du côté américain avec Noam Chomsky et Edward Herman :
L’ouvrage de Noam Chomsky et Edward Herman, Manufacturing consent, vient de reparaître dans sa version intégrale sous le titre La fabrication du consentement : une nouvelle édition revue et actualisée, une nouvelle traduction [1] aux Editions Agone.
On lira ci-dessous, précédé d’une rapide présentation du livre, de très larges extraits (reproduits avec l’autorisation de l’éditeur) de l’analyse de l’un des filtres du « modèle de propagande » proposé par les auteurs : le filtre constitué par les sources d’information.
Présentation de l’éditeur
« Dans cet ouvrage, désormais un classique outre-Atlantique (1988, rééd. 2002), les auteurs présentent leur « modèle de propagande », véritable outil d’analyse et de compréhension de la manière dont fonctionnent les médias dominants. Ils font la lumière sur la tendance lourde à ne travailler que dans le cadre de limites définies et à relayer, pour l’essentiel, les informations fournies par les élites économiques et politiques, les amenant ainsi à participer plus ou moins consciemment à la mise en place d’une propagande idéologique destinée à servir les intérêts des mêmes élites.
En disséquant les traitements médiatiques réservés à divers événements ou phénomènes historiques et politiques (communisme et anticommunisme, conflits et révolutions en Amérique Latine, guerres du Vietnam et du Cambodge, entre autres), ils mettent à jour des facteurs structurels qu’ils considèrent comme seuls susceptibles de rendre compte des comportements systématiques des principaux médias et des modes de traitement qu’ils réservent à l’information.
Ces facteurs structurels dessinent une grille qui révèle presque à coup sûr comment l’inscription des entreprises médiatiques dans le cadre de l’économie de marché en fait la propriété d’individus ou d’entreprises dont l’intérêt est exclusivement de faire du profit ; et comment elles dépendent, d’un point de vue financier, de leurs clients annonceurs publicitaires et, du point de vue des sources d’information, des administrations publiques et des grands groupes industriels. »
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du côté français avec Pierre Chazal sur Agoravox -14/12/2020
Dans un entretien donné au Monde diplomatique datant du mois d’août 2007, l’intellectuel américain Noam Chomsky répondait ainsi à une question sur le fonctionnement du contrôle de la pensée dans une société démocratique : « Dans les pays totalitaires, l’Etat décide de la ligne à suivre et chacun doit ensuite s’y conformer. Les sociétés démocratiques opèrent autrement. La ligne n’est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue. On procède, en quelque sorte, au lavage de cerveaux en liberté. Et même les débats passionnés dans les grands médias se situent dans le cadre des paramètres implicites consentis, lesquels tiennent en lisière nombre de points de vue contraires. Le système de contrôle des sociétés démocratiques est fort efficace ; il instille la ligne directrice comme l’air qu’on respire. On ne s’en aperçoit pas, et on s’imagine parfois être en présence d’un débat particulièrement vigoureux. Au fond, c’est infiniment plus performant que les systèmes totalitaires. »
« Davos, le Forum économique mondial, travaille à l’intégration économique planétaire, mais dans le seul intérêt des financiers, des banques et des fonds de pension. Puissances qui contrôlent aussi les médias. C’est leur conception de l’intégration globale, mais au service des investisseurs. Les médias dominants considèrent que cette intégration est la seule qui mérite, en quelque sorte, l’appellation officielle de mondialisation. (…) Dans ce monde, il existe des institutions tyranniques, ce sont les grandes entreprises. C’est ce qu’il y a de plus proche des institutions totalitaires. Elles n’ont, pour ainsi dire, aucun compte à rendre au public, à la société ; elles agissent à la manière de prédateurs dont d’autres entreprises seraient les proies. Pour s’en défendre, les populations ne disposent que d’un seul instrument : l’Etat. Or ce n’est pas un bouclier très efficace car il est, en général, étroitement lié aux prédateurs. »
L’avantage d’une presse qui peine à vendre, c’est qu’elle n’a, du coup, plus de comptes à rendre à ses lecteurs. Si une feuille de chou comme Libération peut accuser coup sur coup neuf millions (2018) puis six millions (2019) d’euros de pertes sans mettre la clé sous la porte, c’est que sa survie économique ne dépend plus de son lectorat mais du bon vouloir de ses bailleurs, à savoir ici l’Etat (six millions et demi de subventions versées en 2017) et le groupe Altice (qui s’est engagé à éponger les cinquante millions d’euros de dettes du journal). Pour la petite histoire, son PDG Patrick Drahi qui possède également L’Express, RMC et BFM TV a fait entrer son fidèle lieutenant Bernard Mourad dans l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron en octobre 2016 en guise de remerciement pour avoir donné le feu vert, en 2014, au rachat de Numéricable par SFR Presse dont le PDG deviendra dans la foulée… Bernard Mourad.
Le journal Le Monde, un peu moins mal en point, avait toutefois reçu en 2017 la bagatelle de cinq millions d’euros d’aides publiques. Au titre de son supplément Afrique, le quotidien a également perçu depuis 2014 quatre millions de dollars de la Fondation Bill & Melinda Gates, donations en constante progression année après année. L’effet Macron ? Invité sur RTL le 12 décembre 2017, le philanthrope américain saluait le leadership du nouveau président français dans la lutte contre le réchauffement climatique au moment même ou Trump retirait les USA de l’Accord de Paris. Reçu à l’Elysée le 17 avril 2018, le couple se réjouissait à nouveau « de la relation que nous avons et de notre engagement grandissant pour améliorer la situation des pays en voie de développement. »
Le tirage et les ventes du Parisien sont, bien évidemment, en chute libre depuis de nombreuses années, mais le titre a d’ores et déjà touché sa quote-part des 483 millions d’aides exceptionnelles de l’Etat au nom de « l’importance du pluralisme » voulu par le chef de l’Etat.
il s’agit de maintenir tout au long de l’année un bruit de fond informationnel suffisamment fourni et homogène pour que dès qu’une télé s’allume, qu’une page internet s’ouvre ou qu’un ami ait la mauvaise idée ramener Le Point, L’Obs ou L’Express à la maison, le nouvel homme libre qui n’avait rien demandé à personne soit rattrapé par la machine.
On n’échappe jamais totalement à Big Brother. Quelque soit le chemin qu’on choisisse pour s’émanciper du monde virtuel bâti patiemment par les médias pour faire concurrence au réel, il arrive toujours un moment où l’attention se relâche, où l’on met le pied dans une flaque. Et alors, très vite, si l’on n’y prend pas garde, c’est la rechute immédiate, la plongée en apnée dans l’univers impitoyable du narratif médiatique.
Témoins et garants de la légitimité des ébats, les médias corrompus et subventionnés doivent quant-à-eux s’assurer que personne n’ait oublié son carton d’invitation et que les déplaisants qui voudraient gâcher la cérémonie soient marqués au fer rouge ou enfermés dans la cave. L’usine P4 du consentement, inaugurée il y a de nombreuses années déjà, tourne désormais à plein régime et produit des résultats (41% de sondages favorables à Macron, 40% de Français prêts à se faire vacciner) dont l’ex-URSS serait verte de jalousie. Pour reprendre les mots de Noam Chomsky : « Comment se fait-il que nous disposions d’autant d’informations, mais que nous sachions si peu ? » Eléments de réponse par quelques tactiques médiatiques éprouvées à l’efficacité reconnue, et que cette campagne de 2020 aura permis de pousser à leur paroxysme.