Le gnosticisme

 

sur Compilhistoire

 

LE GNOSTICISME.
Les thèses gnostiques.

SOMMAIRE

1. La pensée gnostique 15. Les ophites ou naassènes
2. Simon le magicien – Les caïnites ou caïnistes. Évangile de Judas
3. Dosithée – Les séthiens ou séthianiens
4. Ménandre – Les pérates
5. Cérinthe – Les phibionites, koddiens, borborites ou borboriens
6. Saturnin (Satornil) 16. Tatien le Syrien et l’encratisme
7. Carpocratiens, épiphaniens et antitactes 17. Les messaliens ou massaliens
8. Adamites, adamiens ou prodiciens 18. Réfutation des thèses gnostiques
9. Basilide 19. Survivance de la vision gnostique
– Abrasax – Le manichéisme
10. Valentin – La Kabbale
11. Bardesane – L’ismaélisme
12. Les marcosiens ou marcites – L’alchimie
13. Cerdon – La théosophie
14. Marcion 20. Citations
1. LA PENSEE GNOSTIQUE


Ce mouvement religieux ésotérique, peut-être influencé par l’hermétisme hellénistique, se développa au cours des IIe et IIIe siècles après J.-C. et constitua un défi majeur pour le christianisme orthodoxe.

« La gnose (du grec gnosis = connaissance révélée) est une doctrine ésotérique, proposant à ses initiés une voie vers le salut par la connaissance de certaines vérités cachées sur Dieu, le monde et l’homme. Dans ces théories, l’homme est un être divin, qui par suite d’un événement tragique, est tombé sur terre d’où il peut se relever pour retourner à son état premier par la Révélation. Dès les temps apostoliques, l’Eglise s’opposa à la gnose pour les raisons suivantes : bien que reconnaissant le Christ comme porteur de la Révélation, elle en niait la réalité historique (docétisme) ; elle niait la création comme œuvre de Dieu lui-même et refusait l’Ancien Testament ; elle évacuait l’attente chrétienne de l’accomplissement eschatologique. » 1

Le gnosticisme se caractérise principalement par la croyance que les hommes sont des âmes divines emprisonnées dans un monde matériel créé par un dieu mauvais (le démiurge).
A ses adeptes, le gnosticisme promettait une connaissance secrète du royaume divin. Des étincelles ou graines de l’Être divin (éons) tombaient de ce royaume transcendant dans l’univers matériel, qui est tout entier la proie du mal, et étaient emprisonnées dans les corps humains. Réveillé par la connaissance, l’élément divin de l’humanité peut retourner vers ce qui est sa place normale, le royaume céleste transcendant.

La mythologie gnostique pourrait tirer son origine de spéculations de sectes juives basées en Syrie et en Palestine à la fin du Ier siècle après J.-C., qui auraient elles-mêmes été influencées par des religions dualistes perses, notamment le mazdéisme.
Fondé au IIIe siècle par le Perse Mani (ou Manès), le manichéisme est l’une des formes tardives et syncrétistes du gnosticisme.

Les gnostiques expliquaient l’origine de l’univers matériel par la chute de l’esprit dans la matière. A partir du Dieu originel inconnaissable, une série de divinités inférieures fut générée par émanation. La dernière de ces divinités, Sophia (= Sagesse), conçut le désir de connaître l’Être suprême inconnaissable. Ce désir illégitime donna le jour à un dieu mauvais et difforme, le démiurge, qui créa l’univers. Les étincelles divines qui habitent l’humanité tombèrent dans cet univers. Le Dieu suprême envoya un émissaire (Christ-Jésus) révéler aux parcelles divines leur vraie nature et les aider à retrouver leur unité perdue pour qu’elles pussent s’extraire du monde corrupteur.
Les gnostiques assimilaient le dieu du Mal au Dieu de l’Ancien Testament qu’ils interprétaient comme le récit des efforts de ce dieu pour maintenir l’humanité dans l’ignorance et le monde matériel et pour punir leurs tentatives d’appropriation de la connaissance. C’est ainsi qu’ils comprenaient l’expulsion d’Adam et Eve hors du paradis, le Déluge et la destruction de Sodome et de Gomorrhe.
Les gnostiques chrétiens refusaient d’identifier le Dieu du Nouveau Testament, père de Jésus, et le Dieu de l’Ancien Testament, et ils élaborèrent une interprétation non orthodoxe du ministère de Jésus.
Ils écrivirent des évangiles apocryphes (comme l’Evangile de Thomas, l’Evangile de Marie-Madeleine, l’Evangile de Vérité, l’Evangile de Philippe, l’Evangile de Judas) pour étayer leur thèse selon laquelle Jésus ressuscité révéla à ses disciples l’interprétation juste, gnostique, de ses enseignements : le Christ, esprit divin, habitait le corps de l’homme Jésus et ne mourut pas sur la croix mais retourna dans le royaume divin d’où il venait.
Les gnostiques rejetaient donc les souffrances et la mort expiatrices du Christ, ainsi que la résurrection du corps. Ils rejetaient aussi d’autres interprétations littérales et traditionnelles des Évangiles.

Des rites visaient à faciliter l’ascension de l’élément divin de l’âme humaine vers le royaume spirituel, le plérôme (pleroma), composé d’une succession d’éons (en grec = émanations) procédant d’un être divin primordial.
Des hymnes et des formules magiques étaient récités pour tenter d’obtenir une vision de Dieu ; d’autres formules étaient récitées au moment de la mort pour chasser les démons, de crainte qu’ils ne capturent l’esprit pendant son ascension et ne l’emprisonnent à nouveau dans un corps.

La doctrine selon laquelle le corps et le monde matériel sont mauvais amena certaines sectes à renoncer au mariage et à la procréation. D’autres gnostiques prétendaient que du fait que leur âme était totalement aliénée à ce monde, peu importait ce qu’ils faisaient.

Les gnostiques rejetaient généralement les commandements moraux de l’Ancien Testament qu’ils considéraient comme faisant partie de la stratégie du mauvais dieu pour prendre l’humanité au piège.

Certaines sectes gnostiques refusaient tous les sacrements, tandis que d’autres observaient le baptême et l’eucharistie, qu’elles interprétaient comme les signes de l’éveil de la gnose.

Les borborites, borboriens, koddiens, phibioniens ou phibionites, faisaient consister leur philosophie dans une débauche effrayante.
Les barbéliotes (ou barbélites) donnaient une place importante à une figure mythique, Barbélo, la mère du mauvais Créateur de ce monde.

Voir la liste des hérétiques établie par Augustin d’Hippone.

2. SIMON LE MAGICIEN


La littérature pseudo-clémentine, attribuée à Clément Ier (pape de 92 à 101 ?), résume la doctrine que Simon le mage prétendait démontrer par les Écritures : le Dieu suprême est un dieu autre que celui qui a créé le ciel et la terre ; il est inconnu et ineffable et il pourrait être appelé le Dieu des dieux.
Irénée (vers 180) et Hippolyte (vers 200) font de Simon le magicien ou Simon de Samarie le père du gnosticisme et le fondateur d’une secte gnostique, mais on peut se demander s’il s’agit du même personnage.
Simon le Mage ou le Magicien, né en Samarie, est contemporain de Jésus.
Son maître intellectuel est Philon d’Alexandrie, mais il ajoute à sa doctrine des pratiques de théurgie qui doivent exercer plus de prestige que des idées sur l’esprit grossier des Samaritains, auprès desquels il acquiert une grande influence ; il se fait appeler la Vertu de Dieu ou la Grande Vertu. Cependant, le bruit des miracles accomplis par les apôtres intrigue le philosophe samaritain. Il se dit que ces gens doivent être plus habiles que lui et possèdent sans doute des secrets qu’ils pourraient lui transmettre. Converti par la prédication de Philippe, il reçoit le baptême.
Les apôtres étant venus à Samarie, Simon se rend auprès d’eux, et ne comprenant pas comment ils font descendre le Saint-Esprit sur les convertis en leur imposant les mains, il leur offre une somme d’argent pour le savoir.
Pierre lui lance : « Périsse ton argent et toi avec lui ! » ; puis, il lui demande de se repentir (Actes 8, 9-24). Depuis, le terme SIMONIE désigne l’achat de charges ecclésiastiques et le trafic de biens spirituels ou d’objets sacrés.
Simon, qui ne s’est fait chrétien que dans l’intérêt de son art, reprend son ancien état de magicien et se met, comme les apôtres, à faire des prosélytes.
Il va s’établir à Tyr, où il achète, dit Tertullien, une courtisane avec le même argent qu’il voulait consacrer à l’achat du Saint-Esprit. Cette femme, instrument de ses désordres, continue Tertullien, est un apôtre sui generis, qui réussit à recruter un grand nombre de néophytes. Elle s’appelle Hélène et Simon la présente comme une nouvelle incarnation de l’épouse de Ménélas, celle qui causa la ruine de Troie. Il la fait aussi passer pour Minerve ou pour la mère du Saint-Esprit.
Selon Justin (1ère Apol., 26; 56), Simon se rend à Rome, au temps de Claude (41), et il y obtient un succès inouï. Les plus grands personnages du temps sont éblouis par ses prestiges. S’il faut en croire plusieurs Pères de l’Église, on leur élève, à lui et à sa courtisane Hélène, des statues dans l’île du Tibre.
Simon meurt en l’an 64, d’une chute faite en voulant s’élever dans les airs sur un char de feu, afin de contrefaire l’ascension de Jésus-Christ (Arnobe dit seulement qu’il se cassa la jambe, mais que de honte il se tua en se jetant par la fenêtre de la maison qu’il habitait).
Les Actes de Pierre (apocryphe du IIe siècle) racontent qu’après le départ de Paul de Rome pour l’Espagne, Simon le Magicien arrive à Rome et trouble les chrétiens par ses miracles. À Jérusalem, le Christ apparaît à Pierre et lui apprend que la communauté romaine a succombé au charme de Simon. Pierre se rend en toute hâte à Rome.
Il reconquiert les fidèles par un grand concours de miracles où Simon et lui rivalisent d’originalité. La lutte suprême a lieu sur le Forum d’où Simon s’envole vers le ciel ; mais il en retombe et meurt. C’est le triomphe pour Pierre : beaucoup de païens viennent à lui ; c’est aussi sa perte, car le préfet de Rome le fait mettre à mort.
Si, pour les Actes de Pierre et pour Épiphane, Simon meurt en tombant du haut des airs, à Rome (scène figurée sur l’un des plus beaux chapiteaux de la cathédrale d’Autun), pour Hippolyte, il se fait enterrer, ailleurs qu’à Rome, dans une fosse, en prétendant ressusciter le troisième jour : ce qui ne se produit pas…

Voici, d’après Nicéphore Calliste (+ vers 1350), quels sont les prodiges opérés par Simon : « Simon le Magicien, avec l’aide des démons, faisait un grand nombre de choses surprenantes. Car il faisait en sorte que les statues se mouvaient d’elles-mêmes, et dans les appartements les vases et différents objets se transportaient d’un lieu dans un autre, et lui-même, entouré de flammes, ne brûlait pas. Il volait dans l’air. En trompant les hommes, il faisait des pains avec des pierres. Il prenait la forme d’un dragon et de plusieurs espèces d’animaux. On le voyait, avec deux visages ; quelquefois il se transformait tout en or. D’un mot il ouvrait les portes bien fermées et munies de serrures et de verrous. Il brisait des chaînes en fer. Dans les festins, il faisait paraître des simulacres de différentes formes. II se faisait précéder par plusieurs ombres qu’il disait être les âmes de personnes mortes depuis longtemps. Non seulement il se transformait lui-même comme il voulait, mais il changeait aussi les autres en différentes formes d’animaux. Quelques-uns de ceux qui le prenaient pour un bouffon ayant voulu le tromper, sous le prétexte d’une fausse amitié, il les invita à un banquet et les livra à des démons cruels, et leur infligea toutes sortes de maladies incurables. » 2
« Ce récit est d’autant plus remarquable, que nous trouvons les mêmes faits rapportés dans les lettres de plusieurs missionnaires, qui assurent que ces prodiges s’opèrent encore aujourd’hui dans les pays infidèles, notamment à Siam, en Chine et en Amérique… Le phénomène des Tables tournantes et parlantes est venu nous prouver qu’en fait de superstitions nous pouvons être comparés à ces peuples. Ce sont, du reste, les mêmes pratiques que Tertullien reprochait aux païens de son temps ; car les Romains évoquaient les morts par des prestiges rotatoires et ils prédisaient l’avenir par le moyen des chèvres et des tables (Tertullien mit en garde ceux qui pratiquaient la nécromancie car les démons les trompaient en se faisant passer pour les esprits des morts invoqués). Simon menait avec lui une femme nommée Hélène, qu’il avait achetée à Tyr, et qu’il disait être la célèbre Hélène qui avait été la cause de la guerre de Troie, et qui était passée successivement dans le corps de plusieurs femmes : cette femme l’aidait sans doute aussi à opérer ses prodiges, comme cela arrive chez plusieurs de nos prestidigitateurs. Simon, tout mauvais qu’il était, était chrétien. Il est digne de remarque que les païens qui faisaient mourir les chrétiens, adorèrent Simon comme un dieu et lui élevèrent une statue dans l’Ile du Tibre : ils adoraient Simon, sous la forme de Jupiter, et son Hélène, sous celle de Minerve. » 3

Simon est l’auteur de quelques écrits, entre autres de plusieurs discours qu’il intitule Contradictoires, parce qu’il y contredit l’Evangile.
Simon, pour le fond de sa doctrine, est platonicien ; il joint à ce fond les pratiques de la théurgie asiatique la plus extravagante.
« C’est, disait-il, par ma grâce (il se disait Dieu) et non par leur mérite que les hommes sont sauvés. Pour l’être, il suffit de croire en moi et en Hélène ; c’est pourquoi je ne veux pas que mes disciples répandent leur sang pour propager ma doctrine. »
Il y a si peu d’accord entre les actions et les idées philosophiques de Simon le Magicien que plusieurs chercheurs ont pensé qu’il y a eu deux personnages nommés Simon : l’un magicien et apostat dont les Actes des apôtres font mention, l’autre hérétique gnostique, fondateur d’une secte qui se perpétua jusqu’au IVe siècle.

Les Homélies et les Recognitions, apocryphes faussement attribués au pape Clément Ier, contiennent des instructions aux chrétiens, l’apologie de certaines vertus, et des polémiques contre des thèses gnostiques ou païennes.
Les Homélies sont une source d’informations intéressantes sur certaines hérésies des premiers siècles de l’Église. Elles résument la doctrine de Simon le Mage : il prétendait démontrer par les Écritures que le Dieu suprême est un dieu autre que celui qui a créé le ciel et la terre; qu’il est inconnu et ineffable et pourrait être appelé le Dieu des dieux.
Le portrait de Simon le Mage, qu’on trouve dans les Recognitions, constituera le modèle à partir duquel le mythe de Faust sera élaboré.


3. DOSITHEE 12


Au Ier siècle, Dosithée ou Dositheos (= don de Dieu en grec) est un chef religieux samaritain, fondateur d’une secte samaritaine, que les hérésiologues chrétiens classent parmi les gnostiques.
Dans les Homélies pseudo-clémentines (Homélies II), il est présenté comme un disciple de Jean le Baptiste aux côtés de Simon le Mage. Dans la littérature pseudo-clémentine, Dosithée apparaît comme le rival de Simon le magicien. Certains auteurs estiment qu’il est l’un des fondateurs du mandéisme, existant encore marginalement aujourd’hui en Irak et en Syrie.
Dosithée s’applique à lui-même les prophéties d’annonce d’un Messie, comme le faisait Jésus, son contemporain. Il observe la circoncision, jeûne et recommande la virginité.
Poursuivi par les Juifs, il se serait retiré dans une caverne, où il se serait laissé mourir de faim.
Selon les auteurs catholiques, des groupements se réclamaient encore de lui au IVe siècle.
Un texte gnostique retrouvé à Nag Hammadi, les Trois stèles de Seth, est attribué à Dosithée.


4. MENANDRE


Ménandre, Samaritain de naissance et magicien du premier siècle de notre ère, appartient à l’école des Simoniens : il  veut jouer au messie comme Simon dont il est le disciple, et comme plus tard Apollonius de Tyane. Il ne reconnaît pas, bien entendu, Jésus-Christ pour tel.
Simon le Magicien se fait appeler la Grande Vertu ; Ménandre soutient que la Grande Vertu est encore inconnue, et que lui, Ménandre, est seul chargé de la révéler aux hommes.
Les ménandriens sont les sectateurs des doctrines de Ménandre.
Ils croient que l’Intelligence supérieure (Ennoïa) forma tout le monde intelligible et tout le monde sensible par voie d’émanations successives de génies de moins en moins purs à mesure qu’ils s’éloignaient de l’Être absolu. Ce sont ces génies que Valentin et les autres gnostiques appelleront plus tard des éons.
Un assez grand nombre de Samaritains et de gens des pays voisins acceptent cette croyance. Ces doctrines seront amalgamées plus tard au christianisme par les gnostiques.
Ménandre administre le baptême en son propre nom ; il le qualifie de résurrection et lui attribue la propriété de donner une jeunesse perpétuelle et l’immortalité.
Comme plusieurs sectes gnostiques, comme les derniers néoplatoniciens, les ménandriens se livrent à la magie, et pensent, comme nos spirites, pouvoir converser avec les esprits.
Justin, martyr au milieu du IIe siècle, se plaint qu’il se trouve des ménandriens à Antioche, tel Saturnin (ou Sartornil).


5. CERINTHE


En 88, Cérinthe, maître gnostique, qui a étudié la philosophie à Alexandrie où il serait né de parents juifs, parcourt la Palestine avant de se rendre en Syrie et en Asie mineure.
Il professe le millénarisme : il est le premier auteur de la doctrine du règne de mille ans qui sera embrassée par tant de Pères de l’Église. Le millénarisme chrétien est la croyance au retour du Christ sur terre ou parousie (du grec parousia = arrivée) pour un règne de 1 000 ans avant le combat final contre ses adversaires suivi de Son Règne Eternel dans le ciel.
Il ne reconnaît que l’Évangile de Mathieu.
Il enseigne que le monde n’a pas été créé par le Dieu suprême mais par une autre puissance (ou force ou vertu) créatrice ; que le Dieu des Hébreux n’était pas le Seigneur, mais un ange ; que Jésus n’était qu’un homme, né de Joseph et de Marie ; que l’Esprit descendit sur lui lors du baptême dans le Jourdain mais le quitta avant la Passion.
Les Cérinthiens sont circoncis, respectent le sabbat et les prescriptions du Lévitique.
On dit que Paul et Cérinthe eurent de violentes disputes.
Cérinthe fut violemment combattue par l’Apôtre Jean.
Irénée (+ 202) considère les nicolaïtes (de Nicolas, cité par les Actes des Apôtres VI 5, l’un des sept premiers diacres de l’Église de Jérusalem, qui eut, au Ier siècle, des pratiques contraires à la morale et des opinions théologiques proches du gnosticisme) comme les prédécesseurs de Cérinthe.
Epiphane (+ 403) assure que Cérinthe fut le chef du parti qui s’éleva à Jérusalem contre Pierre, parce que ce dernier avait communiqué avec les Gentils.


6. SATORNIL (SATURNIN)


Disciple de Ménandre, Saturnin (Satornil) d’Antioche est moins éloigné que Simon le Mage du christianisme traditionnel.
Il paraît néanmoins s’être également inspiré de la cabale judaïque et des principes de Zoroastre.
Dieu est pour lui le père inconnu. Les ministres de Dieu ne sont, d’ailleurs, que des puissances pures ou, si l’on veut, des facultés ; ces puissances s’affaiblissent à mesure qu’elles s’éloignent de leur principe.
Il admet l’existence du monde pur ou spirituel et celle du monde des ténèbres ou matériel.
Au seuil du monde pur, 7 puissances (peut-être les Élohim de la Genèse) ont créé notre univers et s’en sont partagé le gouvernement. L’homme est leur œuvre ; mais après avoir fait le corps, ils n’ont pu en créer l’âme, et il fallut que le Dieu suprême envoyât, en qualité d’âme, dans le corps de l’homme, une étincelle émanée de la Lumière éternelle.
L’âme doit un jour retourner à son principe ; en attendant, elle s’est souillée au contact du corps au point d’être incapable désormais de se délivrer elle-même ; d’où la nécessité d’un sauveur. Le Père inconnu envoya sa puissance suprême: Jésus-Christ. Celui-ci enseigna aux hommes comment ils devaient vivre pour que leur âme retournât un jour à son principe.
Il eut pour disciples Basilide et Cerdon.


7. CARPOCRATIENS, EPIPHANIENS et ANTITACTES


C’est en Égypte que se déploie l’activité de l’alexandrin Carpocrate (+ 138) et de son fils Épiphane.
On ne connaît pratiquement rien de Carpocrate, fondateur de la secte gnostique des carpocratiens.
Les documents anciens rapportent qu’il avait pour femme une certaine Alexandrie, de qui il eut un fils, Épiphane, mort à 17 ans après avoir composé un traité, Sur la justice, où il professe le communisme des biens et des femmes, et dont un long passage a été cité par Clément d’Alexandrie.
Une disciple de Carpocrate, Marcellina, vient à Rome sous le pontificat d’Anicet (157-166).
Le monde, selon les carpocratiens, est l’œuvre d’anges inférieurs au Père inengendré. Les hommes sont, dans ce monde, assujettis aux lois de ces créateurs et doivent remonter vers le Père.
Jésus, fils de Joseph, est pour ces gnostiques non pas un Sauveur, mais l’idéal de l’homme juste, qui a gardé vivant en lui le souvenir du Père inengendré et qui est remonté vers lui par le mépris des créateurs du monde et le dédain de leurs lois.
Les carpocratiens mettent ce Jésus aux côtés de Pythagore, de Platon et d’Aristote, dont ils honorent les images.
Les gnostiques sont appelés à remonter vers le Père et doivent, pour cela, marquer leur mépris pour les créateurs du monde en accomplissant tous les actes réprouvés par les lois injustes de ce monde.
Epiphane met l’accent sur le détournement du désir humain opéré par les lois injustes des créateurs du monde qui ont introduit l’appropriation et la séparation là où la Loi fondamentale de Dieu exige la communauté des biens et des femmes. Il s’agit moins d’une incitation au libertinage que d’une véritable ascèse systématique visant à nier la puissance contraignante des lois. Cette exigence est telle que l’âme qui ne parvient pas à tout accomplir dans une seule vie devra se réincarner (doctrine de la transmigration des âmes).
Une subdivision de la secte des épiphaniens, les antitactes, prêche la destruction totale de la société, qu’elle regarde comme un déshonneur pour le genre humain.
Les carpocratiens présentent une certaine analogie avec les simoniens, à la fois par le culte rendu au fondateur de la secte et par la pratique de la magie.
Les épiphaniens veulent mettre en pratique l’enseignement de Platon dans sa République sur la communauté des biens et celle des femmes.


8. ADAMITES, ADAMIENS OU PRODICIENS


Les termes adamites ou adamiens désignent divers hérétiques. C’est d’abord le surnom des prodiciens de la secte fondée par Prodicus (Prodique), disciple de Carpocrate.
Soucieux d’imiter Adam avant la chute et convaincus que les vêtements dont l’homme s’affuble détruisent en lui l’état de nature, les adamites vont complètement nus et c’est dans cet état qu’ils prient et célèbrent.
Une des particularités des prodiciens est la communauté des femmes. Certains adeptes se glorifient de vivre dans la virginité prenant le titre de continents. Les adamites rejettent le mariage car il n’eut jamais existé si Adam n’avait pas péché. Ils refusent la prière, le martyr, et semblent pratiquer la magie selon les rites de Zoroastre. 10
Ils sont mentionnés par Épiphane, Clément d’Alexandrie, Augustin et Théodoret.
Le même mot, adamites, désignera plus tard, aux XIIe et XIIIe siècles, des hérétiques du Dauphiné et de la Savoie, puis, au XVIe siècle, les Pikarti ou Picards de Bohême (mouvement hussite).
Le 4 juillet 1372, le pape Grégoire XI excommunie, pour hérésie, le mouvement des turlupins (surnom donné aux adeptes du Libre-Esprit) ; Jeanne Daubenton, membre très active des turlupins est brûlée vive, à Paris, en place de grève ; les turlupins étaient les héritiers des adamistes qui prêchaient un dénuement complet, associé à une totale nudité.


9. BASILIDE


À Alexandrie, entre 110 et 130, Basilide (+ 140) professe une doctrine qui comporte des éléments philosophiques très importants et très curieux. Son enseignement est secret et ne se communique aux adeptes qu’après de longues épreuves.
Clément d’Alexandrie reproche aux partisans de Basilide de croire que nous sommes tirés comme des marionnettes par des forces naturelles, en sorte qu’il n’y a plus ni volontaire ni involontaire (Stromates, II, III, 12, 1).
Selon le même Clément (Stromates, IV, 12), Basilide dit : « Tout ce qu’on voudra plutôt que de mettre le mal sur le compte de la Providence ». En effet, Basilide n’admet pas un second principe, celui du mal : il reste foncièrement moniste à la différence des autres gnostiques.
Basilide est natif de Syrie, et a, sans doute, été élevé dans les idées gnostiques de cette contrée. Élève à Antioche de Ménandre, iI va ensuite étudier à Alexandrie, où l’attrait des grandes études, dont cette ville est la métropole, le fixe définitivement (131).
Son enseignement est secret et ne se communique aux adeptes qu’après de longues épreuves. Basilide le résume dans un ouvrage en 24 livres intitulé Exégétique.
Les traditions sur lesquelles il se fonde pour dogmatiser sont réunies dans un livre qu’on ne possède plus, ayant pour titre : Prophéties de Cham et de Barchir, dont on suppose qu’il est l’auteur.
II s’autorise aussi d’une Épître de Pierre (apocryphe) et d’une tradition secrète que Pierre aurait transmise par voie orale.
Basilide n’aime pas Paul, dont il rejette presque toutes les doctrines.
Selon lui, le père inconnu du gnosticisme syriaque s’est manifesté dans 52 déploiements d’attributs ; chaque déploiement se composait de 7 éons, ce qui a fait croire à plusieurs que sa hiérarchie était fondée sur la division de l’année en 52 semaines de 7 jours comprenant une série de 364 éons, nombre des jours de l’année.
La secte des basilidiens, dirigée, après lui, par son fils, Isidore, connaît une large diffusion puis s’éteint au Ve siècle.

Abrasax

Abrasax, appelé aussi Abracax ou encore Abraxas, du nom duquel on a tiré la célèbre formule abracadabra, est mentionné dans la liste des principaux démons établie par l’Église lors du concile de Braga (561-563).
Abrasax, roi d’une partie de l’enfer et marquis, commande 30 légions. Il est représenté par une étoile à 5 branches. Il apparaît avec une tête de coq, des pieds de dragon et un fouet à la main. Il porte de courts cheveux bruns bouclés et a la peau claire ; ses ailes noires sont rayées de rouge. Il apparaît aussi en roi (il porte une couronne) anguipède (= aux pieds en forme de serpents). Il connaît les propriétés des plantes et des pierres précieuses et donne des familiers sous forme d’oiseaux.
Les basilidiens voient en lui leur divinité suprême IAO, écrit IAW (iota, alpha, omega), qui, selon certains, est une déformation du nom de Yahvé, le dieu de l’Ancien testament. Trouvant que la somme des 7 lettres grecques d’Abraxas donne le nombre 365, qui est celui des jours de l’année, ils placent sous ses ordres plusieurs génies qui président aux 365 cieux, et auxquels ils attribuent 365 vertus, une pour chaque jour.
Son nom est généralement gravé en caractère grec sur des pierres fines, dites basilidiennes, dont certaines sectes gnostiques se servent en guise d’amulettes.
Abrasax est représenté sur ces amulettes avec une tête de coq, des pieds de dragon et un fouet à la main. Il apparaît aussi en roi (il porte une couronne) anguipède.
La formule abracadabra viendrait de l’hébreu abreg ad hâbra (= Envoie ta foudre jusqu’à la mort).
Elle est disposée en triangle renversé, le nom s’écrivant en diminuant d’une lettre à chaque ligne, selon Serenus Samonicus, médecin du IIe siècle.
Au Moyen Age, ce pantacle, porté autour du cou, est censé guérir les maladies, notamment la fièvre, protéger des sorts et éloigner le mauvais oeil. La formule aurait aussi servi de mot de passe pour rencontrer le diable….
Gerbert d’Aurillac (pape en 999 sous le nom de Sylvestre II), Avicenne (980-1037), Albert le Grand (1200-1280) et Thomas d’Aquin (1225-1274) s’intéressent aux gemmes gnostiques….
Les alchimistes trouvent des rapports entre les gemmes, les métaux et les planètes.
Selon Jérôme de Stridon, Abraxas correspondrait au nombre mystique et caché de Mithra dont la somme des lettres, en grec, donne aussi 365.
L’Ordre du Temple utilise les Abraxas : ils portent l’inscription SECRETUM TEMPLI. L’emploi de l’Abraxas n’est nullement l’apanage des seuls Templiers : son utilisation est constante durant tout le Moyen Age et répandue au sein des corporations, notamment celles des maîtres maçons et des tailleurs de pierres, de la bourgeoisie et de la noblesse. 4
« Les pierres d’abraxas (ou pierres abraxoïdes) se nomment aussi pierres basilidiennes, parce que la secte gnostique des basilidiens parait surtout en avoir fait usage. On a donné du mot abraxas plusieurs explications ; on le fit venir du persan, de l’hébreu, du grec, du cophte. Des auteurs n’y ont vu qu’une réunion de lettres numériques donnant le nombre 365, nombre sacré. Pour les gnostiques, auxquels il rappelait l’ensemble des manifestations émanées du Dieu suprême, les pierres d’abraxas portent, outre le mot abraxas, diverses figures fantastiques, têtes de lion, de coq, d’éléphant, de serpent, etc. Quelques-unes présentent les deux lettres a et o, ou le mot iao, qui désigne la divinité de la religion panthéiste d’Alexandrie. Les pierres d’abraxas sont nombreuses dans les cabinets d’antiques en Europe ; elles proviennent, dit-on, de la Syrie, de l’Egypte et de l’Espagne. Il est probable qu’un grand nombre de ces pierres furent fabriquées au moyen âge pour servir de talismans ou pour être employées dans les opérations, de magie et d’alchimie. » 5
« Spon (Jacob, ndlr) décrit une espèce d’abraxas au revers duquel on voit les sept voyelles combinées de sept façons différentes (…) Sur plusieurs abraxas se trouvent des figures égyptiennes. » (Barthélemy)
« Il est infiniment probable que les abraxas ont servi d’amulettes ou de talismans comme les cylindres persépolitains. » (A. Maury)


Abraxas, Nordisk familjebok
10. VALENTIN


Valentin (Valentinius), le fondateur de la seconde école égyptienne du gnosticisme, est qualifié de platonicien par Tertullien. On ignore s’il a été élevé dans le sein du christianisme ou de l’ancien culte polythéiste. On le voit succéder à Basilide dès l’an 136, comme représentant des mêmes idées. Ses livres, notamment ses Homélies, ses Épîtres, un Traité de la sagesse, le font accepter pour chef par les gnostiques d’Alexandrie.
Il est le premier des philosophes de la secte qui considère comme inspirés par le même Dieu l’Ancien et le Nouveau Testament ; mais, au fond, il n’admet les écrits traditionnels du judaïsme et du christianisme qu’extérieurement. D’après lui, l’Être suprême est demeuré durant une longue série de siècles dans un repos absolu. Le premier signe de son activité, ou son premier déploiement est la manifestation de sa pensée. Ce déploiement est suivi de plusieurs autres. Un rite mortuaire spécial, appelé chambre nuptiale, célèbre la réunion de l’esprit égaré et de son double céleste.
Valentin a étudié à Alexandrie et brigué sans succès l’épiscopat ; irrité de son échec, il entreprend de former une nouvelle secte. Mêlant la doctrine des idées de Platon et celle des nombres de Pythagore à la théogonie d’Hésiode et à l’Evangile de Jean, le seul qu’il considère comme authentique, il forme un système qui se rapproche de celui des gnostiques. Valentin prétend avoir reçu ses doctrines d’un disciple de Paul. Il a bientôt en Égypte un grand nombre de partisans. Entre 135 et 160, Valentin enseigne à Rome où la liberté de penser est beaucoup moins grande qu’en Égypte, et où d’ailleurs l’orthodoxie chrétienne, qui est en force, s’oppose énergiquement à ses efforts, puis s’exile à Chypre où, d’après saint Épiphane, il revient à la foi catholique avant de mourir (selon Tertullien, il fut candidat pour être évêque de Rome en 143 ; ses conceptions ésotériques le firent excommunier). Pendant son absence, ses disciples d’Alexandrie se divisent en un grand nombre de sectes. Celle des marcosiens s’adresse particulièrement aux femmes et prend en Égypte, un ascendant qui durera plusieurs siècles.
Quand Valentin le Pieux meurt en 161, sa doctrine compte des adhérents dans la plupart des provinces de l’Orient.


11. BARDESANE


Bardesane (Bar-Daïsan) d’Edesse (154-222), a été d’abord un chrétien d’une orthodoxie sévère, et ennemi de Saturnin et de Marcion. Il connaît à fond les mythes de la Grèce et de l’Orient comme la philosophie de Platon. Il possède un talent littéraire remarquable. Plusieurs églises d’Asie sont fières de lui et admettent longtemps ses hymnes dans leur liturgie. Il est amené peu à peu, et par une sorte de travail intérieur, à professer les doctrines de ses anciens adversaires : il aurait adhéré à la secte gnostique de Valentin, mais ce qu’on connaît de sa pensée n’est pas gnostique. Éphrem lui reproche essentiellement de s’intéresser trop à l’astrologie et de nier la résurrection des corps. En tout cas il fut lui-même à l’origine d’une nouvelle secte appelée les bardesanites, qui dura plusieurs siècles. Il conserve le respect de la lettre dans les écrits bibliques.
C’est lui qui découvre dans le Zend-Avesta, le père inconnu à côté duquel il place la matière éternelle ingouvernable et mauvaise d’où est né Satan. Le Père inconnu enfanta de sa compagne, c’est-à-dire de sa pensée, un fils qui fut Jésus-Christ, qui eut à son tour une compagne, qui est le Saint-Esprit. Du Christ et du Saint-Esprit naquirent 2 paires d’éons, la terre et l’eau, le feu et l’air. Les éons, de concert avec le Christ et sa compagne, créèrent de nouveau 3 paires d’éons ou syzygies, ce qui fait 7 paires d’éons. Une nouvelle série de 7 paires d’éons pourvut au gouvernement du soleil, de la lune et des 5 planètes alors connues. Puis 12 génies, préposés aux 12 constellations dont se compose le zodiaque, et 36 esprits sidéraux ou doyens chargés de gouverner les autres constellations, complétèrent la hiérarchie imaginée par le fécond auteur.
La compagne du Christ (Pneuma ou Sophia achamoth) conçut pour la matière un amour déshonnête et s’abandonna à une débauche sans frein (toute symbolique). Enfin elle reconnut ses fautes et rentra dans le plérome, c’est-à-dire au sein de la perfection céleste. Par erreurs de la compagne du Christ, Bardesane veut parler des égarements sans nombre auxquels entraîne la pensée libre.


12. LES MARCOSIENS OU MARCITES


Le système des marcosiens n’est autre que celui de Valentin, revu et augmenté par son disciple Marc (Marcos) le Mage qui substitue à la Trinité une Quaternité en admettant en Dieu l’Ineffable, le Silence, le Père, la Vérité.
Les marcosiens ou marcites qui se nomment les parfaits, font profession de faire tout avec une entière liberté, et sans aucune crainte. Ils ont hérité cette doctrine de Simon le Magicien, qui ne fut pourtant pas leur chef ; car ils sont nommés marcites d’un hérésiarque appelé Marcus ou Marcos, qui confère le sacerdoce et attribue l’administration des sacrements aux femmes. (Encyclopédie de Diderot)
Tandis que les valentiniens expliquent la création par l’émanation de couples (ou syzygies) d’éons procédant successivement du principe premier, les marcosiens, se basant sur ce que la Bible dit que Dieu a créé le monde par sa parole, attribuent à la parole même de Dieu, aux mots dont il s’est servi, une faculté créatrice.
Irénée de Lyon (+208) nous expose longuement ce système dans son livre Contre les hérétiques. Il nous apprend que les marcosiens, voyant la traduction grecque de la Genèse commencer par les mots En archê (= Au commencement), concluent que ces mots sont le principe premier de toutes choses ; et comme les 24 lettres de l’alphabet sont aussi les signes des nombres, ils établissent, sur la combinaison des lettres de chaque mot et des nombres qu’elles désignent, le système de leurs éons et des opérations de ces éons.
Irénée prétend qu’ils admettent 30 éons ; mais il est plus rationnel de croire d’autres écrivains qui ne leur attribuent que la fabrication de 24 éons, en raison des 24 lettres de l’alphabet grec. Les marcosiens tirent la confirmation de leur croyance du livre de l’Apocalypse où Jésus est représenté disant : « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin », et sur quelques autres passages qu’ils travestissaient à plaisir.
De ce pouvoir merveilleux attribué à certains mots, les marcosiens déduisent la possibilité d’entrer, par la connaissance de ces mots, en communication avec les esprits, de diriger leurs opérations, de partager leur puissance et de faire des miracles avec leur aide.
Le gnosticisme s’allie donc chez eux, comme chez les derniers néoplatoniciens, à la magie basée sur des rêveries arithmétiques analogues à celles autrefois forgées par les pythagoriciens.
A la théorie, les marcosiens doivent joindre la pratique ; il leur faut des miracles, ils en font. Marc, par exemple, aurait changé le vin de la communion en sang.
Les Pères de l’Église, fort injustes envers leurs adversaires, font des hérétiques marcosiens le plus hideux portrait, les accusant notamment de pratiquer la magie. Quant aux orgies qu’Irénée reproche aux marcosiens, elles paraissent d’autant plus invraisemblables que les gnostiques ont constamment affiché une austérité de mœurs excessive et une abstinence farouche.
Les marcosiens ont certains livres religieux particuliers ; ils admettent tout l’Ancien Testament et quelques parties du Nouveau. Ils donnent le baptême avec de l’eau mêlée d’huile et de baume.
Irénée de Lyon nous dit que cette secte est très répandue en Gaule, surtout sur les bords du Rhône dans la région de Lyon.


Irénée, évêque de Lyon

 


13. CERDON


C’est sous le pontificat d’Hygin (v. 136-142) que Cerdon, philosophe et hérésiarque, vient à Rome prêcher sa doctrine et ouvrir une école. Il eut Marcion pour disciple.
Epiphane traite Cerdon comme le dernier des hommes : il nous le représente comme un vil imposteur qui serait allé à Rome en mendiant, et se serait fait chasser de la communion chrétienne pour sa honteuse conduite.
Irénée, son contemporain, qui, par conséquent, devait être mieux informé qu’Epiphane, en parle tout autrement : il en fait un philosophe qui, en embrassant le christianisme, ne renonce pas entièrement aux traditions de la théogonie orientale et s’en sert même pour résoudre des problèmes auxquels les Évangiles ne donnent pas de solution, l’origine du mal, par exemple.
Irénée nous dit que Cerdon établit une différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament : le premier est l’œuvre du Dieu juste et inconnu, et le second l’œuvre du Dieu bon et connu. Il existe deux principes des choses, l’un avec l’attribut de la justice, et l’autre avec l’attribut de la bonté.
Selon Épiphane, Cerdon adopte d’abord le système philosophique de Simon et de Saturnin. Comme la plupart des gnostiques, il suppose au sommet de l’être un Dieu suprême, produisant par voie d’émanation les esprits d’abord, et ensuite les corps et le monde matériel. Mais, ne pouvant concilier l’existence du mal avec l’idée d’une substance unique donnée pour cause à l’univers, il renonce au système des émanations qui attribue tout, bien et mal, à l’Être suprême, et suppose l’existence d’un mauvais principe, égal en puissance au bon, et qui aurait contribué de moitié à l’œuvre de la création. Il fait remonter au bon principe tout ce qui lui paraît bon, et au mauvais principe tout ce qui lui semble mauvais : du premier émane le monde spirituel tout entier, et du second descend la matière, cause des maux qui affligent la terre.
La loi judaïque, qui est un ensemble de pratiques grossières, superstitieuses et cruelles, ne peut procéder que d’un être méchant qui ordonne aux Israélites de déclarer la guerre aux nations de la Palestine et de les exterminer.
Le Nouveau Testament, au contraire, émane du bon principe, car on n’y trouve ni les pratiques, ni les maximes, ni les atrocités dont l’Ancien Testament fait l’éloge : tout y respire la bienfaisance, la douceur, la miséricorde. C’est pourquoi Cerdon regarde le Christ comme un ministre du bon principe, un éon chargé de le révéler aux hommes. Jésus est venu dans le monde sous l’apparence humaine, mais non en chair, car, pour Cerdon, la chair ne peut ressusciter.
Augustin d’Hippone voit en lui un précurseur des manichéens.

14. MARCION


Marcion du Pont ou de Sinope (vers 85-vers 160), fils de l’évêque de Sinope, commence par embrasser la vie monastique. Son savoir, ses vertus et sa continence le font élever au sacerdoce.
Plus tard, accusé d’avoir séduit une vierge (c’est-à-dire une jeune chrétienne vouée au célibat), Marcion est excommunié par son père et chassé de Sinope.br>Réfugié à Rome en 140, il parvient à rentrer dans l’Église, mais il en est exclu de nouveau pour hérésie. Marcion, chassé de la ville en 144, fonde alors sa propre communauté.
Marcion (+ vers 160), philosophe stoïcien autant que gnostique (influencé par Cerdon), rejette l’Ancien Testament et presque tout le Nouveau Testament, y compris la Nativité et la Résurrection, et se fonde entièrement sur les Épîtres de Paul et sur une version modifiée de l’Evangile selon Luc.
Il croit à l’éternité de la matière et défend la doctrine gnostique des deux principes, en affirmant l’existence de 2 dieux : le Dieu de la Loi, Dieu tyrannique et jaloux, le Démiurge, le Créateur évoqué dans l’Ancien Testament, et le Dieu Etranger, Dieu du Salut, Dieu de l’évangile, bon et infiniment supérieur, révélé par Jésus-Christ.
L’origine du mal a toujours fait le désespoir des Pères : les marcionites l’expliquent comme tous les gnostiques par la matière éternelle et par son chef, le mal, de même qu’ils expliquent la facilité de l’homme à pécher par son imperfection résultant de celle de son créateur : le Démiurge.
Marcion objecte : « Si Dieu est bon et s’il sait tout, s’il est en outre tout-puissant, comment se fait-il qu’il ait souffert que l’homme, son image et sa ressemblance, se soit laissé séduire par le diable et ait mérité la mort en transgressant sa loi ? S’il est bon, il a dû vouloir l’en empêcher ; s’il connaît l’avenir, il n’a pu ignorer que cela arriverait ; s’il est tout-puissant, il a pu l’arrêter à temps. Comment est-il donc arrivé ce qui ne pouvait arriver si Dieu est tout bon, omniscient et tout-puissant ? »
Marcion a pour adversaires Tertullien, Origène et Basile. Tertullien, qui a beaucoup écrit contre Marcion et les marcionites, affirme qu’ils sont les plus dangereux des gnostiques.
Les marcionites se distinguent par leur célibat et leurs pratiques ascétiques. Ils laissent dans les rangs des catéchumènes ceux qui ne se sentent pas en état de garder la plus rigoureuse continence. Ils célèbrent les sacrements du baptême et de l’eucharistie, toutefois sans utiliser de vin pour ce dernier. Ils rejettent les mystères et permettent aux femmes de baptiser.
Marcion, doué d’une grande éloquence, a de son vivant une école nombreuse.
Les églises d’obédience marcionite fleurissent rapidement et viennent à concurrencer en nombre celles de l’Église établie. Les marcionites adoptent une hiérarchie épiscopale.
Clément d’Alexandrie (+ 215), dans les Stromates livre VII, 17 et Eusèbe de Césarée, (H.E. VI, 12) prête à Sérapion, évêque d’Antioche vers 190, l’opinion que Marcion était un docète.
Le marcionisme a beaucoup d’adeptes en Occident jusqu’au IVe siècle ; il se fond alors probablement dans le manichéisme, mais il subsiste en Orient jusqu’au Moyen Age.


15. LES OPHITES OU NAASSENES


L’école des ophites est une dérivation de celle de Valentin.

Les ophites ou naassènes, sont les sectateurs du Serpent (ophis en grec, naas en hébreu) : il s’agit du serpent de la Genèse, invitant Ève à la connaissance (gnose) du Bien et du Mal, contre le Créateur mauvais, et du serpent d’airain (Nombres, XXI) identifié par Jean (III, 14) au Christ en croix.
Pour les ophites, le dieu des Juifs est le démiurge Yaltabaoth, cause du mal par sa création désastreuse qui mêla la matière à l’étincelle divine ; ce que les livres sacrés des Hébreux appellent la chute est pour eux le moment de la transition de l’ignorance à la connaissance, le passage de l’état d’innocence à une conscience supérieure : voilà pourquoi ils rendent un culte au serpent, cause de ce progrès, comme à la sagesse incarnée, comme à la source de la gnose.
Celse, le polémiste antichrétien du IIe siècle, voit un diagramme, dessiné par les ophites, représentant 10 cercles séparés et circonscrits l’un dans l’autre, le monde des âmes, Léviathan, divisé par une fine ligne noire, le tartare, le tout dans un carré où est écrit « portes du paradis« .
Des serpents apprivoisés figurent dans les cérémonies des cultes : ils circulent sur les tables dressées pour l’eucharistie.
« Le serpent est d’une part lié à la connaissance – c’est lui qui initie Adam et Eve -, d’autre part au plaisir – les ophites, à l’instar d’autres sectes vénérant le même animal, restent persuadés que le serpent a défloré Adam et Eve -, et d’autre part à la révolte contre le mauvais dieu de la Genèse, qui l’a empêché de mener à bien son entreprise de révélation des mystères divins auprès du premier homme et de la première femme. Le mythe du serpent n’est pas nouveau : il existe dans la tradition hébraïque. Il est associé à Jésus par les ophites, qui voient en lui le salut, et un salut possible par le biais de l’orgasme. C’est ainsi qu’une partie de la secte des ophites opte pour la licence, tandis qu’une autre lui préfère l’ascétisme (…) Le serpent symbolise aussi le devenir de l’univers : enroulé sur lui-même, il se mord la queue : l’Un va au Tout qui va à l’Un en un cycle éternel (…) » 6

Hippolyte (+ 235) lutte contre l’hérésie des ophites.

Origène (+ 254) accuse une secte gnostique, les Ophites, de vénérer le serpent biblique du jardin d’Eden.

En 428/429, à la demande du diacre Quodvultdeus, Augustin dresse la liste des hérétiques dans De Haeresibus (Des Hérésies) dans laquelle il fait mention des ophites, caïnites, séthianiens ou séthiens, etc.

Les ophites se divisent en plusieurs communautés, les plus connues étant celles des caïnites, des séthiens (ou séthianiens), des pérates et des phibionites :

Les Caïnites ou Caïnistes

Les caïnites ou caïnistes, apparus vers l’an 159, vénèrent Caïn et les Sodomites, et possèdent un Evangile de Judas dans lequel ce dernier est présenté comme un initié ayant trahi Jésus, à sa demande, pour assurer la rédemption de l’humanité.
Le 2ème évêque de Lyon, Irénée (+ 208) dénonce cet évangile comme hérétique : « Ils (les caïnites) déclarent que Judas le traître était bien avisé de ces choses, et que lui seul, connaissant la vérité comme aucun autre, a accompli le mystère de la trahison. Ils ont produit une histoire fictive de ce genre, qu’ils ont appelé l’Evangile de Judas 7.
Epiphane de Salamine (+ 402/403) combat également cet écrit hérétique.
Une copie de la version plus ancienne rédigée en grec, est découverte par un paysan près d’El Minya dans le désert égyptien en 1978. Elle fait partie d’un papyrus d’une soixantaine de feuillets (entre 62 et 66 suivant les sources) appelé Codex de Tchacos, qui contient également 2 autres textes apocryphes : l’Épître de Pierre à Philippe et la Première Apocalypse de Jacques.
L’Evangile de Judas, écrit en copte dialectal (sahidique), restauré et traduit par Rodolphe Kasser, ancien professeur de coptologie à l’université de Genève, et publié à Washington le 5 avril 2006 par la revue américaine The National Geographic, est authentifié comme datant du IIIe siècle ou du début du IVe.
Les caïnites ont pour Judas [« celui qui volait dans la bourse » (Jean 12,6) et « dans lequel Satan entra » (Jean 13,21-27)] une vénération particulière et le louent comme un homme admirable : le plus illustre des fils de Caïn.
Ils désirent réhabiliter Caïn, si maltraité dans le Pentateuque, et donnent la législation judaïque pour l’œuvre du Dieu du mal, ce Yahvé, rempli d’ignorance et d’orgueil, qui a créé le ciel et la Terre.
Selon les conceptions gnostiques, le créateur, le démiurge, est un dieu mauvais, le malin, responsable de toutes les imperfections du monde.
Pour les caïnites, Judas seul sait le mystère de la création des hommes et c’est pour cela qu’il a livré le Christ à ses ennemis. Par là il a rendu un grand service à l’humanité, car le Christ voulait réconcilier les hommes avec le Dieu créateur, alors qu’il fallait, au contraire, envenimer la haine des hommes contre celui-ci. La mort de Jésus devant procurer de grands biens au monde, Judas a fait une bonne action en la précipitant.

Évangile de Judas :
(seconde moitié du IIe siècle ; traduction de la version anglaise rendue publique par la National Geographic Society) 8

« (Introduction) (33)
L’exposé secret de la révélation que Jésus fit à Judas Iscarioth pendant les trois jours précédant la Pâques.


(Le ministère terrestre de Jésus)
Quand Jésus apparut sur terre, il réalisa des miracles et de grands prodiges pour le salut de l’humanité. Et puisque certains marchaient dans la voie de la justice tandis que d’autres marchaient dans celle de la transgression, les douze disciples furent appelés. Il commença à leur parler des mystères de l’au-delà du monde et de ce qui adviendrait à la fin. Souvent, il n’apparaissait pas à ses disciples tel qu’en lui-même, mais se trouvait parmi eux comme un enfant.


(Scène 1 : Jésus dialogue avec ses disciples : la prière d’action de grâce)
Un jour, il se trouvait avec ses disciples en Judée et les trouva rassemblés et assis dans une pieuse observance. Quand il s’approcha de ses disciples, (34) rassemblés assis et offrant une prière d’action de grâce sur le pain, il rit. Les disciples lui dirent : « Maître, pourquoi ris-tu de nos prières d’action de grâce ? Nous avons fait ce qui est juste». Il répondit et leur dit : « Je ne ris pas de vous. Vous n’agissez pas de votre plein gré mais parce que votre dieu* sera célébré à travers votre action ». Ils dirent : « Maître, tu es […] le fils de notre dieu* ». Jésus leur dit : « Comment me connaissez-vous ? En vérité, je vous le dis, aucun parmi vous dans cette génération ne me connaîtra ».


(Les disciples se mettent en colère)
Quand ses disciples entendirent ceci, ils se mirent en colère et devinrent furieux et commencèrent à blasphémer contre lui dans leur cœur. Quand Jésus observa leur manque de compréhension, il leur dit : « Pourquoi cette agitation qui vous conduit à la colère ? Votre dieu est en vous et […] (35) a provoqué cette colère dans vos âmes. Que celui d’entre vous qui est assez fort parmi les êtres humains présente l’humain parfait et se tienne devant ma face ». Ils dirent tous : « Nous avons la force ». Mais leur esprit n’osait pas se tenir face à lui, sauf Judas Iscarioth. Il put se tenir devant lui, mais ne pouvait le regarder dans les yeux et il détourna son visage. Judas lui dit : « Je sais qui tu es et d’où tu viens. Tu es du royaume immortel de Barbelo. Et je ne suis pas digne de prononcer le nom de celui qui t’as envoyé. »
 (Jésus parle à Judas en privé) Sachant que Judas méditait sur ce qui était exalté, Jésus lui dit : « Ecarte-toi des autres et je te dirai les mystères du royaume. Il te sera possible de l’atteindre, mais tu auras beaucoup à souffrir. (36) Car un autre te remplacera, afin que les douze disciples puissent à nouveau être au complet avec leur dieu. » Judas lui dit : « Quand me diras-tu ces choses, et quand le grand jour de lumière se lèvera sur la génération. » Mais quand il dit cela, Jésus le quitta.

(Scène 2 : Jésus apparaît de nouveau aux disciples)
Le lendemain matin de cet épisode, Jésus réapparaît à ses disciples. Ils lui dirent : « Maître, où étais tu allé et qu’as tu fait après nous avoir quitté ? » Jésus leur dit : « Je suis allé vers une autre grande et sainte génération. » Ses disciples lui dirent : « Seigneur, quelle est cette grande génération qui nous est supérieure et plus sainte que nous, qui n’est pas maintenant dans ces royaumes ? » Quand Jésus entendit cela, il rit et leur dit : « Pourquoi pensez-vous dans votre cœur à cette génération forte et sainte ? (37) En vérité, je vous le dis, personne né dans cette éon ne connaîtra cette génération et aucune cohorte d’anges des étoiles ne régnera sur cette génération, et aucun mortel ne peut y être associé, car cette génération ne vient pas de […] ce qui est devenu […]. Votre génération est celle de l’humanité […] puissance, que […] les autres puissances […] par lesquelles vous régnez. » Quand ses disciples entendirent cela, leur esprit à chacun en fut troublé. Ils ne purent prononcer un mot. Un autre jour, Jésus vint vers eux. Ils lui dirent : « Maître, nous vous avons vu en vision, car nous avons eu de grands rêves la nuit […]. » Il leur dit : « Pourquoi, avez-vous […] quand vous vous êtes cachés ? ».
 (38)

(Les disciples ont une vision du temple et en discutent)
Ils disent : « Nous avons vu une grande maison avec un large autel à l’intérieur, et douze hommes — ce sont les prêtres selon nous — et un nom. Et une foule de gens attend à cet autel, jusqu’à ce que les prêtres […] et reçoivent les offrandes. Mais nous avons attendu. » Jésus dit : « A quoi ressemblent les prêtres ? » Ils dirent : « Certains […] deux semaines ; certains sacrifient leurs propres enfants, d’autres leurs femmes, en signe de louange et d’humilité parmi eux ; d’autres couchent avec des hommes ; d’autres sont impliqués dans des massacres ; certains commettent une multitude de péchés et d’actes illégaux. Et les hommes qui se tiennent devant l’autel invoquent ton nom, (39) et parmi tous les actes de leur faiblesse, les sacrifices sont achevés […] » Après avoir dit ceci, ils se turent, car ils étaient troublés.


(Jésus donne une interprétation allégorique de la vision du temple)
Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous troublé ? En vérité je vous le dit, tous les prêtres qui se tiennent devant l’autel invoquent mon nom. A nouveau je vous le dis, mon nom a été écrit sur ce […] des générations des étoiles à travers les générations humaines. Et ils ont planté des arbres sans fruits, en mon nom, de manière honteuse. » Jésus leur dit : « Ceux que vous avez vu recevoir les offrandes à l’autel, c’est vous. C’est le dieu que vous servez, et vous êtes ces douze hommes que vous avez vus. Le bétail que vous avez vu amenés au sacrifice sont tous ceux que vous avez induit en erreur (40) devant cet autel […] se tiendront et feront usage de mon nom de cette façon, et des générations d’hommes pieux lui seront loyales. Après lui, un autre homme se tiendra là parmi les fornicateurs et un autre se tiendra parmi les massacreurs d’enfants, et un autre parmi ceux qui couchent avec les hommes, et ceux qui font abstinence, et le reste de ceux qui sont pollués, sans loi et dans l’erreur, et ceux qui disent : « Nous sommes comme des anges » ; ils sont les étoiles qui amènent toute chose à son achèvement. Car pour les générations humaines, il a été dit, « Regarde, Dieu a reçu ton sacrifice des mains d’un prêtre » – c’est-à-dire, d’un ministre de l’erreur. Mais c’est le Seigneur, le Seigneur de l’Univers, qui commande, « Au dernier jour, il leur sera fait honte ».» (41) Jésus leur dit : « Arrêtez de sacrifier […] ce que vous avez […] sur l’autel, puisqu’ils sont au-dessus de vos étoiles et de vos anges, et sont déjà arrivés à leur accomplissement. Donc qu’ils soient piégés devant vous, et qu’ils partent … [… environ 15 lignes manquantes] … générations […]. Un boulanger ne peut nourrir toute la création (42) sous le [ciel]. Et […] pour eux […] et […] pour nous et […] » Jésus leur dit : « Arrêtez de me combattre. Chacun de vous a sa propre étoile, et chacun… [… environ 17 lignes manquantes] (43) … dans […] qui est venu […] printemps pour l’arbre […] de cet éon […] pour un temps […] mais il est venu pour arroser le paradis de Dieu, et la génération qui durera, car il ne profanera pas le chemin de vie de cette génération, mais […] pour toute l’éternité. »


(Judas interroge Jésus à propos de cette génération et des générations humaines)
Judas lui dit : « Rabbi, quelle sorte de fruits cette génération produit elle ? ». Jésus dit : « Les âmes de chaque génération humaine mourront. Quand cependant ces gens auront achevé le temps du royaume et que l’esprit les quittera, leurs corps mourront mais leurs âmes continueront à vivre, et elles seront emportées.» Judas dit : « Et que feront le reste des générations humaines ? » Jésus dit : « Il est impossible (44) de semer sur le roc et de récolter des fruits. Ceci est aussi la manière […] la génération déshonorée […] et le corruptible Sophia […] la main qui a créé les gens mortels, afin que leurs âmes s’élèvent vers les royaumes éternels d’en haut. En vérité je te le dis, […] ange […] puissance sera capable de voir que […] ceux à qui […] les générations saintes […] » Après que Jésus eut dit cela, il partit.


(Scène 3 : Judas raconte une vision et Jésus lui répond)
Judas dit : « Maître, comme tu les as tous écoutés, maintenant écoute-moi. Car j’ai eu une grande vision. » Quand Jésus entendit cela, il rit et lui dit : « Toi le treizième esprit, pourquoi fais-tu tant d’effort ? Mais parle, et je t’écouterai. » Judas lui dit : « Dans ma vision, je me suis vu alors que les douze disciples me lapidaient et (45) me persécutaient durement. Et j’arrivais également à l’endroit où […] après toi. Je vis une maison…, et mes yeux n’en pouvaient saisir la taille. De grands hommes l’entouraient, et cette maison avait un toit de verdure, et au milieu de la maison se trouvait une foule… [… 2 lignes manquantes] … disant, « Maître, emmène moi avec ces gens. » Jésus répondit et dit : « Judas, ton étoile t’a fait erré ». Il continua : « Aucun mortel n’est digne d’entrer dans la maison que tu as vu, car ce lieu est réservé aux saints. Ni le soleil ni la lune n’y régneront, ni le jour, mais celui qui est saint y habitera toujours, dans le royaume éternel avec les saints anges. Regarde, je t’ai expliqué les mystères du royaume (46) et je t’ai appris les erreurs des étoiles ; et […] l’envoie […] sur les douze éons. »


(Judas interroge Jésus sur son propre sort)
Judas dit : « Maître, serait-ce que ma semence est sous le contrôle des Maîtres ? » Jésus répondit et lui dit : « Viens, que je … [… 2 lignes manquantes] … mais que tu souffriras beaucoup quand tu verras le royaume et toutes sa génération. » Quand il entendit cela, Judas lui dit : « Quel bien y a-t-il que je l’ai reçu ? Car tu m’as écarté pour cette génération. » Jésus répondit et dit : « Tu deviendras le treizième, et tu seras maudit par les autres générations, et tu règneras sur elles. Dans les derniers jours ils maudiront ton ascendance (47) jusqu’à la génération sainte. »


(Jésus enseigne à Judas la cosmologie, l’Esprit et l’Inengendré)
Jésus dit : « Viens, que je puisse t’enseigner les secrets que personne n’a jamais vu. Car il existe un royaume grand et sans limite, dont aucune génération d’anges n’a vu toute l’étendue, dans lequel il y a un grand esprit invisible. Qu’aucun œil d’ange n’a jamais vu Qu’aucune pensée du cœur n’a jamais comprise, Et qui ne fut jamais appelé d’aucun nom. Et un nuage lumineux apparut là. Il dit : « Qu’un ange soit créé qui soit mon serviteur. » Un grand ange, l’Inengendré, divin et illuminé, émergea du nuage. A cause de lui, quatre autres anges apparurent d’un autre nuage, et ils devinrent les serviteurs de l’angélique Inengendré. L’Inengendré dit : (48) « Qu’il soit créé […] » et il fut créé […]. Et il créa le premier astre lumineux pour régner sur lui. Il dit : « Que les anges soient créés pour le servir, et des myriades innombrables vinrent à l’être ». Il dit : « Qu’un éon illuminé vienne à l’être ». Il créa le deuxième astre lumineux pour régner sur lui, ainsi que des myriades d’anges innombrables, pour offrir leur service. C’est ainsi qu’il créa le reste des éons illuminés. Ils les fit régner sur eux, et il créa pour eux des myriades d’anges innombrables, pour les assister. »


(Adamas et les astres lumineux)
« Adamas fut dans le premier nuage lumineux qu’aucun ange n’a jamais vu parmi tous ceux appelés ‘Dieu’. Il (49) […] que […] l’image […] et après la ressemblance de cet ange. Il fit apparaître l’incorruptible génération de Seth […] les douze […] les vingt-quatre […]. Il fit apparaître soixante-douze astres dans la génération incorruptible, selon la volonté de l’Esprit. Les soixante-douze astres eux-mêmes firent apparaître trois cent soixante astres dans la génération incorruptible, selon la volonté de l’Esprit que leur nombre soit de cinq pour chacun. Les douze éons des douze astres constituent leur père, avec six cieux pour chaque éon, pour qu’il y ait soixante-douze cieux pour les soixante-douze astres, et pour chacun (50) d’eux cinq firmaments, pour un total de trois cent soixante firmaments […]. Il leur fut donné autorité et une grande armée d’anges sans nombre, pour la gloire et l’adoration, et après cela aussi des esprits vierges, pour la gloire et l’adoration de tous les éons et de tous les cieux et de tous leurs firmaments. »


(Le cosmos, le chaos, et le monde d’en dessous)
« La multitude de ces immortels est appelée le cosmos — c’est-à-dire, la perdition — par le Père et les soixante-douze astres qui sont avec l’Inengendré et ses soixante-douze éons. En lui le premier humain est apparu avec ses pouvoirs incorruptibles. Et l’éon qui apparut avec sa génération, l’éon dans lequel sont le nuage de la connaissance et l’ange, est appelé (51) E1. […] éon […] après que […] dit, « Que soient douze anges pour régner sur le chaos et le monde d’en dessous. » Et regarde, du nuage apparut un [ange] dont le visage était enflammé et dont l’apparence était défigurée par le sang. Il s’appelait Nebro, ce qui signifie rebelle ; d’autres l’appelait Yaldabaoth. Un autre ange, Saklas, vint aussi du nuage. Aussi Nebro créa six anges — ainsi que Saklas — pour être ses assistants, et ceux-ci produisirent douze anges dans les cieux, qui reçurent chacun une portion des cieux. »


(Les maîtres et les anges)
Les douze maîtres parlèrent avec les douze anges : « Que chacun de vous (52) […] et qu’ils […] génération… [… une ligne perdue] …anges » : Le premier est Seth, qui est appelé Christ. Le second est Harmathoth, qui est […]. Le troisième est Galila. Le quatrième est Yobel Le cinquième est Adonaios. Ce sont les cinq qui règnent sur le monde d’en dessous, et surtout sur le chaos. »


(La création de l’humanité)
« Alors Saklas dit aux anges : « Créons un être humain à la ressemblance et à l’image. » Ils façonnèrent Adam et sa femme Eve, qui est appelée, dans le nuage, Zoé. Car par ce nom toutes les générations cherchent l’homme, et chacune d’elles appelle la femme par ces noms. Maintenant, Saklas ne commanda (53) pas sauf […] les générations […] ceci […]. Et le maître dit à Adam : « Tu vivras longtemps avec tes enfants ». »


(Judas interroge sur le destin d’Adam et de l’humanité)
Judas dit à Jésus : « Quelle est la durée de temps que les êtres humains vivront ? » Jésus dit : « Pourquoi te poses tu la question, qu’Adam, avec sa génération, a vécu la durée de sa vie à l’endroit où il a reçu son royaume, avec la longévité avec son maître? ». Judas dit à Jésus : « Est-ce que l’esprit humain meurt ? » Jésus dit : « C’est pourquoi Dieu ordonna à Michael de donner les esprits des gens à eux en prêt, pour qu’ils puissent offrir leur service, mais le Suprême ordonna à Gabriel de donner les esprits à la génération suprême qui n’a pas de maître au-dessus d’elle — c’est-à-dire, l’esprit et l’âme. Aussi, le reste des âmes… (54) [… une ligne manquante]. »


(Jésus évoque la destruction des méchants avec Judas et d’autres)
« […] lumière… [… presque 2 lignes manquantes]… autour […] laisse […] esprit qui est dans toi habiter en cette chair parmi les générations des anges. Mais Dieu a permis que la connaissance soit donnée à Adam et à ceux avec lui, pour que les rois du chaos et de monde d’en dessous ne puisse pas régner sur eux. » Judas dit à Jésus : « Donc que vont faire ces générations ? » Jésus dit : « En vérité je te le dis, pour toutes, les étoiles amènent les choses à leur achèvement. Quand Saklas achèvera la durée qui lui a été assigné, leur première étoile apparaîtra avec les générations, et elles finiront ce qu’elles ont dit qu’elles feraient. Alors elles forniqueront en mon nom et tueront leurs enfants (55) et elles […] et … [… environ 6 lignes et 1/2 manquantes] mon nom, et il […] ton étoile au-dessus du treizième éon. » Après ceci Jésus rit. Judas dit : « Maître, pourquoi te moques-tu de nous ? » Jésus répondit et dit : « Je ne ris pas de vous mais de l’erreur des étoiles, car ces six étoiles errent avec ces cinq combattants, et ils seront détruits avec leurs créatures. »


(Jésus parle de ceux qui sont baptisés et de la trahison de Judas)
Judas dit à Jésus : « Dis moi, que feront ceux qui ont été baptisés en ton nom ? » Jésus dit : « En vérité, je te le dis, ce baptême (56) […] mon nom… [… environ 9 lignes manquantes] … à moi. En vérité, je te le dis, Judas, ceux qui offrent des sacrifices à Saklas […] Dieu… [… 3 lignes manquantes] … tout ce qui est mauvais. Mais tu les surpasseras tous. Car tu sacrifieras l’homme qui me revêt. Déjà ta corne a été dressée, Ta colère a été enflammée, Ton étoile s’est montrée brillante, Et ton cœur a […]. (57) En vérité […] ton dernier […] devient… [… environ 2 lignes et 1/2 manquantes] … souffre… [… environ 2 lignes manquantes] …le maître, puisqu’il sera détruit. Et alors l’image de la grande génération d’Adam sera exaltée, car avant le ciel, la terre, et les anges, cette génération, qui appartient aux royaumes éternels, existe. Ecoute, tout t’a été dit. Lève les yeux et regarde le nuage et la lumière qui s’y trouvent et les étoiles qui l’entourent. L’étoile qui montre le chemin est ton étoile. » Judas leva les yeux et vis le nuage lumineux, et il y entra. Ceux qui se tenaient sur le sol entendirent une voix venant du nuage, disant, (58) […] génération suprême […] …image […] [… environ 5 lignes manquantes].


(Conclusion : Judas trahit Jésus)
[…] Leurs grands prêtres murmuraient car il avait été dans la pièce des invités pour sa prière. Mais certains des scribes qui étaient là le surveillaient étroitement pour l’arrêter pendant la prière, car ils craignaient le peuple, puisqu’il était considéré par tous comme un prophète. Ils approchèrent de Judas et lui dirent : « Que fais-tu ici ? Tu es le disciple de Jésus. » Judas leur répondit comme ils le souhaitaient. Et il reçut de l’argent et le leur livra.
« 


Plusieurs sectes antérieures au caïnisme ont expliqué l’origine du bien et du mal en supposant une intelligence bienfaisante, qui tire de son sein des esprits heureux, innocents, et une intelligence malfaisante, qui emprisonne ces esprits dans des organes matériels.
Mais d’où vient la différence qui existe entre les esprits et les caractères ? Ces deux principes ont produit Adam et Eve, puis chacun d’eux ayant revêtu un corps, a eu commerce avec Eve ; de cette union étaient sortis des enfants qui avaient le caractère de la puissance à laquelle ils devaient la vie. Par ce moyen on comprend la différence du caractère de Caïn et d’Abel et de tous les hommes.
Comme Abel s’est montré très soumis au Dieu créateur de la terre, il est regardé comme l’ouvrage d’un Dieu qu’ils appellent Histère. Au contraire, Caïn, le meurtrier d’Abel, est l’ouvrage de la sagesse et du principe supérieur ; il doit être vénéré comme le premier des sages.
Les partisans de cette doctrine, conséquents avec eux-mêmes, honorent tous ceux que l’Ancien Testament a condamnés : Caïn, Esaü, Coré, les Sodomites ; ils les regardent comme des enfants de la sagesse et des ennemis du principe créateur.
Ils prétendent que la perfection consiste à commettre le plus d’infamies possibles.
D’après Théodoret (+ vers 453/458), ils affirment que chacune des actions infâmes a un ange tutélaire qu’ils invoquent en la commettant.
L’Evangile de Judas et le récit de l’Ascension de saint Paul (où sont décrits toutes les merveilles et tous les secrets que l’apôtre Paul a vus et appris, lorsqu’il fut ravi au 3ème ciel) font partie des livres saints des caïnites.
Une femme de cette secte, nommée Quintille, étant venue en Afrique du temps de Tertullien (155-225), s’y fait beaucoup d’adeptes qui prennent le nom de quintiliens ou quintillianistes.
Tertullien indique que Quintille a trompé beaucoup de fidèles en luttant contre le baptême, notamment en rejetant l’emploi de l’eau (Traité Du Baptême).
Philostrius fait une secte particulière des caïnites qui honorent Judas.

Les séthiens ou séthianiens

Les séthiens ou séthianiens honorent en Seth le fils de la divine Sagesse, représentant l’esprit, en opposition à Abel qui représente l’âme et à Caïn qui représente la chair.
« …le Messie, qui viendra un jour sauver les hommes, et qui est l’envoyé du Père, se nomme Seth. A la fin des temps, les élus, qui sont appelés les Fils de la Lumière, ou encore les allogènes, retourneront auprès du Dieu inexprimable et s’assoiront aux côtés de quatre entités célestes : Oroisel, Hermozel, Daveithe et Eleleth. » 9
Contrairement aux caïnites, les séthiens judaïsent.

Les pérates

Les pérates (ou traversiers) entendent passer du monde sensuel dans celui de la vie éternelle. Le logos (raison), intermédiaire entre le principe de l’idée pure et la matière, est représenté comme le serpent universel établissant une sorte de va-et-vient entre le monde et Dieu.

Les phibionites, phibioniens, koddiens, borborites ou borboriens

Selon le Panarion (ch. 26) d’Epiphane de Salamine (+ 403) et l’Haereticarum Fabularum Compendium de Théodoret (+ 460), les borborites ou borboriens (appelés aussi koddiens ; en Égypte, phibionites ; dans d’autres pays, barbalites, secundiens, socratites, etc) étaient une secte gnostique libertine, réputée descendre des nicolaïtes. Le mot borborite vient d’un mot grec signifiant boue ; ainsi borborites pourrait être traduit par boueux, sales.

« Lors du début des fêtes phibionites, les hommes serraient la main des femmes en leur chatouillant le creux de la paume. Lorsque chacun était assis avec nourriture et boisson, les couples mariés se séparaient pour engager des rapports sexuels avec un autre membre de la communauté. L’homme devait se retirer avant l’orgasme pour que le couple avale le sperme en s’écriant : ceci est le corps du Christ. Lorsque c’est possible, le couple consomme le sang menstruel en prononçant : ceci est le sang du Christ. Selon l’évêque Epiphane (Épiphane de Salamine ou Épiphane de Chypre, vers 315-403, dans son Panarion ou Adversus Haereses – Contre les hérésies -, ndlr) si la femme tombe enceinte, on laisse le fœtus se développer, puis on pratique l’avortement. Par la suite ce fœtus est démembré, enrobé de miel et d’épices, et dévoré par le groupe comme une sorte d’Eucharistie. Parvenus à un certain état de perfection certains adeptes n’ont plus besoin de femmes et pratique l’homosexualité. D’autres pratiqueront la masturbation sacrée. En apparence orgiaques, ces cérémonies sont en rapport avec la vision que les phibionites ont du cosmos, et la façon de s’en libérer. Outre le fait de satisfaire aux exigences des archontes résidents dans les 365 ciels, ces « mœurs » répondent au besoin de réunir la semence divine implantée dans le monde et actuellement dispersée dans la semence masculine et le sang féminin. En les réunissant et les consommant on ne procède pas seulement à la réunification nécessaire, mais on évite surtout la procréation qui contribue à nous maintenir prisonniers du monde. » 10

« Comment n’aurait-on pas eu les premiers chrétiens en horreur quand saint Épiphane lui-même les charge des plus exécrables imputations ? Il assure que les chrétiens phibionites offraient à trois cent soixante et cinq anges la semence qu’ils répandaient sur les filles et sur les garçons, et qu’après être parvenus sept cent trente fois à cette turpitude, ils s’écriaient : « Je suis le Christ. » Selon lui, ces mêmes phibionites, les gnostiques et les stratiotistes, hommes et femmes, répandant leur semence dans les mains les uns des autres, l’offraient à Dieu dans leurs mystères, en lui disant: « Nous vous offrons le corps de Jésus-Christ. » Ils l’avalaient ensuite, et disaient : « C’est le corps de Christ, c’est la pâque. » Les femmes qui avaient leurs ordinaires en remplissaient aussi leurs mains, et disaient : « C’est le sang du Christ. » 11

Citations

XVII. Les ophites. Leur nom vient du mot serpent (…) Ils prétendaient que le serpent n’était autre que le Christ, et ils avaient un serpent apprivoisé qui venait se rouler sur leurs pains, et leur consacrer une sorte d’eucharistie. Certains auteurs les font descendre des Nicolaïtes ou des Gnostiques : c’est dans les fabuleuses fictions de ces sectaires qu’ils auraient puisé l’idée d’adorer le serpent. XVIII. Les Caïnites, ainsi nommés parce qu’ils honoraient Caïn, lui reconnaissaient un courage éminent. A leur avis, le traître Judas était presque un Dieu, et son crime un bienfait il n’avait livré Jésus-Christ aux Juifs que parce qu’il avait prévu le bien immense qui devait résulter de sa mort pour les hommes : de plus, ils rendaient un culte aux Sodomites et même à ces malheureux engloutis sous terre pour avoir fait schisme chez le premier peuple de Dieu (Nombres XVI, 31-33). La Loi et Dieu, auteur de la Loi, n’étaient d’ailleurs pour eux que des objets de blasphème, et la résurrection, une fable dérisoire. XIX. Les Séthiens étaient ainsi appelés du fils d’Adam qui portait le nom de Seth : ils l’honoraient, mais à leur culte se joignaient des fables et des erreurs, fruits de leur vanité. A les entendre, le patriarche Seth fut engendré par une mère céleste, qui, disaient-ils, avait eu un commerce avec un père également céleste, et ainsi se forma une nouvelle race divine, celle des enfants de Dieu. Du reste, nul ne saurait dire les rêveries qu’ils ont imaginées par rapport aux principautés et aux puissances. Quelques auteurs disent qu’à leurs yeux, Sem, fils de Noé, était le Christ. (Augustin, Des Hérésies, traduction de M. l’abbé Aubert)

Si quelqu’un dit qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de rendre ses voies mauvaises, mais que c’est Dieu qui opère les mauvaises œuvres, aussi bien que les bonnes, non seulement en tant qu’il les permet, mais si proprement, et si véritablement par lui-même, que la trahison de Judas n’est pas moins son propre ouvrage, que la vocation de Saint Paul : qu’il soit anathème. (Concile de Trente, 1545-1563, Canon VI).


16. TATIEN ET L’ENCRATISME


Tatien ou Tatianos (+ vers 173) le Syrien, disciple de saint Justin (qui fut d’abord un philosophe stoïcien et platonicien) et apologiste syrien, fusionne les quatre Évangiles dans le Diatessaron qui est la première concordance des Évangiles.
Il est à l’origine de l’encratisme qui est proscrit par de nombreux décrets de Théodose Ier, à la fin du IVe siècle, et de Théodose II, en 428.
Au dire d’Epiphane, les Encratites se sont schismatiquement séparés des Tatianistes.
Les encratites (du grec enkratès = les continents), appelés aussi sévériens, apotactiques, saccophores ou hydroparastes (parce qu’ils ne se servent que d’eau dans le sacrifice de la messe), prônent un rigorisme moral radical (interdiction du mariage, abstention de viande et de vin) fondé sur une condamnation de la matière et du corps considérés comme les œuvres d’un démiurge distinct du Dieu suprême.
Ils s’appuient sur Paul :
« Ceux, en effet, qui vivent selon la chair, s’affectionnent aux choses de la chair ; mais ceux qui vivent selon l’Esprit s’affectionnent aux choses de l’Esprit. Et les affections de la chair, c’est la mort, tandis que les affections de l’Esprit, c’est la vie et la paix : parce que les affections de la chair sont inimitié contre Dieu, car elles ne se soumettent pas à la loi divine, et elles ne le peuvent même pas. Or ceux qui vivent dans la chair ne sauraient plaire à Dieu. Pour vous, vous ne vivez point dans la chair, mais dans l’Esprit, si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. Mais si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous. Ainsi donc, mes frères, nous ne sommes point redevables à la chair pour vivre selon la chair. Car si vous vivez, selon la chair, vous mourrez ; mais si, par l’Esprit, vous faites mourir les oeuvres du corps, vous vivrez. » (Romains VIII, 5-14).
« Celui qui sème dans sa chair moissonnera, de la chair, la corruption ; celui qui sème dans l’esprit moissonnera, de l’esprit, la vie éternelle. » (Galates VI 8).
Les fondements doctrinaux de la secte consistent dans le rejet de certaines parties des Écritures, en particulier de l’Ancien Testament.
Certaines positions doctrinales et liturgiques découlent généralement de la conception encratiste de la création et de la matière : négation du salut d’Adam (Tatien), négation de la résurrection de la chair, docétisme en christologie, utilisation d’eau à la place du vin pour célébrer l’eucharistie.
« Nous pouvons dire avec saint Irénée, Eusèbe, saint Epiphane, saint Jérôme, saint Augustin et Théodoret, que les encratites, avec leur doctrine et leur système nettement définis, descendent de Tatien, et non de saint Paul. La propagation de ce système en Occident ne sauvait être pour nous une difficulté. Selon saint Irénée, Tatien n’était point étranger au monde occidental, puisqu’il succéda à saint Justin dans la direction de l’école de Rome. » 5
La ligne de démarcation entre l’encratisme et le gnosticisme est difficile à tracer.
L’encratisme s’est confondu avec le manichéisme des bogomiles et a trouvé des prolongements chez les messaliens.


17. LES MESSALIENS OU MASSALIENS


La secte des messaliens (ou massaliens) apparaît en Asie Mineure vers le milieu du IVe siècle.
On les appelle aussi euchites ou euthites (du mot grec correspondant au mot syriaque signifiant celui qui prie) ou eustathiens, adelphiens, marcianites ou marciens d’après les noms de leurs porte-parole les plus connus : Adelphius, Eustathe et Marcien. Ils se nomment eux-mêmes : les spirituels.
Leur mythologie est très proche de celle de beaucoup d’autres sectes gnostiques. Satan, qui était le fils aîné de Dieu, s’est, dans son orgueil, révolté contre son père. Expulsé du ciel, il a créé le monde matériel, qui est donc nécessairement mauvais. Ce mythe cosmogonique a probablement influencé les doctrines bogomiles.
Les messaliens prient sans cesse (seule oraison : le Notre Père) pour expulser le mauvais démon qui, selon eux, réside dans l’âme de chacun et qui doit sortir par les liquides de la bouche et du nez. Une fois libérés du démon, ils se regardent comme unis avec le Saint-Esprit et incapables de commettre des péchés.
Ils rejettent l’Ancien Testament comme la plupart des sectes dualistes, ne vénèrent pas la Vierge, se refusent à honorer la Croix (moyen de supplice du Christ et non pas symbole de la Rédemption) et ne croient pas à l’efficacité des sacrements.
Les messaliens sont persécutés et condamnés comme hérétiques dès leur apparition.


18. REFUTATION DES THESES GNOSTIQUES


Irénée de Lyon écrit sa Réfutation des systèmes gnostiques en 180.

Plotin (+ 270) reproche aux gnostiques de ne jamais parler de la vertu : « Or, dit, sans la vertu, Dieu n’est qu’un nom ». Il ajoutait : « Les gnostiques admettent, dans l’intelligible, des générations et des corruptions de toute sorte, ils blâment l’univers sensible ; ils traitent de faute l’union de l’âme et du corps ; ils critiquent celui qui gouverne notre univers ; ils identifient le Démiurge à l’âme et lui attribuent les mêmes passions qu’aux âmes particulières ».

En 428/429, à la demande du diacre Quodvultdeus, Augustin d’Hippone dresse la liste des hérétiques dans De Haeresibus (Des Hérésies).

A partir du IIIe siècle, le gnosticisme commence à succomber à l’opposition et aux persécutions des chrétiens orthodoxes. En partie en réaction à l’hérésie gnostique, l’Église renforce son organisation en centralisant l’autorité entre les mains des évêques, ce qui permet de se débarrasser plus efficacement des gnostiques, qui sont peu organisés.


19. SURVIVANCE DE CERTAINS ASPECTS
DE LA VISION GNOSTIQUE


L’essence du gnosticisme a résisté à l’épreuve du temps, à savoir que l’âme intérieure de l’humanité doit se libérer d’un monde qui est fondamentalement trompeur, oppressif et mauvais.
Si les anciennes sectes ne survécurent pas, des aspects de la vision gnostique du monde sont périodiquement réapparus sous de nombreuses formes :

– Le manichéisme

L’ancienne religion dualiste appelée manichéisme et les hérésies médiévales apparentées, notamment les bogomiles, les pauliciens et les albigeois.

– La Kabbale

La philosophie mystique juive du Moyen Age appelée Kabbale ou Cabale [du mot hébreu qabbalah = tradition, réception].

– L’ismaélisme

L’ismaélisme qui adopta d’abord dans sa doctrine des éléments du gnosticisme puis, ultérieurement, du néoplatonisme ; il s’est ensuite orienté vers un système émanationniste, qui considère que le monde est une émanation de la divinité.

– L’alchimie

Les spéculations métaphysiques autour de l’alchimie de la Renaissance.

– La théosophie

La théosophie (du grec theos = dieu et sophia = sagesse) dont le nom est donné à différents systèmes philosophiques et religieux fondés sur la volonté de leurs disciples de connaître la divinité et de recevoir l’illumination intérieure par l’étude symbolique et spirituelle, est une mystique préconisant une ascèse et une élévation progressive de l’esprit humain jusqu’à l’illumination de Dieu (illuminisme) en utilisant les sciences ésotériques et la gnose.
Les théosophes les plus illustres furent Paracelse, Jacob Boehme, V. Weigel, Swedenborg, Schuré, Saint-Martin, Baader.
En Allemagne, au XIXe siècle, Immanuel Herman Fichte (fils du grand philosophe J.-G. Fichte) fonda une Ecole de Théosophie Spéculative dont le but était de réaliser l’identification avec Dieu grâce à l’exercice de la réflexion philosophique.


Immanuel Hermann Fichte


Selon la théosophie enseignée par l’occultiste Helena Blavatsky, fondatrice de la société théosophique, l’homme possède 3 corps : un corps astral aux fonctions spirituelles et universelles, un corps mental aux fonctions intellectuelles et un corps physique aux fonctions sensuelles.
Le VRIL, société secrète mythique, inventée par l’écrivain britannique Edward Bulwer-Lytton en 1871, est repris en 1877 par madame Blavatsky, dans son ouvrage Isis Unveiled (Isis dévoilée) comme l’un des noms d’une force mystérieuse et omniprésente, connue des anciens théurgistes (la théurgie, du grec ancien theos = dieu et ergon = travail, est une forme de magie, qui permettrait à l’homme de communiquer avec les bons esprits  et d’invoquer les puissances surnaturelles aux fins louables d’atteindre les dieux). Cette théosophie est un syncrétisme reliant les différentes religions, de l’antiquité au christianisme, par les réincarnations de grands initiés qui instruisent les hommes.


20. CITATIONS


Il est meilleur et plus utile d’être ignorant et de peu de savoir, mais de s’approcher de Dieu par l’amour, que de se croire savant et habile au point de se trouver blasphémateur à l’égard de son Seigneur pour avoir imaginé un autre Dieu et Père que Lui. (Irénée + 202, Contre les hérésies II, 26)

Il n’y a que le gnostique qui ait une véritable religion. (Clément d’Alexandrie 150-220)

Nous n’ignorons pas que beaucoup de ces écritures secrètes ont été composées par des impies, de ceux qui font le plus haut sonner leur iniquité, et que les hérétiques font grand usage de ces fictions : tels les disciples de Basilide. Nous n’ignorons pas davantage que d’autres de ces apocryphes, mis sous le nom de saints, ont été composés par les Juifs, peut-être pour détruire la vérité de nos Écritures et pour établir de faux dogmes. Mais, en règle générale, nous ne devons pas rejeter en bloc, ce dont nous pouvons tirer quelque utilité pour l’éclaircissement de nos Écritures. C’est la marque d’un esprit sage de comprendre et d’appliquer le précepte divin : « Éprouvez tout, retenez ce qui est bon ». (Origène + 254, In Matth. Comm., Ser XXVIII, t XIII col 1637).

Le prestige des noms hébreux ou supposés tels était un des moyens de séduction qu’employaient les gnostiques auprès des gens simples. (Renan 1823-1892)


Notes
1 http://missel.free.fr/Sanctoral/06/28.php
Nicéphore Calliste, Historia Eccles., lib. II, cap. XXVII, Hegesippus, De excidio Hierosolymitano, lib. III, cap. II.
Mgr Mislin, Les Saints Lieux, 1876
Bernard Marillier, Essai sur la Symbolique Templière, Editions Prades
Pierre Larousse, Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle
H.C. Puech, En quête de la Gnose, page 90
Adversus Haereses
http://biblique.blogspirit.com/archive/2006/06/03/l-evangile-de-judas-en-francais.html
H.C.Puech, En quête de la Gnose, page 92
10 http://avatarpage.net/#gnos
11 Voltaire, Oeuvres Complètes, Tome 41, Dictionnaire Philosophique, Initiation, page 324. Imprimerie de la Société littéraire typographique. 1785.
12 https://fr.wikipedia.org/wiki/Dosith%C3%A9e_de_Samarie





Auteur : Jean-Paul Coudeyrette

autre référence  The path of Hermès

 

Les origines de la gnose

 

 

Translate »