ; il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ». Et encore : « Jésus a prié les hommes et n’en a pas été exaucé ». Les hommes ont trop longtemps prié un Dieu-César ; il est temps qu’ils écoutent la prière d’un Dieu esclave, d’un Dieu qui n’existe pas au niveau où nous mettons l’existence, qui attend de nous l’existence. Ce Dieu-là, on ne peut plus l’abandonner quand on a perçu une seule fois son appel, sa voix qui implore et ne contraint pas. Je ne veux savoir de toi que ta croix : c’est à moi qu’il appartient de te ressusciter en partageant l’agonie de ta pureté. L’heure de la faiblesse de Dieu et de la puissance des ténèbres durera aussi longtemps que le monde. Il ne faut pas dormir, disait Pascal. Est-il une idée religieuse plus capable de nous arracher au sommeil que celle d’un Dieu confié à la vigilance de l’homme ?
Après la religion fondée sur la miséricorde de Dieu à l’égard de l’homme, verrons-nous une religion qui prendra sa source dans la miséricorde de l’homme à l’égard de Dieu ? Un Dieu chassé de la Terre et du Ciel par l’exploration de l’univers et chassé de l’âme des hommes par l’investigation psychologique, un Dieu sans royaume et sans preuves, réduit à la faiblesse infinie des agonisants et des nouveau-nés et que l’homme essayera de réchauffer sur son sein avec une tendresse d’autant plus pure qu’il n’aura plus rien à attendre ni à redouter de lui. Le sauvetage de Dieu par l’homme s’opère avec une foi purifiée. Croire en Dieu, ce n’est pas se faire une opinion sur Dieu, c’est faire crédit à Dieu ; et ce crédit ne va pas de soi. Répondant à un ami en proie au doute, l’abbé Maurice Zundel avait eu cette formule admirable : « Abandonnez-vous à travers le Christ à tout ce qu’il y a d’inconnu en Dieu ». Cela me paraît l’essentiel de notre foi, dit Thibon.
Quand les raisons de croire, de faire crédit, vacillent, s’en remettre au Christ qui nous a précédés dans la nuit de Gethsémani. Simone Weil insistait beaucoup sur cette médiation : le Dieu-homme qui est l’axe même du christianisme. Bien entendu, rien ne vous force à croire que Dieu s’est incarné. Mais enfin, comme disait encore Simone Weil : « C’est si beau que ce doit être vrai ». Que ce soit vrai est une chose, que ce soit difficile à admettre en est une autre …
Ce Dieu fait homme se continue sur terre par son Église. « Le Christ s’est humilié jusqu’à l’Église » répète Thibon, après Newman. Cette Église est tout à la fois divine et humaine, parfois trop humaine … mais indispensable.
Indispensable Église
Je dois à l’Église la foi transcendante ; je lui dois aussi mon insertion dans la société. J’étais sorti de la communauté paysanne ; j’ai été comme regreffé sur la religion. Mon entrée dans l’Église fut un peu celle d’une épave dans un port, le passage d’un homme isolé à une société qui m’imposait sa rigueur, ses dogmes, et ainsi me sauvait de moi-même. D’où ma tendance, alors, au dogmatisme.
Dieu a d’abord été pour moi puissance et loi ; puis lumière et amour ; enfin absence et nuit : et c’est peut-être en cela qu’Il ressemble le plus à Lui-même. Je mourrai fils, un peu prodigue, de l’Église. Mais je n’ai guère le goût du troupeau. Je suis comme la brebis égarée, qui échappe au troupeau par amour du secret du Pasteur. Dieu semble préférer celle qui revient à Lui à celle qui ne L’a jamais quitté. Peut-être parce qu’elle est allée Le chercher au lieu de Le suivre. Les brebis mal gardées par les bergers terrestres vont directement au Bon Pasteur, hors du réflexe servile du troupeau.
Je sais bien que l’Église est nécessaire, comme la coupe est nécessaire au vin ; je sais bien qu’un Dieu sans Église, c’est le commencement des Églises sans Dieu. La source ne daignant pas se faire connaître elle-même, il faut bien transmettre ; et transmettre c’est trahir, tradere c’est tout à la fois la tradition et la trahison. Le christianisme était d’un métal trop pur : sans le fond juif et l’alliage romain, il n’aurait sans doute pas survécu. Et si j’aime le latin comme langue liturgique, je n’oublie pas que le latin fut d’abord la langue de l’occupant.
Dans l’Église de notre temps, déchirée entre les progressistes et les intégristes, je ne suis ni des uns, ni des autres. Le progressiste avance sans tenir compte des garde-fous et tombe dans l’abîme ; l’intégriste, de peur de tomber, s’accroche aux garde-fous et n’avance plus. Entre le caravansérail progressif et l’isoloir intégriste, je refuse de choisir. Je ne veux ni des fossiles intégristes ni des invertébrés progressistes, mais le corps vivant, qui a besoin de solides vertèbres et d’organes, de squelette et de sang. […]
Nous sommes dans une situation très paradoxale et contradictoire.
D’une part Dieu est caché, d’autre part il faut en parler. Saint Thomas dit au début de la Somme : quod est Deus nobis penitus incognitum « ce qu’est Dieu nous est profondément (ou entièrement) inconnu ». Après cela, il écrit mille pages, De Deo : il faudrait tout de même s’entendre ! C’est pour cela qu’il considérait à la fin de sa vie, auprès de la réalité divine qu’il entrevoyait, la Somme théologique comme de la paille ; ut palea…
Les dogmes formulés sont des flèches indicatrices : ils ne contiennent pas ce qu’ils indiquent. Ils sont des travaux d’approche, des garde-fous qui évitent de tomber ; ils sont le chemin, mais non pas le but. Trop de dogmatisme conduit à l’oubli du mystère. « L’infini dans un contour », disait Victor Hugo de la beauté. Les dogmes ne sont-lis pas au mystère ce que le contour est à la beauté ?
Nécessaires à l’homme, mais bornant l’infini qui exclut les bornes. L’Église est pourvoyeuse et gardienne des dogmes. Ce Dieu insortable se devait d’avoir pour épouse cette mère de sagesse, de prudence, de légalité, de conformisme qu’est le Sainte Église.
Religion d’hier — étroitesse intolérante et intolérable : « le peuple élu », « hors de l’Église, point de salut », suspicion, sinon rejet à l’égard de tout ce qui n’entre pas dans des définitions dogmatiques ou des cadres sociologiques — bref, part dévorante du Gros Animal dans le Cité de Dieu ; et en même temps fascinante profondeur : dogmes ouverts sur l’infini, splendeur des rites, rayonnement des saints.
Religion d’aujourd’hui ; elle a banni l’étroitesse, mais aux dépens de la profondeur : œcuménisme « de grande surface », charité diluée en humanitarisme, la confusion succédant à l’exclusion, un universalisme bâtard au lieu d’un particularisme qui touchait à l’universel par ses racines et qui, si mutilant qu’il fût (« si ton œil te scandalise … »), s’apparentait plus à la voie étroite de l’Évangile qui mène au pays sans frontière — alors qu’on tourne en rond sur la voie large ouverte aujourd’hui…
Cette terre simultanément patrie et lieu d’exil, avec tout le déchirement qu’impose ce dualisme. Et c’est dans les époques où l’homme voyait dans la terre un lieu d’exil que l’attachement à la patrie était le plus vif. L’oubli du ciel a pour conséquence le déracinement. L’homme qui ne se sent plus exilé devient apatride…
Conclusion
À travers l’œuvre de Thibon, j’espère avoir présenté un auteur inspirant, sachant allier foi et raison. Il apporte une contribution appréciable pour faire connaître le mystère chrétien. Il invite à approfondir nos raisons de croire et d’espérer. Son témoignage arrive à point, à l’époque où l’athéisme n’a jamais été si répandu. Époque exaltante cependant puisque la foi peut en ressortir purifiée et Dieu aimé pour ce qu’il est : amour.
—
La science du caractère (l’œuvre de Ludwig Klages), Paris, Desclée de Brouwer, 1933
Poèmes, Bruxelles, Édition universelle 1940
Diagnostics, essais de physiologie sociale, préface de Gabriel Marcel, Paris, Librairie de Médicis, 1940 ; dernière édition : Paris, Fayard, 1985
Destin de l’homme, édition et préface de Marcel De Corte, Bruges – Paris, Desclée de Brouwer, 1942
L’Échelle de Jacob, Lyon, Lardanchet, 1942 ; dernière édition remaniée : Fayard, 1975
Sous ce titre, l’auteur a rassemblé les éléments de deux volumes,Le Pain de chaque jour et L’Echelle de Jacob, qui sont aujourd’hui introuvables. Mais il a encore approfondi son analyse, pour tenir compte des événements qui se sont produits ces dernières années. Ce n’est pas que les ouvrages de Gustave Thibon dépendent des circonstances, mais ce penseur réaliste recherche les faits pour en discerner le sens. Et le sens n’est pas pour lui simple objet de connaissance, c’est la flèche qui indique la direction à suivre.
Pour réaliser une telle oeuvre, il faut être à la fois témoin du temps et de l’éternité, témoin au départ, grâce à l’observation et à l’expérience, témoin de l’arrivée par la foi et, peut-être, par une certaine expérience de la grâce, qui fait déjà vivre l’éternité dans le temps.
Et le lecteur parcourt cet itinéraire avec le témoin, à travers les étapes de la pauvreté, de l’amour, de la douleur, en dépit des obstacles du péché et du mensonge, entre ciel et terre, jusqu’à la délivrance. Tous les aspects opposés et complémentaires de la vie sont ici évoqués, le mirage et l’oasis, la solitude et la communion, l’épreuve et l’amour, etc.
L’auteur entraîne son lecteur dans un dialogue passionné, il le provoque à la réflexion, le renvoie à sa propre expérience, le révèle à lui-même, en même temps qu’il lui fait percevoir sa relation avec l’univers et Dieu.
L’oeuvre de Gustave Thibon a valu à son auteur, en 1964, le grand prix de littérature de l’Académie française. Ecrivain indépendant de toute école et de toute coterie, il est à la fois l’enfant et le chantre de la terre et du ciel. On goûte en le lisant la saveur du pain de campagne et celle des plus hautes vérités, cette savoureuse compréhension des choses, que les anciens appelaient la Sagesse.
Retour au réel. Nouveaux Diagnostics, Lyon, Lardanchet, 1943
Ce que Dieu a uni. Essai sur l’amour, Lyon, Lardanchet, 1945 ; dernière édition : Fayard, 1987
La création, dans sa diversité infinie, forme un ensemble harmonieux dont toutes les parties sont liées entre elles et vivent les unes par les autres. De l’atome à l’ange, de la cohésion des molécules à la communion des saints, rien n’existe seul ni pour soi. Dieu n’a créé qu’en unissant. Le drame de l’homme c’est de séparer. Il se coupe de Dieu par l’irréligion, il se coupe de ses frères par l’indifférence, la haine et la guerre, il se coupe enfin de son âme par la poursuite des biens apparents et caducs. La métaphysique de la séparation est la métaphysique même du péché, mais comme l’homme ne peut pas vivre sans un simulacre d’unité, ces parties de lui-même, disjointes et tuées par le péché, se rejoignent, en tant que mortes, non plus comme les organes d’un même corps, mais comme les grains de sable du même désert. Il n’est pas d’autre moyen de salut que le retour à l’unité dans la diversité. Gustave Thibon a toujours essayé de montrer les voies de ce retour sur le plan religieux et social et aujourd’hui il tente de placer dans le même éclairement les problèmes de l’amour humain.
Le Pain de chaque jour, Monaco, Le Rocher, 1945
Offrande du soir, poèmes, Lyon, Lardanchet, 1947
Introduction à La Pesanteur et la Grâce de Simone Weil, édition et choix de textes, Paris, Plon, 1947.
Chateaubriand, choix de textes et introduction, Monaco, Le Rocher, 1948
Nietzsche ou le déclin de l’esprit, Lyon, Lardanchet, 1948 ; dernière édition : Paris, Fayard, 1985
Paysages du Vivarais, avec des photographies de Jean-Marie Marcel, Paris, Plon, 1949
Simone Weil telle que nous l’avons connue, avec le P. Joseph Marie Perrin, o.p., Paris, La Colombe, 1952 ; dernière édition : Paris, Fayard, 1967
Vous serez comme des dieux, théâtre, Paris, Fayard, 1954 ; dernière édition : 1985
» A tant de chrétiens modernes qui acclament sans réserve tous les progrès temporels comme les effets et les preuves de la vocation divine de l’homme, je voudrais poser cette question-limite qui départage à jamais les hommes de l’avenir et les hommes de l’éternité : si, du jour au lendemain, la science supprimait la mort, que penseriez-vous de ce » plan de Dieu sur l’histoire » qui perpétuerait indéfiniment la séparation entre l’homme et Dieu ? Et surtout que choisiriez-vous ? De profiter d’une découverte qui vous priverait pour jamais de la vision de celui que vous appelez votre Dieu ou bien de vous précipiter dans l’inconnu pour le rejoindre ? Si vous optez pour la première branche de l’alternative, vous avouez que votre patrie est dans le temps et que votre Dieu n’est qu’une chanson de route dont se berce la fatigue d’une humanité en marche vers le Paradis terrestre. Et ce Dieu-là se rapproche singulièrement de la » dernière auberge » de Baudelaire, du » bouche-trou » de Nietzsche ou de » l’opium du peuple » de Marx. Mais si, gorgé de tous les biens et de toutes les sécurités d’ici-bas, vous pouvez dire avec saint Paul : cupio dissolvi et esse tecum, si vous désirez du fond de votre être voir Dieu, non plus dans le miroir de la création, mais face à face, alors vous êtes vraiment les disciples de Celui dont le Royaume n’est pas de ce monde et qui ne donne pas comme le monde donne. » – Gustave Thibon
Notre regard qui manque à la lumière, Paris, Amiot-Dumont, 1955 ; dernière édition : Paris, Fayard, 1995
» La voix solitaire qui sait réveiller dans l’homme le Dieu endormi « , telle est la voix que ce livre nous fait entendre. Ce Dieu en nous parfois s’éveille, il se cherche et nous le cherchons, il nous aime et nousl’aimons, mais nous ne le savons guère. Nous sommes aveuglés par des apparences éblouissantes, divertis par des attraits tangibles, mais restons toujours assoiffés d’amour et de vérité. » En réalité, tout le monde cherche Dieu puisque tout le monde demande à la terre ce que la terre ne peut pas donner, tout le monde cherche Dieu puisque tout le monde cherche l’impossible. » Cette voix éclate en formules fulgurantes qui débusquent erreurs et hypocrisies, qui projettent la lumière jusqu’au fond de nous-mêmes. Comme l’éclair, en effet, elle terrasse, illumine et féconde. Elle invite à un dialogue pathétique avec soi, avec les autres, avec le Dieu caché. Nulle part peut-être le solitaire de Saint-Marcel-d’Ardèche n’a condensé autant de force explosive que dans ce livre. Comme l’aiguille d’or de l’acupuncteur, sa critique pénètre jusqu’au nerf qui provoquera le sursaut salutaire.
L’Ignorance étoilée, Paris, Fayard, 1974 ; dernière édition 2001
Voici le premier livre inédit que, depuis plusieurs années, Gustave Thibon accepte de publier. Il explique son silence par un proverbe chinois cher à Claudel : » Tout ce qui peut s’enseigner ne vaut pas la peine d’être appris. » Corrélativement, tout ce qui mériterait d’être appris ne peut guère s’enseigner. Aussi Gustave Thibon ne prétend-il pas enseigner. Son livre est fait de coups de sondes, d’éclairs, de tonnerre. Il ébranle le lecteur, en appelle à son intuition, éveille en lui le sens de son destin, dévoile les profondeurs de son désarroi. Chacun se trouve renvoyé à sa propre intelligence, à la responsabilité de sa propre décision, aux conséquences de ses actes. Ce n’est pas un enseignement, c’est beaucoup plus : une provocation enflammée à la réflexion. A chacun de se formuler ensuite ses conclusions, de peser sa situation dans le monde, de se mesurer à sa propre vocation humaine.
Le rêve du penseur essaie de se réaliser ici : évoquer ces grandes lignes de force du génie humain qui sont la marque de l’éternité dans le temps, où les mêmes intuitions fondamentales se retrouvent, sous des éclairements différents, chez les saints, les sages et les poètes de tous les siècles. Il existe un écart vertigineux entre ces intuitions et la réalité vécue des hommes, une rupture à l’intérieur même de l’homme, mais aussi le pouvoir de se réintégrer dans l’unité.
Un style éblouissant, des phrases au profil de médaille, que l’on voudrait se graver dans la mémoire : » Dieu, s’il n’est pas la lumière qui transfigure, devient le masque qui déguise. «
L’œuvre de Gustave Thibon est considérable et d’un rayonnement mondial. Enraciné dans son terroir, l’auteur scrute la condition humaine et le conditionnement social avec une profondeur fulgurante. Un très large public en France, et hors des frontières, appelle le conférencier, qui s’exprime sans concession, et ce public désire retenir et méditer ses aphorismes provocants.
L’Équilibre et l’Harmonie, chroniques, Paris, Fayard, 1976
Le Voile et le Masque, Paris, Fayard, 1985
L’Illusion féconde, Paris, Fayard, 1995
Ils sculptent en nous le silence, rencontres, textes présentés par Philippe Barthelet, Paris, F.-X. de Guibert, 2003
Aux ailes de la lettre…, pensées inédites (1932-1982), choisies et présentées par Françoise Chauvin, Monaco, Le Rocher, 2006
Parodies et Mirages ou la décadence d’un monde chrétien, notes inédites (1935-1978), textes présentés par Françoise Chauvin, Monaco, Le Rocher, 2011
Les Hommes de l’éternel, conférences au grand public (1940-1985), textes établis et présentés par Françoise Chauvin, Paris, Mame, 2012.
—
Alexander GROTHENDIECK
Alexander Grothendieck est un mathématicien français, né le à Berlin et mort le à Saint-Lizier, près de Saint-Girons (Ariège). Il est resté longtemps apatride tout en vivant principalement en France ; il a acquis la nationalité française en 1971.
Il est considéré comme le refondateur de la géométrie algébrique et, à ce titre, comme l’un des plus grands mathématiciens du xxe siècle. Il était connu pour son intuition extraordinaire et sa capacité de travail exceptionnelle. La médaille Fields lui a été décernée en 1966.