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Table des Matières
Préface à la troisième édition
1. Un Occidental accompli
2. La Loi éternelle
3. Fin de l’intellect
4. Le silence mental
Emergence d’un nouveau mode de connaissance
5. La Conscience
L’individualisation de la conscience
Conscience-Force, Conscience-Joie
6. La pacification du vital
7. Le centre psychique
( à partir de là présentation sur 2ième page)
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SRI AUROBINDO
Ou l’aventure de la conscience
27 janvier 1970
1. Le règne de l’aventure est terminé. Sur terre, nous savons bien que le temps des Cortez et des Pizarre est fini. La même mécanique nous enserre, la souricière se referme.
Nous sommes donc mis au pied du mur, devant le dernier terrain qu’il nous reste à explorer, l’ultime aventure : nous-mêmes. Il faut déboucher ailleurs.
Mais il y a toutes sortes d' »ailleurs ». Ceux de la drogue sont semés de danger et surtout ils dépendent d’un moyen extérieur.
Ceux de la psychanalyse manquent du levier de conscience qui permet d’aller où l’on veut, en maître et non en témoin impuissant ou en victime maladive.
Ceux de la religion sont plus illuminés mais ils dépendent aussi d’un dieu ou d’un dogme, et surtout ils nous enferment dans un type d’expérience car on peut aussi bien et davantage, être prisonnier des mondes ailleurs que du monde ici.
2. Finalement la valeur d’une expérience se mesure à son pouvoir de transformation de la vie, sinon nous sommes devant un vain rêve ou une hallucination.
Or, Sri Aurobindo nous fait faire une double découverte dont nous avons un besoin urgent si nous voulons transformer notre monde. En suivant pas à pas sa prodigieuse exploration – sa technique des espaces intérieurs – nous sommes amenés à la plus grande découverte de tous les temps, à savoir que la conscience est un pouvoir.
Nous pouvons mieux que nos machines et que cette énorme Mécanique qui nous étouffe si nous voulons descendre dans notre propre coeur comme des explorateurs méthodiques, rigoureux et lucides.
Satprem
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31 janvier 2003
La Loi de la Terre
3.La loi de la Terre : une loi de Beauté et de Vérité.
Peut-être y a-t-il une autre Sagesse et une autre Source et une Terre nouvelle du quaternaire sous nos décombres d’anthropoïdes attardés qui n’ont pas fini de pousser. Une manière d’être nouvelle.
« Un autre être sur la terre », disait Sri Aurobindo.
La dernière Aventure.
Satprem
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Depuis un demi siècle déjà, la psychologie n’a cessé de réintégrer les démons dans l’homme; il se pourrait comme l’avait pensé Malraux, que la tâche du prochain demi-siècle soit d’y réintégrer les dieux ou plutôt comme le voulait Sri Aurobindo, de réintégrer l’Esprit dans l’homme et la matière et de créer la vie divine sur terre.
Il y a bien des façons de se mettre à l’Oeuvre ; en fait nous avons chacun notre ouverture particulière : pour l’un, ce sera une pièce bien ouvrée, pour l’autre une belle idée, pour d’autres une page de musique, une rivière…. toutes sont des manières de respirer dans l’Infini.
Il y a un Sri Aurobindo philosophe, un Sri Aurobindo poète qu’il fut essentiellement, un visionnaire de l’évolution. Il y a aussi un Sri Aurobindo explorateur qui était yogi aussi.
N’a-t-il pas dit que le yoga est l’art de la découverte consciente de soi ?
C’est cette exploration que nous voudrions entreprendre avec lui. Il n’y a pas de raison qu’un jour la fenêtre ne s’ouvre pas qui nous ensoleillera pour toujours. A vrai dire, ce n’est pas une mais plusieurs fenêtres qui s’ouvrent tour à tour chaque fois sur un espace plus vaste. C’est un changement de conscience aussi radical que le passage du sommeil à la veille.
4.Sri Aurobindo n’est pas seulement l’explorateur de la conscience, c’est un bâtisseur d’un monde nouveau. Il a découvert un autre monde qu’il a appelé le Supramental et qu’il a voulu tirer sur terre.
Le Supramental, nous dit Sri Aurobindo, est le changement de conscience qui aura le pouvoir de transformer notre monde matériel aussi profondément et durablement que le Mental ne l’a fait lorsqu’il apparut dans la Matière.
Nous verrons donc comment le yoga intégral débouche sur un yoga supramental ou yoga de transformation terrestre que nous tenterons d’esquisser car l’histoire est en train de se faire et nous ne savons pas encore très bien où elle nous mènera ni même si elle réussira. Au fond, cela dépend un peu de nous tous.
1 Un Occidental accompli
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(p18-p24)
1.Sri Aurobindo est proche de nous, l’Occident, là où il a passé ses années de formation de sept à vingt ans.
Il est né le 15 juin 1872 à Calcutta, l’année des illuminations de Rimbaud ; le docteur Krishnadhan Ghose a fait ses études de médecine en Angleterre et il ne souhaitait pas que ses trois fils soient contaminés par le mysticisme « fumeux et rétrograde » où son pays semblait se délabrer.
Il ne voulait pas qu’ils connussent rien des traditions ni des langues de l’Inde. Sri Aurobindo fut donc d’abord élevé par une gouvernante anglaise puis expédié à l’âge de cinq ans dans une école de nonnes irlandaises à Darjeeling. Deux ans plus tard, les trois fils Ghose partaient pour l’Angleterre. Sri Aurobindo a sept ans. Il ne reverra pas son père qui mourut juste avant son retour en Inde.
Sri Aurobindo et ses deux frères furent confiés à un pasteur anglais de Manchester à la condition qu’ils ne fissent la connaissance d’aucun indien et ne subissent aucune influence indienne.
Au cours de ses premières années à Manchester Sri Aurobindo apprit le français, l’anglais étant déjà sa langue maternelle. Le poète s’était éveillé en lui. La mère du pasteur essaya de sauver cette âme hérétique mais Sri Aurobindo ne devait jamais être un homme religieux pas plus en Inde qu’en Occident : la vraie théocratie, écrira-t-il plus tard, est le royaume de Dieu dans l’homme, non le royaume d’un pape, d’une Eglise ou d’une classe sacerdotale.
A douze ans il sait déjà à fond le latin et le français. Le directeur de St. Paul School va lui donner lui-même des leçons de grec. Il dévore les poètes français et bientôt toute la pensée européenne. Il sut vite suffisamment d’italien et d’allemand pour lire Dante et Goethe dans le texte.
Sri Aurobindo humoriste est peut-être plus important que Sri Aurobindo philosophe car il considérait que l’humour participait à l’essence même de son être alors que la philosophie comme la poésie relevaient d’autres langages. Dès sa première année au King’s College il ramasse tous les prix de poésie grecque et latine.
L’indépendance de l’Inde le hante et en tant que secrétaire de l’association des étudiants de Cambridge il prononce des discours révolutionnaires qui ne l’empêche pas de passer une licence de lettres classiques. A vingt ans il s’embarque pour l’Inde.
2
La Loi éternelle
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(p25-p36)
2.Notre prolétariat est enfoncé dans l’ignorance et écrasé de détresse ! s’écrie Sri Aurobindo à peine débarqué en Inde. C’est un problème d’action qui se pose à lui. Nous sommes au monde pour agir, sera le point de vue qui restera en lui jusqu’à ses plus hautes réalisations yogiques.
Qu’allait apporter l’Inde à Sri Aurobindo ?
Elle est un monde indéfinissable où « l’hindouisme » n’existe pas car l’Inde est le pays d’une immense liberté spirituelle. L’« hindouisme » est une invention occidentale.
L’indien dit seulement « la loi éternelle », sanâtana dharma.
Ce qui semble le plus important dans une religion pour un occidental c’est sa structure qui la distingue d’une autre.
Pour l’indien c’est la moins importante car il cherche instinctivement le point central où tout communique. C’est autre chose qu’une tolérance, c’est la compréhension positive que chaque homme a un besoin intérieur qu’on appelle Dieu ou d’autres façons et que chaque homme a besoin d’aimer ce qu’il comprend de Dieu.
« Tels les hommes viennent à Moi, tels je les accepte. C’est mon chemin que les hommes suivent de tous côtés » dit la Gîtâ ( IV.11.)
Sri Aurobindo écrira bientôt : » La perfection du yoga intégral viendra quand chaque homme sera capable de suivre son propre chemin de yoga et de travailler au développement de sa propre nature dans sa poussée vers ce qui transcende toute nature. Car la liberté est la loi finale et l’ultime accomplissement. »
L’indien ne dit jamais : « Croyez-vous en un Dieu ? ». Il dit simplement : « Faites l’expérience; ». Si vous faites ceci, vous arriverez là et si vous faites telle autre chose, vous arriverez à tel autre résultat. Toute l’ingéniosité que nous avons déployée depuis un siècle ou deux à l’étude des phénomènes physiques, l’indien l’a mise avec une rigueur égale, depuis quatre ou cinq millénaires, à l’examen des phénomènes intérieurs.
Si l’on veut progresser dans l’étude des phénomènes intérieurs il ne suffit pas de lire des livres mais il faut payer de sa personne. L’Inde nous renvoie sagement à l’expérience directe et aux méthodes d’expérience.
L’Indien plonge ses racines en d’autres mondes, il n’est pas tout à fait d’ici, qui est pour lui une façon de vivre parmi beaucoup d’autres façons en marge d’immenses continents par derrière. Il est conscient de grands rythmes psychiques qui excèdent la brève pulsation d’une vie humaine unique.
Il n’y a rien à rejeter nulle part, pas plus dans ledit hindouisme que dans le christianisme ou dans n’importe quelle autre aspiration de l’homme mais il y a tout à élargir, à élargir sans fin. Ce que nous prenons pour une vérité ultime n’est le plus souvent qu’une expérience incomplète de la Vérité. Et sans doute, la totalité de l’Expérience n’existe nulle part dans le temps et l’espace en aucun être si lumineux soit-il, car la Vérité est infinie, elle va toujours de l’avant.
La Loi éternelle, oui, mais éternellement jeune et éternellement progressive.
L’Inde est devant une contradiction bien surprenante où il est dit « Tout est Brahman« , rien n’est en dehors de Lui. Et puis il y a ce Brahman transcendant, immobile, à jamais hors de la vie, de la terre, qui fait dire à Shankara » Brahman est vrai, le monde est illusion » ou dans la Niralamba Upanishad : » Brahman est vrai, le monde est un mensonge ».
Si nous laissons de côté les Ecritures, la contradiction devient plus flagrante encore.
La psychologie indienne se fonde sur une observation que tout dans l’univers est composé de trois qualités ou guna. Tamas, l’inertie, l’obscurité, l’inconscience, rajas, le mouvement, la lutte, l’effort, la passion et sattva, la lumière, l’harmonie, la joie. Nulle part ces trois éléments n’existent à l’état pur. Dans le plus noir tamas, la lumière brille aussi.
Les diverses disciplines indiennes cherchent donc à rétablir l’équilibre : sortir du jeu des trois guna qui nous ballottent sans fin et prendre position au-dessus, c’est à dire retrouver la conscience divine (yoga).
A cette fin, elles visent toutes à nous sortir de l’état de dispersion et de gaspillage dans lequel nous vivons et à produire en nous une concentration suffisante pour basculer dans un autre état. Ce travail de concentration peut s’effectuer à n’importe quel niveau : physique, vital, mental. Suivant le niveau, nous pratiquons donc tel ou tel yoga : hatha yoga, raja yoga, mantra yoga et beaucoup d’autres. Le critère de la réussite est un état de transe ou d’extase yogique, samâdhi.
Entre la fin de l’âge des mystères et l’apparition des grandes religions, une faille s’est creusée. Une connaissance s’est voilée qui ne faisait pas cette formidable distinction entre Dieu et le monde. Le conflit entre la Matière et l’Esprit est une création moderne. Entre les premières Upanishads d’il y a quelques trois ou quatre mille ans, elle même héritières des Védas qui voyaient Dieu partout dans ce merveilleux univers et les dernières Upanishads, un Secret s’est perdu. Il s’est perdu non seulement en Inde mais aussi en Mésopotamie, en Egypte, en Grèce, en Amérique centrale. C’est ce secret que Sri Aurobindo allait redécouvrir.
La vérité une, éternelle et immuable, est l’Esprit et sans l’Esprit, la vérité pragmatique de l’univers n’aurait pas d’origine ni de fondement ; le monde serait dépourvu de sens, vide de direction intérieure. Les vérités de l’Esprit se jettent dans le Devenir ici bas : dissonances, variations, explorations des possibles, réversions, perversions et conversions ascendantes en un motif harmonique toujours plus haut. C’est Lui-même le créateur et l’énergie de création, la cause et la méthode et le résultat des opérations, la musique et le musicien, le poète et le poème. Lui-même le Supramental, le mental, la vie et la matière, l’âme et la nature.
Mais il ne suffisait pas à Sri Aurobindo de réconcilier sur le papier l’Esprit et la Matière.
La Vérité et la Connaissance sont un vain rayon si la Connaissance n’apporte le pouvoir de changer le monde.
Le Secret perdu c’est le pouvoir de l’Esprit sur la Matière. C’est ce secret pragmatique que Sri Aurobindo allait peu à peu retrouver expérimentalement en ayant le courage , à la fois, de sauter par-dessus sa culture occidentale et par-dessus la tradition religieuse hindoue, tant il est vrai que l’essentiel émerge quand on a tout oublié.
3
Fin de l’intellect
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(p37-p42)
3.Il avait fallu 13 ans à Sri Aurobindo pour parcourir le chemin occidental ; il lui en faudra presque autant pour parcourir le chemin de l’Inde et parvenir au « sommet » des réalisations yogiques traditionnelles, c’est à dire au commencement de son propre travail.
Le premier secret de Sri Aurobindo est sans doute d’avoir toujours refusé de couper la vie en deux actions, intérieur, extérieur.
Du jour où il a pensé au yoga il a mis tout dedans : haut et bas, dedans et dehors, tout lui était bon.
Lorsqu’il débarque sur l’Apollo Bunder à Bombay, une expérience spirituelle spontanée le saisit, un calme immense s’empare de lui. Sri Aurobindo a vingt ans, il se trouve une place auprès du Maharaja de Baroda comme professeur de français, puis d’anglais au collège de l’état. Il fait de nombreux voyages à Calcutta. Il écrit des articles dans lesquels il invite ses compatriotes à secouer le joug. Son but est d’organiser toutes les énergies de la nation en vue d’une action révolutionnaire. Nous sommes en 1893 et l’hégémonie britannique s’étend sur les trois quarts du globe.
Il se met à l’action secrète et pendant treize ans Sri Aurobindo va jouer avec le feu. Il est encore sur sa lancée occidentale et c’est par caisses qu’il dévore les romans anglais, russes, allemands, français mais aussi les textes sacrés de l’Inde, Upanishads, Râmâyana, Gîtâ sans qu’il mît jamais les pieds dans un temple, sauf en curieux. ll se mit aussi à l’étude du sanskrit qu’il apprit seul et il découvrit quelques années plus tard le sens perdu des Védas. (L’époque védique, antérieure à celle des Upanishads se situe au delà du quatrième millénaire avant J.C.
Sri Aurobindo arrive à un tournant : les temples ne l’intéressent pas et les livres sont vides. Un ami lui conseille le yoga. Sri Aurobindo refuse car « un yoga qui exige que j’abandonne le monde n’est pas fait pour moi, » dit-il.
Mais un jour, Sri Aurobindo est le témoin d’une scène curieuse au cours de laquelle son jeune frère Barin, attaqué par une mauvaise fièvre, est sauvé par une intervention d’un moine errant à demi-nu, un naga-sannyasin. Il avise que le yoga peut servir à autre chose qu’à s’évader. C’est ainsi que Sri Aurobindo se mit en route.
4
Le Silence mental
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(p43-p62)
(p43-p44)
4.La première étape est le silence mental. Il s’apercevra qu’il vit dans un vacarme sournois, un tourbillon épuisant où il n’y a place que pour ses pensées, ses sentiments, ses impulsions, ses réactions.
En un sens, nous ne sommes rien d’autre qu’une masse complexe d’habitudes mentales, nerveuses et physiques, liées ensemble par quelques idées directrices, désirs, associations.
Le premier travail du yoga, c’est de respirer au large et naturellement de briser cet écran mental qui ne laisse filtrer qu’un seul type de vibration, pour connaître l’infinitude multicolore des vibrations, c’est à dire le monde enfin et les êtres tels qu’ils sont.
(p45-p47)
5.Quand on s’assoit les yeux clos pour faire le silence on est tout d’abord submergé par un torrent de pensées qui surgissent de partout. Il ne faut surtout pas commettre l’erreur de lutter contre le mental. Il faut déplacer le centre, par exemple en suivant sa respiration ou en se concentrant sur une image. Chacun sa méthode.
Le yoga éveille automatiquement par le seul fait que l’on s’est mis en route toute une gamme de facultés latentes et de forces invisibles qui débordent les possibilités de notre être extérieur et qui peuvent faire pour nous ce que nous sommes incapables de faire.
Mais les exercices de méditation ne sont pas la vraie solution du problème bien qu’ils soient nécessaires au début pour donner l’impulsion.
Nous avons besoin d’une vie complète, nous avons besoin de vivre la vérité de notre être, tous les jours, à chaque instant et pour cela les méditations béates ne sont pas la solution.
La seule solution est donc de pratiquer le silence mental là où il est apparemment le plus difficile, c’est à dire dans la rue, au travail, partout.
On travaille sur soi à chaque instant et la vie commence à prendre un intérêt tout à fait inusité. Les moindres petites circonstances deviennent l’occasion d’une victoire. Nous sommes orientés.
Le yoga n’est pas une manière de faire mais une manière d’être.
(p47-p49)
6.Nous sommes en quête d’une autre pays mais entre celui que nous quittons et celui qui n’est pas encore là il y a un no man’s land assez pénible. C’est une période d’épreuve.
L’épreuve principale est le vide intérieur. Le monde apparaît énormément absurde. C’est le signe d’un commencement d’intériorisation. Il ne faut pas s’enfermer dans une fausse profondeur. Il faut aller plus loin. Quand on a commencé le yoga il faut aller jusqu’au bout.
Le chercheur doit comprendre qu’il commence à naître à autre chose. C’est le passage à une nouvelle conscience. Notre seule ressource est alors de nous accrocher à notre aspiration et de la faire grandir, grandir justement par ce terrible manque de tout. Simplement, nous avons la foi inébranlable que derrière ce passage il y a une porte qui s’ouvre.
La foi, dit Sri Aurobindo, est une intuition qui non seulement attend l’expérience pour être justifiée mais qui conduit à l’expérience.
(p49-p53)
7.Et peu à peu le vide s’emplit. On fait alors une série d’observations et d’expériences d’une importance considérable. On s’aperçoit que tout est possible et surtout qu’il n’y a pas deux cas semblables, d’où l’erreur de tous les dogmatismes spirituels.
On sent autour de la tête, sur la nuque, une pression. Celle-ci devient continue et donne la sensation très agréable d’une énergie fraîche. Vraiment, on a plongé dans la Source et cette force descendante est la force même de l’Esprit – Shakti.
Quand ils parlent de leur expérience les disciples de Pondichéry disent » la Force de Sri Aurobindo et de la Mère« . Cette manifestation constitue la différence fondamentale entre le yoga intégral de Sri Aurobindo et les autres yogas. Dans d’autres méthodes, on a l’expérience d’une force ascendante appelée Kundalini qui s’éveille assez brutalement dans notre être jusqu’à atteindre le sommet du crâne où elle semble éclore dans une sorte de pulsation lumineuse qui s’accompagne d’une sensation d’immensité.
8.Tous les procédés yogiques que nous pourrions appeler thermogénérateurs ( asana du hatha yoga, concentrations du raja yoga exercices respiratoires ou prânâyâma etc… visent à l’éveil de cette force ascendante.
Les yogas traditionnels visent à une libération de la conscience, à émerger vers le haut dans la paix ou l’extase. Notre expérience du courant descendant est l’expérience de la Force transformatrice. C’est elle qui fera le yoga pour nous, automatiquement et pourvu qu’on laisse faire. Elle commencera par où finissent les autres yogas puis descendra de niveau en niveau et c’est Elle qui universalisera notre être tout entier. C’est l’expérience de base du yoga intégral.
Emergence d’un nouveau mode de connaissance
(p53-p57)
9.Avec le silence mental, un autre phénomène se produit, fort important, qui s’étend parfois sur de nombreuses années, c’est ce que nous pouvons appeler l’émergence d’un nouveau mode de connaissance et donc d’un nouveau mode d’action. L’expérience nous apprend qu’il n’est pas nécessaire de réfléchir, de nous souvenir, de chercher, de faire toute sorte de mécanismes mentaux.
Au fond le yoga n’est pas tant une façon d’apprendre que de désapprendre une foule d’habitudes que nous avons héritées de notre évolution animale. Le chercheur finira par sentir quelque chose qui vit au fond de lui, à l’arrière plan de son être, comme une petite vibration sourde. Il lui suffira de prendre un peu de recul dans sa conscience pour qu’à n’importe quel moment la vibration de silence soit retrouvée.
Bientôt cette vibration deviendra de plus en plus perceptible et le chercheur sentira une séparation qui s’opère dans son être : une profondeur silencieuse qui vibre. Il aura découvert le Témoin en lui et se laissera de moins en moins accaparer par le jeu extérieur qui sans cesse tente de nous avaler.
Ce travail de décrochage sera puissamment assisté par l’expérience de la Force descendante qui exercera une pression silencieuse. Peu à peu nous nous apercevons qu’il n’est pas nécessaire de réfléchir et que quelque chose par derrière fait toute la besogne avec une précision de plus en plus grande. Nous verrons que plus nous obéirons à ces suggestions-éclair, plus elles tendront à devenir fréquentes, claires et impérieuses. Nous avons tous fait l’expérience de ces problèmes mystérieusement résolus dans le sommeil, précisément quand la machine à penser s’est tue.
Puis, un jour, à force d’erreurs, nous aurons compris que le mental n’est pas un instrument de connaissance mais seulement un organisateur de la connaissance et que la connaissance vient d’ailleurs.
C’est vraiment une autre façon de vivre, très allégée. Il n’est rien que le mental fait qui ne puisse se faire et se faire mieux, dans l’immobilité mentale et une tranquillité sans pensée.
(p57-p62)
10.Jusqu’à présent nous avons analysé les progrès du chercheur en termes intérieurs mais ce progrès se traduit également sur le plan extérieur. D’ailleurs la cloison intérieur-extérieur s’amenuise de plus en plus et apparaît comme une convention artificielle.
Il y aura tout d’abord des symptômes désagréables car il recevra les pensées des gens, leurs volontés, leurs désirs, sous leur véritable aspect et toute leur nudité, comme ils sont vraiment- des attentats. Notons que les « mauvaises pensées » ne sont pas seules à partager cette virulence. Rien n’est plus agressif que les bonnes volontés, les bons sentiments, les altruismes. D’un côté ou de l’autre, c’est l’ego qui se nourrit par la force ou la douceur. Nous ne sommes civilisés qu’à la surface, dessous, le cannibale continue.
Armé de sa force et de son silence mental le chercheur verra qu’il est perméable au dehors et qu’il reçoit de partout. Il semble donc qu’avec le silence mental un élargissement de la conscience se soit produit et qu’elle puisse se diriger à volonté en n’importe quel point de l’universelle réalité pour y connaître ce qu’elle a besoin de connaître.
Dans cette transparence silencieuse nous ferons une autre découverte capitale par ses implications. Nous nous apercevrons que les pensées des gens nous viennent de l’extérieur mais que nos propres pensées nous viennent aussi du dehors. Lorsque nous serons suffisamment transparents nous pourrons sentir, dans le silence immobile du mental comme des petits remous, de légères vibrations et si nous acceptons l’entrée en nous de celles -ci nous sommes soudain en train de penser à quelque chose.
Un bon lecteur de pensée peut saisir ce qui se passe dans une personne dont il ne connaît même pas la langue car ce sont des vibrations auxquelles il donne la forme mentale correspondante. L’homme s’est habitué à sélectionner dans le Mental universel un certain type de vibration, assez réduit, avec lequel il est en affinité et jusqu’à la fin de sa vie il accrochera la même longueur d’onde. Il tourne et tourne dans la cage. Certes, nous changeons d’idée mais changer d’idée n’est point progresser, ce n’est pas s’élever à un mode vibratoire plus haut. C’est pourquoi Sri Aurobindo parlait de changement de conscience.
Le chercheur découvre ainsi qu’il n’y a pas de dedans et de dehors et que ce dernier est partout dedans ! Nous sommes partout ! Nous sommes partout chez nous. De même pour l’antinomie action-méditation : la Force passe en nous et nous ne sommes jamais branché ailleurs.
5
La Conscience
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(p63-p80)
11.Pour un occidental, la conscience est toujours un phénomène mental : je pense donc je suis. C’est un point de vue, le nôtre. Nous nous plaçons au centre du monde.
Pourtant si nous voulons découvrir ce qu’est la conscience il faut passer outre à cet étroit point de vue. Sri Aurobindo avait pu faire les observations suivantes :
La conscience mentale n’est qu’une gamme humaine et elle n’épuise pas toutes les gammes de conscience possibles de même que la vue humaine n’épuise pas toutes les gradations de couleur ou l’ouïe toutes les gradations du son car il y a quantité de choses qui sont invisibles et inaudibles à l’homme. De même il y a des gammes de conscience au dessus – gammes supramentales – et au dessous – gammes submentales – avec lesquelles l’être humain normal n’a pas de contact et qui, de ce fait, lui semblent « inconscientes ».
A mesure que nous progressons et que nous nous éveillons à l’âme en nous et dans les choses, nous réalisons qu’il y a aussi une conscience dans la plante, dans le métal, dans l’atome, dans tout ce qui appartient à la Nature physique.
Sri Aurobindo nous encourage vivement à voir par nous-mêmes. Il faut donc démêler cette chose en nous qui relie nos diverses manières d’être et nous permet d’entrer en contact avec les autres formes de conscience.
(p65-p70)
12.Si nous poursuivons notre méthode expérimentale nous observons que nous mentalisons tout. Le mental nous permet de porter à notre surface consciente tous les mouvements de notre être mais du même coup, il nous voile leur voix et leur fonctionnement véritables.
Le chercheur qui a fait taire son mental commencera à distinguer tous ces états dans leur réalité nue. Il sentira à divers points de concentration comme des noeuds de force dotés chacun d’une qualité vibratoire particulière. Ces vibrations semblent s’irradier à différentes hauteurs de notre être. L’expérience d’une grande vibration révélatrice par exemple qui nous fait ressentir le monde comme plus léger, plus clair.
Nous avons aussi l’expérience de vibrations plus épaisses, des vibrations de colère, de peurs, de désirs, de sympathie. Il y a en nous toute une gamme de nodules vibratoires ou centres de conscience, chacun spécialisé dans un type de vibration. Le mental est seulement un des centres, un type de vibration, seulement une des formes de conscience qui veut s’arroger la première place.
Disons que ces centres appelés chakras en Inde ne se situent pas dans notre corps physique mais dans une autre dimension bien que leur concentration, à certains moments, puisse devenir si intense qu’on ait la sensation aigüe d’une localisation physique. Certains correspondent d’assez près aux différents plexus nerveux que nous connaissons mais pas tous.
Grosso modo on peut distinguer sept centres répartis en quatre zones :
1) Le Supraconscient avec un centre un peu au sommet de la tête qui dirige notre mental pensant et nous met en communication avec des régions mentales plus élevées : illuminées, intuitives, surmentales, etc…
2) Le Mental avec deux centres : l’un, entre les sourcils, qui gouverne la volonté et le dynamisme de toutes nos activités mentales quand on veut agir par la pensée. C’est aussi le centre de la vision subtile ou « troisième oeil », l’autre, à hauteur de la gorge qui gouverne toutes les formes d’expression mentale.
3) Le Vital avec trois centres : l’un à hauteur du coeur qui gouverne notre état émotif, amour, haine etc… le deuxième à hauteur du nombril qui gouverne nos mouvements de domination, de possession, de conquête, nos ambitions etc… et un troisième, le vital inférieur entre le nombril et le sexe à hauteur du plexus mésentérique qui commande les vibrations les plus basses : jalousie, envie, désir, convoitise, colère.
4) Le physique et le Subconscient avec un centre à la base de la colonne qui régit notre être physique et le sexe. Ce centre nous ouvre plus bas aux régions subconscientes.
Généralement dans l’homme « normal » ces centres sont endormis ou fermés ou ne laissent filtrer que le tout petit courant nécessaire à sa mince existence.
Avec le yoga ces centres s’ouvrent. Ils peuvent s’ouvrir de deux manières : de bas en haut ou de haut en bas suivant que l’on pratique un yoga traditionnel ou celui d’Aurobindo.
A force de concentrations, d’exercices, on peut un jour sentir une Force ascendante qui s’éveille à la base de la colonne vertébrale et monte au sommet du crâne. Avec le yoga de Sri Aurobindo, la Force descendante ouvre très lentement, doucement, ces mêmes centres de haut en bas. En agissant de bas en haut nous ouvrons en premier les chakras des vibrations les plus épaisses et sommes branchés sur la confusion et la boue du monde. C’est pourquoi les yogas traditionnels exigent la présence d’un Maître protecteur.
Notre première découverte est de voir que les vibrations mentales viennent du dehors avant d’entrer dans nos centres : vibrations de joie, de volonté etc… et que notre être est comme un poste récepteur, du haut en bas.
(p70-p72)
13. Nous serons tentés de protester car enfin ce sont nos sentiments, nos peines, nos désirs, notre sensibilité. Il est vrai qu’en un sens c’est nous car nous avons pris l’habitude de répondre à certaines vibrations plutôt qu’à d’autres. Mais en y regardant de plus près, on ne peut même pas dire que c’est « nous » qui avons pris toutes ces habitudes ; c’est notre milieu, notre éducation, nos traditions qui ont choisi pour nous.
La Nature universelle dit Sri Aurobindo dépose en nous certaines habitudes de mouvement, de personnalité, de caractère, certaines facultés, certaines dispositions, tendances… et c’est cela que nous appelons nous-même.
En fait, nous accrochons toujours les mêmes longueurs d’onde. Tout est en état de flux constant et tout nous vient d’un mental plus vaste que le nôtre, universel ou de régions plus basses subconscientes ; ou plus hautes, supraconscientes. Ainsi, cette petite personnalité frontale est entourée, soutenue, traversée et mue par toute une hiérarchie de « mondes » ou comme dit Sri Aurobindo de plans de consciences qui s’échelonnent sans interruption de l’Esprit pur à la Matière et qui sont en relation avec chacun de nos centres.
Mais nous ne sommes conscients que de quelques bulles à la surface.
L’individualisation de la conscience
(p72-p75)
14.Nous commençons à entrevoir ce qu’est la conscience et à sentir qu’elle est partout dans l’univers mais nous n’avons pas encore trouvé « notre » conscience. Nous avons tous senti, à certains moments privilégiés de notre existence comme une chaleur dans notre être, une sorte de poussée intérieure ou de force vivante qui surgit de rien, sans cause, comme une flamme.
Mais bien vite, nous sortons de cette adolescence et le mental s’empare de cette force, comme il s’empare de tout et la recouvre de grands mots idéalisants. Il la fait entrer dans une oeuvre, un métier, une Eglise ou le vital s’en saisit et la badigeonne de sentiments plus ou moins nobles ou la fait entrer dans quelque aventure ou qu’il s’en serve pour dominer, vaincre, posséder.
Mais le chercheur qui a fait taire son mental et ne risque plus d’être pris au piège des idées, qui a tranquillisé son vital et n’est plus emporté dans la grande dispersion des sentiments et des désirs redécouvre dans cet éclaircissement de son être, comme un nouvel élan de jeunesse une nouvelle poussée à l’état libre.
A mesure que sa concentration grandira par ses « méditations actives », par son aspiration, son besoin, il sentira que cette poussée se met à vivre : « Elle s’élargit et fait sortir ce qui vit, dit le Rig-Véda, éveillant quelqu’un qui était mort ». Elle prend de plus en plus de puissance et d’indépendance comme si c’était à la fois une force et un être dans son être.
Il remarquera dans ses méditations passives tout d’abord que cette force en lui a des mouvements, une masse, des intensités variables et qu’elle monte et descend au-dedans de lui. Dans les méditations actives, la vie ordinaire, cette force sera plus diluée et donnera l’impression d’une petite vibration sourde à l’arrière plan. Avec cette petite chose dedans qui vibre, on est invulnérable et plus jamais seul. C’est chaud, c’est proche, c’est fort.
Alors nous avons touché la réalité fondamentale de notre être, le centre vrai, chaleur et être, conscience et force.
Le chercheur s’apercevra que cette poussée ne se meut pas au hasard, comme il lui avait semblé tout d’abord, mais qu’elle se rassemble en divers points de son être suivant les activités du moment.
Tous les centres, y compris le mental, ne sont que ses ouvertures sur les différents étages de la réalité universelle ou ses instruments de transcription et d’expression. C’est elle le voyageur des mondes,(Savitri 28:93), l’explorateur des plans de conscience, elle qui relie nos diverse manières d’être. En d’autres termes nous aurons découvert la conscience.
Nous pouvons déplacer notre conscience vers des régions plus profondes ou plus hautes, inaccessibles au mental et à nos organes des sens car la conscience n’est pas une façon de penser ou de sentir mais un pouvoir d’entrer en contact avec la multitude des degrés de l’existence, visibles ou invisibles.
Nous verrons que cette conscience est indépendante de ce que l’on pense, de ce que l’on sent, qu’elle est indépendante du mental et du vital et même du corps car dans certains états particuliers dont nous reparlerons elle sort du corps et va se promener ailleurs pour faire des expériences.
Conscience-force, Conscience-joie
(p75-p80)
15.En découvrant la conscience nous avons découvert que c’était une force. Conscience-force dit Sri Aurobindo car en vérité les deux termes sont inséparables et convertibles l’un en l’autre.
La sagesse ancienne de l’Inde connaissait bien ce fait et ne parlait jamais de conscience, Chit, sans y adjoindre le terme Agni, chaleur, flamme, énergie, Chit-Agni ou parfois elle emploie le mot Tapas qui est synonyme d‘Agni.
Nous parlons de plusieurs forces : descendante, ascendante, mentale, vitale, matérielle mais il n’y a qu’une seule Force au monde, un seul courant unique et qui selon le niveau où il opère se revêt d’une substance ou d’une autre. C’est elle qui relie tout, anime tout, elle la substance fondamentale de l’univers : Conscience-Force, Chit-Agni.
S’il est vrai que la conscience est une force, inversement la force est une conscience et toutes les forces sont conscientes.
C’est partout le même courant de conscience avec des modalités vibratoires différentes que ce soit dans la plante, dans les réflexions du mental humain, dans le supraconscient lumineux et dans l’instinct de la bête, dans le métal et dans nos méditations profondes.
Einstein nous a appris que Matière et Energie sont convertibles l’une l’autre : E= mc².
Il nous reste à découvrir pratiquement que cette Energie est une Conscience et que la matière, elle aussi, est une forme de conscience. Quand nous aurons trouvé ce Secret nous aurons la vraie maîtrise des énergies matérielles. Mais nous ne faisons que redécouvrir de très anciennes vérités. Il y a quatre mille ans les Upanishads savaient que la Matière est de l’Energie condensée : » Par l’énergie de sa conscience Brahman s’est massé ; de cela la Matière est née, et de la Matière, la Vie, le Mental et les mondes ( Mundaka Upanishad , I.1.8).
Tout est Conscience ici bas, parce que tout est l’Etre ou l’Esprit. Tout est Chit-conscience- parce que tout est Sat -existence-, Sat Chit. à divers niveaux de sa propre manifestation.
L’histoire de notre évolution terrestre, finalement, est l’histoire d’une lente conversion de la Force en Conscience ou plus exactement un lent rappel de cette Conscience engloutie dans sa Force.
Tout le progrès évolutif, en fin de compte, se mesure à la capacité de dégagement ou de décrochage de l’élément conscience hors de son élément force. C’est ce que nous appelons l’individualisation de la conscience. Au stade spirituel ou yogique de notre évolution la conscience est totalement dégagée de ses tourbillonnements mentaux, vitaux, physiques. Elle est capable de parcourir toute la gamme des vibrations de l’atome à l’Esprit.
Si nous commençons à percevoir la conscience intérieure dit Sri Aurobindo on peut en faire toutes sortes de choses : l’envoyer à l’extérieur sous forme de courant de force, tracer un cercle de conscience autour de soi, diriger une idée pour qu’elle entre dans la tête de quelqu’un en Amérique. Si nous n’avions pas fait des milliers d’expériences … nous n’en parlerions pas comme nous en parlons.
A un stade ultérieur, nous verrons que la Conscience peut agir sur la Matière et la transformer. Cette ultime conversion de la Matière en Conscience et peut -être un jour de la Conscience en Matière est l’objet du yoga supramental dont nous reparlerons plus tard.
Mais il y a bien des degrés de développement de la conscience-force depuis le chercheur qui s’éveille jusqu’au yogi. C’est ici que la vraie hiérarchie commence.
Il est une ultime équivalence. Non seulement la conscience est force, non seulement la conscience est être mais la conscience est joie, Ânanda : Chit-Ânanda. Etre conscient c’est la joie, une joie solide, vaste, paisible. Elle est irréfutablement comme un roc à travers tous les temps, tous les lieux, comme un sourire derrière et partout. Tout l’énigme de l’univers est là. Il n’y en pas d’autre. Un sourire imperceptible, un rien qui est tout.
Sat-Chit-Ânanda – Existence, Conscience, Joie – triade éternelle qui est l’univers et que nous sommes : « De la joie tous ces êtres sont nés ; par la joie ils existent et grandissent ; à la joie ils retournent ». ( Taïttiriya Upanishad III.6.)
6
La pacification du vital
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(p81-p100)
(p81-p83)
16.Il est une zone de notre être, à la fois source d’une grosse difficulté et d’un grand pouvoir, une source de difficultés, parce qu’elle brouille toutes les communications du dehors ou d’en haut en s’opposant frénétiquement à nos efforts de silence mental et une source de pouvoir parce que c’est l’affleurement de la grande force de vie en nous. Nous avons nommé la région qui s’étend entre le coeur et le sexe et que Sri Aurobindo appelle le vital.
C’est le lieu de tous les mélanges : le plaisir y est inextricablement lié à la souffrance, la peine à la joie et la comédie à la vérité. Les diverses spiritualités du monde y ont trouvé tant d’ennuis qu’elles ont tracé une croix sur ce domaine dangereux. Mais cette chirurgie morale dit Aurobindo présente un double inconvénient : elle ne purifie pas vraiment car les émotions du haut sont aussi sentimentales et donc partiales. D’autre part, elle ne rejette pas vraiment mais refoule. En outre la morale ne fonctionne que dans les limites du fonctionnement mental. Elle n’a pas accès aux régions du subconcient ou supraconscient, ni dans la mort, ni dans le sommeil.
Au reste, le chercheur ne pense pas en terme de bien et de mal mais en terme d’exactitude et d’inexactitude. Le chercheur fera donc une distinction entre les choses qui brouillent sa vision et celles qui la rendent claire ; ce sera l’essentiel de sa « morale ».
(p83-p88)
17.La première chose qu’il distinguera dans son exploration vitale, c’est une fraction du mental qui semble avoir pour seule fonction de donner une forme (et une justification) à nos impulsions, nos sentiments, nos désirs; c’est ce que Sri Aurobindo appelle le mental vital.
Déjà nous avons vu la nécessité du silence mental et nous étendrons notre discipline à cette couche inférieure du mental. Nous prendrons alors connaissance, spontanément, d’une quantité de vibrations que les gens émanent constamment, sans même le savoir, et nous saurons de quoi il retourne ou devant qui nous nous trouvons. (le polissage extérieur n’ayant rien à voir, le plus souvent, avec cette petite réalité qui vibre).
Nous saurons le pourquoi de nos sympathies ou antipathies, de nos craintes, de nos malaises. Nous nous apercevrons d’un phénomène très intéressant : notre silence intérieur a un pouvoir. Par exemple, la colère, au lieu de nous mettre à vibrer intérieurement à l’unisson de celui qui parle, si nous savons rester immobile, nous verrons la colère de l’autre se dissoudre peu à peu comme une fumée. Seulement, il ne s’agit pas d’avoir un masque impassible et de bouillonner en dedans : on ne triche pas avec les vibrations. Il s’agit de la vraie maîtrise intérieure. Ce silence peut annuler n’importe quelle vibration car elles sont contagieuses (par exemple, le Maître peut ainsi transmettre des expériences spirituelles ou un pouvoir à un disciple).
La clef de la maîtrise est toujours le silence, à tous les niveaux, parce que dans le silence nous percevons les vibrations et les distinguons : c’est le pouvoir de saisir. La vie extérieure ordinaire devient un immense champ d’expériences. C’est pourquoi Sri Aurobindo a toujours voulu y mêler son yoga. Il est très facile, seul, de vivre dans la parfaite illusion de la maîtrise de soi.
Mais ce pouvoir d’immobilité intérieure a des applications beaucoup plus importantes ; nous voulons parler de notre propre vie psychologique. La grosse difficulté du vital est qu’il s’identifie faussement à tout ce qui semble sortir de lui. Il dit « ma peine », ma « dépression », mon « désir » et se prend pour toutes sortes de petits « je » qui ne sont pas lui.
Par exemple, nous sommes seul ou en compagnie de telle ou telle personne et nous sentons quelque chose qui nous tire ou qui cherche à entrer en nous. Si nous attrapons la vibration nous nous retrouvons cinq minutes plus tard en train de lutter contre une dépression, d’avoir tel désir, telle fébrilité. Le chercheur qui a cultivé le silence ne se laisse pas prendre à cette fausse identification. Il a fini par découvrir ce que Sri Aurobindo appelle le circumconscient. C’est une sorte d’atmosphère individuelle ou d’enveloppe protectrice. C’est là que nous pourrons sentir et attraper les vibrations psychologiques avant qu’elles n’entrent. Notre culture du silence a créé une transparence suffisante pour que nous puissions les voir venir, puis les arrêter au passage et les rejeter. Elles resteront à tourner en rond dans le circumconscient et nous pourrons sentir très distinctement la colère, le désir, la dépression rôder autour de nous. Nous serons surpris de voir qu’un jour certaines vibrations ne nous touchent plus. Ou encore, nous nous apercevrons que certains états psychologiques déferlent à heure fixe ou se répètent suivant certains mouvements cycliques que Sri Aurobindo ou la Mère appellent des formations, c’est à dire un amalgame de vibrations qui a fini par acquérir une sorte de personnalité indépendante.
Il y a mille expériences possibles, c’est un monde d’observations. La découverte essentielle que nous aurons faite est qu’il y a peu de nous dans tout cela sauf une habitude à répondre.
Tant que nous nous identifions faussement aux vibrations vitales, par ignorance, il est impossible de changer quoi que ce soit à notre nature.
Contrairement à tous les dictons, la nature humaine peut-être changée car il n’est rien dans notre nature ou notre conscience qui ne soit inéluctablement fixé. Tout n’est qu’un jeu de forces et vibrations. C’est pourquoi le yoga de Sri Aurobindo envisage la possibilité d’un renversement total des règles qui gouvernent ordinairement les réactions de la conscience.
La vraie méthode de la maîtrise vitale n’est pas chirurgicale mais pacificatrice : on ne lutte pas vitalement contre elle mais on la neutralise par une paix silencieuse : si vous établissez la paix, écrit Sri Aurobindo, il devient aisé de nettoyer le vital. La paix est quelque chose de propre en soi, et si vous l’établissez, c’est une façon positive d’arriver au but. Chercher la boue seulement et nettoyer est un chemin négatif.
(p88-p92)
18. Il est une autre difficulté, car les vibrations qui viennent des gens ou du vital universel ne sont pas seules à déranger le chercheur. Il est un type de vibration d’une qualité particulière qui se distingue par sa soudaineté et sa violence. En quelques instants il sera « un autre homme » ayant tout oublié, ses efforts, son but comme si tout était dépourvu de sens, décomposé. C’est ce que Sri Aurobindo et la Mère appellent les forces adverses.
Ce sont des forces très conscientes, dont le seul but apparemment, est de décourager le chercheur ou de le détourner du chemin qu’il s’est choisi. Le premier symptôme de leur présence est que la joie se voile, la conscience se voile et tout est enveloppé dans une atmosphère de drame. Dès qu’il y a souffrance on peut être sûr que l’ennemi est là. Leur premier soin, généralement, est de nous pousser à des décisions subites, extrêmes irrévocables. C’est une vibration aiguë qui veut s’exécuter immédiatement.
On découvre que l’on est capable de descendre aussi bas que l’on est monté haut. Bien des écailles nous tombent des yeux et, comme dit Sri Aurobindo, notre vertu est d’une prétentieuse impureté.
Toutes sortes de noms démoniaques et « noirs » ont donc été réservés à ces forces adverses dans l’histoire spirituelle du monde. L’expérience nous montre que ces forces perturbatrices ont leur place dans l’économie universelle et qu’elles ne sont perturbatrices qu’au niveau de notre petite conscience momentanée.
Pour l’individu comme pour le monde, ces forces peu gracieuses sont des instruments de progrès. » Ce par quoi tu tombes est cela même par quoi tu t’élèves » dit le Kularnava Tantra dans sa sagesse.
Pour l’âme en voie de croissance, pour l’Esprit au-dedans de nous, les difficultés, les obstacles, les attaques ne seraient-ils pas un moyen de grandir, d’intensifier sa force, d’élargir son expérience, de s’entraîner à la victoire spirituelle ?
La Vérité bouge, elle a des jambes et les princes des ténèbres sont là pour veiller à ce qu’elle ne s’endorme pas. Les négations de Dieu nous sont aussi utiles que ses affirmations dit Sri Aurobindo. L’Adversaire ne disparaîtra pas dit la Mère que lorsqu’il ne sera plus nécessaire dans le monde. Et nous savons très bien qu’il est nécessaire, comme la pierre de touche pour l’or, pour voir si l’on est vrai.
La méthode vis à vis des forces adverses est la même que pour les autres vibrations : silence, immobilité intérieure qui laisse passer la vague.
Nous pourrons être secoués et, portant, tout au fond, nous sentirons ce « témoin » en nous, qui n’est pas touché.
Pratiquement, le chercheur du yoga intégral sera beaucoup plus exposé que les autres. Sri Aurobindo disait souvent que son yoga est une bataille parce qu’il veut tout englober dans sa conscience. Il n’y a pas rien qu’un passage à forcer vers la béatitude du haut mais beaucoup de passages; à droite, à gauche et en bas et à tous les niveaux de notre être et plus d’un trésor à découvrir.
(p92-p100)
19.Il y a donc un passage à franchir si nous voulons trouver la vraie force de vie derrière la vie troublée de l’homme frontal. Suivant les spiritualités traditionnelles, ce passage s’accompagne de toutes sortes de mortifications et de renoncements. Nous avons autre chose en vue. Nous ne cherchons pas à quitter la vie mais à l’élargir.
Le yoga est un « plus grand art de vivre » disait Sri Aurobindo. L’attitude de l’ascète qui dit : « Je ne veux rien » et l’attitude de l’homme du monde qui dit : « je veux cette chose » sont les mêmes, observe la Mère. L’un peut être aussi attaché à son renoncement que l’autre à sa possession.
En fait, tant que l’on a besoin de renoncer à quoi que ce soit on n’est pas prêt. On est encore jusqu’au cou dans les dualités. Si nous avons démasqué ce simple point, nous aurons saisi tout le fonctionnement du vital du haut en bas : la souffrance, la privation autant que l’abondance l’intéressent autant que la joie, la haine autant que l’amour, la torture autant que l’extase, dans tous les cas il s’engraisse.
Nous avons saisi un autre travers du vital de surface : c’est un incorrigible charlatan. Nous savons tous cela et pourtant nous sommes toujours d’incorrigibles sentimentaux. Il prend la force de ses sentiments pour la force de la vérité.
Une autre observation qui découle de la première s’impose assez vite à nous : c’est la complète impuissance du vital à aider autrui ou tout simplement à communiquer avec les autres sauf quand il y a conjonction d’égoïsmes.
En réalité le vital ne cherche pas à aider, il cherche à prendre, toujours, de toutes les façons. Nos peines et nos souffrances sont toujours le signe d’un mélange et donc toujours mensongers. Seule la joie est vraie.
Nous protesterons au nom de nos sentiments et dirons : » Mais le Coeur ? ».
Justement, le coeur est-il lieu plus mélangé ? En outre il s’essouffle vite et ce sera notre troisième observation.
Pour une conscience cosmique dans son état de connaissance complète et d’expérience complète, tous les contacts sont perçus comme une joie, Ânanda. Seule l’étroitesse de conscience, l’insuffisance de conscience est la cause de tous nos maux, moraux et même physiques, et de cette sempiternelle tragi-comédie de l’existence.
Le chercheur ne sera plus dupe du jeu équivoque qui se déroule dans son vital de surface mais il gardera longtemps encore l’habitude de répondre aux mille petites vibrations biologico-sentimentales qui font la ronde autour. C’est un passage assez long comme de passer du mental rabâcheur au silence mental.
Mais là aussi, il sera aidé par la Force descendante qui contribuera puissamment à établir un rythme nouveau en lui. Il remarquera que s’il fait seulement un tout petit pas en avant l’Aide d’en haut en fera dix vers lui comme s’il était attendu.
En réalité le chercheur n’obéit pas à un impératif austère et négatif il suit une poussée positive de son être : il grandit réellement et les normes d’hier ou les plaisirs d’avant-hier lui semblent aussi minces qu’une diète de nourrisson- Il n’est pas à l’aise là dedans, il a mieux à faire, mieux à vivre.
Derrière ce vital infantile, inquiet, vite épuisé nous découvrons un vital calme et puissant- ce que Sri Aurobindo appelle le vital vrai. Nous entrons dans un état de concentration tranquille, spontanée, comme peut l’être la mer sous le jeu des vagues.
Cette immobilité est une puissance concentrée qui peut mettre en mouvement tous les actes, supporter tous les chocs sans perdre son repos. C’est une intarissable source d’énergie. Les capacités de travail et même d’effort physique sont décuplées. La nourriture et le sommeil cessent d’être les sources uniques de renouvellement des énergies. D’autres pouvoirs qui passent pour « miraculeux » peuvent se manifester. Il n’y a pas lieu d’en parler ici, mieux vaut faire soi-même l’expérience.
Dans cette immobilité un autre signe s’établira d’une façon permanente : l’absence de souffrance et une sorte de joie inaltérable. Le chercheur qui aura établi quelque immobilité verra que celle-ci dissout les chocs parce qu’il est large, qu’il n’est plus un petit individu serré sur lui-même.
Avec l’expérience du yoga, la conscience s’élargit dans toutes les directions-autour, au-dessous, au-dessus- et dans chaque direction, à l’infini. Sa base est un vide infini ou un silence infini mais dans ce vide ou ce silence tout peut se manifester : la Paix, la Liberté, le Pouvoir, la Lumière, la Connaissance, la Joie.
Dès qu’il y a souffrance de quelque ordre que ce soit, c’est le signe immédiat d’un rétrécissement de l’être et d’une perte de conscience.
Quand le chercheur s’élèvera dans le Supraconscient il comprendra que les intensités de l’Esprit peuvent aussi être foudroyantes.( en réalité c’est toujours la même Force, divine, la même Conscience-Force , en haut, en bas , dans la Matière ou dans la Vie ou dans le Mental ou plus haut, mais plus Elle descend plus Elle est obscurcie, déformée , fragmentée.)
7
Le centre psychique
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(p101-p120)
20. Le mental n’est pas nous, puisque toutes nos pensées viennent d’un Mental plus vaste que le nôtre, universel.
Le vital n’est pas nous, ni nos sentiments ni nos actes, puisque toutes les impulsions viennent d’un Vital plus large que le nôtre, universel.
Ce corps non plus, n’est pas nous, car ses composants viennent d’une Matière et obéissent à des lois plus grandes que les Nôtres, universelles.
Quelle est donc cette chose en nous qui fait que nous sommes « je » , même si tout le reste s’écroulait ? Et surtout qui est « je » quand tout le reste s’écroule, parce que c’est l’heure de notre vérité.
Au cours de notre reconnaissance, nous avons observé divers centres ou niveaux de conscience et nous avons vu que, derrière ces centres, il y avait une conscience-force qui se mouvait et qui reliait nos divers états d’être et nous avons senti que ce courant de force, ou de conscience, était la réalité fondamentale de notre être derrière tous nos états.
Qui donc est conscient en nous ?
La vérité est double. En aucun cas nous ne sommes des marionnettes. Nous avons ce que Sri Aurobindo appelle l’être psychique et un centre cosmique ou être central.
Etape par étape nous devons retrouver l’un et l’autre et devenir le Maître de tous nos états. Pour l’instant nous irons seulement à la découverte de notre centre individuel, le psychique, que d’autres appellent âme.
C’est à la fois la chose la plus simple du monde et la plus difficile. La plus simple parce qu’un enfant comprend cela, il vit cela spontanément. Il vit dans son être psychique. La plus difficile, parce que cette spontanéité est bientôt recouverte par toutes sortes d’idées, de sentiments. Alors on commence à parler « d’âme », c’est à dire qu’on y comprend plus rien. Toutes les souffrances de l’adolescence sont justement l’histoire d’un lent emprisonnement psychique. Toutes les difficultés du chercheur sont l’histoire inverse d’une lente extirpation de tous les mélanges mentaux et vitaux. Mais ce n’est pas seulement un voyage à l’envers car on ne revient jamais en arrière et au bout du voyage on ne retrouve pas l’enfant psychique mais une royauté consciente. Car le psychique est un être, il grandit, il est le miracle d’une enfance éternelle dans un royaume de plus en plus vaste. Il est « dedans comme un enfant qui doit naître« . dit le Rig-Veda (IX.83.3).
(p103-p109)
21. Les premières manifestations du psychique sont la joie et l’amour. Une joie tranquille, profonde, comme la mer. La joie profonde n’a besoin de rien pour être, elle est. Un amour qui n’a besoins de rien pour être, il est. Il est invulnérable, rien ne le touche. Rien n’est bas pour lui, ni haut, ni pur, ni impur. Il est léger, rien ne lui pèse. Il est invulnérable, rien ne le touche. Il est tranquille, tranquille comme un petit souffle au fond de l’être. Il est Dieu en nous.
Pour l’oeil qui voit, voilà comment le psychisme apparaît : Quand on regarde quelqu’un qui est conscient de son âme et qui vit dans son âme, dit la Mère, on a l’impression de descendre, d’entrer profondément, profondément dans la personne, loin, très loin, dedans tandis que, généralement, quand on regarde les yeux des gens, il y a des yeux où l’on n’entre pas, c’est fermé comme une porte. Il y a des yeux qui sont ouverts, on entre, puis on rencontre derrière, assez près, quelque chose qui vibre, qui brille, qui scintille. C’est son vital. Pour trouver l’âme, il faut se reculer de la surface, se retirer profondément, descendre dans un trou très profond, silencieux, immobile, ça c’est l’âme.
Mais ce sont là des signes seulement. Comment ouvrir les portes du psychisme ? Car il est bien caché. Tout d’abord il est caché par nos idées, nos sentiments qui le pillent et le singent sans merci. Il est aussi happé par le vital qui en fait ses brillantes exaltations, ses émotions « divines » et palpitantes, ses amours accaparantes. Il est mis en cage par le mental qui en fait ses idéaux exclusifs, ses philanthropies infaillibles, ses morales cadenassées; et des Eglises, d’innombrables Eglises qui le mettent en articles et en dogmes.
Où est le psychisme la dedans ? Le gros écueil, c’est quand il sort de sa cachette une seconde. Il jette une telle gloire sur tout ce qu’il touche que nous confondons sa lumineuse vérité avec la circonstance de la révélation. Tel qui eut la révélation de son psychisme, un jour en écoutant Beethoven, dira : la musique, rien que la musique est divine ici bas. Tel autre, qui aura senti son âme dans l’immensité de la mer se fera une religion du grand large et tel autre dira : mon prophète, ma chapelle, mon évangile. Chacun bâtit ainsi sa construction autour du noyau d’expérience. Mais le psychisme est libre merveilleusement libre de tout.
Le monde va ainsi, accablé de demi-vérités qui sont plus lourdes que des mensonges.
Si l’on veut avoir l’expérience du psychique dans sa pureté cristalline, il faut faire une transparence en soi car, dès que l’on est clair, la Vérité émerge spontanément, la vision, la joie, tout. La Vérité est la chose la plus naturelle qui soit au monde. C’est le reste qui brouille tout, le mental et le vital.
Toutes les disciplines spirituelles dignes de ce nom ne doivent tendre, finalement, qu’à ce point naturel où nous n’avons plus besoin d’efforts. Le chercheur n’essaiera pas d’entrer dans le brouillage du mental moral, ni de faire l’impossible tri du bien et du mal pour dégager le psychisme. C’est ce que Sri Aurobindo appelle un changement de conscience. Dans cette transparence, les vieux plis de l’être se déferont tranquillement et nous sentirons une autre position de la conscience, pas une position intellectuelle, un centre de gravité. A hauteur du coeur, mais plus profond que le centre vital du coeur nous sentirons une zone de concentration plus intense que les autres, qui est comme leur point de convergence- c’est le centre psychique.
Quelque chose s’allume au centre, comme un feu – Agni. C’est le vrai » je » en nous.
On dit « présence » mais c’est plutôt comme une absence poignante, comme un trou vivant que l’on porte dedans et qui chauffe, qui brûle, qui pousse de plus en plus et qui finit par devenir réel et seulement réel dans un monde où l’on se demande si les hommes vivent ou font semblant. Il faut le dégager avec patience de son propre corps dit l’Upanishad. C’est lui « l’enfant enfermé dans la caverne secrète » dont parle le Rig Veda (V.2 .1), « le fils du ciel par le corps de la terre » (III.25.1) » lui qui est éveillé dans ceux qui dorment » . » Il est comme la vie et comme le souffle de notre existence, il est comme notre enfant éternel » (I.66.1). Il est comme « le Roi brillant qui nous était caché (I.23.14). C’est le Centre, le Maître, le lieu où tout communique : Un espace ensoleillé où tout est jamais connu.
Si nous avons senti ce Soleil dedans, cette flamme, cette vie vivante – il y a tant de vies mortes – fût-ce une seconde dans une existence, tout est changé ; c’est un souvenir devant lequel tous les autres sont pâles. C’est le Souvenir.
Si nous sommes fidèles à cet Agni qui brûle, il grandira de plus en plus, comme un être vivant dans notre chaire. Une sensation terrible de quelque chose qui empêche de voir et de passer; on essaie de passer au travers et puis on est en présence d’un mur dit la Mère.
Puis, à force de besoin, à force de vouloir, la tension psychique, un jour, atteindra son point de renversement et nous aurons l’expérience. Quelque chose bascule dans la conscience. Au lieu d’être dehors et de chercher à voir dedans, on est dedans et, de la minute où on est dedans, absolument tout change, complètement. Tout ce qui vous paraissait vrai, naturel, normal, réel, tangible, tout cela immédiatement vous paraît très grotesque, très drôle, très irréel, très absurde. Mais on a touché quelque chose qui est suprêmement vrai et éternellement beau ; et cela on ne le perd plus.
« Ô Feu, ô Agni, quand tu es bien porté par nous, tu deviens la suprême croissance, la suprême expansion de notre être ; toute gloire et toute beauté sont dans ta couleur désirable, dans ta vision parfaite. Ô étendue, tu es la plénitude qui nous porte au bout du chemin, tu es une multitude de richesses répandues de tous côtés » ( Rig-Véda II.1.12.)
La Mère expliquait ainsi l’expérience : … Alors toute la concentration, toute l’aspiration se rassemble en un faisceau et va poussant, poussant contre cette porte, poussant de plus en plus, avec une énergie croissante, jusqu’à ce que tout d’un coup, la porte cède. Et on entre, comme précipité dans la lumière.
Alors on est vraiment né.
(p109-p120)
22.De toutes les expériences, lorsque s’ouvre la porte du psychique, la plus immédiate et la plus irrésistible est d’avoir toujours été et d’être pour toujours. On émerge dans une autre dimension, où l’on voit qu’on est vieux comme le monde et éternellement jeune et que cette vie est une expérience, un chaînon, dans une succession ininterrompue d’expériences qui s’étendent derrière nous et se perdent dans le futur.
» Vieux et usé il devient jeune encore et encore » dit le Rig-Veda (II.4.5.)
Ce que l’on appelle communément la réincarnation n’est pas propre à l’enseignement de Sri Aurobindo ; toutes les sagesses anciennes en ont parlé, de l’Extrême-Orient à l’Egypte et aux néoplatoniciens mais Sri Aurobindo lui donne un sens nouveau.
Dès l’instant où l’on sort de la petite vision momentanée d’une vie unique coupée par la mort, deux attitudes sont possibles ; ou bien on peut penser, avec les spiritualistes exclusifs, que toutes ces vies sont douloureuses et futiles dont il importe de se libérer au plus tôt pour se reposer en Dieu, en Brahman ou en quelque Nirvana ; ou bien on peut croire avec Sri Aurobindo – une croyance qui repose sur une expérience – que l’ensemble de ces vies représente une croissance de conscience qui culmine dans un accomplissement terrestre ; autrement dit qu’il y a une évolution de la conscience derrière l’évolution des espèces et que cette évolution spirituelle doit aboutir à une réalisation individuelle et collective sur la terre. C’est hors du monde que les spiritualistes ont cherché la libération et le salut.
Envisagée du point de vue d’une évolution de la conscience, la réincarnation cesse d’être la ronde futile que d’aucuns y ont vu ou l’extravagance imaginative que d’autres en ont fait.
Avec une clarté toute occidentale Sri Aurobindo nous débarrasse du « roman feuilleton spirituel », comme dit la Mère où tant de connaissances sérieuses ont dégénéré depuis la fin de l’âge des mystères et il nous invite à une expérimentation lucide tout simplement.
Il ne s’agit pas de croire en la réincarnation mais d’en avoir l’expérience et d’abord de savoir dans quelles conditions l’expérience est possible.
Pendant des vies et des vies le psychique grandit silencieusement derrière la personnalité frontale. Quand celle-ci se dissout, il emmène seulement l’essence de toutes ses expériences. Chaque vie représente donc un type d’expérience (nous croyons faire beaucoup d’expériences mais c’est toujours la même). Plus il grandira, plus la conscience-force s’individualisera en nous jusqu’au jour où il jaillira au grand jour. Alors, il pourra prendre conscience directement du monde autour. Il sera le maître de la nature au lieu d’être son prisonnier endormi.
Le yoga est le point de développement où nous passons des méandres de l’évolution naturelle à une évolution consciente et dirigée : c’est un processus d’évolution concentrée.
Sans réincarnation on s’explique mal, l’immense différence de degrés entre les âmes, celle d’un souteneur, par exemple, et celle d’un Dante ou d’un François d’Assise.
Mais même parmi les êtres éveillés il y a aussi d’énormes différences de degrés ; il est des âmes, des consciences-forces tout juste nées et d’autres qui ont une individualité déjà très formée ; des âmes qui sont dans le premier éclatement radieux de leur découverte mais qui ne savent pas grand choses en dehors de leur joie rayonnante, qui n’ont pas de souvenir précis de leur passé, même pas conscience des mondes qu’elles portent en elles.
On peut être un yogi lumineux ou un saint qui vit dans son âme et avoir un mental fruste, un vital refoulé, un physique que l’on méprise. Le « salut » est peut-être réalisé mais non la plénitude d’une vie intégrale.
A la découverte psychique doit succéder l’intégration psychique. Patiemment, lentement, après avoir découvert le royaume intérieur, il faudra coloniser et y adjoindre le royaume extérieur qui viendra s’intégrer autour de ce nouveau centre si nous voulons une réalisation terrestre.
Il faut que le psychique soit présent à nos activités extérieures et c’est alors seulement que nous pourrons commencer à parler de réincarnation et de souvenirs des vies passées, des souvenirs de moments d’âme. Nous pourrons nous souvenir d’un cadre, d’un lieu, d’un costume, d’un détail banal : ce sont les seuls instants où nous avons vécu, ou un vrai « je » a émergé en nous. En des circonstances tragiques, de même, le psychique peut émerger. On sent comme une présence derrière, qui nous fait faire des choses dont nous serions tout à fait incapables normalement.
L’évolution ne consiste pas à devenir de plus en plus saint ou de plus en plus intelligent mais de plus en plus conscient.
Malheureusement, le plus souvent, nous nous contentons « d’une vie intérieure » dit-on et dehors nous vivons n’importe comment, par habitude. C’est le contraire d’un yoga intégral. Mais, si dès le début, au lieu de rejeter toutes les activités mondaines pour nous plonger dans la seule quête de l’âme nous avons tout embrassé dans notre recherche, tous les niveaux de notre être, toute la vie, nous arriverons à une vie intégrale et intégrée, tandis que si l’on a tout exclu pour arriver à des fins dites « spirituelles » il est très difficile de revenir sur ses pas pour débrider le mental et l’universaliser.
La réalisation psychique ou découverte de l’âme n’est donc pas une fin pour le chercheur c’est le tout petit commencement seulement d’un autre voyage qui s’accomplit dans la conscience de plus en plus vaste.
Comme l’annonce Sri Aurobindo, nous aurons assez grandi pour infuser assez de conscience dans ce corps afin qu’il participe, lui aussi, à l’immortalité psychique.
Tout et toujours, est une question de conscience, pour notre vie mentale, vitale, et physique, comme pour notre sommeil et notre mort et notre immortalité. La conscience est le moyen, la conscience est la clé, la conscience est la fin.
->Sri Aurobindo ou l’aventure de la conscience – 2ième partie
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