La subversion du christianisme
Jacques Ellul
première publication, Le Seuil 1984
“ Notre Christianisme, celui de la chrétienté, supprime du christianisme le scandale, le paradoxe, la souffrance et y substitue le probable, le direct, le bonheur, autrement dit, il dénature le christianisme et en fait autre chose que ce qu’il est dans le Nouveau Testament; il le transforme même exactement en son contraire : et tel est le christianisme de la chrétienté. Le nôtre.”
Dans le christianisme de la chrétienté, la croix est devenue quelque chose comme le cheval mécanique ou la trompette d’un enfant.”
Kierkegaard, L’instant.
Chapitre premier
Les contradictions
I
p9. Comment se fait-il que le développement de la société chrétienne et de l’Eglise ait donné naissance à une société, à une civilisation, à une culture en tout inverses de ce que nous lisons dans la Bible, de ce qui est le texte indiscutable à la fois de la Torah, des prophètes, de Jésus et de Paul ? Je dis bien en tout. Ce n’est pas sur un point qu’il y a eu contradiction, mais sur tous les points.
…
Il y a contradiction radicale, essentielle, donc véritable subversion.
p10. Le Christianisme se juge d’après la pratique.
Toute la Révélation du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob revient incessamment là-dessus : l’homme qui mettra en pratique les commandements de Dieu vivra ( ex : Lv 18:5-Vous observerez mes lois et mes ordonnances: l’homme qui les mettra en pratique vivra par elles. Je suis l’Éternel.-Ne9:29 – Tu les conjuras de revenir à ta loi; et ils persévérèrent dans l’orgueil, ils n’écoutèrent point tes commandements, ils péchèrent contre tes ordonnances, qui font vivre celui qui les met en pratique, ils eurent une épaule rebelle, ils raidirent leur cou, et ils n’obéirent point. –Ez20,11–Je leur donnai mes lois et leur fis connaître mes ordonnances, que l’homme doit mettre en pratique, afin de vivre par elles. Dt25,16 : Car quiconque fait ces choses, quiconque commet une iniquité, est en abomination à l’Éternel, ton Dieu. et Dt 27,10 : Tu obéiras à la voix de l’Éternel, ton Dieu, et tu mettras en pratique ses commandements et ses lois que je le prescris aujourd’hui.
Réciproquement le mal et la mort sont liés à l’absence de mise en pratique ou encore à la pratique des autres peuples, aux coutumes abominables (Lv18,11)-Tu ne découvriras point la nudité de la fille de la femme de ton père, née de ton père. C’est ta soeur.. On met en opposition radicale l’Ecoute et la Pratique : ils écoutent mais ne pratiquent pas (Ez 33,31) –Et ils se rendent en foule auprès de toi, et mon peuple s’assied devant toi; ils écoutent tes paroles, mais ils ne les mettent point en pratique, car leur bouche en fait un sujet de moquerie, et leur coeur se livre à la cupidité.
p11. Or, cette importance décisive de la pratique est exactement reprise par Jésus presque dans les mêmes termes (Lc 8,21) Mais il répondit: Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique. . Nous pouvons dire que la Pratique est le critère décisif de la vie et de la vérité.
p12. Dans la première génération de chrétiens il n’y a aucun doute à ce sujet. Paul, le théologien du salut par grâce le rappelle avec force : “Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu mais ce sont ceux qui la mettent en pratique qui seront justifiés. Quand les païens qui n’ont point la loi font naturellement ce que prescrit la loi… ils montrent que l’oeuvre de la loi est écrite dans leur coeur…”(Rm2,13-15)Ce ne sont pas, en effet, ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu, mais ce sont ceux qui la mettent en pratique qui seront justifiés.
2:14 Quand les païens, qui n’ont point la loi, font naturellement ce que prescrit la loi, ils sont, eux qui n’ont point la loi, une loi pour eux-mêmes;
2:15 ils montrent que l’oeuvre de la loi est écrite dans leurs coeurs, leur conscience en rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tour.
“ C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les oeuvres afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes oeuvres, que Dieu a préparées d’avance afin que nous les pratiquions.” (Ep2,8-10)
On a voulu, obstinément, mettre en contradiction une théologie de la foi chez Paul et une théologie des oeuvres chez Jacques, mais ceci est radicalement inexact.
Il est indispensable de faire les oeuvres car elles sont dans le “plan” de Dieu et nous sommes créés afin de pratiquer ces oeuvres.
Donc pour Paul, dans la droite ligne de Jésus, la pratique est la pierre de touche de l’authenticité.
p13. Dès lors, ceux qui attaquent le christianisme sont parfaitement habilités à le faire à partir de la pratique désastreuse qui fut la nôtre. Les attaques de Voltaire, d’Holbach, de Feuerbach, de Marx, de Bakounine, pour ne citer que ceux qui nous concernent directement sont entièrement exactes.
Il faut écouter ce qu’ils nous disent … car ils démolissent le christianisme, c’est à dire exactement le dévoiement que la pratique chrétienne a fait subir à la Révélation de Dieu.
p14. Il y a une cohérence parfaite entre tout ce que nous pouvons savoir de Jésus le Christ et la Révélation du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Quant à dire que les Evangiles eux-mêmes ont été falsifiés pour faire coïncider Jésus avec leur message cela ne peut se soutenir qu’au nom d’un Jésus refabriqué.
Il faut absolument le bien comprendre. Il n’y a pas de Révélation connaissable hors de la vie et du témoignage de ceux qui la portent. C’est la vie des chrétiens qui atteste de qui est Dieu et quel est le sens de cette révélation.
p15. C’est pourquoi les accusateurs du XVIIIè s. et du XIX ième siècle ont eu pleinement raison de remonter de la pratique de l’Eglise à la fausseté de la Révélation elle-même.
Nous sommes acculés à être chrétiens ou à reconnaître la fausseté de ce que nous croyons.
Nous devons admettre qu’il y a une distance incommensurable entre le tout de ce que nous lisons dans la Bible et puis la pratique des Eglises et des chrétiens.
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Nous devons éviter encore deux écueils : d’un côté rejeter tout le passé de l’Eglise et dire qu’il fut comme on ne cesse de le dire aujourd’hui : ce fut l’obscurantisme et à côté participer à la glorification simpliste du joyeux et pur païen, d’un polythéisme humain et libéral que le christianisme a fait avorter. Mais l’autre écueil qui se présente à nous est de proclamer soit : aujourd’hui c’est différent, soit il eut quand même autre chose dans l’histoire chrétienne comme François d’Assise, Las Casas etc…
p17. Les Chrétiens n’ont pas à accepter toutes les attaques en se rattrapant : “oui, mais aujourd’hui, voyez comme tout à changé !… L’Eglise est aujourd’hui pour le socialisme, le communisme, les travailleurs immigrés”
Il n’y a là nul “progrès” : simplement l’Eglise adopte sans plus les idées et les moeurs de notre société comme elle adoptait celles de la société d’hier ou d’avant-hier. Même quand elle défend le pauvre elle n’est pas plus vraie aujourd’hui qu’il y a cent ans ou deux cents ans.
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p18. Il faut par ailleurs éviter les explications simplistes de cette perversion . J’en retiendrai trois.
Celle qui se rattache à la célèbre formule de Loisy : “ Les premiers chrétiens attendait la venue immédiate du royaume de Dieu et ce fut l’Eglise qui vint.” Rien ne permet d’affirmer que les disciples de Jésus attendaient une réalisation immédiate du Royaume de Dieu.
p19. Ne retenons pas l’opposition trop élémentaire de la distance entre un idéal et sa réalisation. Non, l’action de Dieu en Jésus-Christ, la Révélation de Dieu commencée avec Abraham n’ont rien à faire, absolument rien, avec un idéal.
L’idée de Dieu n’existe pas. Les philosophes de la Mort de Dieu ont eu raison en ce sens de détruire cette idée qui nous bouche totalement le sens de cette Révélation.
Il ne s’agit pas non plus d’une opposition entre le spirituel et l’institutionnel. Encore une fois, la Révélation de Dieu ne ressortit pas au spirituel. Le Saint Esprit n’est pas du spirituel.
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En vérité l’essence même de la subversion est déjà indiquée par la désignation de “christianisme”. Chaque fois que nous désignons cette désinence “isme”, positivisme, socialisme, etc… il y a transformation d’une source vive en un canal d’irrigation plus ou moins bien ordonné.
p21. A ce moment s’établit une distance encore plus grande entre le roc de la “pensée vie” première et les espaces sableux qui vont bientôt l’ensevelir.
Si l’on veut éliminer le mot “christian-isme” que faudrait-il dire ?
D’une part la Révélation et l’Oeuvre de Dieu accomplie en Jésus-Christ,
en second lieu, l’Être vrai de l’Eglise en tant que corps du Christ,
en troisième lieu, la foi et la vie du chrétien, dans la vérité et dans l’amour.
Nous dirons pour désigner ces trois aspects : “X”
p22. Pour achever cette esquisse de la question qui se pose à moi de façon si dure, il faut encore faire entrer en ligne de compte une autre donnée. Jésus nous dit : Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde, d’autre part il promet qu’il nous enverra son Esprit. Et l’Eglise a fait de l’Esprit-Saint la troisième “personne” de Dieu, une part intégrante du Dieu unique.
p24. Le Saint-Esprit libère. “Là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté.” Il est une puissance de lumière, c’est à dire qui éclaire l’homme et lui permet de jeter un regard profond et neuf sur lui-même et ce monde. Il est enfin une puissance de conscience, qui montre à l’homme quelle est cette volonté de Dieu.
Lorsque les, chrétiens ont fabriqué le christianisme ils n’ont pas aspiré au don plénier du Saint-Esprit. Ils ont choisi autre chose et dès lors le Saint-Esprit est resté inemployé.
p25. Quelles sont les forces, les mécanismes, les stratégies qui ont induit cette subversion ?
II
Le X est subversif dans toutes les directions et le christianisme est devenu conservateur et antisubversif. Le X est subversif envers les pouvoirs quels qu’ils soient. L’argent, puisque Jésus le qualifie de Mammon.
Il y a incompatibilité radicale entre l’argent et le Christ. Jésus recommande à ses disciples de ne rien avoir. Et de même Paul montre que l’argent est fait pour être donné. Et Jacques que l’argent amassé par le riche résulte inévitablement du vol dont est victime l’ouvrier. Il est des objets principaux de convoitise, or la convoitise est la racine de tous les maux.
Le pouvoir politique ? Ce n’est pas pour rien que les premiers chrétiens ont été attaqués dans l’empire comme de dangereux anarchistes comme des agents de subversion de l’ordre romain. Ils étaient objecteurs de conscience militaire, mais aussi objecteurs de conscience envers l’administration et l’empereur.
P26. Subversion à l’égard de toutes les religions. Ceci avait commencé avec les juifs.
P27. Il faut se référer au jugement des contemporains des premiers chrétiens. Ceux-ci étaient jugés comme des athées et des hommes irréligieux. Ils n’étaient pas du tout libéraux et refusèrent la proposition de l’empereur de mettre leur Chrestus au rang des autres dieux. Il ne s’agit pas de faire prévaloir une meilleur religion sur les mauvaises, païennes, il s’agit de détruire les religions et l’esprit religieux infantiles.
Destruction au même titre de la morale . Dans la mesure où l’action permanente de Dieu est la mise en liberté de l’homme. On ne peut supporter une morale qui établit le bien et le mal. Dans la Genèse ce que l’homme acquiert en “prenant le fruit” c’est la “connaissance du bien ou du mal”
p28. mais connaissance dans le sens de capacité de déclarer , comme Dieu, ceci est bien, ceci est mal. Dieu place l’homme dans la seule situation éthique vraie , du choix personnel, de la responsabilité, de l’invention pour trouver la forme concrète d’obéissance à son Père.
Quand Jésus transgresse les commandements devenus morale, quand il fait de la transgression une sorte de conduite constante, quand Paul pose brutalement la question : “Pourquoi observez-vous ces commandements qui sont uniquement des commandements d’homme, ce n’est pas à la loi juive qu’ils en ont, mais à toute morale. »
p29.Subversion des cultures ? On sait à quel point aussi bien l’Ancien Testament que le Nouveau sont imprégnés par les cultures environnantes. Il y a dans toute la Bible, à l’égard des cultures environnantes ce que les situationnistes ont appelé le détournement : ressaisir le texte et le détourner de son sens. C’est ce qu’on fait les écrivains juifs et chrétiens.
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p31. Quel a été l’aboutissement ? Un christianisme qui est une religion avec des mythes, des légendes, des rites, du sacré, des croyances, un clergé, etc….Un christianisme qui a fabriqué une morale, et quelle morale ! La plus stricte, la plus moralisante, la plus infantilisante, la plus débilitante, tendant à faire des irresponsables : morale sexuelle, morale d’obéissance absolue, morale du sacrifice. Un christianisme qui est devenu un conservatisme complet dans tous les domaines, politique, économique, social. Que rien ne bouge. Que rien ne change. La contestation, la critique c’est le mal.
p32. La hiérarchie est voulue par Dieu, les pauvres sont pauvres par la volonté de Dieu.
Dans le domaine des cultures nous trouvons exactement la même inversion. Le christianisme s’imbibe comme une éponge de toutes les cultures et de leurs avatars. Dominé par la culture gréco-romaine il est devenu terrien et féodal puis bourgeois , urbain et socialiste. Il a servi à diffuser la culture occidentale dans le monde. Maintenant il se laisse pénétrer par les cultures africaines, orientales, amérindiennes.
p33.En cela aussi le christianisme est l’inverse de ce que la Révélation de Dieu en Jésus-Christ nous montre. Telle est l’esquisse générale. Telle est en même temps la question dramatique. Ainsi s’ouvre une quête que j’essaierai de mener aussi loin que possible, thème par thème.
Chapitre II
Les grandes voies
p34. Comment une telle subversion a-t-elle pu se produire, quelles sont les causes ?
On a tendance à tout ramener aux théologiens : élaboration des rites, apparition de notions totalement étrangères à la Bible comme le Purgatoire. Ce sont bien des chefs d’Eglise et des théologiens qui sont au point de départ mais il faut de suite faire deux réserves.
La première, c’est que jamais des théologiens n’ont expressément voulu enseigné des idées et des dogmes contraires à la Révélation. Tout ce que l’on peut constater c’est parfois une petite adjonction ou une interprétation glissante.
p35. Ainsi pour la symbolique de la messe, le purgatoire.
Dans l’évolution qui suit , ce qui va toujours devenir dominant c’est le lapsus, l’élision etc…c’est à dire la partie vicieuse. C’est cela que le peuple chrétien a retenu.
Il semble que nous soyons en présence de l’accomplissement de la prophétie de Jésus selon laquelle un fragment de mal ou d’erreur peut corrompre le Tout. La responsabilité des clercs est donc indiscutable.
p36. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de cette explication qui serait à l’origine de toutes les déviations et perversions… il y a mille exemples, retenons ici les plus évidents.
D’abord et sans aucun doute l’alliance avec les pouvoirs. Pas seulement au moment de la reconnaissance officielle de l’Eglise par Constantin mais une alliance voulue par les chrétiens et l’Eglise avec tout ce qui représentait un pouvoir dans le monde. Il fallait utiliser ces forces pour le bien de l’évangélisation. (Constantin Ier (Flavius Valerius Aurelius Constantinus en latin), né à Naissus en Mésie (aujourd’hui Niš en Serbie) le a 1, est proclamé 34e empereur romain en 306 par les légions de Bretagne (actuel sud de la Grande-Bretagne), et mort le après 31 ans de règne. C’est une figure prépondérante du ive siècle.
L’empereur Constantin Ier mène une vie politique militaire, religieuse et économique profondément réformatrice, qui lui permet de réunir sous son unique autorité un Empire romain affaibli et divisé. Il se débarrasse des empereurs Maxence en 312 (bataille du pont Milvius) et Licinius en 324 (bataille d’Andrinople). Son règne voit l’établissement de la liberté de culte individuel, qui met fin aux persécutions des chrétiens (édit de Milan, 313).
Il met provisoirement fin aux dissensions des Églises d’Orient en convoquant le premier concile de Nicée (325), et affirme son autorité dans le domaine religieux : c’est le césaropapisme. Il instaure une monnaie stable (le solidus, 312), développe l’administration centrale, défend les frontières de l’Empire contre les Francs, les Alamans, les Sarmates, les Goths et les Sassanides. Il fonde en 330 une nouvelle capitale à son nom, Constantinople (actuellement Istanbul).
Ses réformes favorisent largement l’essor du christianisme, vers lequel il se tourne progressivement, et dont il est même devenu l’un des saints pour l’Église orthodoxe1 et un saint local pour l’Église catholique2, sous le nom de Constantin le Grand.
Mais il s’est produit l’inverse : c’est l’Eglise et la Mission qui ont été pénétrées par le pouvoir et totalement détournées de leur vérité par la corruption du pouvoir. Lorsque Jésus dit que son royaume n’est pas de ce monde, il dit clairement ce qu’il veut dire. Il met en garde contre toute recherche d’une autre autorité que celle du Saint-esprit.
La prédication évangélique était essentiellement
p37. subversive, l’ensemble des forces du corps social s’est retournée, l’a absorbée de telle façon que les chrétiens ont pu croire à une mutation de la société. En réalité les groupes qui ont adhéré massivement au christianisme ont apporté avec eux un rituel social exactement inverse de ce qui était annoncé par Jésus. L’Eglise a été conduite à la reconnaissance de l’adaptation nécessaire de la vérité de Jésus-Christ à des cultures différentes. Elle a abandonné le radicalisme de Jésus et des prophètes. On constate alors dès le IV e siècle , ce que certains ont qualifié de paganisation de l’Eglise.
p38. Elle a transformé le culte païen de l’empereur en un véritable “culte” chrétien.
Comme par ailleurs cette Eglise avait fortement le sentiment de détenir la seule et unique vérité, qu’elle avait une sorte d’obsession de l’Unité, elle ne tolérait plus la diversité des expressions de la foi. ( d’où la persécution des hérétiques).
Elle devait en même temps absorber tout ce qui paraissait intellectuellement ou religieusement valable, d’où la tendance au syncrétisme qui a commencé au IIIe siècle et n’a pas cessé jusqu’à aujourd’hui.
Or, le drame fut le suivant : on ne pouvait pas totalement évacuer ce que Jésus avait dit et fait.
p39. Il avait par exemple apporté une liberté nouvelle, un amour nouveau, une expression de vérité…Un certain nombre d’effets ont subsisté alors que la substance de de la foi avait en elle même disparu. Ainsi une nouvelle morale naissait, ne reposant plus sur rien.
Nous pouvons considérer que le théologique a été l’un des facteurs de cette perversion mais non la cause.
Je ne vais pas reprendre la théologie d’Irénée, d’Ambroise et d’Augustin. Encore moins celle des Pères grecs ( cf les Pères de l’Eglise). Je n’entrerai pas dans la querelle des nominalistes et des réalistes (querelle si moderne). Nous ne chercherons ni Thomas d’Aquin ni Ockham et je laisserai de côté Luther ou Calvin, Newman ou Küng. Tant de pensées justes, vraies couvrant tant d’erreurs et de déviations ! Il me semble que tout se ramène à une mutation phénoménale de compréhension de la Révélation.
p40. C’est le passage de l’histoire à la philosophie. Tous ont considéré le texte biblique ou la révélation connue soit comme des points de départ d’une philosophie soit comme des références de pensée.
Très tôt on a oublié l’essentiel : le Dieu biblique ne révèle pas une sorte de système philosophique, ni une morale, ni une construction métaphysique. Il entre dans l’histoire des hommes, accompagne son peuple. La Bible est une suite d’histoire.
p41. L’histoire des accords et désaccords de Dieu avec ce peuple, l’histoire des fidélités et désobéissances, une histoire qui nous dit “qui est Dieu avec et pour l’homme” mais qui ne parle jamais de Dieu en soi, qui ne fournit jamais une théorie sur Dieu.
Même les parties de cette Bible hébraïque qui nous paraissent plus désincarnées comme les lois participent encore de l’histoire. Les “dix paroles” ne sont pas vraies en soi. La loi biblique est vraie parce que c’est l’Eternel qui la dit.
p42.Elle est donnée comme une attestation d’une alliance. Elle sera le point de départ d’une nouvelle histoire. Pour achever son oeuvre Dieu ne nous envoie pas un livre, il nous envoie un homme. Or, voici donc le mode que Dieu a choisi pour se révéler à l’homme et voici que l’homme ressaisit tout cela pour le faire entrer dans son système de questions et d’expressions.
La pensée hébraïque a été semée dans une terre nourrie de la pensée grecque et de la juridicité romaine.
p44. Il a fallu tout de suite retraduire ce qui était histoire en termes compréhensibles pour le monde gréco-romain. La Torah est devenue un équivalent divin de la loi des Douze Tables. La Révélation de Dieu est devenue le point de perfection de l’enseignement de Socrate. On a interprété la Bible par les moyens intellectuels de la philosophie grecque. On a interprété le texte soit dans le cadre de la pensée platonicienne soit dans celui de la pensée aristotélicienne. On a considéré les récits comme des mythes dont il fallait retirer une “pensée” universelle.
Se convertir ! Le grand mot est lâché ! Les hommes du IIIè siècle se sont convertis au christianisme sur le plan moral et religieux mais ils on gardé intact leur mode de pensée. Il fallait aussi convertir ce mode de pensée.
p45. Comment aimer avec sa pensée ! Comment subordonner sa pensée à une révélation de l’amour et de l’amour de Dieu. Cela va à l’encontre de toute démarche philosophique objective et cohérente ! Mais comment ne pas avoir compris que si Dieu avait voulu nous délivrer une philosophie, il nous aurait fourni un livre cohérent et non cette incohérence vivante qu’est la Bible.
Or, avec la métaphysique, l’éthique et le droit on a radicalement transformé tout le sens de la Révélation.
C’est ainsi par exemple que le Dieu libérateur et qui fait grâce va être très rapidement vu au travers du pater familias du droit romain. Là où Jésus dit : Mon Père, le Romain traduit Pater. De même dans ce monde que Rome a contaminé de juridisme, on va employer non seulement la méthode du raisonnement philosophique grec mais la méthode d’exégèse des juristes romains.
p46. On va donc penser le contenu de la Révélation dans une forme qui lui était étrangère.
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Je pense qu’un autre facteur de déformation a été le succès même du christianisme. Ce succès reposait lui-même sur l’importance de la diaspora juive. Dans chaque grande ville de l’Empire existait une colonie juive. C’est dans ces colonies que les premiers apôtres et missionnaires chrétiens ont travaillé.
p47. Il y avait alors dans l’empire une intense soif religieuse. Partout se répandait un nouveau type de religion, ce que l’on appelle les religions à mystère. Les religions orientales se sont diffusées partout.
On ne croyait plus à Jupiter mais à Mithra, à la nouvelle Diane. C’est dans ce vaste courant que s’inscrit la poussée du christianisme. Une religion nouvelle de plus.
p48. Ainsi le christianisme s’est répandu dans le courant des religions à mystère, ce qui par rétro-action a fait entrer le mystère dans la théologie chrétienne. On le trouve chez Paul et surtout dans l’Apocalypse. Sans aucun doute le christianisme a été reçu comme une religion d’évasion hors du monde, religion compensatoire, soit dans la fête, soit dans l’autre monde qui conduit à se retirer du monde ( d’où courants ascétiques, les ermites etc…) mais conduit aussi à accepter son sort pour ce qu’il est.
Opium du peuple : le christianisme ne l’était nullement dans ses origines mais il a été investi de cette signification par contamination des autres religions.
p49. Au Ier et IIè siècle on passait d’un mode religieux à un autre. S’offre une religion non plus redoutable mais de la grâce, de la joie, de la libération, de l’espérance.
p50. A la fin IIIè siècle le christianisme était devenu à la mode. Se produisit alors le retournement.
p51. On avait bien commencé par une évangélisation très rigoureuse mais maintenant on atteignait le grand nombre. Comment résister à “l’évangélisation de masse”. Vers le III ième siècle se produit le retournement décisif. Dans l’Eglise primitive, la conversion personnelle entraînait l’entrée dans l’Eglise et supposait un cheminement préalable. Quand on eu affaire à des masses si nombreuses on entrait dans l’Eglise et c’était là qu’on recevait une instruction religieuse. Il fallait jeter le filet et ramener tout ce que l’on pouvait.
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p52. Ce que je voudrais démontrer ici c’est que l’alliance avec des puissances du monde conduit inévitablement à l’adhésion à toutes puissances de la société.
Les gens riches vont se mettre à donner et sans doute à s’occuper des pauvres. L’histoire traditionnelle se félicite des innombrables fondations de l’époque. Mais on donne aussi largement à l’Eglise.
p53. L’Eglise devient une puissance d’argent. On s’engage dans le grand malentendu sur la fin et les moyens. Les première formes d’Eglise que les chrétiens avaient adoptées disparaissent à savoir communauté de vie et de biens.
Il est inutile de chercher quand apparaissent les évêques, ce n’est pas ce qui est important mais c’est le fait que l’organisation s’élabore par contamination avec les institutions impériales. Avec évidemment une hiérarchie….C’est la transformation de l’Eglise en institution qui est le fait majeur correspondant à l’enrichissement.
p54. C’est la réduction de l’amour et de la grâce au profit des oeuvres.
On assiste donc, au IV-V è siècle à un glissement de l’amour et de la grâce vers le service et “l’action sociale”. Mais cela changeait totalement la perspective chrétienne. il y avait rupture entre ceux qui s’occupent des autres, qui rendent le service et qui expriment la charité et puis ceux dont on s’occupe, qui sont l’occasion de la charité des autres et à qui on rend service. Telle était la vraie rupture de l’Eglise. Comment, dans ces conditions, aurait-on pu maintenir une théologie de la non-puissance, et plus encore une pratique de la non-puissance.
p55. L’acte même de canonisation était la démonstration qu’il y avait une foi d’exception qui n’était pas destinée aux fidèles. On occulte la question dure posée par Jésus : “Que faites-vous d’extraordinaire ?”
p56. A partir du moment où les pauvres ont sans doute été bien accueillis, bien servis dans l’Eglise mais de la façon que nous avons dite, alors tout ce qui représentait la faiblesse, l’infériorité passait au second plan.
L’exemple le plus frappant est celui de la femme. Elle va, après sa période d’indépendance acquise avant la diffusion du christianisme, se voir reléguer au second plan. Jamais l’ Evangile ni la première Eglise ne sont hostiles aux femmes. Malgré cela, le christianisme devenu puissance, pouvoir, va jouer contre les femmes.
Je ne crois pas que ce soit à cause de deux ou trois textes de Paul que l’on interprète toujours comme misogynes que le christianisme a été conduit dans cette voie mais par la mutation qui l’a conduit à adopter des valeurs de conquête, de pouvoir, de domination. Dès lors, les femmes étaient écartées de la participation à la vie spirituelle et à la vérité du Christ.
p57.Ce mouvement coïncidait avec l’extrême dégradation des moeurs. On fut d’autant plus exigeant que l’Eglise se chargeait de la moralisation de l’empire. Délaissant le vrai message on a cherché les textes qui pourraient justifier la rigueur morale. Plus on réduisait la femme au silence, plus on accusait la femme (tentatrice de la Genèse) plus on exaltait le rôle idéal. Le culte de la Vierge naît sur cette répression, pour la voiler et donner bonne conscience à l’homme. Il joue le rôle d’une idéologie.
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p58. Jésus avait annoncé à ses disciples qu’ils étaient le petit troupeau. Le levain dans la pâte. Le sel dans la soupe. Les brebis au milieu des loups. Il nous montre toujours une force secrète qui modifie les choses de l’intérieur, qui agit spirituellement. Il nous montre une communauté qui ne peut être rien d’autre qu’une communauté. Or la situation s’inverse, Il n’est plus possible de vivre en communauté.
p59. Je ne puis éviter de citer un texte de Kierkegaard, L’instant qui est décisif : “…. le christianisme est en raison inverse du nombre. Quand tous sont devenus chrétiens, le concept de chrétien est vidé. C’est en effet un concept polémique : on ne peut être chrétien qu’en étant en opposition, en prenant une conduite d’opposition…”
L’opposition étant supprimée, il n’y a plus de sens à se dire chrétien.
Le concept de chrétien est donc en raison inverse du nombre et celui de l’état en raison directe. Néanmoins on les a amalgamés pour le plus grand avantage du galimatias et de prêtres.
“ L’histoire n’offre probablement pas d’autre exemple d’une religion qui s’est abolie à force de prospérer.” Or, à partir du IVè s. on adhère au christianisme devenu courant dominant.
p60 On cherche à mener une vie à peu près conforme à des commandements donnés par l’Eglise et qui deviennent bientôt très vite une simple morale. Tout cela est évident.
Il faut attester que tous ces gens sont bien chrétiens et l’on compte alors sur la cérémonie : le baptême suffit.
Quand on a affaire à des milliers de nouveaux convertis,…
p61. Comment leur annoncer qu’ils sont libres, entièrement, de choisir leur vie de décider par eux-mêmes de choisir leur conduite ? Il a fallu encadrer, placer une autorité à la tête de chaque groupe. On ne pouvait éviter la hiérarchie. Il a fallu des supérieurs ecclésiastiques pour veiller sur les prêtres, les former. La liberté glorieuse qui est en Christ et qui ne pouvait être tolérée était remplacée du même coup par des commandements clairs et stricts.
p62. Il devient indispensable de remplacer l’effusion de l’Esprit pour la prédication, pour la prière, pour la connaissance de l’Ecriture par des rites bien établis. Plus le clergé de base sera ignorant plus il sera nécessaire d’en faire l’officiant d’un culte ordonné. La morale et les rites sont les grands moyens de défense contre les perversions de cette masse nouvelle entrée dans l’Eglise sans aucune authenticité de foi.
p63. La masse impliquait l’ordre et la morale. Les païens sont entrés dans l’Eglise avec leur paganisme. Un fait bien connu est l’adoption par l’Eglise de petits dieux locaux ainsi le saint Genis, Genès, Geniès n’est autre que le petit Genius local, le dieu du lieu où l’on habite.
Il y a eu alors un triomphalisme chrétien accablant : l’attribution des temples païens transformés en églises. On plaçait sur tous les monuments de la Rome antique une statue de saint Pierre ou une croix.
p65. Ce christianisme est d’abord devenu ce que l’on peut appeler l’idéologie structurante de cette société… une religion d’état, une croyance facile, moralisante et constructive.
p66. Dernière conséquence de la massification : on en arrive alors à cette situation étonnante qui a duré 15 siècles et qui commence tout juste à être mise en question : on demande à l’homme de se comporter comme s’il était chrétien en vérité alors qu’il ne l’est vraisemblablement pas. C’est tout l’inverse de la Révélation biblique.
p67.Nous arrivons au dernier thème de cette recherche générale sur la subversion du « X ». Très rapidement, on eut l’expérience dans l’Eglise de ce qu’avait d’intolérable et d’inapplicable ce qui était demandé. Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait… Comment peut-on prendre au sérieux cette impossibilité ?
p68. “Va, vends tous tes biens, donne les aux pauvres puis viens et suis moi”. Il y a une limite que nous ne pouvons pas, absolument pas, dépasser. Aucune imitation de Jésus-Christ n’est possible. Alors, commence le travail de sape des théologiens puis des juristes pour expliquer que ces commandements étaient destinés à des élites spirituelles et constituaient seulement des conseils pour les autres.
Un autre exemple est celui de la liberté. Jésus, Paul, nous attestent que celui qui est conduit par l’Esprit est totalement libre à l’égard de tout. La liberté acquise en Christ supposerait une parfaite maîtrise de soi.
p69 L’homme libre est le plus totalement responsable… C’était vraiment intolérable. Alors là aussi va commencer le travail des moralistes. La liberté en Christ sera rapidement oubliée. On parlera beaucoup de foi, amour, vertu.
p70.L’homme est radicalement libre. C’était déjà contenu dans le premier acte de la libération d’Egypte, c’était la constante promesse du Dieu d’Abraham et voici que tout est accompli dans l’Incarnation. Mais cette liberté était rigoureusement intolérable dans la plénitude de ses conséquences…; C’est ce refus de tous les hommes, unanimement, qui a produit le rejet de la liberté chrétienne.
Un risque sans couverture, une acrobatie joyeuse et périlleuse, sans filet. Ce n’est pas ce que l’homme désire.
&
p71. Un autre germe de la subversion tenait au caractère essentiellement contradictoire de la Révélation. Tout, dans la Révélation, est formulé d’une façon antagoniste. Tout ce que nous donne la Bible est ainsi. Il n’y a jamais une vérité unitaire. Par exemple Paul, concernant le salut, nous dira : “Vous êtes sauvés par grâce par le moyen de la foi, donc efforcez vous à votre salut.”( et il accumule alors tous les conseils pour vivre en tant qu’ hommes sauvés). C’est parfaitement contradictoire.
De même Dieu est assurément Tout puissant et l’homme est libre. Ce que les non-croyants ne comprennent jamais.
p72.Dieu est le Dieu caché précisément en ce qu’il se révèle. Il est totalement et pleinement présent dans ce Jésus-Christ. Dieu n’est pas ailleurs : l’homme comme condition de Dieu.
C’est incompatible ? Mais tout dans la Bible est incompatible. Et partant, il n’y a de révélation que dans la mesure où les deux contradictions sont tenues ensemble. “Dieu le Tout autre incarné en un homme”.
p73. Depuis 600 ans avant Jésus-Christ nous fonctionnons sur le mode du “ou bien-ou bien”. Nous ne pouvons supporter la coexistence des contraires.
Nous avons commencé dès le II ième siècle à diviser, répartir, classer, ordonner.
Si je dis Dieu est transcendant c’est faux. Si je dis Dieu, c’est Jésus (et il n’y a rien d’autre) c’est faux. Une première conséquence a été évidemment la multiplication des hérésies c’est à dire des condamnations portées par les tenants d’un des thèmes contre les tenants de l’autre.
&
p74.Je prendrai un troisième germe de cette subversion qui paraît à première vue l’inverse de celui que nous venons d’examiner. Nous avons soif d’unité. Nous cherchons à ramener la diversité à l’Un.
p75. Le “monothéisme” n’est pas “un progrès religieux” c’est une aventure unitarienne. La religion assurerait l’unité de l’Empire parce que « Dieu Un » agirait lui-même pour cette unité.
p76. Cette obsession politique fondée sur le religieux va se répercuter pendant toute la période dite barbare et tout le Moyen-age.
Deux voies contradictoires trouvent leur origine dans cette obsession. D’un côté, un totalitarisme chrétien, de l’autre un synchrétisme.
p77. Il y a eu chez les missionnaires aventureux et pieux un profond désir de convertir tous les peuples pour leur salut, mais il y a eu autant chez les chefs d’Eglise la visée que le monde entier doit former une unité puisque Dieu est Total et Un.
Si l’unité ne pouvait pas être atteinte par la destruction de tout ce qui était extérieur, alors peut-être pouvait -on tenter la conjonction et l’unification par l’amodiation réciproque du christianisme et de ce qui résistait. On connaît bien toutes les tentations du synchrétisme des premiers siècles avec les religions diverses de l’Empire.
p78. Au XIX è s. c’était la tentation du bouddhisme qui s’est prolongée dans les années 30 avec les fervents assimilateurs du christianisme et de l’hindouisme. Aujourd’hui, revient la tentation d’un synchrétisme avec l’Islam.
Chaque fois, c’est un nouveau mensonge qui s’introduit dans la Révélation.
&
A certains points de vue, ma recherche semble proche de celle de Carl Amery– La Fin de la Providence, Seuil, 1976-. Je me trouve en accord avec lui sur son souci écologique, sur sa formule saisissante selon laquelle “l’humanité a volé de succès en succès…. la crise totale est le résultat de la réussite totale.”
Mais c’est ici que nous commençons à diverger, pour Amery, le christianisme est le responsable unique et total de tout le drame moderne.
p79. Quant à moi, je dirai que le christianisme est en partie responsable et que c’est justement la subversion du christianisme, c’est à dire un anti-christianisme qui est en cause. Comment pourraient-ils voir dans le monde d’aujourd’hui autre chose que l’échec total, pour ne pas dire la victoire finale du Malin ?
Ici je cherche comment cette subversion a pu avoir lieu.
p80. Amery prétend montrer que tout ce qui est survenu de mauvais dans notre société était déjà contenu en germe dans la Révélation biblique. Ainsi pour lui le “coeur du message” c’est l’élection de l’homme et de lui seul parmi toute la Création, l’idée d’une “alliance” qui donne un mandat absolu à l’homme de régner.
Ces affirmations sont fausses et l’idée de création, de supprématie de l’homme n’a pas joué dans la pensée juive le rôle qu’il dit.
Je pourrais relever beaucoup d’autres erreurs.
p81.
chapitre III
La désacralisation par le christianisme
et la sacralisation dans le christianisme
p83. Que dit-on en prononçant ce mot ? Je ne me hasarderai pas à avancer une définition !
Je me borne à constater qu’il existe dans toutes les sociétés un certain ordre de sentiments, d’expériences, d’objets, de rites, de paroles, auxquels l’homme attribue une valeur qui n’est pas directement utilitaire, indépendants de sa propre puissance, qu’il estime ne pouvoir ramener à la quotidienneté, à la rationalité mais qui lui paraissent chargés soit d’un potentiel inexprimable d’énergie soit d’un potentiel explicatif.
Dans cette orientation j’exclus la question de savoir si le sacré existe en soi et s’il y a vraiment du sacré. Je me borne à dire : tout se passe comme s’il en était ainsi.
Le second point c’est que le sacré n’est pas identique au religieux. Le sacré déborde largement les phénomènes religieux.
Il me semble que le sacré est relatif à trois aspects de la vie de l’homme : la spatialité, la temporalité, la socialité. Grâce au sacré, l’homme définit, dit un ordre du monde.
&
p85. Si l’on ne se borne pas à des généralités on s’aperçoit que non seulement le sacré est variable, mais qu’il n’est pas d’intensité constante. Mais tout se passe comme si l’homme n’arrivait pas à vivre dans un univers désacralisé, un univers sans structures déclarées transcendantes ou sans religion.
p86. Disons que pour notre période moderne, j’ai analysé le sacré de nos sociétés comme étant ordonné autour de deux axes. L’axe “technique/sexe” et l’axe “Etat-nation/révolution”
I
La désacralisation
par le christianisme
p87. Depuis une vingtaine d’années, certains théologiens et sociologues ont mis en lumière le fait que la première pensée chrétienne puis au delà, la pensée juive, avaient été terriblement critiques à l’égard de tout l’univers sacré païen.
La lutte de la Réforme a été presque tout entière centrée sur la volonté de détruire le “sacré” qui avait envahi l’église catholique.
p88. Comment, à partir de cette première prise de position, fondamentalement critique, l’Eglise et les chrétiens ont-ils progressivement reconstitué un sacré ?
Dans la Bible juive, dans le Pentateuque ou chez les Prophètes, il y a une violente attaque contre les religions. En fait contre le sacré.
p89. Lutte contre la sacralisation des forces naturelles. Le conflit est mené contre le sacré cananéen et le sacré chaldéen et plus lointain, contre le sacré égyptien. Ce qui passe au premier plan, ce n’est pas le “monothéisme” contre un polythéisme mais c’est l’idée , le concept de création, à la manière dont il est formulé dansGenèse 1 et 2. Tout est purement et simplement création.
La création biblique est totalement désacralisante. Dieu est vraiment hors du monde.
p90.Il n’est inclus dans aucune partie de cette création.
Seul l’homme est “sacré”, sa vie est la seule qui dépasse le statut de « chose créée ». En même temps c’est le conflit contre le polythéisme dans la mesure où les dieux sont liés à des réalités naturelles. Il y a conflit entre le visible et la parole.
La pensée religieuse juive récuse la totalité des représentations de Dieu.
p91. Dieu est absent du monde. A la place du visible , la Bible place la Parole comme seule relation à Dieu. Dieu parle. L’homme parle. Il n’y a rien d’autre.
Cette radicalité est l’expression extrême de la désacralisation.
Reste enfin la distinction rigoureuse du sacré et du saint. D’une part, nous l’avons vu il n’y a rien de sacré, d’autre part ce qui est saint c’est ce qui est “séparé”. Sera saint sur terre ce que Dieu choisit et met à part.
p92. Dans les faits, on constate très vite un retour du sacré. Un sacré volontaire et un sacré involontaire. Le sacré volontaire nous le rencontrons dans le maintien des prêtres et des sacrifices. Il y a dorénavant un intermédiaire entre Création et Créateur. Il y a aussi infiltration du sacré de façon involontaire. Il y a des lieux qui deviennent sacrés et spécialement les montagnes, le mont Carmel, le Sinaï, le mont Garizim, le mont Horeb, le mont Sion…
p93 D’autres lieux deviennent sacrés. Ainsi on voit sans cesse réapparaître l’adoration de la Lune ou de la force de reproduction sous forme du Taureau.
Constamment, il y aura conflit entre la volonté de désacraliser au profit du seul Dieu absolument différent et la reprise du sacré par une sorte d’impulsion spontanée.
&
p94. Le christianisme naissant va entrer pleinement dans le processus de désacralisation de la pensée hébraïque, il va le pousser à l’extrême.
C’est dans la pensée chrétienne que sera radicalisée la Transcendance, la coupure totale entre Dieu et le monde, à partir de laquelle aucun sacré ne peut être développé. Le Dieu chrétien se connaît en Jésus et nulle part ailleurs. Hors de Jésus, il est totalement inconnaissable et inaccessible. Rien ne peut être montré ni du mystère divin ni de la Révélation. Le dieu chrétien est un dieu caché. Il s’agit d’une religion de la Parole seule.
p95. Le christianisme va rejeter ce qui dans le judaïsme pouvait représenter une survivance du sacré : les sacrifices et la prêtrise. Il n’y a rien à ajouter au sacrifice de Jésus.- épitre aux Hébreux- Dans les ministères nécessaires à la vie de l’Eglise cités par Paul il n’y a justement pas de prêtres. Dans le Nouveau Testament, quand le mot est prononcé c’est pour dire que maintenant c’est l’ensemble des fidèles qui est devenu un “corps de prêtres”.
Enfin les puissances mystérieuses du monde sont définitivement exorcisées, éliminées, vaincues. C’est un thème essentiel. Il y a dans le monde des “puissances spirituelles” appelées diversement , “trônes, exousia, dominations,…” etc…qui habitent le monde, se cachent dans les institutions, dans des hommes, etc…Mais tout cela a été détruit par la mort et la résurrection de Jésus.
p96 La seule énergie nouvelle que l’on reconnaisse c’est la présence potentielle de Dieu par le Saint-Esprit.
Le point de départ étant celui-là, comment arrive-t-on dans le christianisme médiéval et jusqu’à maintenant à la production d’un sacré chrétien, où le sacré joue un rôle décisif ?
II
La sacralisation du christianisme.
La resacralisation de la nature et de la société
par le christianisme
Le christianisme a vaincu les autres religions du monde romain, il a éliminé le sacré traditionnel des populations païennes. Les hommes, sans doute convertis à partir du IV è siècle massivement au christianisme, ont reporté sur lui les convictions de sacré qui les habitaient.
p97. Il est évident que l’on a pu confisquer les temples voués aux dieux gréco-latins et les baptiser églises chrétiennes, la seule structure architecturale devait forcément rappeler à tous, l’ancienne religion. Je dis que l’on ne peut pas annuler en un instant la structure mentale antérieure et la grille d’interprétation du monde et de la vie.
p98. Les campagnes sont restées assez païennes. Il s’est produit une sorte d’amalgame entre croyances chrétiennes et croyances païennes, correspondant à une fois populaire. Le bâtiment -lieu de culte- va être l’objet d’une sorte de consécration.
Les premiers chrétiens n’avaient aucune espèce de révérence particulière pour le lieu où se réunissaient les fidèles. C’était un lieu quelconque.
p99. Ce lieu est investi des croyances concernant les temples païens. C’est le sentiment du sacré qui remonte. Qui plus est, on va séparer dans l’église deux parties comme dans les temples païens. Une partie plus profane pour les fidèles et une partie pour les prêtres.
Pour bien marquer le caractère sacré, il faudra accomplir certains gestes , se découvrir, s’agenouiller, prendre de l’eau bénite. Des lieux deviennent sacrés : les tombes des martyrs, les lieux où se sont produits des miracles etc…
p100. Cette adoration sacrale va courir tout au long de l’histoire de l’Eglise, jusqu’aux lieux de visions béatifiques ou de miracles ( Lourdes par exemple)
Alors que Paul dit qu’il n’y a pas à respecter des jours ou des temps particuliers, que ce sont des prescriptions humaines qui n’ont aucune valeur, on va rapidement considérer des jours de la semaine comme sacrés ( le vendredi jour de crucifixion et le dimanche jour de résurrection), de même des périodes (Avent, Carême). Ceci est typiquement une attitude sacrale.
Alors que dans la Bible la communion pascale est ouverte très largement et donc ce n’est pas un acte sacré, il faudra dorénavant une purification pour approcher du “sacré”.
p101.Le sacré exige toujours une manifestation concrète. S’élaborera ainsi peu à peu la doctrine de la transsubstantiation, la piété de l’hostie présence réelle, matérielle, du Christ lui-même : c’est le christ lui-même qui est là.
p102. C’est un énorme domaine du sacré qui entre massivement dans le christianisme, d’autant que cela entraine deux conséquences :
Le sacrement agit par lui-même. L’hostie agit par elle-même. De même le baptême agit par soi-même. Nous sommes là en présence d’une représentation parfaitement sacrale. Ce n’est pas la relation de foi du croyant qui compte mais le rituel d’Eglise et l’objet qui détient la force sacrée de transformation.
La réintroduction du visible comme signe de révélation est tout à fait fondamental pour la réinsertion du sacré dans l’Eglise.
p103. Tout devient visible. Ce sont successivement les vitraux représentatifs, les livres d’images. Ce sont les statues, non pas directement de Dieu mais de Jésus, la Vierge, les saints.
C’est le vêtement spécifique et séparatoire du prêtre etc…
A la limite , l’icône, où la fusion de la révélation et de l’image est à peu près totalement accomplie.
Dans le protestantisme qui a été un effort de désacralisation le temple est devenu
p104 un certain lieu sacré.
&
Le sacrifice retrouve sa place, il faut sacrifier ce dont on a envie, que l’on aime, il faut se priver de tout, on fera une vertu de choisir toujours le plus difficile, le plus pénible. En même temps et de façon tout à fait concordante, la réflexion sur Dieu est menée grâce à la pensée grecque et romaine. On procédait à une analyse des attributs de Dieu.
p105. Nous avons dit que dans le Nouveau Testament le prêtre n’existe pas. Il y a des diacres ( pour les secours), des prophètes(pour la prédiction), des docteurs ( pour l’enseignement), des épiscopes( pour la surveillance du bon ordre) : pas de prêtre, parce que justement Jésus est le seul et unique médiateur. Mais à partir du moment où le sacré reparaît dans le christianisme , il faut des personnages porteurs, représentatifs de ce sacré.
p106. Le prêtre a des fonctions sacrées qu’il est le seul à pouvoir remplir. Il est porteur du sacré positif. Apparaît en contrepartie le porteur du sacré négatif : le sorcier.
Bibliquement, le sorcier est possédé d’un esprit que la foi doit chasser. Dans l’Eglise primitive la sorcellerie n’existe pas. Il ne faut pas y croire. C’est de la pure imagination. On retrouve cet enseignement encore au IX è siècle. Mais, ce qui finira par triompher c’est le contraire, la croyance au Diable, aux puissances surnaturelles agissant sur terre.
Il y aura le chant sacré, la musique sacrée, l’art sacré, les livres sacrés, les vases sacrés, une histoire sacrée.
p107 Ce monumental échec historique me paraît l’une des preuves les plus flagrantes de l’inhérence du sacré à l’existence de l’homme.
Seul le sacré (et non pas l’aventure proposée par le christianisme) le rassure et lui donne le sentiment à la fois de la stabilité de son univers et du sens immuable et objectif de sa vie.
Chapitre IV
Le moralisme
Dans l’esprit de la plupart de nos contemporains, le christianisme est avant tout une morale. L’aspect spirituel est bien oublié, sauf de quelques groupes et l’autre vue que l’on en prend se ramène aux fêtes chrétiennes.
L’argument le plus fréquemment entendu est “les chrétiens ne se conduisent pas autrement que n’importe qui”. La morale qui est rejetée aujourd’hui c’est, dit-on, la morale chrétienne.
Or, la Révélation de Dieu n’a rien à voir avec une morale. Rien. Absolument rien. Ce n’est pas ici que je vais engager cette longue démonstration que j’ai faite par ailleurs.( cf le Vouloir et le Faire -J Ellul, 1977-)
p109. D’abord la Torah , dans la Bible hébraïque n’est pas une morale, ni comme morale construite, ni comme morale vécue par un groupe. La Torah, parole de Dieu, est révélation de Dieu sur lui-même.
De même ce que dit Jésus dans les Evangiles n’est pas de l’ordre moral. De même ce que dit Paul dans ses épîtres. Seconde proposition : il n’ y a pas de morale chrétienne.
Enfin, troisième proposition : la Révélation de Dieu en Jésus-Christ est une antimorale.
La proclamation de la grâce, la déclaration de pardon, l’ouverture de la vie à la liberté qui sont les clés de l’Evangile, sont en tout, exactement le contraire d’une morale. Etant donné que toute conduite, y compris la plus pieuse, est englobée dans le péché.
p109 L’origine, donnée par la Genèse, du péché du monde n’est pas “la connaissance” (interdisant le développement intellectuel) mais la connaissance du bien et du mal. Ce qui n’est pas acceptable par Dieu c’est que l’homme décide par lui même de ce qui est Bien et de ce qui est Mal. En effet le Bien est, bibliquement, la Volonté de Dieu. Ce que Dieu décide, quoi que ce soit, c’est le Bien. En décidant, l’homme se substitue à Dieu.
C’est pourquoi Jésus attaque si durement les pharisiens qui sont les plus moraux des hommes, ceux qui sont parfaitement obéissants et vertueux.
Dans les Evangiles, Jésus ne cesse de nous montrer la transgression de tous les préceptes religieux, de toutes les règles morales. Il donne comme commandement : “Suis-moi.”
“Tout est permis” proclame Paul à deux reprises. “Il n’y a rien d’impur” enseigne-t-il.
p111. Vous êtes libres comme le Saint-Esprit lui-même, qui va et vient comme il veut. C’est la liberté de l’Amour. A la Loi est substitué l’Amour. La relation à l’autre n’est pas une relation de devoir mais d’amour.
la Révélation de Dieu en Jésus-Christ est une antimorale…. comme le montrent à merveille les paraboles du royaume des Cieux, celle du fils prodigue, celle des talents, celle des ouvriers de la onzième heure, celle de l’économe infidèle et tant d’autres. L’amour n’obéit à aucune morale et ne donne naissance à aucune morale.
p112. L’un des drames les plus fondamentaux, alors, de l’histoire du christianisme a été la transformation de cette parole libre en une morale. Il est évident qu’une masse “chrétienne” pouvait difficilement vivre dans cette liberté de l’esprit et de l’amour. Chaque fois qu’il y a eu un retour à une communauté rejetant la morale pour vivre soi-disant “selon l’Esprit”, cela a produit concrétement un dérèglement, une rapide dégradation humaine et spirituelle ( expérience des guillelmites ou de la communauté de Jean de Leyde).
Il semble que l’on ait le choix seulement entre trois orientations : ou bien on vit vraiment de l’Esprit, dans une communauté comparable à celle que nous décrivent les apôtres. Il ne peut-être question que d’un très petit nombre véritablement converti.
p113. Ceci correspond bien à ce que Jésus lui-même a fait avec ses disciples (70 au maximum) et de l’annonce qu’il nous donne que ce sera toujours un “petit troupeau”.
Ou bien on prétend convertir massivement à la fois chrétienne. Cela suppose d’abord un encadrement, ensuite un contrôle de la façon de vivre. le christianisme devient une morale. C’est à dire le contraire de ce que Jésus et la Révélation en Israël voulaient.
Quant à la troisième : on prétend vivre sans morale, mais tout en étant nombreux, en devenant un corps social institué, organisé. C’est le fait de toutes les sectes. Très rapidement des relations de force ou d’autorité s’instituent ou bien un désaxement moral total.
p114. L’Eglise dès la fin du IIè siècle s’est orienté vers la seconde. Point de rupture de la Réforme luthérienne. On revenait, en particulier avec Calvin à la rigidité morale et à la prédominance de la morale sur la “vie en Christ”.
Il faut être bien au clair là-dessus : il y a inévitablement exclusion de l’un par l’autre.
Cette orientation prise par l’Eglise n’a pas été le résultat du seul nombre, de la seule massification. Il y a eu le fait aussi de la prodigieuse immoralité de diverses sociétés dans lesquelles l’Eglise s’est trouvée. Et la victime principale de ces réactions, nous l’avons dit, ce fut la femme.
&
p115. C’est devenu un lieu commun moderne d’affirmer que le christianisme a été anti-féministe, que la femme était traitée en servage, traitée en mineure. Quelques auteurs ont voulu faire de Paul le fondateur de l’anti-féminisme. ( Gilabert : Saint Paul, le colosse aux pieds d’argile, 1974)
D’abord il y a eu des périodes de prédominance de société patriarcale ( par exemple dans le judaïsme des IIIe et IIe siècle avant JC.) Mais c’est une absurdité de qualifier toutes les sociétés traditionnelles de patriarcales. Par exemple la société romaine au Iè sicle n’est plus une société patriarcale au sens strict.
p116. De même dans les tribus germaniques qui vont envahir l’Empire. Jusqu’au XVIIIè siècle il n’y a non pas une société patriarcale mais des variations de situation selon les moments et les lieux. la fin du XVIIIè et le XIX è s. représentent une régression du statut féminin.
p117. Les textes bibliques eux-mêmes sont ou favorables extraordinairement à la femme ou “neutres”. Il y a eu une déviation de plus.
Dans la Bible hébraïque, la femme tient une place considérable : rôle politique d’Esther, de Judith, de Rahab. Rôle des prophétesses nombreuses, rôle de Rebecca, rôle des femmes “juges” d’Israel.
Si on regarde la Genèse on reste confondu par les contresens habituels : Eve est inférieure car créée après Adam. Adam est-il inférieur aux grands sauriens car créé après ? Eve est inférieure car créée à partir d’Adam et non à partir de l’argile primitive. Au contraire Eve est créée à partir d’une matière déjà vivante, donc supérieure.
Eve est la première à avoir péché, elle fait entrer le péché dans le monde donc, coupable, elle doit être soumise à son mari. Justement, Adam s’est montré incapable d’être le chef de famille.
Dans le premier récit de la création il n’y a aucune séparation entre l’homme et la femme.
p119. La seconde vérité fondamentale c’est que la femme, nous dit ce même Saint-Paul, est la gloire de l’homme ( ICr11,7)… c’est à dire qu’elle en est le révélateur.
p120. On a souvent insisté sur l’attitude positive de Jésus envers les femmes. il guérit les femmes malades autant que les hommes, ne rejette pas la femme adultère, ni Marie-Madeleine.
On fait remarquer que Jésus ne choisit ses disciples que parmi les hommes.
A cela il y a une réponse radicale : Jésus révèle sa Résurection d’abord aux femmes. Ce sont les femmes qui reçoivent le premier témoignage de la vie éternelle.
Il est important que Jésus ait affirmé le mariage monogamique et son indissolubilité.
p121. A partir de là, il ne faut pas oublier le rôle décisif des femmes dans la première Eglise. Femmes fondatrices, femmes missionnaires, femmes ayant vraiment la responsabilité des Eglises ( Rm16, Col4,Ph4).
Il faut encore retenir qu’elles ont des dons spirituels, le don de diaconie, le don de prophétie( cf révélations) ou le don de parler en langues ( reconnus dans les Actes des Apotres, 2,12,21,)
p122. Une fois de plus il ne faut pas projeter sur le passé nos idées, nos images, nos problèmes. La hiérarchie , l”in-égalité étaient “normales”.
p123;
p124.On commet un contresens total sur la théologie de Paul en ne retenant que la moitié de son enseignement et en transformant cette moitié d’un constat de fait en un devoir moral et un type d’organisation juridique et sociale.
Il est exact que ce contresens a été commis d’abord par l’Eglise et les chrétiens. ( cf Saint-Augustin)
p125.
&
p126. Commençons par le texte de Paul qui a fait couler tant d’encre, qui a entraîné des conséquences désastreuses et a servi à tous les anti-féminismes chrétiens. Le fameux texte de ICr14,34-35 où Paul interdit aux femmes de parler dans les assemblées. “Que la femme n’enseigne pas “(ITm2,11) et “quand elle parle qu’elle est la tête couverte” (ICr11,5).
En face de ce texte il y a deux explications : pour les uns c’est en effet l’exclusion de la femme de toute participation active au culte etc..
La tendance actuelle est plutôt de considérer que ces versets sont une interprétation, que ce n’est pas de Paul.
p127. Je pense que ces deux explications sont inexactes. Il faut rappeler l’importance considérable des femmes dans les multiples cultes grecs et orientaux, les prises de possession par l’esprit du dieu, les transes, les explosions de prophétesses, des proclamations délirantes etc…
Ce que dit Paul c’est que “dans toutes les assemblées des saints” on ne fasse pas comme dans les cultes origiastiques. Qu’elles aient la “tête couverte” ce qui veut dire soumises à une autorité qui contrôle ce qu’elles disent.
p128. Il n’ y a qu’un point sur lequel il a été influencé par le milieu culturel c’est la tête couverte « à causes des anges ». Le voile est une barrière psychologique.
L’évolution joue contre elles. Dans le premier temple de Jérusalem ( et aussi le second temple ) il n’y a aucune séparation entre les hommes et les femmes.
&
p129. Dans le grand temple d’Hérode, il y a , pour la première fois séparation. les femmes son rejetées à l’extérieur. A cette époque se multiplient les interdits, par exemple celui d’assister au repas quand il y a un invité etc…
La Judée faisait au IIè siècle partie de l’empire des Séleucides où la corruption générale dans cet empire, fusion peut-être de la corruption grecque et de la corruption orientale, était démentielle. La vie humaine n’avait aucun prix. La condition de la femme était à la fois celle de la liberté presque totale et d’une dégradation absolue.
En face de cette corruption, les juifs pieux réagissent. Ils deviennent d’autant plus rigoristes que la société est laxiste.
p130. Mais ils situent le débat sur le plan moral. L’interdiction pour la femme d’assister aux repas quand il y a des invités est typique : c’est que la coutume voulait que les banquets se terminent en coucherie.
C’est une situation qui va se reproduire tout au long de l’histoire de l’Eglise et de la chrétienté.
Qu’il y ait eu une influence de ce judaïsme pieux et moraliste sur les premières générations chrétiennes, cela ne fait pas de doute.
p131. Il faut constater que l’influence de la corruption orientale sur l’Empire romain va s’effectuer dès le Ier siècle avant JC. Il ne faut pas croire que ce sont seulement les catégories riches qui sombrent dans une immoralité totale. Les classes inférieures aussi, par l’intermédiaire des esclaves. Les lamentation de Caton, les jugements sévères de Pline et de Tacite ne sont pas l’effet d’esprits chagrins mais le reflet de la généralité des moeurs.
Cruauté envers les esclaves, gaspillages fabuleux d’argent et de biens divers, corruption politique, escroqueries polygamie, prostitution généralisée, homosexualité, pédophilie dont Suétone nous montre qu’elle était poussée à un degré assez inouï… Malgré la violente répression faite par Octave Auguste il n’y aura pas de régression de l’immoralité qui explose de plus belle après la fin d’Auguste. Il faut néanmoins prendre conscience que cette immoralité se développait …. dans une société bien gérée, fonctionnant bien.
p132. Nous rencontrons chez Paul comme chez “Jacques” ou dans l’Apocalypse, des condamnations fulminantes contre ces moeurs car elles étaient si généralisées que les chrétiens aussi les pratiquaient.( début Epître aux Romains)
Ainsi il n’y a pas de morale chrétienne, la foi est antimorale, mais la suivance de Jésus-Christ implique une série de conséquences dans la vie pratique : vivre dans l’amour de Dieu et la foi dans sa parole, cela n’est en rien compatible avec ces vices et ces dérèglements.
p133. La seconde grande phase du triomphe de la morale dans l’Eglise est quand il y a une nouvelle vague d’immoralité qui submerge tout avec les “invasions” germaniques. Ou plutôt avec cette période qui va du IV è s. au VIIe s. Les barbares arrivent avec leur violence, la spoliation des propriétés…
Si nous croyons les témoins de cette époque ( Grégoire de Tours par exemple) on vit à ce moment dans un monde incroyable de violence, destruction, vols, meurtres. Les bandes armées parcourent sans cesse le pays et c’est une épouvantable terreur qui s’abat sur cette société.
p134. Il est évident que l’Eglise a eu à lutter contre cette nouvelle vague d’immoralité. Elle a beaucoup plus travaillé à l’établissement d’une morale commune acceptable qu’à la conversion vraie, de coeur, fondamentale à l’Evangile.
p135. Le christianisme est devenu avant tout une morale. Il n’est plus question de dire aux gens : “Aime et fais ce que tu veux”. Il ne faut plus faire appel à la responsabilité personnelle ni à l’initiative. La vertu majeure qui est développée au nom de l’Evangile, partout, c’est l’obéissance.
L’obéissance à une autorité ordonnée a remplacé la violence du plus puissant. C’est un progrès évident, sur le plan moral.
Enfin, la troisième grande vague d’immoralité à laquelle l’Eglise a eu à faire face ( avant la nôtre) est celle des XIV -XVè siècles.
p136. C’est un curieux mélange entre un monde de violences, de guerres ( celle de Cent ans entre la France et l’Angleterre par exemple) de révoltes sanglantes (celle des Jacques, exemple entre mille). C’est une sorte de frénésie de plaisirs. Tout est permis car on va mourir bientôt. ( le Décaméron se situe à cette époque)
Dans ce climat se développent aussi avec une rapidité foudroyante la sorcellerie, la magie, les incantations, les évocations des morts, les messes noires, le culte de Lucifer…
Et de nouveau l’Eglise va essayer d’encadrer, moraliser, institutionnaliser.
p137. Alors, en face de cette carence spirituelle de l’Eglise explosent d’un côté les mystiques, de l’autre les hérésies.
Les mystiques , dans certains cas, sont tout à fait admirables, respectables mais le plus souvent ils sont l’expression de transes douteuses, de sexualité “refoulée-débridée”, de conduites ambigües et parfois perverties…
Les hérétiques ? … Beaucoup d’entre-eux, Hus, Wyclif, Savonarole apparaissent comme les combattants de la vraie foi, pour la pureté de l’Eglise, la liberté en Christ, le primat de l’amour.
La Vérité de la Révélation de Dieu en Christ est totalement perdue parce que l’Eglise s’est trompée de chemin dans sa volonté de répondre au défi de l’immoralité pendant ces quatre périodes….
p138. la prédication chrétienne, détruit les anciennes croyances et religions laissant souvent l’homme sans référence, sans tradition, sans racine. Il est évident que cela va pour des personnes, des petits groupes mais non pour une société. L’immoralité a résulté de ce choc entre paganisme et prédication chrétienne.
p139. Prenons l’exemple du célibat des prêtres. Que certains chrétiens aient une vocation au célibat, se vouent ainsi à Dieu, c’était très bien. Lorsqu’on transforme ce célibat en une loi, une règle, ou bien on écarte des hommes qui ont une vraie vocation à la prêtrise (mais pas au célibat) ou bien on les contraint de façon telle, qu’inévitablement vont se produire des “bavures”.
Le Mal, c’est la Loi. Ici comme ailleurs. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Paul.
C’est la même erreur que commettent actuellement les théologiens dans les questions politiques et sociales, au lieu de suivre le chemin montré par Paul (fidèle interprète de Jésus) ils se situent au niveau et sur le terrain de tout le monde.
p140. C’est encore la transformation de l’Evangile en morale.
&
Il nous faut revenir à l’antiféménisme. je prétends que c’est le triomphe de la Loi sur l’Evangile de la morale sur l’amour qui est probablement la cause essentielle de la prise de position antiféministe.
p141.L’attitude moraliste est essentiellement une attitude masculine. C’est une attitude de jugement, de fermeture, de rigidité, d’établissement d’un il “faut” et “il ne faut pas” etc…
Ce que j’entends par là n’est pas identique à l’homme ou la femme caractérisés par leur sexe.
p142. On peut dire qu’il y a deux ordres de valeur : des valeurs masculines, la force, la domination, la prise de puissance, la recherche du plus grand, l’esprit de conquête, le courage, l’ordre etc… et des valeurs féminines, l’amour, la sensibilité, la protection du plus petit, l’imaginaire, le don….
p143. En face du mal social ou de l’immoralité, le masculin ne voit que les lois, les sanctions. Dans les périodes d’énorme immoralité auxquelles nous faisons allusion, la femme aurait cherché à établir des relations inter-humaines différentes sur la base de la compréhension, de l’amour, de la tolérance, de la souplesse, de la protection des plus faibles…
p144. Tout l’enseignement évangélique va à l’encontre : remplacer le faux amour par le vrai, celui qui vient de Dieu, l’Eros conquérant grec par l’Agape qui sert, remplacer l’esprit de domination par l’esprit de service, rejeter le légalisme pointilleux par une relation humaine ouverte et franche, limiter les débordements sexuels par le triomphe d’un amour vrai d’un homme et d’une femme.
p145. L’Eglise a choisi l’esprit de contrainte et de domination et a rejeté l’Evangile, de ce fait, essentiellement pour ne pas dire exclusivement elle a éliminé la femme.
p146. Il a fallu procéder à deux opérations : neutraliser la femme et se justifier théologiquement.
On a neutralisé la femme dans l’Eglise par trois voies :
1) L’obligation de silence, de passivité, d’obéissance, d’effacement affirmée comme valable pour toutes les femmes.
2) Le statut de virginité supérieur à tout autre. Or la virginité exclut la femme de sa vérité même à savoir d’être porteuse et transmetteuse de vie.
3) Enfin l’idéalisation ( dans le prolongement de la virginité) avec en particulier la Vierge Marie qui devient le modèle de la soumission ( Fiat) alors qu’elle est le modèle de l’écoute et de la foi. ( ce qui est tout autre chose !)
p147.
Chapitre V
L’influence de l’Islam
p148. On a rarement souligné l’influence de l’Islam sur le christianisme. Elle a pourtant été considérable entre le Ixè s. et le XIè siècle. On a longtemps vécu sur l’image d’une chrétienté stable et forte assiégée par l’Islam.
Celui-ci, conquérant sans limite avec vocation universelle( comme le prétendait le christianisme lui-même) n’a cessé d’étendre son empire, vers le sud avec son expansion vers l’Afrique noire principalement en suivant les côtes et descendant jusqu’à Zanzibar par exemple, vers le nord-ouest avec conquête de l’Espagne et envahissement de la France jusqu’à Lyon d’un côté et Poitiers de l’autre, vers le nord-est avec toute l’Asie Mineure jusqu’à la prise de Constantinople.
p149. L’admirable livre de H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, a magnifiquement montré les conséquences économiques et politiques de cette menace guerrière permanente. Mais on a montré combien manquait l’étude des relations. Or on savait qu’en philosophie la pensée d’Aristote avait pénétré l’Europe grâce à la traduction d’un philosophe arabe, Averroès (XIIè)
et que l’on peut constater l’influence d’Avicenne dès le XIè siècle.
On reconnaissait aussi l’influence arabe dans les domaines scientifiques, médecine, agronomie.
L’influence arabe se manifeste aussi dans les “arts de l’oeuvre au noir”, la magie, l’alchimie, la musique au XIIè s.
p150. Entre les deux ennemis il y avait des relations culturelles, intellectuelles, des échanges.
Il reste deux domaines qui, à ma connaissance, n’ont jamais été étudiés dans cette optique : le droit et la théologie.
p151. On fait le pont par dessus les Arabes. On parle philosophie grecque/ théologie chrétienne. Or, la philosophie grecque a été transmise par les interprètes arabes. Au fond, avec la Bible chrétienne, les musulmans font ce que les chrétiens ont fait avec la Bible hébraïque. Mais sur cette base il y a forcément rencontres, disputes, discussions et de ce fait ouverture.
Il semble que les intellectuels et théologiens musulmans aient été beaucoup plus forts que leurs répondants chrétiens. Il semble qu’il y ait eu influence de l’Islam mais non la réciproque.
p152. Tout le monde sait que dans le royaume franc de Jérusalem, les chevaliers français installés en Palestine ont adopté rapidement quantité de moeurs et de coutume venant de l’Islam.
&
Je crois qu’en tout point l’esprit de l’Islam est contraire à celui de la Révélation de Dieu en Jésus-Christ.
Déjà, le fait fondamental : dans l’Islam, Dieu ne peut pas être incarné. Et puis l’intégration absolue de “religion-politique-droit”.
p153. Le droit devenant une valeur éminente : les chrétiens avaient déjà été influencés par les romains. Tout rebondit avec les Arabes. C’est maintenant l’union intime droit-volonté de Dieu.
p154. Le droit canon se multiplie à l’image de ce qui se fait en Islam. L’esprit juridique pénètre fondamentalement l’Eglise.
p155. Le pouvoir royal devient religieux non seulement par alliance avec l’Eglise mais par influence de l’Islam. L’Islam ne connaît pas la dualité Eglise-Etat. On comprend le désir des rois et empereurs d’Occident d’être seuls représentant de Dieu sur terre. Doublant cette importance du pouvoir politique il y a l’importance de la glorification de la guerre pour répandre la foi.
p156.Cette énorme importance de la guerre est totalement oblitérée de nos jours dans les milieux intellectuels. La guerre est inhérente à l’Islam. La preuve en est historique : à peine la religion a-t-elle été prêchée, aussitôt commence la conquête militaire. De 632 à 651 c’est une fulgurante guerre de conquête : invasion à l’ouest de l’Egypte et de la Cirénaïque, au centre, du reste de l’Arabie, à l’est, de l’Arménie, de la Syrie, de la Perse. Dans le siècle qui suit, la totalité de l’Afrique du Nord et de l’Espagne et à l’est, jusqu’à l’Inde et au Turkestan.
p157. Pratiquement, les chrétiens vont rester critiques à l’égard de la guerre jusqu’à la pénétration flamboyante de la guerre sainte.
Dans l’Islam la guerre est un devoir sacré : le Djihad . Celui-ci a deux sens différents et complémentaires : le musulman doit mener la guerre contre ses démons intérieurs mais aussi contre les démons extérieurs.
Nous voici en présence de deux autres énormes influences directe de l’Islam sur le christianisme. Ce dernier avant le VIIIè s. n’a guère affirmé que la Révélation était conforme à la Nature. La tradition affirmait le contraire, fondée sur la Bible.
p158. La Nature est déchue, la chair est mauvaise et l’homme est par lui-même, dans sa naturalité, pécheur et incroyant.
Les Pères de l’Eglise ont déjà rencontré ce problème de la contradiction entre l’affirmation biblique et par exemple la philosophie grecque. Mais jamais il n’y avait eu confusion entre Nature et Révélation biblique.
Je crois que c’est l’identification musulmane entre Nature et Islam qui pose aux chrétiens la question de façon brûlante.
L’énorme déviation de la pensée chrétienne s’éloignant de la Révélation, a au moins deux sources : la grecque et l’arabe.
p159. Du moment que le christianisme devient une religion conforme à la Nature, il faut contraindre l’homme à devenir chrétien, à retrouver sa propre nature !
L’idée de guerre sainte est directement issue du Djihad musulman.
p160. La croisade est l’exacte imitation du Djihad. La non violence, la non puissance de Jésus se transforme en guerre.
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p161. Reste à examiner une tout autre subversion ; celle qui concerne la piété, la relation à Dieu. Pour l’Islam, le petit enfant naît musulman puisqu’il y a conformité parfaite avec la Nature.
Or, la pensée évangélique est diamétralement opposée. On devient chrétien uniquement par la conversion. C’est une mutation de l’ancien homme, naturellement perverti qui s’effectue par l’action du Saint-Esprit. Seule la conversion, quand elle est consciente, reconnue, qu’ il y a foi du coeur et confession de la bouche” produit un chrétien.
p162. Mais progressivement, il y a tout le problème qui s’effectue chez les Pères de l’Eglise. Le baptême cesse d’être le signe de la grâce qui convertit pour être en lui-même instrument de salut.
En même temps on revalorise la Nature qui n’est plus radicalement mauvaise.
p163. Il y a encore deux autres aspects où le christianisme se révèle influencé par l’Islam : la mystique et l’obéissance.
La mystique n’est pas essentiellement chrétienne, à la limite elle est plutôt anti-chrétienne. Quand je regarde la Bible je ne vois guère d’exemples de mystiques. Paul fait allusion à son expérience : “je connais quelqu’un qui fut élevé jusqu’au septième ciel…”
p164. Dans l’énumération des dons spirituels, il n’est pas question de dons mystiques. On nous dit d’imiter Jésus mais en rien de nous unir à Dieu.
Seul, absolument seul, Jésus est celui qui est uni entièrement à Dieu. Et ceci par le fait que Dieu est venu vers nous.
Il n’y a, je l’ai souvent écrit, aucune ascension, aucun accès possible vers Dieu. Cette opposition est encore plus radicale si l’on accepte l’éthymologie souvent proposée : mystique signifie “être sans parole”.
p165. Il ne s’agit plus de regarder vers le ciel mais d’être sur terre et de vivre de façon très concrète la volonté de Dieu accomplie en Jéus-Christ.
Or la mystique est un aspect fondamental de la religion musulmane et sans aucun doute ceci est en corrélation avec l’Orient. Avant l’influence de l’Islam, il y a déjà eu des tendances mystiques dans le christianisme, notamment tout le courant issu de la gnose et du néoplatonisme mais il était tenu pour suspect et ne formait pas une part glorieuse de la vie chrétienne et de l’Eglise. La mystique au contraire est intrinséquement liée à l’Islam, elle fait partie du développement spirituel.
Un dernier aspect qui me paraît essentiel et qui n’est d’ailleurs pas étranger au précédent : l’Islam c’est la soumission à la volonté de Dieu. De même que le mystique s’évacue lui-même pour laisser toute la place à Dieu, de même le musulman n’a pas d’autre orientation religieuse.
p166. C’est en réalité l’inverse de ce qui nous est dit du Dieu biblique qui ouvre la liberté à l’homme, qui laisse l’homme faire son histoire,qui accompagne l’homme dans les aventures plus ou moins inouïes qu’il invente. Un Dieu qui n’est jamais l’irréductible conducteur, qui dialogue pour l’avertir de ce qui est bien, pour le mettre en garde, jamais pour le contraindre.
p167. Alors que toute la Bible, aussi bien le premier testament que les Evangiles nous annoncent qu’il n’y a pas de destin, pas de fatalité, que tout est remplacé par l’amour voici que peu à peu se réintroduit le destin. Je pense que c’est l’Islam qui a fourni sa conception du Dieu Tout-Puissant.
p168. Grâce à elle, l’idée de prédestination qui hantait la pensée philosophique, chrétienne, va se trouver confirmée établie avec force ( double prédestination de Calvin). Si bien que c’est non seulement l’événement historique qui est écrit d’avance mais aussi le salut éternel.
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p169. On peut dire que nulle part la femme n’a été plus asservie qu’en terre musulmane.
p170.S’agissant de l’esclavage, c’est progressivement sous l’influence du christianisme que l’esclavage disparaît du monde romain. Par exemple, la proclamation que “toute personne est franche en royaume de France”. Or, à partir du XV è siècle, avec le développement de la connaissance de l’Afrique et surtout bien sûr au XVIIè s. et XVIIIè siècles on connaît l’affreuse histoire de l’esclavage africain.
p171. Comment ses navigateurs occidentaux, peu nombreux, ont-ils pu récolter des milliers d’esclaves ? Il faut savoir que depuis des siècles le continent noir était mis en coupe réglée pour l’esclavage par les musulmans. L’esclavage africain est une pratique musulmane au moins depuis le Xè siècle.
Au XI è siècle il y avait quinze grands marchés d’esclaves établis par les Arabes en Afrique noire et descendant à l’est jusqu’en face de Madagascar et à l’ouest jusqu’au Niger.
p172. Le fait en lui-même est affreux et antichrétien mais nous sommes bien en présence d’une influence directe de l’Islam. D’ailleurs l’ONU l’a constaté, le commerce des esclaves noirs par des marchands arabes existe toujours aujourd’hui vers les pays du golf d’Oman.
Dernier point : la colonisation. On fait grief au christianisme d’avoir inspiré la colonisation. Sans aucun doute on a raison. le jugement contre nous est accablant. Et Las Casas a totalement raison. mais qui a inventé la colonisation ? L’Islam, indiscutablement.
Je ne reparle pas de la guerre et de l’établissement en Afrique de royaumes dominés par les Arabes mais bien de colonisation. Pour l’Islam il y a deux voies de pénétration, la commerciale et la religieuse.
p173. Comment admettre que leur intervention n’a pas eu les mêmes effets que celle des missionnaires chrétiens, destruction de la religion autochtone et par conséquent de la culture autonome des tribus et royaumes africains. Les musulmans sont entrés en Afrique du Nord par conquête.
L’autre voie c’est le commerce. Le marchand arabe va beaucoup plus loin que les guerriers. Or, au Xè s. et XIè siècle l’une des marchandises que l’on va chercher est l’or. Dans tout le Ghana, au sud du Niger, sur la côte est vers la Tanzanie, il y a des places arabes de commerce d’or.
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Pour terminer, précisons bien que je n’ai pas voulu excuser ce que les Européens ont fait et dire que “les coupables” sont les musulmans. Il s’agit d’expliquer un certain nombre de perversions dans la conduite chrétienne.
p174. L’immense culpabilité des chrétiens a été d’imiter l’Islam. On a oublié l’authenticité de la Révélation en Christ.
Chapitre VI
La perversion politique
I
Le point de départ
p175. Il n’est pas inutile , tant il y a eu de malentendus à ce sujet, de rappeler les grandes lignes de la pensée biblique et évangélique sur la politique de l’Etat.
Je ne vais pas reprendre tout l’enseignement biblique sur le pouvoir et la politique, j’ai trop écrit là-dessus pour recommencer. Je me borne à rappeler les thèses principales auxquelles je suis parvenu.
L’idée centrale, c’est la conception biblique de l’Ancien Testament, malgré l’existence d’Israël en tant que nation, mais surtout dans le Nouveau Testament où l’Eglise “Nouvel Israël” est un anti-Etat.
p176.Cette conception n’est pas du tout politique mais anti-politique au sens où l’on refuse de doter la politique d’une valeur. Je rappelle trois sortes de données, me bornant à l’énumération.
Dans l’Ancien Testament le régime des “juges” est un régime apolitique, Dieu seul restant le roi unique. C’est un régime anti-étatique, il n’ y a aucune organisation de pérénnité du pouvoir. En troisième lieu cette curieuse appréciation des rois d’Israël et de Samarie dans le livre des Rois où nous voyons constamment désigner comme de mauvais rois les “grands” rois selon le monde. Inversement les rois vaincus, n’ayant connus que des échecs, sont jugés fidèles et pieux.
p177. Le second ordre d’orientation se trouve dans les Evangiles :
La tentation offerte par Satan de donner à Jésus tous les royaumes du monde.
Le refus de Jésus de répondre sur l’impôt.
La paiement de l’impôt du Temple.
p178. De même, son rejet dans une même erreur, des Sadducéens et des Pharisiens, c’est à dire de ceux qui collaboraient avec les Romains et de ceux qui s’opposaient aux Romains.
p179. Je suis obligé de dire que l’attitude de Jésus n’est pas seulement apolitique mais effectivement anti-étatique et anti-politique.
p180. Je crois que l’enseignement biblique est très clair. C’est une contestation permanente du pouvoir politique, une incitation à un “contre-pouvoir”.
Il faut examiner la question des textes des Evangiles. Une mode actuelle chez les historiens de l’époque de Jésus et chez les spécialistes du Nouveau Testament veut que non seulement Paul ait totalement perverti le message de Jésus ( ce qui a été proclamé très souvent depuis le IVè siècle) mais encore que les Evangélistes eux-mêmes aient tout à fait trahi Jésus. Celui-ci aurait été un homme très concret, n’ayant guère de préoccupations “spirituelles” mais au contraire ancré dans les questions politiques de son temps. La première communauté chrétienne aurait été de ce type.
Par exemple Luc dit : “Heureux les pauvres…. ( qu’il faut entendre par pauvres économiques). Matthieu est un texte secondaire édulcoré : “Heureux les pauvres en esprit..;” C’est la preuve que les disciples ont spiritualisé, ont enlevé la force révolutionnaire….
Je dois dire que ce type d’explication me fait hurler !
p182. D’après quel critère déclare-t-on que c’est la version matérielle qui est première ? les arguments que j’ai rencontré sont faibles.
p183. Je pense que l’interprétation politisante et militante des Evangiles, même faite par de très honnêtes et excellents exégètes, est une falsification.
Ils fabriquent un Jésus politique parce qu’à leurs yeux la politique est la réalité la plus importante. Pour justifier leur thèse il faudrait résoudre un certain nombre d’énigmes. J’en citerai cinq.
D’abord on reconnaît que Jésus a été très proches des Esséniens, sinon l’un d’entre eux.
p184. Selon les études les plus récentes, les Esséniens faisaient partie de la “bourgeoisie” relativement aisée favorable à une coopération avec les Romains.
L’expérience de tous les groupements révolutionnaires c’est qu’aussitôt que le chef qui les amènent est mort, tout s’effondre.
Comment se fait-il que Jésus mort, son petit groupe se soit maintenu ?
troisième question : quel but pouvait poursuivre Paul et les Evangélistes en procédant à cette opération de dépolitisation-spiritualisation ?
p185. Tant que l’on ne m’aura pas prouvé l’intérêt et le mobile de Paul dans cette manipulation je tiendrai ces dissertations pour des affabulations.
Quatrième question : Si les évangélistes ont édulcoré le message, comment expliquer les persécutions et les martyrs ? Car le crime religieux était encore plus important que la rébellion politique.
p186. Enfin dernière question, la plus sévère : si les premiers chrétiens avaient voulu manipuler le message de Jésus, dans quel sens l’auraient-ils fait ? De toute évidence c’était une transformation dans le sens du politique.
p187. Ils auraient été amenés à entrer dans la voie de la révolte juive contre les Romains.
En réalité, l’interprétation courante est dominée par la pensée de Marx sur “l’opium du peuple”.
p188. Nous devons maintenir cette claire certitude que la Bible nous apporte une parole anti-pouvoir, anti-étatique et anti-politique.
II
La subversion par le pouvoir
Depuis une trentaine d’années, dans les Eglises protestantes, on a mis en accusation le “constantinisme” comme origine et cause de toutes les erreurs et déviations du christianisme.
On inversait ainsi la glorification traditionnelle selon laquelle Constantin, devenu par miracle chrétien, avait fait triompher la vraie foi. Les historiens avaient scruté cette conversion.
On a démontré sans parti pris que ces conversions vont dans le sens d’une habile politique.
p189. Constantin mise sur l’Eglise catholique et gagne. Mais comment cette conversion aboutit-elle à une perversion de la vérité chrétienne ?
Le récit lui-même de la conversion manifeste la dénaturation profonde de l’Evangile.
p190 Tout au long de l’Ancien Testament, on voit Dieu choisir pour le représenter ce qu’il y a de plus faible, de plus humble. Dieu choisit les choses faibles du monde pour confondre les fortes. Et voici qu’en ce cas , contradiction éclatante avec Constantin, Dieu choisit un Auguste, un triomphal chef militaire !
p191. C’est inouï ! Comme opération politique et de propagande et ça va marcher.
&
Le christianisme catholique devient religion d’état, en échange, l’Eglise est investie d’un pouvoir politique et elle investit l’empereur d’un pouvoir religieux.
Prodigieuse acceptation de la Tentation que Jésus, lui, a refusée quand Satan lui présente tous les royaumes de la terre.
p192. Les conséquences vont être presque immédiates et vont durer environ 1500 ans.
Le texte accidentel de Paul de Romain 13, devient le texte absolu concernant l’Etat.
p193. Comme il faut que la vérité soit, on commence alors à poursuivre les hérétiques et d’abord ceux qui contestent cette alliance de l’Empire et de l’Eglise.
On retrouvera constamment dans le monde chrétien les tendances vers l’anarchisme, le refus de l’alliance politique.
L’Eglise est une puissance politique. Successivement, elle sera pour le Saint Empire romain germanique mais aussi pour le roi de France qui s’en sépare. Elle bénira tous les rois.
p194. Elle deviendra républicaine sous la République comme elle était monarchiste sous la monarchie. L’Eglise allemande est devenue hitlérienne ( les Deutsche Christen) lorsqu’Hitler est arrivé au pouvoir. Elle est devenue communiste sous les régimes communistes ( avec les trop célèbres Bereczki et Hromadka). Le scandale c’est d’abord que l’Eglise, chaque fois, veuille se justifier de s’adapter et justifier le pouvoir en place.
p195. Même pour l’état communiste ! Il ne faut pas oublier qu’en URSS, Staline a utilisé l’Eglise orthodoxe à partir de 1943 pour sa propagande.
Le crime de l’Eglise est alors situé dans ce processus de justification du pouvoir politique et de l’action politique.
p196. Je sais qu’en face on me dira :
L’Eglise ne doit pas être purement spirituelle et se désintéresser de la politique et tous les régimes politiques ne sont pas équivalents.
Ce sont des évidences. Depuis 1935, j’affirme sans cesse que l’Eglise doit s’exprimer politiquement et qu’il y a des choix à faire. Mais avec deux différences radicales par rapport à ces options.
L’Eglise doit inventer un chemin autre.
La seconde différence c’est que le chrétien doit choisir le régime qui lui convient le mieux. La démocratie me paraît plus souhaitable que la dictature. J’aime mieux le socialisme que le capitalisme.
p197.La Bible ne me donne aucun moyen pour déclarer tel régime conforme à la volonté de Dieu.
Le scandale c’est que l’Eglise cherche à se servir du pouvoir politique pour assurer sa propre autorité, pour obtenir des avantages. Ce faisant, elle désavoue les martyrs.
&
Les conséquences de cette aliénation, nous en retiendrons trois :
p198. D’abord l’Eglise devient à son tour un Etat. Le pape devient un chef d’Etat.
p199.
p200. La conjonction du politique et du religieux entraîne la rupture de cette Eglise en unités nationales. Ces ruptures vont avoir leur contre-coup dans la papauté même, au moment du grand Schisme.
Cela entraîne, sous le couvert de la spiritualité, une division grotesque de l’Eglise. On aura à l’intérieur d’une nation, une Eglise de gauche et une Eglise de droite.
p201. Reste un troisième ordre de conséquences : la contagion juridique et administrative. La politique produit le droit.
p202. Qui dit droit dit intérêt ! Les évêques au IV è siècle vont devenir defensores civitatis, oeuvre admirable puisqu’il s’agissait de défendre les cités. Or cette utilisation des évêques est toujours légitimable spirituellement. Il y a toujours du “bien à faire”.
p203. L’Eglise devient une organisation juridique et administrative. Elle s’organise sur un modèle d’Etat. Elle va introduire du droit (au lieu de récuser radicalement la violence, elle va élaborer la doctrine de la guerre juste, etc…)
&
Bien entendu ce que je viens d’écrire n’exprime qu’une partie de la vie de l’Eglise.
p204. L’Eglise n’a pas été que cela. Elle n’a pas été forcément du côté du pouvoir installé. Il faut se rendre compte que l’Eglise de Jésus-Christ n’est pas limitée par les barrières juridiques et dogmatiques : elle est constituée en même temps par les spirituels et par l’institution, par la papauté et Joachim de Flore, par Luther et par Münzer, par les spirituels de Wittenberg et par les luthériens de stricte observance, par les prophètes cévenols et par la rigueur implacable de Calvin, par Bossuet et par les monarchomaques….
p205. Autrement dit, il y a toujours eu dans l’Eglise, comprise au sens spirituel et thélogique, un courant hostile au pouvoir politique, un courant révolutionnaire et anarchisant.
Mais ce n’était pas celui-là que la société dans son ensemble et surtout pas les pouvoirs politiques, reconnaissaient comme Eglise.
p206. Il faut retenir que la collusion de l’Eglise et de l’Etat n’est pas constante ni unanime, cependant la corruption de la Révélation par la fréquentation des politiques, elle, a été constante et décisive.
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La Révélation était inévitablement une rupture dans l’ordre humain, la société, le pouvoir. Je suis venu jeter le feu sur la terre. Je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée. Je mettrai la division entre les gens d’une même maison. Il sera l’occasion d’une rupture et d’une chute pour beaucoup. Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous….
Tantôt le christianisme est devenu une religion de conformisme, d’intégration dans le corps social, tantôt il est devenu une fuite devant la réalité politique ou concrète, fuite dans le spirituel,
p207-208-209-210. Dans la culture d’une vie intérieure, dans la mystique, évasion hors de ce monde.
Ces deux perversions sont complémentaires.
( Un livre auquel on peut se référer, dont les analyses recoupent les miennes est celui de COSMAO -Changer le monde , Cerf 1981)
Chapitre VII
Nihilisme et christianisme
211. Disons tout de suite que nous ne chercherons pas à traiter des problèmes d’un nihilisme théorique ou philosophique. Ce qui nous intéresse ici est le nihilisme vécu.
Si la question s’impose c’est dans la mesure où nous voyons le nihilisme se répandre partout et devenir triomphant. Pratiquement depuis le nihilisme nazi, il y a une sorte de développement polymorphe d’un nihilisme mondial.
Il tient sans doute au fait que d’une part notre société ne nous offre plus aucun sens, aucune valeur qui vaille la peine de vivre, avec une sorte de mise en doute radical de tout ce qui fait notre monde.
p212. Et, au fait que d’autre part nous n’avons plus assez de force, de vigueur, d’énergie de conviction pour reconstituer des valeurs nouvelles, instituer un nouveau cadre de vie, une nouvelle possibilité de sens.
Nous sommes ainsi en présence d’un phénomène tout à fait étonnant, d’une société tout entière nihiliste mais ce nihilisme est associé à la puissance. Il apparaît comme le doublage exact, la réplique inverse du productivisme, de la consommation, de l’efficacité.
Certes les littérateurs expriment à qui mieux mieux, involontairement d’ailleurs, ce nihilisme. ( par exemple Henri Miller)
p213. Les artistes pratiquent un nihilisme du sujet, de l’auteur, du héros. Il n’y a plus que des sons, des couleurs, des onomotopées. L’homme disparaît. Tel est bien le problème et c’est ce qu’expriment à la fois par exemple le structuralisme ( tout se ramène à des jeux de structures et Foucault dans sa célèbre phrase où il annonce la fin de l’homme qui n’était qu’un accident…)
Le sujet paraît haïssable. Il est évacué. Triomphe de l’objet.
p214. Tout ceci serait sans grande importance s’il n’y avait, nous l’avons dit, correspondance entre ces orientations et la pratique générale.
L’impuissance à créer des valeurs se double inévitablement du refus d’affronter la réalité telle qu’elle est.
&
p215. Mon adhésion personnelle à la foi me rend participant à un courant historique, avec sa dimension sociologique et politique. Je n’ai pas droit de me déclarer vrai, authentique et pur , en condamnant tout ce que les ancêtres ont fait. Je ne peux rejeter l’Eglise des temps passés : j’en suis par “la communion des saints”. Or il semblerait à première vue que le christianisme soit, en tout, l’inverse du nihilisme, mais les choses ne sont pas aussi simples hélas et le christianisme est bien à la racine de tout le mal historique du nihilisme moderne.
I
La responsabilité
Il me paraît que la responsabilité du christianisme dans l’apparition du nihilisme peut se ramener à trois thèmes. La Transcendance absolue. La désacralisation. Le péché.
p216 Le Dieu judéo-chrétien affirmé comme Tout Autre, absolu, transcendant n’est plus sur la Terre( malgré l’Incarnation)
La transcendance était d’une part l’évacuation de Dieu hors du monde et en même temps la relativisation de tout ce qui était dans ce monde. L’homme avait inventé le sacré pour se protéger et se donner un sens. Le christianisme détruisait ce sacré.
Le christianisme ne se prétendait pas une religion supérieure aux autres mais une anti-religion. L’homme était laissé plus pauvre et plus nu que lorsqu’il vivait dans son univers religieux.
C’était le même processus avec la morale. Le Dieu biblique est totalement négateur avec la morale.
p218 Celui qui recevait la révélation, toute morale dite chrétienne était niée dans son principe et sa réalisation par le radicalisme du Saint-Esprit. Mais que restait-il à l’homme ? Le Dieu d’Israël puis de Jésus-Christ était un absolu sans compromis et ceci détruisait l’ordre du monde. Aucune conjonction entre le Ciel et la terre n’était plus possible. Cette Révélation rejetait l’homme vers la Terre. Une Terre où il n’y avait plus sens ni sacré. Du fait de la désacralisation provoquée par le christianisme, le monde naturel est simplement composé de choses, ce qui n’entraîne aucun respect. L’homme est autorisé à faire n’importe quoi sur ce monde sans âme, il ,n’ y a d’autre obstacle que celui de son imagination et ceux de ses moyens.
Il n’y a plus de tabou, plus de domaine interdit. Ceci, qui est bien entendu tout à fait contraire à l’esprit du christianisme, est pourtant l’un des résultats certains de la christianisation du monde lorsque ce christianisme fut laïcisé.
p219. Ce processus s’est doublé bientôt d’une critique du christianisme lui-même. Le rejet du christianisme aboutit à un nihilisme. Ce nihilisme se recouvre de la couleur de la liberté.
Le dernier facteur développant le nihilisme à partir d’une conviction chrétienne a été assurément l’importance du péché. L’homme ne peut rien par lui-même , il ne peut atteindre aucun bien, aucun beau, aucune vérité. Chaque acte, décision, projet, expriment l’état fondamental du péché.
p220. Mais se produisent deux phénomènes qui déforment tout. D’abord … tout un courant de prédicateurs du XVIIIè s. au XIXè siècle, principalement protestants, ont d’abord tonné contre l’homme pécheur. Et des générations chrétiennes n’ont entendu que cela. Ensuite, comme pour le point précédent, la laïcisation du christianisme a conservé cette vue de l’homme mauvais et totalement corrompu ( Rousseau, Marx). On comprend que cela puisse conduire au nihilisme.
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Ces diverses orientations issues du christianisme qui ne sont pas le fruit de la Révélation mais qui en sont des produits ont eu des incarnations historiques.
C’est la désacralisation qui a permis le développement des techniques et l’exploitation du monde sans limites. L’homme a pensé, dans son nihilisme même, que tout lui était permis et les chrétiens se sont attachés à démontrer grâce à la Genèse cette possibilité, l’homme étant désigné par Dieu pour exploiter la terre.
p221. La création était une simple ébauche et c’était l’homme qui était chargé de la mener à bien….Très vite les deux courants se combinent. La négation du monde se combine avec la négation de soi-même.
Comme conséquence du péché, toutes les oeuvres de civilisation sont marquées de l’infamie de leur origine, tout est mauvais qui vient de la société, tout doit être détruit.
Qu’est ce qui disparaît ? La divinité de Jésus-Christ, le fait que Dieu soit le Père, la grâce et le pardon, le fait que le monde, dans lequel nous sommes est création, la promesse, la résurrection, le sens de l’histoire orientée vers la nouvelle création.
p222. Sans doute la philosophie moderne, la psychologie et la psychanalyse ont-elles combattu fermement l’idée de péché, l’idée de culpabilité, l’idée de responsabilité pour “libérer” l’homme. L’homme finit par être convaincu, en effet, que le péché ne compte pas, ce qui se traduit aussitôt, non par un comportement ouvert, mais par un égoïsme forcené, un mépris de l’autre.
p223. Il y a un vertige de la mort qui saisit les plus raisonnables quand ils voient ce qui se passe. Périodiquement, le jugement porté sur le monde à partir de la conviction du péché faisait apparaître les fanatiques de la destruction, les moines et cénobites d’Alexandrie, les circoncellions, les millénaristes, les cavaliers de l’Apocalypse.
Mais maintenant, sur le vieux fond se greffe la vision concrète du mal envahissant. Il faut anéantir au plus vite cette société qui est l’enfer. Il y a maintenant la tentation généralisée d’un vertige nihiliste de cet ordre.
Ainsi le cheminement s’est bien effectué à partir du christianisme jusqu’au nihilisme. Le christianisme avait tout détruit de ce qui n’était pas lui et il portait en lui-même sa propre contradiction qui l’a, à son tour détruit.
La responsabilité du christianisme ne saurait être rejetée.
II
La contradiction
p224. Le problème mystérieux qui reste devant nous est quand même : comment cela a t-il pu se produire ? Comment a pu être si totalement inversé, si radicalement perverti le discours vrai de la Révélation chrétienne, mais encore la vie chrétienne elle-même ?
Toujours la même question, comment le socialisme, visant le bonheur et la liberté de l’homme, est-il devenu le stalinisme ou le marxisme, dictatures impitoyables ?
Le diable existerait-il ? Enfin restons au christianisme.
La première erreur était en effet de prétendre faire un Etat ou une société chrétienne, le christianisme n’a jamais été autre chose qu’une mutation de la personne fondée sur la foi dans cette Révélation.
p225 La seconde erreur est de juger le christianisme sur ces oeuvres collectives qui charrient tout le magma socio-économique mêlé à quelques fragments d’idéologie chrétienne.
La foi chrétienne est un antinihilisme. Je rappellerai trois points .
Tout d’abord la Création. ( dont le récit dans la Genèse n’est évidemment pas la description d’une réalité concrète !)
Il ne s’agit en rien d’un mythe des origines mais le fait décisif est la présence du Créateur. Le monde existant n’existe qu’en fonction de cette volonté là.
La relation à ce Créateur implique que l’homme est en même temps libre et non autonome. Il est institué dès le départ comme responsable ( appelé à répondre de …)
p226. Le monde est création et les moyens de l’homme sont limités par le fait qu’il s’agit de la Création et non pas de la Nature ou d’un milieu quelconque.
Un second aspect tient au fait que l’histoire est dotée d’un sens qu’elle reçoit. C’est Israël, le premier, qui a posé le problème de la relation avec la nature et avec Dieu en termes d’histoire et non de philosophie. Dieu est un Dieu dans l’histoire.
p227. La singularité du judéo-christianisme est celle-ci : l’Histoire n’a pas de sens intrinsèque mais pas davantage un sens qui lui vient de l’extérieur. C’est la présence de Dieu dans ce cours de l’événement-homme qui fait qu’elle prend un sens au fur et à mesure de son déroulement.
Pour la pensée chrétienne, l’histoire est habitée , au fur et à mesure qu’elle se fait, par une relation qui se développe dans un certain sens où le Créateur assure que la fin n’est pas le chaos ou le Néant.
La Révélation biblique récuse les deux tendances : d’une part, Dieu fait tout, l’homme n’a rien à faire, l’oeuvre de l’homme est nulle et d’autre part, pas davantage, l’homme fait tout et est responsable du sens et de la fin de l’histoire et s’il rate c’est le désastre et la défaite universelle.
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p228. Mon étonnement c’est qu’à partir de cet enseignement parfaitement clair de la Révélation, on ait pu tirer la théologie d’une transcendance selon laquelle l’homme a à se débrouiller seul dans le monde sans guide.
Au cours de cette histoire le processus qui nous est montré comme la relation Dieu-Homme est le jeu entre promesse-réalisation-espérance-réalisation. Il n’est pas vain d’agir, il n’est pas inutile de faire si peu que ce soit, de s’engager.
p227. Dans ce cours d’histoire, à partir de l’expérience des exaucements de chaque promesse pour ceux qui savent les voir, l’espérance est possible c’est à dire que contre tout calcul humain, il y a encore, si sombre et tragique que soit la situation, une vérité qui existe, un homme qui tient, un pas de plus possible et une histoire ouverte à faire demain. Ceci est de l’ordre de la décision, de l’affirmation. Aussi bien sur le plan individuel que collectif.
Nous pouvons affirmer que dans sa vérité profonde, autant que dans son expérience, le christianisme est fondamentalement un antinihilisme. Le nihil, la mort, le néant, corrélativement l’instinct de mort, le non-sens, le désespoir et encore la dérision, comme l’angoisse, sont l’inverse de ce que Dieu nous révèle de son action, de son être en Jésus-Christ, de sa relation avec nous.
III
L’inversion
p230. La question est comment le retournement, l’inversion d’une telle vérité a pu avoir lieu ?
Il me semble que l’on peut retrouver trois processus :
Essayer de figer en un système arrêté, saisissable, explicatif et répétitif ce qui est mouvement imprévisible vers une issue. Ceci conduit à trouver des conciliations dans l’instant et de façon durable des inconciliables. Ainsi le Temps et l’Eternité. L’absolu et le relatif. La nature humaine et la nature divine en Christ. Ce qui conduit à établir des pouvoirs ( par exemple dans l’Eglise).
A partir de ce moment là on s’engage dans des situations contradictoires et inextricables.
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p231. La seconde erreur, très proche de la précédente c’est la mutation de ce qui est donné comme vrai dans la Révélation faite par le Créateur, dans une relation toujours personnelle et qui est dorénavant pris comme un texte, arrêté, figé, devenu loi objective, révélation close.
Qu’il s’agisse de la Thora, du Sermon sur la Montagne, des Béatitudes, il y a toujours le même processus : la parole recueillie est valable en soi. Elle a sa structure qui est signifiante par elle-même… A partir de ce moment où l’on adopte une telle attitude, il est évident que la contradiction nait aussitôt.
p232. Enfin, le troisième mouvement que je constate est la dissociation. La Révélation n’est antinihisliste que si le Dieu Transcendant est celui qui s’incarne dans notre Histoire. Si le Dieu caché est celui qui se révèle ( et réciproquement). Si la sainteté est la condition de l’amour.(et réciproquement). Si la foi produit inévitablement des fruits et si les oeuvres sont nécessairement le produit de la foi. Si la salut est accordé par pure grâce, les oeuvres étant parfaitement inutiles et cependant devant Dieu rigoureusement indispensables.
Je pourrais allonger cette liste des apparentes contradictions de la révélation biblique. Mais qui peut parler raison où c’est le Dieu absolu qui entre en relation avec nous ?
p233. Un exemple : le péché dont nous avons vu l’importance pour la naissance du nihilisme occidental. L’erreur a été de séparer le péché , originel, personnel , de décrire l’homme comme homme pécheur en soi. On oublie que jamais la Bible ne nous décrit le péché et l’homme pécheur de cette façon mais que c’est seulement à partir de la proclamation de la grâce que nous apprenons le péché. C’est à partir du moment où je crois au Christ crucifié que j’apprends la profondeur de mon péché.
p234. Bibliquement, nous n’avons qu’une proclamation de la grâce et une prédication du pardon. A partir du moment où la pardon n’est plus entendu, où l’homme ne se sent plus gracié il ne reste plus que le résidu du péché.
Ce qui disparaît c’est la présence active, actualisée, vivante, changeante de l’Etre qui donne un sens.
p235. Nous ne voulons pas une relation continue avec Dieu, nous préférons nous mettre en règle. Il n’est pas du tout satisfaisant que Dieu fasse grâce ou libère. Nous préférons le lier par nos vertus et être assurés qu’il n’est pas, lui, libre de décider ce qu’il veut.
p236. chapitre VIII
Le fond du problème : l’intolérable
Si l’on admettait que le Nouveau testament entend par être chrétien était être conforme aux idées humaines, propres à plaire à l’homme comme s’il s’agissait d’une doctrine sortie de son coeur, il n’y aurait pas de problème ! Mais il y a un “mais”. Ce que le nouveau Testament entend par être chrétien est justement ce qu’il y a de plus contraire à l’homme.
Rien ne déplaît plus à l’homme que le christianisme du Nouveau Testament.
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p238. Nous avons vu jusqu’ici les contours de cette subversion. Nous n’avons pas atteint le fond du problème : celui du pourquoi après celui du comment. Il faut considérer le rapport de cette Révélation avec l’homme, l’homme banal et quelconque à qui elle est adressée et ceci rend un son plus tragique.
p239.
p240. Si la Révélation est intolérable ce n’est en rien à cause de son revêtement mythique ou légendaire. L’intolérable est plus profond. il est parfaitement intolérable pour l’homme de vivre dans un univers religieusement désert, dans un monde désacralisé, il lui faut une religion. Il refait de la Révélation une religion.
Le” X” apport à l’homme est essentiellement inorganisable. Il n’y a ni stabilité, ni fonctionnement, ni permanence collective, ni agrégation, ni cohérence de groupes possibles lorsqu’on veut vivre de la Révélation. Il est parfaitement invivable socialement. Le Saint Esprit est comme le vent qui souffle où il veut et quand il veut … Alors ?
p241. Quand on nous dit que l’Eglise est constituée de tous ceux que Dieu appelle, bien. Mais où sont-ils ? Qui trace la limite ? On en vient à dire que cette Eglise a un centre, Jésus-Christ, mais aucune circonférence. On ne peut s’assurer de personne ni exclure personne.
Nous croyons avoir trouvé la solution avec le baptême. Malheureusement, de façon très claire, le Nouveau Testament distingue le baptême d’eau et le baptême d’esprit. Les deux ne coïncident pas.
Quand on nous dit que l’Eglise a des ministères, que c’est à partir d’eux que s’organise sa vie, bien. Mais il faut se rappeler que ce sont des dons du Saint-Esprit.
Ce qui nous conduit à inverser le mouvement biblique. Le Saint-Esprit donne à son Eglise des hommes qui ont des dons, de charité, de parole ou d’enseignement et l’Eglise doit alors leur faire une place même si elle n’était pas prévue.
p242. Tout l’Ancien Testament est là pour nous dire que l’ordre de Dieu n’est pas l’ordre conçu et voulu par l’homme. Il n’est pas répétition et habitude, au contraire l’ordre de Dieu réside dans le fait qu’il pose sans cesse un nouveau, un commencement. Dès lors, effectivement, si on veut être fidèle à sa Révélation, son Eglise est parfaitement mouvante, fluente, renaissante, jaillissante, créatrice et inventive, aventureuse et imaginative. Elle n’est jamais organisable, institutionnalisable, pérenne.
Si l’Eglise vraie est inorganisable à cause de la vérité du Christ, combien plus une société entière ! On a refabriqué une religion, le christianisme, qui n’a plus rien à faire avec Jésus-Christ.
p243. Je ne dis pas que la société ou l’Etat soit le mal. Je dis qu’ils ont à exister en fonction de leurs lois propres, de leurs principes. Cela s’établit donc dans une relation conflictuelle. Et c’est fatigant. C’est usant pour les uns comme pour les autres. C’est insupportable.
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p244. Le pire c’est que l’intolérable est encore plus profond ! Il se situe directement dans le coeur de l’homme. Tout ce que l’Evangile nous annonce est intolérable, inacceptable, imbuvable pour l’homme réel, l’homme de chair et d’os, l’homme de n’importe quelle société.
La grâce. Vous croyez que c’est agréable ? Apprendre ainsi que l’on est gracié. C’est à dire que cela ne dépend pas de moi, que je n’y peux rien. “Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court…”
Aucun sacrifice, aucune cérémonie, aucun rite, aucune prière ne peuvent valoir la grâce.
p245. Mais il y a plus, la grâce exclut aussi le sacrifice. Girard a parfaitement raison quand il montre à quel point le sacrifice était aussi un facteur fondamental de l’être humain.
p246. Non, l’homme n’est jamais juste. Il n’accomplira jamais ce que ce Dieu demande. Le jeune homme qui vient à Jésus et qui lui dit : “Maître j’ai tout fait cela que faut-il encore que je fasse ?
Mais quoi ? Va, vends tous tes biens, donne-les aux pauvres…”
p247. L’homme est justifié par grâce, par l’amour souverain de Dieu manifesté dans la Mort de Jésus, l’homme dépossédé de ce à quoi il tient essentiellement : être lui-même l’artisan de sa propre justice.
Nietzsche a raison. C’est lui qui exprime la pensée naturelle, normale de l’homme naturel et normal, il n’est pas un démoniaque démolisseur du christianisme…il est tout simplement l’homme naturel prenant au sérieux ce qui est dit dans la Bible.
p248. Je suis donc un objet ? Non pas ! Je suis bien devant Dieu un homme. Ce qui est mortellement atteint dans cette situation, ce n’est ni mon humanité, ni ma dignité, c’est mon orgueil. Et cela l’homme ne peut l’accepter. La grâce, il n’en veut pas. Alors commence le patient travail de réinterprétation de la Révélation pour en faire un christianisme à la gloire de l’homme, dans lequel l’homme ait le mérite de sa propre justice.
p249. La foi ? mais elle ne m’appartient pas. Elle m’est donnée. Elle me fait vivre, elle est au coeur de mon action et de ma pensée. Elle vient de la grâce.
p250. Or nous avons absolument besoin de stabilité, de certitude, de constance. Nous sommes tous juristes devant Dieu. Mais la grâce n’est précisément pas une affaire juridique. Nous avons absolument besoin d’être propriétaires ! D’être propriétaires de notre vie. Et voilà que précisément la grâce dans son mouvement contredit cette prétention.
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p251. Mais voilà une bien autre affaire ! Dieu est qualifié par Jésus de Père. Et nous voici plongé dans un autre conflit, une autre contradiction au fondement de mon être. Nous avons cru que Dieu pensé comme le Père, non pas le terrible Juge, ni le Créateur lointain, ni l’Impersonnel absolu éternel mais le Père tout proche, tendre et bon.
Hélas nous avons appris que les choses n’étaient pas aussi simples. Nous avons appris que les relations entre père et fils n’étaient pas ce pur amour, cette affection sans borne, sans jalousie, sans calcul.
p252. Nous sommes placés par la Révélation dans une situation terrible et contradictoire. D’un côté Jésus a raison. De l’autre l’hostilité père-fils est bien réelle.
p253 . Il faut abandonner cette “image” de Dieu. Dieu n’est pas le Père … On voit à quel point ainsi la Révélation vient contredire notre connaissance et notre sagesse, à quel point elle est insupportable.
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Et que dire de cette autre idée qui nous est apparue essentielle dans la vie de Jésus-Christ, celle de de la non-puissance liée à l’antipolitique.
p254. Il paraît qu’il existe parmi les peuples dits primitifs des tribus qui ne connaissent pas la violence et ne cherchent pas la domination. Je veux bien. Mais nous sommes en présence d’une telle exception.
Si nous considérons seulement les peuples historiques que voyons-nous ? Des guerres, des conquêtes, la recherche de la grandeur…. Ne disons pas que c’est l’Occident. Car enfin l’Egypte, qu’a -t-elle fait d’autre pendant 2000 ans ? Et les Assyriens, les Chaldéens ?
Me dira-t-on que j’en reste au bassin méditerranéen, esprit de violence et de puissance ? Regardons ailleurs : les Aztèques ? D’où venaient les effroyables vagues successives, les Huns, les Hongres, Gengis Khan, etc…et les effroyables guerres qui ravageaient périodiquement l’Inde pendant deux mille ans. J’ai déjà parlé du monde arabe et de l’Islam. A l’intérieur de toutes ces sociétés n’y avait-il pas également scission entre un petit nombre de riches et une masse de pauvres ? Y compris dans la société bouddhiste dite pacifique et non violente ? La domination des riches est partout la même. Ce n’est pas le capitalisme qui l’a engendrée. De la même façon nous retrouvons pratiquement partout l’esclavage.
p256. Alors combien est vraiment intolérable une prédication et bien plus une vie, centrée sur la non-violence. Non pas le sacrifice pour une cause que l’on veut faire triompher, mais vraiment un amour pour rien, une foi pour rien, un service pour rien. En toutes choses recherchez l’intérêt des autres. Ne cherchez pas à vous défendre, le Saint-Esprit s’en chargera. Car la non-violence comporte une théorie sociale et en général a un objectif : la non-puissance, point. Ainsi cette Révélation de “X” ne pouvait que répugner fondamentalement à l’homme de n’importe quel temps, de n’importe quelle culture.
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Mais voici encore un autre intolérable : la liberté. L’homme fait de la liberté sa valeur suprême. Et bien entendu, les beaux mythes grecs sur la liberté conquérante de l’homme contre les dieux. Et la lecture si souvent effectuée du récit de Genèse 3 où aujourd’hui on se félicite de l’audace libératoire de cet Adam.
p257. Adam a eu l’audace de se dresser libre devant Dieu en désobéissant et en transgressant. Ce faisant, il a inauguré l’histoire humaine qui est en vérité l’histoire de la liberté. Que c’est beau tout ça ! Mais cette passion, cette volonté, cette doctrine ce sont des mensonges ! Ce n’est pas vrai que l’homme veuille être libre. Ce qu’il voudrait, ce sont les avantages de l’indépendance sans avoir aucun des devoirs et des duretés de la liberté.
La liberté est aventure. La liberté est dévorante, exigeante. Un combat de chaque instant. La liberté demande d’être toujours neuf, toujours disponible.
L’amour suppose la liberté et celle-ci ne s’épanouit que dans l’amour.
p258. La liberté ne peut jamais exercer de puissance. Il y a coïncidence entière entre la non-puissance et la liberté… entre la liberté et la non-possession.
p259. Ce que l’homme veut quand il parle de liberté, c’est : ne pas être soumis à un autre, pouvoir faire ses quatre fantaisies et aller où il en a envie. Ce qu’il ne veut pas, c’est devoir prendre en charge sa vie, être responsable de ce qu’il fait.
p260. Il y a une exacte contrepartie; plus tu veux être assuré et garanti contre tout, moins tu es libre. Ce n’est plus le tyran qui est aujourd’hui à craindre, mais notre propre besoin effréné de sécurité.
Nous sommes très habiles pour camoufler notre esclavage en l’appelant liberté.
p261. L’homme qui rompt avec Dieu acquiert bien une indépendance, une autonomie, jamais la liberté car Dieu seul est libre et la relation avec lui est la seule possibilité pour devenir libre.
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p262. Abordons enfin un dernier exemple de ce que cette révélation a d’intolérable pour l’homme. Il faut revenir à ce que nous avons entendu, les Béatitudes. En elles-mêmes et si on les prend au sérieux elles sont absurdes et inacceptables. Ce n’est pas vrai que la Terre appartient aux débonnaires ! Elles disent des contre-réalités. Ce qui est déjà pour l’homme censé inacceptable. Mais surtout, il faut comprendre que la “spiritualisation” est une exigence supplémentaire, un poids de plus.
Nous sommes aussi habiles à échapper à l’exigence de Jésus qu’à échapper à l’exigence de liberté.
p263. Déclarer que le royaume n’est pas de ce monde, que l’on n’atteint pas la liberté par la révolte, que la rébellion ne sert à rien, qu’il n’y aura pas de paradis sur terre, qu’il n’y a pas de justice sociale, que la seule justice est en Dieu, qu’il n’y a pas à chercher la responsabilité ou la culpabilité des autres mais qu’il faut d’abord les chercher en soi-même c’est vraiment vouloir l’échec, c’est dire l’intolérable.
Alors bien sûr, le grand argument, celui de Marx, Nietzsche et tous les autres, c’est la démobilisation : en annonçant cela on démobilise, en rejetant le bonheur dans le paradis on stérilise les énergies qui auraient pu transformer la société.
p264. Le Christ ne dit pas du tout : Puisque mon royaume n’est pas de ce monde, ne faites rien et subissez ! il dit au contraire : mon royaume n’est pas de ce monde, dès lors agissez de toute les façons possibles pour rendre ce monde vivable et faire partager à tous la joie du salut, mais sans aucune illusion sur ce que vous arriverez à faire. C’est très peu.
Or c’est ce que l’homme ne peut ni entendre ni accepter. En effet la parole du Christ est démobilisatrice mais ce n’est pas le fait de cette liberté, c’est le fait de l’indigence et de l’orgueil de l’homme !
p265. La vérité révélée spiritualise toutes les conditions, toutes les situations. Et, de ce fait, elle rend tout plus radical. Tout devient radical. Mais en même temps, cette radicalité exige que nous abandonnions tout ce que nous prétendions avoir.
Proclamer la lutte des classes et le combat révolutionnaire “classique” c’est en rester au même point que ceux qui défendent leurs biens et leurs organisations. Ca peut être utile socialement, ce n’est en rien chrétien, malgré les efforts désolants des théologiens de la Révolution.
Abandonnez tout pour être tout. Ne mettez pas votre confiance dans vos moyens humains, aucun, parce que Dieu y pourvoira.( où, quand, comment, nous ne pouvons le dire.)
Voilà ce qui est difficile, bien plus que de convoquer des gens pour la guérilla, le terrorisme ou soulever des masses…. Et tel est en effet l’intolérable de l’Evangile.
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p266. La grâce est intolérable. Le Père est insupportable. La non-puissance est décourageante. La liberté est invivable. La spiritualisation est mensongère. Voilà notre jugement humainement fondé, inévitable. Voilà les premières sources du rejet de la Proclamation de Dieu en Jésus-Christ.
Jésus-Christ nous dit clairement : “Si vous faites comme tout le monde, quel gré en saura-t-on, que faites-vous d’extraordinaire ?
Chapitre IX
Les puissances et les dominations
p267. Peut-être devons-nous entrer dans un domaine plus hasardeux, livré à toutes les hérésies possibles, à tous les errements. Peut-être, s’il y a eu toute cette perversion du “X” révélé, n’est ce pas seulement l’action volontaire ou inconsciente de l’homme mais aussi de puissances spirituelles qui sont d’une autre sphère. D’une autre et cependant la même.
Ces puissances n’ont rien à voir avec un principe du Mal, universel et coextensif à Dieu. Elle n’ont rien à voir avec une personnification : un diable destiné à être peint et figuré. Ce que nous pouvons en savoir c’est qu’elles n’existent que dans et par leur relation à l’homme.
C’est quand l’homme est là que le satan ou le mensonge peuvent se manifester et s’exprimer.
p268. Il y a possession de l’homme par ce qui utilise, ce qui est déjà de l’homme. Paul ne s’y trompe pas.
Des puissances vont ajouter un “plus” et un “autre” à toute cette histoire, c’est pourquoi on parlera d’exousia à propos de certaines expressions de l’activité humaine. Paul nous met fortement en garde pour que nous ne nous trompions pas d’ennemi.
Reprenons, l’Etat est une exousia. Il faut analyser le phénomène Etat, pouvoir, puissance, politique etc… Au delà du compréhensible et de l’analyse, il y a un résidu , c’est une puissance spirituelle, une exousia qui habite le corps de l’Etat.
Même chose pour l’argent.
p269. Là encore l’exousia que Jésus personnalise en l’appelant Mammon.
Quant à l’avertissement de Paul, il est clair :
“Ce n’est pas contre la chair et le sang que vous avez à combattre mais contre les trônes, les puissances, les dominations, contre les autorités contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants qui siègent dans les lieux célestes.”
Bien sur on peut hausser les épaules et dire que ce pauvre homme était victime des illusions de son temps. Nous forts, intelligents…
Il faut toujours revenir à la formule selon laquelle l’ultime piège du diable, c’est de vous convaincre qu’il n’existe pas. Mais par ailleurs sitôt que l’on aborde ce domaine, toutes les illusions sont permises et tous les délires proches.
Sage et borné, je m’en tiens à la Bible qui me paraît à la fois très cohérente, suffisante et que je crois inspirée donc vraie. Or, elle nous fournit à ce sujet un certain nombre de données
p270. constantes et fermes. Il ne s’agit pas d’y mêler d’autres univers et imaginations.
En particulier, contrairement à une croyance tenace , il n’est pas question de Lucifer qui est une invention de la fin de l’époque romaine, ni des puissances infernales détaillées, tirées des légendes païennes.
La Bible me donne un éventail de six puissances mauvaises , Mammon, le prince de ce monde, le prince du mensonge, le satan, le diabolos et la mort. et cela suffit bien.
Quand on les compare elles sont toutes caractérisées par leur fonction : l’argent, le pouvoir, le mensonge, l’accusation, la division, la destruction.
Ce qui me paraît important dans cette vision de l’anti-Création c’est qu’il n’y a aucun mystère, aucune ouverture sur un au-delà mauvais. Il n’y a pas un monde infernal ni une hiérarchie des anges révoltés.
On nous parle de puissances qui sont à l’oeuvre concrètement dans le monde humain qui n’ont pas d’autres réalités que cela.
Elles sont certainement des puissances “dans les lieux célestes” mais qui n’ont aucune existence que dans leur relation avec l’homme. Elles sont des expressions de ce chaos que Dieu a mis en oeuvre pour sa création. Elles sont la puissance désordonnatrice.
p271. Tout le chaos n’a pas été absorbé dans la Création et celle-ci est toujours menacée. Il n’y a pas de “principe” mauvais. Il y a des forces antidivines puis antichrétiennes qui ne s’exercent nulle part ailleurs que sur terre.
Elles visent au premier chef cet homme particulier que Dieu choisit, met à part ( le saint), celui à qui Dieu révèle son amour en Jésus-Christ, (le chrétien) et la réunion de ces hommes, (l’Eglise).
Là où est un chrétien se concentrent toutes les puissances du mal. Là est bien le problème, il s’agit moins de “perdre” de “conduire en Enfer” que d’empêcher que l’amour de Dieu soit présent dans le monde.
p272. Ce qui me paraît bibliquement certain c’est que les puissances mauvaises font de la terre un Enfer et qu’il n’y a pas d’autre Enfer que notre Terre. Leur grande oeuvre est de faire produire à ceux qui ont reçu la “marque du seigneur” le contraire de ce que Dieu attend. Il ne faut pas être surpris de ce qui s’est passé dans l’Eglise. Derrière tout ce que nous avons décrit il y a la “main du diable”. Rien de moins.
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Le Mammon l’argent qui impose, comme loi des relations l’ échange, la vente, rien pour rien, tout se paie et tout s’achète. C’est cet esprit qu’il a introduit dans l’Eglise où parfois la grâce fut monnayée, ou parfois l’Eglise fut un centre de rapine et d’enrichissement.
p273. Les Actes des Apôtres et certaines lettres de Paul nous montrent ce qui eu pu exister, avec le don comme règle générale des relations.
p274. Ce n’est pas une affaire d’avoir mais d’être spirituel en Christ. Sitôt que ceci s’atténue, alors instantanément l’avoir domine. La logique est implacable : à quoi ça sert la foi ou l’espérance quand on a tout et besoin d’une seule chose, un peu plus à consommer…
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Le prince de ce monde. Il faut s’y faire le monde est à ce prince là. Le monde n’est au seigneur que dans le discernement de la foi et dans l’éloignement.
p275. Les produits de l’esprit de puissance peuvent être détournés de ce que le prince de ce monde en attend. L’Etat peut devenir serviteur, l’Etat peut être instrument de justice.
p276. “Vous n’êtes pas du monde mais vous êtes dans ce monde”. La subversion du christianisme a consisté à se laisser pénétrer, séduire et conduire par le prince de ce monde.
L’Eglise a été séduite par les classes dirigeantes et elle est devenue puissance. Cependant tout est-il perdu ? Non. L’Eglise est-elle totalement pervertie ? Non.
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p277. Le prince du mensonge. ( cf le secret bien gardé de Jovanovic)Voici donc le troisième? Celui qui transforme la vérité en chose, en idée, en opinion, en dogme, en philosophie, en science, en expérience, en réalité en apparente vérité.
Dans le Nouveau Testament, le mensonge a un sens très précis : cela n’a rien à voir avec nos petits mensonges, tout ce que nous appelons en général mensonge.
Jésus nous dit “Ne jurez par rien du tout, simplement que votre oui soit oui et votre non soit non.” Autrement dit que vous soyez vous-même entier dans votre parole. Le mensonge dans le Nouveau Testament c’est la déclaration d’une fausse identité de Jésus. Il est dans sa personne l’unique vérité.
Transformer Jésus en idée : il y a mensonge.
p278. En second lieu transformer Jésus en idole. Soit qu’on l’adore magiquement ( et je ne peux m’empêcher de penser aux affreuses saint-sulpiceries ou à ces effroyables crucifixions espagnoles) et qu’on cherche à obtenir de lui des avantages terrestres, des petits miracles du quotidien. Soit qu’on le déguise. Le fait que les soldats lui aient mis le manteau de pourpre du général, une couronne qui était l’imitation de celle de César et qu’on l’ait montré à la foule en disant : Voici l’homme.
Mais depuis, combien de fois l’avons-nous déguisé ? Petit Jésus, Jésus roi des nations, Jésus socialiste, Jésus clown, Jésus trônant au dessus des tribunaux humains, Jésus garant du droit et de l’ordre, Jésus révolutionnaire. En prenant garde que même les titres de Fils de Dieu, Christ et Messie (auxquels je crois profondément) peuvent devenir à leur tour mensonge sur ce Jésus car il nous entraînent très vite à ne plus le recevoir comme le Vivant, la Vérité tout entière en une personne mais à nouveau comme objet, c’est à dire idole.
Le troisième mensonge consiste à ramener Jésus à l’Eglise.
p279. L’Eglise corps du Christ, oui, nous y croyons fermement- Mais dès lors, quelle tentation pour l’Eglise de s’assimiler elle-même à Jésus-Christ, de prétendre détenir la vérité totale et la dire si bien que la parole de l’Eglise devient la parole de vérité ni plus ni moins.
En effet l’Eglise est corps de Christ mais au lieu que cette vérité soit reçue comme grâce, elle est considérée comme un acquis.
Voilà donc les trois mensonges que nous pouvons percevoir dans la relation Bible-Histoire de l’Eglise.
Chercher le bouddhisme ou chercher la vérité dans et par la science ou par la psychanalyse tout ceci peut-être de l’ordre de l’erreur mais pas du mensonge.
Le prince du mensonge s’attaque en premier lieu à l’Eglise, c’est son objectif principal et c’est dans l’Eglise qu’il se situe lui-même forcément. Le reste étant des jeux de lumière par lesquels le prince du mensonge égare les illuminés.
p280. “ Je voyais satan tomber du ciel comme un éclair” nous dit Jésus. Ceci est essentiel. Rappelons encore une fois que satan n’est pas un personnage. Il est l’accusateur. Nous devons dire que chaque fois qu’il y a une accusation (même exacte, même justifiée) il y a satan.
Tout ce qui n’explose plus comme haine dans le Ciel s’est condensé sur la Terre.
C’est pourquoi Jésus n’annonce pas une progression idyllique vers un Paradis progressivement organisé mais au contraire
p281.une croissance effroyable des conflits, privés ou collectifs.
Mais ici, encore le drame est que l’accusateur a d’abord utilisé l’Eglise. Sans vouloir exagérer l’affaire de l’Inquisition, c’est quand même exact qu’il y a eu une perversion prodigieuse de la Révélation.
Au lieu de laisser prédominer le pardon et la grâce et d’admettre que le pire pécheur s’il se repent devant Dieu reçoit de Dieu ce pardon, on a interposé la confession exprimée par un prêtre. La quête du péché devient le fait majeur.
p282. Tout devient suspect. Telle a été la grande erreur de l’Eglise, obéissant à satan et pervertissant la vérité révélée.
Si notre monde actuel est un monde de l’accusation insatiable, politique, sociale, intellectuelle, morale c’est à cause de cette erreur d’aiguillage commise par l’Eglise sous l’influence de satan.
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Enfin le dernier de cette terrible “main”, le diable. Diabolos, le diviseur.
p283. Diabolos. Partout où il y a division, conflit, rupture, concurrence, combat, désaccord, exclusion, désadaptation il y a le diable.
La guerre de religion a été la plus implacable de toutes les guerres, on l’a dit cent fois. Et ce genre de guerre est typiquement le résultat de croisement du diable et de l’Eglise.
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p284. “Quand vous verrez l’abomination de la désolation dans le lieu saint…”
p285 Je suis convaincu que c’est réduire arbitrairement le texte que de le ramener à sa dimension historique locale. Cette abomination de la désolation me semble avoir deux significations possibles.
D’un côté c’est un fait spirituel terrible qui provoque la dévastation, qui ramène à une terre nue.
N’est ce pas exactement ce que nous constatons avec le christianisme ? Celui-ci a détruit les anciennes croyances et il a tout remplacé par la Vérité de Dieu en Jésus-Christ. Mais alors quand cette vérité est sapée, que Dieu est proclamé mort,
p286. c’est vraiment la dévastation. Il ne reste rien à l’homme à quoi se raccrocher.
Quant à l’autre sens, il s’agit du désespoir total qui plonge l’homme dans la situation abominable de la solitude entière.
p287. L’homme aurait pu être converti, il aurait pu ne pas y avoir de subversion du christianisme.
p288. Il fallait l’entrée de la liberté spirituelle en politique pour que l’Etat devienne le plus froid des monstres froids. Il fallait la grâce gratuite pour que l’argent produise le capitalisme. il fallait l’amour vécu pour que la masse anonyme devienne le visage abstrait de l’homme invisible. Il fallait l’esprit de non-puissance pour que la technique dominatrice s’empare du monde et se serve de tout. Il fallait la vérité révélée pour que la science devienne l’instance dernière de l’absolu.
p289. Les non-chrétiens diront que je fabule. Soit. C’est une affaire de foi. Les chrétiens seront scandalisés parce que ce que je viens d’écrire signifierait la défaite du Saint-esprit.
Mais n’est-ce pas ce qui nous est annoncé dans Matthieu 24 ? N’ est-ce pas tout ce que nous avons vu depuis deux mille ans ( et qui ne doit pas être réduit à la destruction du Temple en 70 après JC.)
La séduction avec de ,nombreux “sauveurs” de tous ordres, la croissance des guerres, la haine de la vérité… L’homme séduit par tout ce qui passe… Tout y est.
p290. Mais ce pouvoir extrême des puissances n’était possible que par la subversion du christianisme. La lumière est venue dans le monde et les ténèbres ne l’ont pas reçue. Et la vérité a été la nourriture de ce qui allait être le dévoiement.
Est-ce alors la défaite du Saint-Esprit ? En tant que réussite dans le monde : oui. Absolument oui.
p291. Ainsi le fidèle serait celui qui aurait à son tour l’intelligence et la force de dépouiller nos réalités matérielles de leur pouvoir de séduction, de les dévoiler pour ce qu’elles sont, rien de plus, et de les faire entrer dans le service de Dieu, en les déroutant totalement de leur propre loi.
Mais jamais un triomphe impérial. Il n’y a pas de chef d’Etat inspiré par le Saint-esprit. Il n’y a pas de développement de la science et de la technique guidé par le Saint-Esprit. Ce que les puissances ont réussi est donc l’inverse. Elles ont remporté la victoire explosive, asservissant à leur grandeur la vérité même de Christ.
Chapitre X
“Eppur si muove !”
p292. Et pourtant il est là. Et pourtant le Saint-Esprit agit dans le secret mais avec une infinie patience. Et pourtant il y a toujours une Eglise qui naît et renaît sans cesse.
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Tout ce que l’on dit contre l’Eglise, contre le monothéisme juif ou contre Paul n’est pas exact, loin de là.
p293. L’Inquisition devient une sorte de modèle permanent et universel de ce qu’a été l’Eglise ( alors qu’elle fut toujours réduite, localisée, peu meurtrière sauf à l’égard des cathares). On falsifie délibérément l’affaire Galilée en faisant un martyr de la science et en le montrant comme preuve de l’intolérance absolue, de l’ignorance, de l’obscurantisme de l’Eglise. On transforme les Croisades en affaire d’argent, de pouvoir et de volonté de conquête. On accuse tous les missionnaires d’être d’affreux hypocrites. On renvoie au monothéisme l’origine de toutes les oppressions politiques. On fait du protestantisme le moteur du capitalisme.
p294. On explique doctement que le clergé n’avait cessé d’exploiter, de pressurer le pauvre peuple. On fait du Moyen Age où le christianisme était dominant le siècle de la violence et de l’obscurantisme. On explique sans réserve que c’est l’Eglise qui a soumis la femme à un état de subordination totale et que c’est encore elle qui a désigné le sexe comme le Mal absolu.
Or tout cela, ce ne sont que de simples mensonges destinés seulement à la propagande.
Il faut seulement revenir à l’exact, pour soulever la question de la perversion du christianisme !
p295. L’attitude qui me paraît évangélique eût été de reconnaître tout ce qu’il y avait d’exact dans ces dénonciations. Or, il faut bien reconnaître que les Eglises ont pris de très haut ces accusations.
Elles se sont ancrées dans une attitude générale de refus de tout ce qui changeait.
p296. Il n’y avait d’issue que dans un spiritualisme désincarné, une piété purement personnelle et le modèle tout trouvé devenait Bernadette Soubirous ou Thérèse de Lisieux.
Or cette attitude défensive et orgueilleuse devait conduire au désastre de 1945-1970, à savoir qu’après avoir résisté sans changer jusqu’à la dernière limite, le barrage a cédé. Les chrétiens, emporté par le flot se sont brusquement retrouvés scientistes, communistes, révolutionnaires, hypercritiques envers leurs Eglises; sans se rendre compte qu’ils faisaient la même chose que ce que l’on avait tant reproché à cette Eglise ! il faut donc impérativement discriminer ce qui est exact et le mensonge, dans toutes ces accusations. Il faut les écouter toutes et retenir le juste, pour retrouver le vrai de notre propre vocation et l’inébranlable de la Révélation.
Cependant, il y a, dans ce tri déjà tant et tant à retenir de mensonges et d’erreurs de nos Eglises que l’on a vraiment le sentiment qu’il n’y a plus de Saint-Esprit. Que la promesse de Jésus d’être avec nous jusqu’à la fin du monde est vaine. Si le Saint-Esprit était avec son Eglise, comment notre histoire aurait-elle été ce qu’elle est ? C’est une question que nous ne pouvons pas éviter. Elle est angoissante. Traumatisante.
p297. Si Dieu se tait comme j’ai essayé de le dire ailleurs ( cf J Ellul, L’Espérance oubliée, Gallimard 1977)comment nous pouvons-nous encore parler en son nom.
A moins que la promesse n’ait été tenue et que finalement le Saint-Esprit ait été vaincu.
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Eppur su muove. Et pourtant cette Eglise démantelée, divisée, mensongère, traîtresse, elle existe toujours non pas du tout en tant qu’institution ou organisation, mais malgré cela. Et pourtant cet Evangile, cette Révélation, trahis, bafoués, accaparés, détournés, bafoués, pervertis ils existent toujours comme Révélation du seul Dieu, Père de Jésus-Christ.
Je ne vais pas à mon tour me lancer dans une apologétique. Je ne vais donc pas refaire une histoire positive de l’Eglise qui soit la contrepartie de ce que nous avons dit.
p298. Je ne vais pas essayer de sortir vainement de ces cercles vicieux dans lesquels les incroyants victorieux ne cessent de prétendre enfermer cette Révélation.
Comme les deux aphorismes célèbres : ou bien Dieu existe et du moment qu’il fait tout, le mal qui se fait sur la terre lui incombe. Ou bien le mal a une autre source, mais alors Dieu n’est pas tout-puissant donc il n’existe pas.
Si je crois que le Saint-Esprit est quand même présent dans l’Eglise, dans la vie de chaque chrétien il me semble que la Bible nous en donne trois caractères. D’abord il a marqué une limite, un point d’arrêt. Ensuite il est extraordinairement discret.
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Et d’abord, le point d’arrêt : il existe une puissance démoniaque, infernale qui cherche à anéantir la création. La mort. Il nous suffit de nous rappeler qu’elle est qualifiée à la fois de Roi des Epouvantements (Job) et de Dernier Ennemi (Apocalypse). Son oeuvre n’est pas seulement de détruire le vivant mais encore de lui faire croire qu’au delà d’elle il n’y a rien. Elle est la barrière de toute vie. Elle est le point final.
p299. Ce qui importe à l’homme et il a raison de la croire , c’est le “Je”, c’est à dire exactement ce que la mort anéantit !
La mort est bibliquement épouvantable. Bien plus que nous ne l’imaginons car elle est puissance du mal, elle est puissance de décréation de l’oeuvre de Dieu. Au travers de la destruction de la vie, ce qu’elle produit, c’est justement la perte de confiance dans la possibilité qu’il y ait un Créateur. C’est pourquoi dans l’Apocalypse, elle est représentée comme la quatrième puissance de l’Histoire, lorsque celle-ci est figurée comme le résultat du galop des quatre chevaux, dont le dernier est la mort elle-même, avec le séjour des morts.
Déjà ici nous rencontrons une vérité biblique fondamentale. Contrairement à l’impression des hommes, le pouvoir de la mort dans l’histoire a reçu une limite :
p300. Le quatrième cheval a reçu pouvoir de détruire le quart de l’humanité. Elle ne peut excéder le pouvoir que Dieu lui reconnaît dans l’Histoire. Nous parlons de l’Eglise.
Un texte contient la même leçon c’est Job.
Nous trouvons la suite de ce grand texte dans la proclamation de Jésus alors qu’il s’agit de l’Eglise qui sera bâtie sur la confession que vient de faire Pierre : “ Les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle” (Mt, 16,18). Littéralement “les portes de l’Hadès”.
p301. Le premier sens est celui qui nous concerne dans cette recherche et qui correspond à Job et à l’Apocalypse : le pouvoir de la mort est spirituellement et historiquement limité à l’égard de l’Eglise comme à l’égard de l’humanité. Toutes les puissances spirituelles mauvaises peuvent fondre sur elle. Il subsiste toujours un reste, peut-être infime, de vérité de l’Eglise, puisqu’elle continue à vivre. Quoique cette Eglise fasse, quelles que soient ses errances, quoi qui lui survienne, elle ne peut pas être séparée de Dieu. ( qui est le vivant).
p302. Dieu reste fidèle à sa promesse : parce que la résurrection individuelle et collective est assurée, certaine, alors au cours de l’histoire, l’expression visible et concrète de cette résurrection, c’est cette espèce de survie étonnante de l’Eglise qui est le signe perceptible de la communion des saints.
Dans la Diaspora, ou en Israël, le peuple élu reste le peuple élu parce que Dieu est fidèle et vivant et de même pour l’Eglise. L’Eglise reste Eglise du Dieu vivant. On la voit mourir. Et puis elle se manifeste ailleurs et autrement. Les Eglises premières issues directement des Apôtres et de Paul disparaissent sous l’invasion arabe. L’Eglise naît à ce moment en Gaule, en Irlande, en Espagne. Les Eglises si épanouies, si fructueuses d’Afrique du Nord sont anéanties par les Barbares germaniques puis par les Arabes. Peut-être notre Eglise d’Occident est-elle condamnée mais nous sommes en train de la voir se développer en Insulinde, en Afrique et la prodigieuse reprise de la vérité chrétienne en URSS….
,,,p303. La subversion du christianisme ne peut entraîner la mort de l’Eglise corps de Christ ( non pas du tout Eglise invisible).
Après avoir essayé d’élucider le pourquoi de cette perversion, à tous les niveaux, il nous resterait une autre histoire à écrire dont nous ne traçons que les premiers mots, l’histoire de la vérité, de la fidélité qui renaissent chaque fois des cendres de ce bois mort et qui attestent que la parole de Dieu qui, elle, est le buisson ardent, qui brûle et ne se consume pas.
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Nous venons de procéder à la visée théologique mais on ne peut pas négliger l’histoire.
Bernanos a raison quand il affirme que l’Eglise vit par ses saints. Nous rappelant que les saints ne sont pas nécessairement ceux qui sont officiellement reconnus, répertoriés, canonisés et répondant à un modèle de la vertu morale ou de la piété. Les saints peuvent être parfaitement ignorés et connus de Dieu seulement de Dieu lui-même.
p304. L’étonnant dans cette histoire de l’Eglise, c’est qu’au travers de cette énorme perversion, alors que tout semble rongé par les termites il y a toujours une résurgence de la vérité.
Je crois que l’on peut considérer cette réapparition ,de la vérité, de la vie chrétienne, de la foi à trois niveaux différents. Celui des théologiens et des grands mystiques, celui des courants populaires qui se constituent, deviennent historiques et s’expriment, celui du mystère caché des humbles vrais dans l’Eglise.
Le surprenant c’est l’apparition de François d’Assise, du pape Célestin V , de Jean de la Croix, de Thérese d’ Avila, de Luther, de Münzer, de Las Casas, de Kierkegaard, de Kagawa, de Karl Barth et cent autres.
p305. Chaque fois , à un moment ou dans un lieu où la Révélation était perdue ces hommes et ces femmes ont provoqué comme un électrochoc dans ce clergé ou ce peuple revenant à une vérité, recherchant à nouveau le sens de la vie dans l’Ecriture. Il faut quand même s’émerveiller que cela ait lieu.
Cela ne résout rien. Après saint François, c’est la misérable querelle autour des Fraticelli, après Luther c’est l’apparition d’une nouvelle religion aussi compassée, séculière que l’ancienne.
p306. Donc ces hommes et ses femmes ne sont pas la solution. Car il n’y a pas de solution.
Tout à coup reparaît une sorte d’étoile qui donne à tout le firmament une dimension nouvelle.
Une sorte de lumière qui vient en même temps éclairer ces vieux textes, les rajeunir brusquement, éclairer des coeurs et des intelligences d’hommes qui s’ouvrent pour accueillir cette vérité constante depuis presque trois mille ans et subitement redevenue si neuve.
p307. A l’exception de la Réforme, ces grands théologiens ou mystiques répondent chacun à la question centrale de leur temps. Chacun répondait par un retour à l’authenticité biblique je n’hésite pas à le dire. C’était de la théologie biblique vécue et actualisée.
Barth par exemple avait à répondre à un double défi. Celui de l’hitlérisme et celui du grignotage de la vérité révélée par le libéralisme. Barth a prononcé le coup d’arrêt radical de la compromission avec le nazisme. Il a au contraire agi avec la plus grande souplesse et le plus grand discernement au sujet de la science et du libéralisme protestant.
Or, ces exemples je pourrais les multiplier, je pourrais faire une autre histoire de l’Eglise qui irait de “phare” en “phare.” ( Les phares de Baudelaire). Chacun de ces phares a provoqué un changement profond dans l’Eglise. Bien sûr il n’ont pas modifié toute l’Eglise, ni toute sa pensée.
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p308.Il n’y a pas que les grands hommes, les grands intellectuels, les grands mystiques et théologiens.
p309. Il y a aussi ces courants populaires cristallisés autour d’une personne ou d’un petit groupe qui représentent aussi une explosion temporaire, fugace de ce Saint-Esprit qui parfois change l’histoire. Tous les messianismes ne sont pas bons et vrais selon le Seigneur.
Si les guillelmites et les adamites paraissent éminemment suspect au contraire certains courants anabaptistes, les vaudois, les collards, les hussites, le mouvement social tellement important de Fra Dolcino pour m’en tenir à une seule époque de cette histoire de l’Eglise semblent fondamentalement vrais et fortement bibliques.
Quand je regarde cette histoire de l’Eglise ( non pas seulement ses princes, ses évêques, ses conciles, ses synodes régnant sur un peuple abêti !!) je m’aperçois qu’à chaque époque il y a eu ici ou là un de ces réveils populaires. Que ce soit les Winklers, plus tard les Quakers, ou bien Wesley et le réveil, sans cesse cette Eglise qui bouge, change .
Aujourd’hui je pourrais dire qu’en Amérique latine c’est le courant des théologiens de la Libération et de la Révolution qui correspond au réveil et mouvement populaire soulevé par l’Esprit. ( j’ai souvent été critique à l’égard de ces théologies qui ne sont qu’une pastorale et une incarnation d’une vérité chrétienne ) . Mais on peut aussi prendre l’exemple admirable de ce mouvement populaire fondamentalement chrétien qu’est Solidarnosc de Lech Walesa en Pologne.
p311. Avec la Pologne nous sommes en présence d’un fait exemplaire : le catholicisme polonais est au yeux de tant de protestants empreint de crédulité, simplisme, paganisme même, il est religion de miracles et d’adoration de la Vierge, il est plein de sentimentalité etc… et dans une large mesure comparable au christianisme médieval.
Or, si Walesa a pu mener l’extraordinaire partie qu’il a menée c’est en reposant sur cette foi là. Ce qu’il y avait d’extraordinaire durant ces dix-huit mois c’est l’absence de violence, le respect des autorités, la finesse d’un jeu qui allait jusqu’à l’extrême position de force tout en s’arrêtant au moment où on risquait de passer à la violence.
p312. Je crois que c’est la première fois dans l’histoire que nous assistons à une pareille sagesse de la masse lancée dans l’action.
p313. Je pense que ces données trouvent leur raison dans la foi chrétienne de ce peuple.
p314. Le mouvement de Lech Walesa doit être assimilé à un Réveil spirituel. Il ne peut y avoir de Réveil qu’en fonction d’une relation au monde. Je n’insisterai jamais assez sur la spécificité de toute entreprise chrétienne dans le monde.
p315.
p316. Mais dans les temps modernes il n’y a pas que cet événement replaçant l’Eglise dans sa droite vérité, il y aussi la reprise , la renaissance de la foi en URSS. De fait, on pouvait penser en 1940 que le christianisme y avait pratiquement disparu.
p317.
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p318. Ce qui caractérise les mouvements de cet ordre, c’est le fait que la renaissance de l’Eglise se produit dans les conditions mêmes où l’Eglise s’est trouvée dans ses origines. C’est à dire d’une part affrontée à une société qui ne présente plus rien de chrétien.
p319. Si la parole de Dieu peut encore être prêchée ,si elle reste aujourd’hui signifiante cela repose sur la simple foi de ces humbles dont personne, hormis Dieu, ne connaîtra jamais ni le nom ni les oeuvres et qui pourtant sur terre font partie des saints.
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Le processus de subversion que nous avons examiné sous un grand nombre d’aspect apparaît me semble-t-il assez clairement, comme lié à la trahison des représentants de Dieu qui établissent leur loi à la place de la loi de Dieu, qui posent leurs normes et qui organisent “l’entreprise-Dieu” comme affaire historique humaine. Cela correspond bien à ce que Dostoïevski raconte dans la légende du Grand Inquisiteur. Nous assistons à un double phénomène en réponse qui est immanquable.
D’abord cette “Parole de Dieu” devient entre leurs mains cendre, poussière et insignifiance. il ne faut pas s’y tromper chaque fois que l’homme prétend en faire un fondement philosophique ou politique, ou encore une des structures de la société ou encore le garant de son action, ou encore l’objet d’une connaissance objective ou encore une superstructure d’une infrastructure décisive elle devient rigoureusement inexistante.
p321. Et l’autre face de la même situation : la subversion du christianisme implique toujours la transgression de ce qui est posé par Dieu. Or, toute organisation ecclésiastique, toute institution sociale fondée sur l’Evangile, toute morale chrétienne est inévitablement une transgression de l’ordre nouveau posé par Dieu.
Et on ne peut se passer ni d’organisation, ni d’institution, ni d’éthique. Alors ? Ce qui se produit dans les exemples que nous avons rappelés, c’est un fait fondamental expliquant le processus même de la relation entre la volonté de Dieu et l’organisation humaine.
p322. Il n’y a pas un conflit, mais il y a une origine, une dérive par transgression de la transgression. Quand nous parlons de subversion du christianisme il y a chaque fois issue de la vérité ressaisie dans la Parole de Dieu qui se manifeste par la réapparition du X dont nous parlions au début.
Ainsi la réduction de tout le christianisme au temporel et l’insertion de l’Eternel dans ce temporel qui devient la raison dernière produit son inversion par une reconquête de l’Eternel qui bouleverse de façon décisive le temporel. Autrement dit ce n’est jamais l’Eglise qui peut s’auto-réformer elle-même.
L’expérience cent fois faite de la recherche honnête et scrupuleuse de meilleures institutions de moyens plus vrais d’évangélisation, tout cela est vain, échoue inévitablement.
p323. L’Eglise sitôt quelle s’organise et se cléricalise est en elle-même transgression de l’ordre de Dieu mais elle produit en elle-même ce qui va éclater comme transgression de cette transgression.
Ce n’est pas en partant de sa tête humaine que l’Eglise se transforme mais par une explosion prenant naissance chez ceux qui sont à la frange.
Si nous considérons l’aventure du peuple chrétien, nous nous rendons compte que rien n’est jamais clos, décisif, fini. Que l’on a le droit de porter de jugement sur rien. Ce jugement sera celui du Père Eternel tel qu’il est rappelé dans l’Apocalypse. et de ce fait rien n’est jamais perdu.
p324. Le christianisme ne l’emporte jamais décisivement sur Christ. Mais celui-ci peut rester parfois et longtemps comme il était caché dans le corps du petit homme juif. Lorsque nous comprenons cela nous pouvons lire avec un autre regard l’histoire de cette Eglise et en même temps nous faisons l’apprentissage de la logique spécifique du royaume des Cieux qui pénétre et bouleverse les logiques du monde.