CHAPITRE PREMIER- LES PREMIÈRES COMMUNAUTÉS : DE JÉRUSALEM À ANTIOCHE, par Etienne Trocmé 61
(Étienne Trocmé est un professeur d’université français et un historien de la naissance du christianisme, spécialiste du Nouveau Testament, né le 8 novembre 1924 à Paris et mort le 12 août 2002 à Étretat.)
La brillante opération de police menée en étroite collaboration par les dirigeants du Temple de Jérusalem et les autorités romaines de Palestine les 6 et 7 avril 30 avaient été une grande réussite.
Les jours et les années suivantes avaient vu quelques épisodes de rebondissement du mouvement lancé par Jésus. Plusieurs de ses adeptes affirmaient que le Maître leur était apparu, leur avait dit qu’il était revenu à la vie et les avait chargé de reprendre son oeuvre : d’une part Pierre, puis les douze, puis un groupe de cinq cents frères, de l’autre Jacques frère du Seigneur, suivi de tous les « apôtres » terme appliqué semble-t-il à des mandataires de ce dernier. Cette série d’apparitions et d’envoi en mission avaient une telle importance que l’énumération de ces événements avait été intégrée à une confession de foi citée par Paul peu après 50 mais remontant sans doute aux années 30. Par contre, les récits relatant telle ou telle apparition sont tous des récits légendaires un peu tardifs ( Matthieu 28,9-10 ; Luc 24,13-51 ; Jean 20, 14-29 ; 21, 4-23)
On peut dire la même chose – récits légendaires- des quatre récits de la découverte du tombeau vide par des femmes adeptes de Jésus peu de temps après la crucifixion. ( Matthieu 28,1-8
« Après le sabbat, à l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent voir le sépulcre.
2 Et voici, il y eut un grand tremblement de terre; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s’assit dessus »
; Marc 16, 1-8 ;
« Lorsque le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé, achetèrent des aromates, afin d’aller embaumer Jésus.
2 Le premier jour de la semaine, elles se rendirent au sépulcre, de grand matin, comme le soleil venait de se lever.
3 Elles disaient entre elles: Qui nous roulera la pierre loin de l’entrée du sépulcre?
4 Et, levant les yeux, elles aperçurent que la pierre, qui était très grande, avait été roulée.
5 Elles entrèrent dans le sépulcre, virent un jeune homme assis à droite vêtu d’une robe blanche, et elles furent épouvantées. »
« Le premier jour de la semaine, elles se rendirent au sépulcre de grand matin, portant les aromates qu’elles avaient préparés.
2 Elles trouvèrent que la pierre avait été roulée de devant le sépulcre;
3 et, étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.
4 Comme elles ne savaient que penser de cela, voici, deux hommes leur apparurent, en habits resplendissants. »
« Le dimanche, Marie de Magdala se rendit au tombeau de bon matin, alors qu’il faisait encore sombre, et elle vit que la pierre avait été enlevée [de l’entrée] du tombeau. 2 Elle courut trouver Simon Pierre et l’autre disciple que Jésus aimait et leur dit: «Ils ont enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où ils l’ont mis. »
On comprend que les autorités n’aient considéré ces révélations que comme des rêveries sans importance. Ces récits sont trop légendaires et trop divergents pour permettre la moindre reconstitution des faits. Mais ils véhiculent une affirmation forte.
Les disciples éparpillés ont commencé à se regrouper et même décidé de s’établir à Jérusalem là où leur maître avait péri. Cette installation à Jérusalem était un événement très important.
I. La communauté de Jérusalem jusqu’à la mort de Jacques 62
Pourquoi cette décision surprenante des disciples de revenir à Jérusalem ? La raison essentielle était que le Christ allait revenir très vite sur la terre pour y établir le Règne de Dieu et ce retour ne pouvait se faire que dans le temple de Jérusalem.
- Une influence essénienne ?, 64
Cette attachement de la première communauté de Jérusalem au maintien des douze, à leur effectif complet et le recours au tirage au sort pour le remplacement de Judas font un peu penser à la communauté de Qumrân dont le direction était assurée par un groupe de douze frères et trois prêtres et où le tirage au sort était utilisé pour les décisions importantes.
Les disciples de Jésus se trouvaient face à d’énormes problèmes pour interpréter et expliquer les extraordinaires événements qu’ils venaient de vivre. Peu intellectuels et sans formation rabbinique ils avaient à convaincre des prêtre forts cultivés. Ils ont rencontré les esséniens vigoureux contestataires de l’ordre établi et voués à à l’étude de l’Ecriture. Ils leur ont emprunté leur façon de lire les Livres saints en particulier les textes prophétiques et ont lu prophètes et et psaumes comme des prédictions de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus. C’est sans doute à Jérusalem dans les premières années de l’existence de la communauté et tirés des Esséniens que les nombreux titres attribués à Jésus ont vu le jour : Christ traduction grecque de Messie ; Seigneur jadis réservé à Dieu ; Nazoréen ; Serviteur de Dieu ; Saint et Juste ; prince de la Vie ; Fils de Dieu ; Fils de l’homme ; Fils de David ; Maître etc…
*Nous ignorons si les Douze menaient une vie complètement monastique et si les saints du groupe faisaient caisse commune. Las autres fidèles habitaient des maisons particulières où ils se réunissaient chaque jour pour « rompre le pain ». Les apôtres montaient au Temple aux heures de la prière juive accompagnés pas les frères et malgré l’hostilité des autorités du Temple qui les toléraient en raison de leur attitude pacifique.
Les périodes de fêtes du calendrier juif voyaient affluer à Jérusalem et particulièrement au Temple des foules de pèlerins dont certains avaient déjà entendu parler de Jésus. On est amené à supposer qu’avait lieu en plein air une lecture d’un récit de la Passion du Maître qui a dû être l’archétype des quatre récits de la Passion intégrés aux Evangiles canoniques. La baptême a existé dès que la communauté s’est tournée vers l’extérieur.
Simon surnommé « Pierre » par Jésus était le porte-parole et l’animateur du groupe des Douze, parfois en compagnie de Jean. Il apparaît comme le chef de la communauté et son autorité s’étend aux petites communautés de fidèles fondées en Palestine. Cette primauté de Pierre semble avoir durer une dizaine d’années. C’est dans les Actes des Apôtres à l’évocation du châtiment d’Ananias et Saphira que le terme ekklesia est employé pour la première fois et qui signifie en grec l’assemblée générale des citoyens d’une ville. Mais Paul a utilisé par trois fois « l’Eglise de Dieu » qu’il pourchassait alors avant sa conversion. Ce terme aurait existé dès avant 35 de notre ère.
2.Vie de la communauté, 65
Les quelques indications des premiers chapitres des Actes permettent de se faire une idée de la vie menée par la communauté mais nous ignorons si les saints du groupe menaient une vie cénobatique (vie monastique) et si ils faisaient caisse commune comme il est possible.
Les réunions tenues dans les maisons des uns et des autres comportaient certainement un enseignement donné par les dirigeants de la communauté et aussi des prières. En outre les « apôtres » montaient au Temple pour les prières juives, « le soir, le matin et le midi » ( Psaume 55,19). Malgré l’hostilité des autorités du Temple une certaine tolérance s’était établie en raison de leur acharnement à parler à la foule et le caractère pacifique de leur attitude.
On est amené à supposer qu’une célébration en plein air, sans doute sur les lieux supposé du martyre de Jésus avait lieu. Selon les Actes, le baptême était le rite d’initiation. Pierre était le porte parole parfois en compagnie de Jean.
Il faut admettre que dès 35, la communauté jérusalémite se désignait comme l’assemblée du peuple que le Messie allait trouver devant lui à son retour.
3.Des groupes particularistes, 67
Malgré l’autorité de Pierre, la toute première communauté jérusalémite n’était pas complétement unitaire. Divers indices donnent à penser que plusieurs groupes ont existé en son sein. Jacques accompagné de Marie ne se sont certainement pas contentés d’un rôle effacé. Paul lors de sa visite trois ans après sa conversion a également rencontré « Jacques frère du Seigneur ». Nous ignorons à quelle date Jacques a pris la tête de la communauté de Jérusalem. C’est au plus tard en 44 lorsque Pierre a dû fuir la ville pour échapper à la mort mais il est possible que ce soit plus tôt et à la suite de la conversion du centurion Corneille.
Un autre groupe a dû se former très tôt en marge de la communauté de Jérusalem. C’est celui qui fut le berceau de la tradition propre au IVe Evangile. Faut-il voir en Jean, fils de Zébédée l’animateur de ce groupe ? Selon les Actes des Apôtres il joua un rôle important dans la vie de la première communauté et peut-être en conflit avec le groupe de Jacques ( Jean 7, 3-10). Marie que Jésus confie à Jean aurait-elle opté pour le groupe de Jean ? Les légendes ultérieures parlent de leur installation à Ephèse.
Un troisième groupe marginal est celui des « hellénistes » ( Acte 6,1). Séparés du reste de la communauté par leur langue sont dotés très tôt d’un groupe de 7 personnes, toutes juives. Au-delà de la langue il y avait une divergence théologique ( Acte 6,7 à 7-60). Ce groupe ne partageait pas le point de vue conciliant des Douze sur le Temple. Pour eux le retour de Jésus serait marqué par la destruction de ce monument impie. Le principal porte-parole de ce groupe était Etienne qui fut arrêté et lynché après un violent affrontement verbal. Une violente répression s’abattit sur ce groupe qui dut se disperser vers 35 peut-être.
4.Jacques prend la tête de la communauté, 69
En une douzaine d’années la communauté des anciens disciples de Jérusalem formèrent les bases de l’avenir du christianisme avec une Eglise fortement centralisée vigilante et tolérante à l’égard des tendances divergentes et l’élaboration d’une christologie, d’une tradition des paroles de Jésus d’un récit liturgique de sa Passion, l’institution d’un baptême et de l’eucharistie.
Pierre, déjà contesté à cause de son attitude favorable à l’évangélisation des païens, fut menacé de mort par Hérode Agrippa Ier roi de Judée et de Samarie. Ayant fait exécuter Jacques fils de Zébédée , il s’apprêtait à faire de même avec Pierre lorsque celui-ci s’évada de sa prison. Jacques prit la suite de la direction de la communuaté et c’est Paul qui nous renseigne sur lui et nous dit qu’il pouvait imposer son point de vue sur Pierre jusqu’à Antioche. Quant à l’Epitre de Jacques qui date des environs de l’an 80 elle nous présente Jacques comme s’adressant aux douze tribus de la diaspora comme chef de l’Eglise de Jérusalem et respecté des juifs du monde entier. Divers documents ultérieurs confirment ces indications.
Flavius Josèphe rapporte l’exécution de Jacques par le grand prêtre Annan en 62. Dans l‘Evangile de Thomas dont la rédaction remonterait au début du II ième siècle, Jésus aurait répondu à un de ses disciples : « Où que vous alliez, vous irez vers Jacques le Juste , pour qui le ciel et la terre ont été faits. » Selon le témoignage d’Hégésippe rapporté par Clément d’Alexandrie l’influence de Jacques était considérable dans la population juive de Jérusalem. Il ne fait aucun doute que Jacque fut le frère de Jésus ce qui lui conféra un prestige particulier d’autant qu’il bénéficia d’une des premières apparitions de Jésus ressuscité.
Jacques fut très scrupuleux et très pieux et il semble avoir été proche des pharisiens. Il mit fin à l’existence du noyau cénobitique ( monacal) et accepta d’encourager des pratiques de piété dans le Temple associant étroitement les chrétiens à son fonctionnement.
5.Jacques, chef de l’Église universelle, 73
La communauté de Jérusalem s’était dès le début considérée comme responsable des groupes chrétiens qui surgissaient en divers lieux comme « la ville de Samarie », Joppé ( aujourd’hui Japho)et Lydda ( aujourd’hui Lod), ou Antioche ( aujourd’hui Antachya) en Syrie.
Il n’est pas étonnant que Jacques, ayant accédé à la charge exercée par Pierre, se soit comporté en « pape » en dictant les règles à toutes ces communautés. C’est lui par exemple qui tire les conclusions du débat avec les délégués d’Antioche ou qui fixe les règles aux convertis d’origine païenne. Ce sont ses représentants, Judas et Silas, qui allèrent les communiquer aux membres de ces communautés et lui rendirent compte de leur mission.
La primauté de Jacques vis-à-vis des Eglises locales n’est jamais plus visible que dans les efforts de Paul pour rentrer en grâce auprès de lui. Comme il apparaît clairement lors de l’incident relaté en Galates 2,11-14, Pierre était soumis à l’autorité de Jacques.
Pour ce qui est de la discipline, les règles énoncées en Actes 15,19-33, se sont imposées de façon si générales au II ième siècle que l’on peut être certain qu’elles émanaient de Jacques.
La thèse de de la descendance davidique de Jésus se prêtait à une contestation radicale qui pourrait être une création des adversaires de Jacques en l’occurrence les héllénistes, dont nous verrons qu’ils ont des liens étroits avec l’Evangile selon Marc.
Il y a par ailleurs dans l’Evangile de Marc d’autres passages qui traduisent une vive hostilité envers Jacques et toute la famille de Jésus. ( cf Marc 6, 1-6 et son parallèle en Matthieu et le récit de Luc (4,16-30). La présence à Nazareth de la mère de Jésus de ses quatre frères, Jacques, Josés, Jude et Simon ainsi que ses soeurs n’est nullement un argument en faveur de l’adhésion de leurs concitoyens au message et à la personne de Jésus. Dans les Evangiles synoptiques comme en Jean, le ralliement à Jésus de sa famille est présenté comme tardif. L’Evangile de Marc rapporte la tentative de sa famille de ramener Jésus à la raison. ( cf Marc 3, 22-27 ; 28-29 ; 31-34) . De ces éléments, Marc a fait une attaque extrêmement violente contre la famille de Jésus. Le rejet par Jésus de sa famille au verset 29-30 prend une dimension tragique : ces gens dont Jacques, sont définitivement disqualifiés comme héritiers de l’autorité du Maître. Ils sont dans la parabole du Semeur « ceux du dehors » que Dieu aveugle pour qu’ils ne comprennent pas la parole du salut. Un tel montage littéraire montre la violence des oppositions que l’autorité spirituelle de Jacques suscitait dans certains milieux en particulier chez les hellénistes. Mais Paul a ressenti la nécessité au bout d’une dizaine d’années de rétablir la communion avec la Grande Eglise de Jacques tenue par lui d’une manière plus ferme que par Pierre.
Paul nous présente Pierre comme l’apôtre des circoncis par excellence et il s’est rendu dans certaines grandes synagogues de la Diaspora. On trouve sa trace à Antioche, Corinthe. La tradition évoque sa présence à Rome où il a subit le martyre vers 65 de notre ère. L’Eglise dirigée par Jacques était aussi missionnaire que le groupe conduit par Paul mais tournée vers les synagogues de la Diaspora pour leur rappeler que Jésus était le Messie annoncé par les prophètes.
6.Martyre de Jacques et déclin de l’Église de Jérusalem, 78.
L’imposant édifice construit autour de Jacques allait pourtant connaître une fin brutale. Deux auteurs, l’historien Flavius Josèphe et le chroniqueur Hégésippe dont Eusèbe de Césarée cite plusieurs extraits nous offrent un récit de son martyre.
Il faut dater la mort de Jacques à l’année 62 ordonnée par le grand prêtre Anan qui saisit l’occasion de la vacance de pouvoir romain pour se débarrasser de quelques personnes dont Jacques qui, selon lui transgressaient la Loi.
La mort de Jacques eu les plus graves conséquences pour l’Eglise de Jérusalem. Si l’on en croit Eusèbe de Césarée qui cite Hégésippe c’est un certain Syméon fils de Clopas, cousin germain de Jésus, qui fut élu. C’est un personnage obscur à la longévité exceptionnelle qui serait mort martyr sous Trajan à l’âge de 120 ans. La chute du Temple en 70 prive Jérusalem de son rayonnement. Deux autres membres de la parenté de Jésus, les petits fils du frère de Jésus auraient « dirigé toute l’Eglise ».
Nombreux chrétiens de la capitale soumis à la dictature des zélotes quittèrent la capitale et se réfugièrent à Pella ville hellénistique de Transjordanie. Après le siège, la communauté réduite s’enfonça dans un provincialisme sans éclat qui lui interdisait toute autorité à l’égard des Eglise de la diaspora. La destruction complète de Jérusalem par Hadrien en 135 et l’interdiction pour tout juif d’y résider furent le coup de grâce pour cette communauté naguère si importante.
II. Les hellénistes et leurs entreprises missionnaires jusqu’à Antioche 80
Ce groupe s’est formé très tôt au sein de la toute première Eglise puis en marge de celle-ci après leur séparation. Il était très agressif à l’égard du Temple. Après le lynchage d’Etienne, le principal de leur porte -parole, la répression s’abattit sur les autres membres. Par contre, les douze sans doute plus conciliant à l’égard du Temple furent épargnés. Ce groupe, soumis à la répression s’éparpilla en Judée et Samarie en annonçant l’Evangile. De ce zèle, les Actes donnent deux exemples : la prédication dans la « ville de Samarie » ( 8,5-13) et la conversion de l’eunuque éthiopien ( 8, 26-40)
Ces deux récits contiennent de nombreux traits légendaires mais donnent une idée assez précise de « cet évangéliste » Philippe présenté autant comme un exorciste et un guérisseur que comme un prédicateur. Son activité débouche sur un grand nombre de baptêmes y compris celui de Simon le Magicien un thaumaturge local qui jouissait d’un grand prestige. L’intervention de Pierre et Jean a permis à beaucoup parmi cette communauté, de recevoir le Saint-Esprit. On notera que Pierre et Jean ont évangélisé de nombreux villages en regagnant Jérusalem et qu’un peu plus tard l’Eglise était répandue sur toute la Judée, la Galilée et la Samarie (Acte 9, 31). Il y a donc au moins une participation à la fondation de l’Eglise en Samarie. Mais nous ne savons rien de la vie de la communauté fondée par Philippe sinon l’importance des phénomènes spirituels. D’autres missionnaires hellénistes avaient gagné des contrées extérieures à la Palestine et avaient évangélisé leurs frères juifs de Phénicie, de Chypre et d’Antioche en Syrie.
- L’Église d’Antioche, 83
Cette Eglise nous est un peu mieux connue en raison du rôle important qu’elle allait jouer. Peut-être avant l’an 40 l’Evangile y fut annoncé avec succès à des grecs. Barnabas, lévite d’origine chypriote, fut envoyé par la communauté de Jérusalem et devant les vastes perspectives constatées par Barnabas celui-ci alla quérir son protégé Saül de Tarse et l’associa à l’entreprise d’évangélisation. Cette communauté faisait largement appel à l’intervention de l’Esprit, au jeûne et au recours à la prière.
C’est à Antioche que les disciples furent appelés pour la première fois « chrétiens » qui avait un sens péjoratif chez les païens. Sous l’influence de Barnabas et Paul cette Eglise s’écarta de la mouvance helléniste et renonça à sa position schismatique. L’orientation de cette communauté aura été judéo-chrétienne à la façon de Jacques. L’évangile de Matthieu pourrait avoir été rédigé à Antioche.
2.L’apport des hellénistes, 86.
On peut penser que l’influence helléniste n’ a guère dépassé les limites de la Palestine de l’Ouest et du Nord ainsi que la Phénicie. En 58 au passage de Paul elle existait toujours mais nous ignorons en particulier si leurs Eglises ont survécu à la guerre juive.
Cette fin rapide et obscure a de quoi surprendre. La question est de savoir si les hellénistes ont laissé derrière eux un héritage intellectuel et spirituel.
Le discours d’Etienne placé dans les Actes ( Acte 7,2-53) est de provenance » helléniste ». Il atteste l’existence d’une théologie propre. Nous pouvons noter l’extrême réserve avec laquelle est présentée la construction par Salomon du Temple de Jérusalem. En citant Isaïe (66, 1-2) notre texte suggère que Dieu ne peut pas être enfermé dans un édifice humain. Au nom d’une conception très haute du Dieu créateur on écarte toute solution de compromis faisant du Temple la résidence de Dieu. Cette théologie est propre aux hellénistes qui les distinguent des autres disciples de Jésus dans la conception d’un Dieu tout autre.
Un examen attentif de l’Evangile de Marc, d’habitude présenté comme un disciple de Pierre, ôte toute ressemblance à cette thèse. L’évangile de Marc fait une place limitée à l’enseignement de Pierre qui privilégie » Christ » c’est à dire Messie alors que l’évangile de Marc parle plus souvent de » Fils de l’homme » et « Maître ». De plus cet évangile relate un vif incident entre Jésus et Pierre, ce dernier étant traité par le Maître de « Satan ».
Il faut chercher l’enracinement de cet évangile ailleurs. On y trouve une grande indépendance d’esprit et avec des capacités littéraires fort modestes qui fait penser à un groupe schismatique séparé de l’Eglise de Rome.
En outre, la progression du récit au long de l’Evangile selon Marc est balisé « d’inclusions » très visibles. Contrairement à ce qui a été dit, c’est avant tout des juifs dont il est question dans cet évangile.
On a pris l’habitude d’enraciner sa rédaction à Rome en raison de quelques détails. Il est plus vraisemblable qu’il fut rédigé en Palestine. Toutes les données nous rapprochent du milieu des hellénistes : violente hostilité envers le Temple. Les marchands chassés du Temple sont encadrés dans le récit entre les deux épisode de la malédiction du figuier. ( Marc 11, 12-14, 20-26)
La pensée qui se révèle est celle des hellénistes. Dieu y apparaît comme le maître absolu du monde qui fait don de son Esprit saint. Dieu est aussi le seul maître de l’histoire du salut. Tout cela est d’un judaïsme très classique mais Dieu ne réside pas dans le Temple dont la reconstruction ne fait pas partie du plan divin.
L’évangile de Marc trouve son enracinement dans le milieu d’Etienne et de Philippe dont il reflète la pensée. Après la grande crise des années 60 les « hellénistes » ne joueront plus aucun rôle dans le mouvement chrétien pris en charge par les héritiers de Pierre et Jacques et ceux de Paul.
CHAPITRE II . PAUL ET L’UNIVERSALISME CHRÉTIEN, par Simon Legasse 97
(Simon Légasse, né le 8 juin 1926 à Saint-Pierre (Saint-Pierre-et-Miquelon) et mort le 29 décembre 2009 à Toulouse, est un bibliste et prêtre catholique français.)
Il est entré tôt dans l’histoire du christianisme. Son rôle ne fut pas mince mais on aurait tort de le considérer à la suite de certains historiens comme le second fondateur du christianisme au détriment de Jésus lui-même.
Personnalité religieuse exceptionnelle conscient de son inspiration, Paul a laissé à la postérité des lettres qui sont les premiers écrits chrétiens connus. Elles laissent un témoignage important sur Paul et sur l’Eglise des origines.
Paul mène une existence en mouvement et voyage dans des conditions précaires en vue de fonder des communautés. Il s’adjoint des collaborateurs itinérants ou stables, les seconds étant munis de responsabilités dans les Eglises. Il veut porter l’Evangile à tous les « païens ».
I. Les sources 98
Pour certains personnages des origines chrétiennes, la documentation dont dispose l’historien est indigente et fragmentaire. Pour Paul, elle est plus abondante. Elle figure dans les Lettres de Paul et les Actes des Apôtres.
Les Actes de Apôtres seraient d’une importance exceptionnelle si l’on pouvait faire crédit à l’ancienne tradition qui en attribue la paternité à Luc le « cher médecin » mentionné dans l’Epitre aux Colossiens ( 4,14) et qui aurait été « l’inséparable » compagnon de Paul comme le désignait Saint Irénée. On a peine à admettre qu’un auteur ayant vécu quotidiennement au contact d’une personnalité telle que Paul le reflète si peu dans ses récits qui le mettent en scène. Sa « version » de l’apôtre s’accorde mal, quand elle ne s’oppose pas, à ce que lui même nous livre de ses plus fermes pensées et convictions. On a peine à admettre qu’un auteur ayant vécu quotidiennement au contact d’une personnalité telle que Paul, la reflète si peu dans les récits qui le mettent en scène, les discours et la doctrine qu’il lui prête. Sa « version » de l’apôtre s’accorde mal, quand elle ne s’oppose pas, à ce que lui-même nous livre de ses plus fermes pensées et convictions. En dépeignant le personnage comme un fidèle observateur de la Loi mosaïque, l’auteur des Actes poursuit un dessein auquel Paul eût difficilement souscrit.
La primauté des lettres vient de ce qu’elles témoignent directement de Paul. Elles s’imposent comme source essentielle d’information sur l’homme, sa pensée et son oeuvre.
II Le converti 99
- Paul, préchrétien, 99
Paul né à Tarse , citoyen de Tarse (?) et de Rome
Comme celle de Jésus, la date de naissance de Paul nous échappe. Dans le billet qu’il envoie à Philémon il dit être un vieil homme, soit à l’époque, un homme âgé d’environ soixante ans. Si la lettre a été écrite dans une prison d’Ephèse au cours de l’année 53, Paul serait donc né au cours des dernières années avant l’ère chrétienne, à une date proche de celle de Jésus. Paul est né à Tarse, en Cilicie, selon les Actes et aurait quitté cette ville à l’adolescence. Il aurait été un juif, citoyen romain. Il n’a jamais été intéressé que par des provinces ou colonies romaines et a insisté sur le devoir d’obéir au pouvoir séculier ( Romains 13, 1-7)
Paul à Jérusalem : il se mettra le plus tôt possible en rapport avec la cité sainte et le centre du judaïsme et bien des traits militeraient pour son éducation en diaspora grecque. La langue de Paul est du grec courant et sa Bible est celle des Septante.
Après les rudiments , l’académie
Il aurait été l’élève de Gamaliel Ier l’Ancien selon les Actes (22,3) et Paul était apte à aborder le niveau supérieur des études rabbiniques sans pouvoir affirmer qu’il était « rabbin ordonné ». Tant d’après les Actes que selon ses dires, il était pharisien.
Métier et classe sociale
Selon les Actes comme selon Paul, il était « fabricant de tentes « . Paul et sa famille avaient un certain niveau aristocratique et Paul vante son appartenance à la tribu de Benjamin qui avait donné à Israël son premier roi.
Paul au physique
Il est peu probable que Paul est remporté un tel succès sans qualités extérieures et d’abord le regard et la parole. Selon son propre témoignage, sa santé n’était pas à toute épreuve.
Paul était-il marié ?
Dans la première Epitre aux Corinthiens il fait l’apologie du célibat et dit de « demeurer comme lui ». Mais l’aurait-il été avant ? En 1 Corinthien 7,8 il s’exprime comme un veuf.
Paul le Persécuteur
Paul s’attribue la dernière place car il a, dit-il, « persécuté l’Eglise de Dieu ». Il montrait un « zèle acharné » pour les traditions ancestrales et marquait le même zèle violent pour l’éradication de l’Eglise naissante mais il n’est jamais allé jusqu’à dire avoir entraîné la mort de ses victimes. D’après les Actes, le lieu de persécution était Jérusalem. Mais on ne peut attribuer plus qu’un rôle accessoire dans le meurtre d’Etienne. Son action aurait consisté à traduire des chrétiens devant les tribunaux rabbiniques.
L’expérience qui bouleversa sa vie près de Damas et la présence de chrétiens dans cette ville quelques années seulement après la mort de Jésus pourrait s’expliquer par l’existence de quelques fuyards hellénistes suite à la persécution de Jérusalem poursuivis par Paul.
L’expédition de Damas racontée par les Actes ne saurait être fidèle à des faits historiques. Il est inconcevable que le grand prêtre ou le Sanhédrin aient autorisé Paul à pratiquer des arrestations à Damas car la juridiction du grands prêtre ne s’étendait pas jusque là. On retiendra plutôt une requête de synagogue à synagogue.
2.Vocation apostolique et conversion de Paul : la vision de Damas, 108.
A la différence des Actes des Apôtres, Paul, dans ses lettres ne raconte jamais l’événement qui transforma son existence. Aussi peut-on comprendre qu’exégètes et théologiens n’aient pas tous le même jugement sur la portée fondamentale du fait dans la conscience de Paul.
Pour certains, il aurait acquis la certitude que le Crucifié perçu dans la gloire du ciel est le Messie. Pour d’autres, c’est le rôle de sauveur unique et la fin de la Loi juive qui lui aurait été révélée. Et pour d’autres enfin, c’est la mission de prêcher le Christ aux païens, la fin de la Loi n’étant que le corollaire.
Une lecture des Epîtres nous apprend que Paul a vu Jésus. Comment l’a-t-il reconnu alors qu’il ne l’avait jamais vu ? Il ne nous le dit pas. Lui-même ne dit rien d’une parole qu’il aurait alors entendue. Reste que cette vision eut sur lui-même le même impact qu’une « révélation » et qu’il a acquis la certitude de devoir la communiquer aux autres. Sur le fondement de cette expérience, Paul se considère l’égal des autres apôtres. L’expérience fut forte et subite, elle fit d’un persécuteur des chrétiens un disciple et un apôtre de Jésus. Mais pour Paul, Jésus reste et demeure le Messie d’Israël. Plus tard il définira sa mission comme l’annonce de Jésus à tous les peuples. Dater l’événement de Damas avec précision est difficile mais on peut le situer à deux ou trois ans après la mort de Jésus.
III. Le missionnaire 110
- De la conversion à la première visite à Jérusalem, 110
Dans l‘Epître aux Galates (1, 16-17) Paul nous apprend qu’aussitôt après sa conversion il s’est rendu en « Arabie », c’est à dire la Transjordanie, pour prêcher la foi qu’il venait de recevoir. Il est impossible de dire combien de temps dura ce séjour en Arabie mais selon ses propos il ne s’étendit pas sur une longue période. Selon Paul lui-même, il dut quitter Damas par une fenêtre et dans une corbeille, pour rejoindre Jérusalem. Selon les thèses concernant cet événement on peut le situer entre 37 et 39. Il n’existe aucun détail sur ce voyage mais on sait qu’il a pour but de rencontrer Pierre, chef de la communauté locale. Il passa une quinzaine de jours à Jérusalem. Paul signale aussi la rencontre avec Jacques, frère du Seigneur, qui gouvernera la communauté après le départ de Pierre.
2. Questions de chronologie, 112
Paul, dans l’Epitre aux Galates, nous dit qu’il est monté à nouveau à Jérusalem « après quatorze ans ». Nous ignorons tout de son activité durant cet intervalle et les lieux où elle s’est exercée. En lisant ses lettres son apostat s’est déroulé en Asie Mineure, en Macédoine et en Grèce.
3. Paul en Syrie et en Cilicie, puis à Antioche, 114
Syrie et Cilicie formaient de 25 av JC à 72 ap JC une seule province impériale administrée par un légat résidant à Antioche. Les Actes nous apprennent que Barnabé s’en vint d’Antioche à Tarse de Cilicie pour amener Paul dans la métropole syrienne, faits confirmés par lui.
4. Deux expéditions missionnaires, 115
Chypre et en Asie Mineure : Paul va à Chypre avec Barnabé et sous ses ordres puis, en Asie Mineure pour terminer à Antioche ( aujourd’hui Antakya en Turquie). Dans ce récit, tout , y compris le discours de Paul et la persécution finale, relève à n’en pas douter de l’auteur des Actes et de son dessein théologique. A Iconium ( aujourd’hui Konya en Turquie) les deux prédicateurs sont menacés d’être lapidés par des juifs et païens et doivent s’enfuir.
5. L’accord de Jérusalem, 127
De Corinthe, Paul devait gagner Antioche en Syrie mais en faisant un détour pour « monter » à Jérusalem et saluer la communauté de la ville selon les Actes (18,22). Mais cette notice fugitive n’a aucune consistance historique. Elle se heurte au témoignage de l’Epître aux Galates (1,18 ; 2,1) dans laquelle Paul énumère avec précision une série de visites à Jérusalem et où celle-ci n’a pas sa place.
C’est depuis Antioche que Paul, accompagné de Barnabé, retrouvé là et de Tite, un pagano-chrétien, se rendent à Jérusalem. Selon l’épître aux Galates (2,2) c’est une révélation qui incita Paul à entreprendre cette démarche. La rencontre, que l’on devine laborieuse, voire tumultueuse, tient en huit versets de l’Epître aux Galates (2, 3-10)
Les autorités de Jérusalem composées de Jacques « frère du Seigneur », de Pierre (Céphas) et de Jean scellent leur accord en tendant la main droite à Paul et à Barnabé. Qu’est ce qui a pu inciter Jacques, juif profond, à dispenser les païens de la circoncision et faire de ceux-ci des disciples de Jésus et non de Moïse ? Cet accord sur l’objet essentiel de la rencontre mentionne une répartition des champs d’évangélisation : Barnabé et Paul s’adressent aux païens et les apôtres de Jérusalem aux juifs sans toucher à la Loi que ces derniers continuaient à pratiquer. Selon Paul, la dernière clause de cette rencontre est de « songer aux pauvres » de la communauté de Jérusalem. C’est ainsi que des subsides furent demandées à la communauté d’Antioche estimée plus à l’aise que celle de Jérusalem. Paul contribua à réaliser cette aide, comptant convaincre ainsi les réfractaires de Jérusalem d’accepter sa mission auprès des païens.
Mais les juifs étaient répandus en maintes contrées hors du pays d’Israël. Qui avait alors la mission d’évangélisation sur ces communautés ?
6. Crise à Antioche, 129
Paul évoque la crise de la communauté d’Antioche troublée par la situation des communautés mixtes. Pierre se trouve à Antioche et des assemblées mixtes se tenaient dans des maisons où ils partageaient des repas communautaires.
Sur ces entrefaites, arrivent de Jérusalem un groupe de chrétiens envoyés par Jacques. Ceux-ci refusent de s’associer aux repas pris en commun et Pierre commence à déserter les tables communes.
A l’occasion d’une réunion plénière, Paul ulcéré, adresse publiquement un blâme à Pierre pour sa conduite qui s’écartait ainsi de la « vérité de l’Evangile » où juifs et païens sont unis dans la foi du Christ. Paul ne dit rien de l’issue de ce conflit ce qui laisse planer un doute sur sa victoire et explique qu’il « prenne le large » pour une nouvelle campagne.
7. Le voyage de la collecte et le combat pour l’Évangile, 131.
En quittant Antioche, Paul rentrait dans sa tranche de vie et de sa carrière la plus semée d’embûches et la plus douloureuse.
Paul à Ephèse
On doit admettre qu’au moins Tite était avec Paul au départ pour visiter les communautés Galates qu’il avait fondées et Ephèse était à égale distance de ces communautés ( entre 330 – 480 km ) de Galatie et Thessalonique, Corinthe, Philippes, et Antioche de Pisidie.
L’origine de la communauté d’Ephèse nous est inconnue. On suppose que le christianisme y est venu avec l’arrivée de voyageurs dans la Diaspora locale.
Les épisodes des Actes relatant cette période sont tous ordonnés de façon à mettre Paul en vedette. On est en terrain plus sûr avec les lettres de Paul. Dans la partie finale de l’Epître aux Romains ( 16, 1-16) Paul polémique contre les chrétiens judaïsants. Paul aurait été prisonnier à Ephèse et c’est là qu’il aurait rédigé ses Epitres aux Philippiens, aux Colossiens et à Philémon.
La crise corinthienne
La situation à Corinthe n’est pas brillante. la diversité sociologique de la communauté se traduit en abus lors des repas. La crise corinthienne nous est accessible en partie dans la deuxième Epitre aux Corinthiens. Quelques chrétiens venus de l’extérieur avaient altéré la parole de Dieu et Paul les accuse d’avoir parlé d’un autre Jésus. Une altercation avec un de ces chrétiens entraîne Paul à abréger son séjour pour revenir à Ephèse. Une lettre suit, rédigée « parmi bien des larmes ». Elle réclamait le châtiment du coupable. On suppose qu’elle fut confiée à Tite, envoyé à Corinthe par la mer.
Paul rejoindra Tite plus tard en Macédoine. Est-ce alors là que Paul a étendu son champ de mission en Illyrie ( en gros le territoire de l’ex-Yougoslavie) ?
L’opposition judaïsante et la « justice » de Dieu
Après la seconde visite de Paul en Galatie, des prédicateurs chrétiens surviennent dans la région, s’opposent à la pratique missionnaire de Paul et contestent son autorité apostolique.
Dans l’Epitre aux Galates, Paul s’efforce de les convaincre de la vérité de sa mission et de son « Evangile ». Le passage par le judaïsme pour accéder au christianisme est une illusion. Seule la foi, à l’instar de celle d’Abraham, est la condition de la justice et du salut. Paul n’a de comptes à rendre qu’à Dieu qui seul l’autorise et l’inspire.
Dans l’Epitre au Philippiens, Paul a une réaction aussi violente que dans celle aux Galates mais il quitte l’argumentation théologique et recourt à son expérience individuelle, au tournant radical que sa vocation a fait prendre à sa vie. C’est l’occasion pour lui d’élaborer une théologie.
Dans la longue Epitre aux Galates, Paul expose les deux phases de sa lecture de l’histoire des rapports de Dieu avec les hommes. La phase négative de l’échec est d’abord accentuée pour que ressorte la puissance de Dieu qui relève le monde de sa déchéance et la Loi mosaïque est reléguée parmi les réalités désormais révolues. L’homme accède à la liberté de servir Dieu dans la paix d’un être réconcilié.
De Corinthe à Jérusalem
Paul hésitait à accompagner à Jérusalem les porteurs de la collecte car il craignait un accueil peu favorable, voire hostile. les Actes désignent les sept « convoyeurs de fonds ». A Césarée, on rencontre Philippe, un des sept de la communauté hellénistique de Jérusalem qui a quatre filles prophétesses : détail intéressant, émané de la mémoire locale et qui est l’indice d’une Eglise à dominante charismatique.
IV. La fin d’une carrière 140
- Essai de chronologie , 140
La chronologie interne est soutenue par une série d’indications que l’auteur des Actes échelonne dans son récit. Plusieurs sont vagues ou schématiques mais crédibles. Selon les indications du procès de Paul on parvient avec une part d’hypothèses considérable à situer le départ de Paul à Corinthe en 58.
2. Paul à Jérusalem, 141
La période qui s’étend entre l’arrivée de Paul à Jérusalem et son arrestation nous est présentée dans les Actes de façon à ce que le lien entre Paul et la communauté ne soit pas rompu.
Pour qu’il se réhabilite aux yeux de la communauté, Paul devait accomplir une démarche rituelle de purification de 7 jours qui s’impose à tout juif venant de l’étranger. Paul, dans l’Epître aux Romains (15,31) ne cache pas son appréhension à propos de l’accueil des aumônes et de l’hostilité dont l’entouraient les juifs hermétiques à la propagande chrétienne. Cette hostilité ne tarde pas à se manifester et Paul est menacé dans sa vie même. Il aurait été vu en compagnie de l’Ephésien Trophime à proximité d’une porte du Temple, or le franchissement de l’espace prohibé du Temple était puni de mort.
3. Le procès à Césarée, 142
Paul fut arrêté au motif rapporté plus haut.
Le juge Félix était le gouverneur de Judée qui séjournait à Césarée ( mais parfois à Jérusalem comme pour Pilate au procès de Jésus). Paul fut donc conduit par ses gardes à Césarée où le rejoignit une délégation juive chargée de l’accuser d’être un fauteur de troubles. Le procès fut ajourné. Paul resta en prison et le Juge Félix fut à ce moment remplacé par Festus. A la reprise du procès, Paul fit appel à l’empereur, ce qui lui permit de se soustraire à la juridiction de Festus. Ce dernier respecte le droit et donne l’ordre de conduire Paul à Rome.
4. Vers Rome, 143
Le voyage de Paul vers Rome est l’un des récits les plus captivants de Actes, avec mention des conditions météorologiques du voyage, les trajets et escales.
5. Dernières années et mort, 144
Paul a bénéficié d’un régime moins dur que celui d’un prisonnier et fut gardé dans un logis qu’il choisit. On s’interroge sur les raisons de ce privilège. Le sort de Paul après son arrivée reste obscur. Il y a un vide historique sur la fin de l’apôtre.
Selon Clément de Rome ainsi que le canon de Muratori et les Actes de Pierre, Paul se serait rendu de Rome en Espagne puis serait revenu à Rome et aurait été de nouveau arrêté et incarcéré puis après son procès exécuté.
V. Les Églises pauliniennes 147
En devenant chrétien, Paul est entré dans une ekklésia qui prolonge en l’adaptant la ligne tracée par Jésus. Cette ekklesia signifiait le rassemblement eschatologique d’Israël. Ainsi l’idée d’une élite est bannie. Il s’agissait de révéler l’accomplissement des promesses de Dieu en faveur du peuple élu qui s’étend aussi à toutes les nations du monde. Le concept est antérieur à Paul, bien qu’il soit le premier à l’exprimer. Il est hérité des hellénistes de Jérusalem et d’Antioche. La communauté tend à l’universel.
Selon ses écrits, Paul a fondé plusieurs communautés : en Galitie, à Philippes, Thessalonique, Corinthe, Troas. Les Actes parlent aussi de Antioche de Pisidie, Iconium, Lystres, Derbé, Bérée, Athènes.
Paul a aussi oeuvré dans une communauté qu’il n’avait pas fondée, celle d’Ephèse et celle de Rome a été marquée par sa lettre et sa présence.
Paul semble avoir agi d’abord à partir de la synagogue locale pour annoncer l’Evangile aux juifs puis à partir de là, il l’a étendu aux gentils. Ainsi à Philippes Paul se vante d’avoir reçu cinq fois les trente-neuf coups de fouet réglementaires de la part des juifs. Dans ces communautés se trouvaient aussi des gentils qui devenaient prosélytes -circoncision- et participaient au culte de la Synagogue.
Ne disposant ni d’un Temple ni d’une synagogue, les communautés se réunissent dans des maisons privées où elles célèbrent leur culte : le baptême, le repas eucharistique complété par l’écoute de la parole, les hymnes et les prières.
VI. L’écrivain 149
Pour Paul, écrire relève de la fonction apostolique. Ses lettres sont de véritables lettres-missives.
Dans Romain 16: 22, Tertius dit écrire cette lettre aux Romains alors que dans Corinthiens 16 :21 ; Galates 6 :11; Colossiens 4 : 18 ; Thassaloniciens 3 :17 ; ,Philémon 1:19 ; c’est Paul qui écrit ses lettres.
Les lettres sont variées quant à leur contenu en raison des circonstances mais elles obéissent à un schéma régulier comprenant adresse, action de grâces, corps de l’épître et conclusion. « Paul écrivait des lettres, pas des discours. »
VII L’influence 150
L’importance des lettres de Paul dans la théologie, la liturgie et la piété chrétienne est notoire. En était-il ainsi dès le début ?
Du vivant de Paul, l’opposition à sa personne est plus forte du côté juif que païen. Les Actes des Apôtres laissent à peine entrevoir les difficultés, voir la guerre ouverte que Paul a dû subir de la part des chrétiens eux-mêmes. On pense par exemple aux chrétiens qui vinrent troubler sa conférence ,de Jérusalem en opposant à la pratique de Paul l’obligation de circoncire les païens qui accédaient au christianisme. Dans son ensemble, la communauté chrétienne de Jérusalem sera demeurée hostile à Paul.
Plusieurs écrits du nouveau Testament ne portent aucune trace d’influence spécifiquement paulienne. C’est le cas des évangiles de Marc et de Matthieu. Celui de Luc et les Actes accusent quelques traits pauliniens . Mais le courant paulinien se manifeste, aux origines, surtout dans les Epîtres.
Mais le courant de Paul semble s’être perdu dans les sables si l’on consulte les premiers écrits des pairs de l’Eglise qui font peu de cas de Paul et ses lettres. Une thèse est même proposée selon laquelle Paul aurait été exploité par les « hérétiques ». Ce serait Irénée qui aurait réhabilité Paul pour combattre Marcion et les gnostiques mais il est impossible d’admettre un véritable « purgatoire » de Paul au début du christianisme. La première génération des Pères de l’Eglise connait et vénère Paul mais les allusions sont plus clairsemées voire absentes plus tard chez celle des apologètes. Justin ( vers 165) qui a connu les lettres de Paul ne le nomme jamais.
A la différence de Marcion pour qui Paul est le maître par définition, les témoignages sur les systèmes gnostiques du II ième siècle sont loin de faire des écrits de Paul leur unique ni même principale référence. Il en est de même des quarante neuf traités de la bibliothèque copte de Nag Hammadi.
Les ébionites d’après Irénée rejettent l’apôtre Paul qu’ils accusent d’apostasie à l’égard de la Loi. L’exemple le plus développé de cet antipaulinisme se trouve dans le roman pseudo-clémentin à la base des deux variantes les Homélies et les Reconnaissances qui sous le couvert de Simon le Mage visent Paul qui est le traître qui, à l’opposé de Pierre et Jacques a corrompu le message de Jésus. Mais ce sont des données fugitives qui globalement du II ième siècle à nos jours considèrent les lettre de Paul comme incluses dans les Ecritures.
CHAPITRE III. LES AUTRES VOIES DE LA MISSION (DE L’ORIENT JUSQU’À ROME), par Simon Légasse 155
I. Chypre, Asie Mineure et Grèce 155
- Première évangélisation : les Églises pauliniennes, 155
Première étape de ces campagnes : Chypre a reçu l’Evangile de Paul et de Barnabé. L’histoire du christianisme dans l’île baigne dans une obscurité totale jusqu’au IV è siècle. Les légendes ont largement enrichi l’hagiographie.
On n’est guère mieux renseigné sur les villes d’Asie Mineure mentionnées aux chapitres 13 et 14 des Actes. L’épitaphe d’un évêque de Derbé découverte en 1958 ne remonte pas plus haut que le IVè ou V e siècle.
Si l’Epître de Pierre est authentique, le christianisme s’est répandu avant la mort de Pierre en 65 dans les villes de Pont, Galatie, Cappadoce, Asie et Bithynie.
On est un peu mieux renseigné sur les suites des missions pauliennes en Macédoine et en Grèce. Mais pour Athènes, l’épiscopat de Denys l’Aéropagite est une légende décalquée sur les Actes.
L’histoire de l’Eglise de Corinthe dès le Ièr siècle fait quelque peu exception grâce à la lettre de Clément de Rome à Paul adressée en 95 ou 96.
On n’a rien de précis sur les premiers évêques de Corinthe mais mieux informés sure Denys Ier et sa correspondance avec l’évêque de Rome Soter ( 167-174)
2. Un christianisme johannique à Ephèse ?, 158
Le rapport d‘Irénée sur les Evangiles s’achève par une notice sur celui de Jean : « Enfin Jean, le disciple du Seigneur, celui qui a même reposé sur sa poitrine, a publié un évangile, tandis qu’il vivait Ephèse, en Asie ». Un évêque d’Ephèse, Polycrate, parle bien du disciple vers 190-195 et dont le tombeau est à Ephèse mais sans parler de l’Evangile. Aucun de ces deux textes n’identifie ce disciple à Jean fils de Zébédée, un des douze Apôtres.
La distinction est faite bien plus tard et avec un grand soin par Eusèbe quand il commente le texte de Papias ; deux hommes du nom de Jean sont ensevelis à Ephèse, l’apôtre et Jean l’Ancien. Aujourd’hui, la tradition d’attribuer l’Evangile de Jean à l’apôtre est rejetée comme invraisemblable. Reste la figure de Jean l’Ancien, associée par Papias à un certain Aristion, les deux étant présentés comme « disciple du Seigneur ». Mais l’Evangile et l’Apocalypse ne peuvent être l’oeuvre d’un même auteur car le contexte ecclésial y est différent. Il est difficile de ne pas reconnaître dans l’Evangile de Jean l’oeuvre de plusieurs mains mais le corps dur de cet Evangile est influencé par l’hellénisme dans une langue pauvre non dépourvue de sémitismes. On peut proposer que ce corps central soit de Jean l’Ancien.
Autour de cette oeuvre gravitent d’autres productions soit incorporées à l’Evangile, soit distinctes de lui. C’est le cas des Epîtres où l’on perçoit une rectification de l’abus de l’Evangile touchant à la divinité du Christ au détriment de son existence charnelle, d’autre part de l’écho d’un schisme dans les communautés johanniques. L’idée d’une « école » s’exprime souvent dans les travaux des spécialistes. Le conflit avec les « Juifs » dont témoigne l’Evangile, s’accorde avec cette localisation. L’Apocalypse attaque les juifs de Smyrne et Philadelphie en les qualifiant de « synagogue de Satan ».
3. Les Eglises d’Asie au temps de l’Apocalypse, 160.
Les lettres aux sept Eglises qui occupent les chapitres 2 et 3 de l’Apocalypse de Jean sont du même auteur que le reste de l’oeuvre. Le choix de ces Eglises n’est pas exclusif et le chiffre de sept est symbole de plénitude.
Relevons trois éléments susceptible d’éclairer la situation des Chrétiens de ces régions:
Les Persécutions : La persécution romaine est l’arrière-plan de tout le livre de l’Apocalypse et il faut supposer, vu ses destinataires, qu’elle affectait spécialement la province d’Asie. Ce qui leur était reproché c’était moins l’étiquette chrétienne que le fait de se soustraire aux cultes officiels et en particulier au culte de l’empereur. Le prophète, auteur du livre, se présente lui-même comme victime de persécutions et qu’il est « relégué dans l’île de Patmos ».
Pline, dans sa circonscription de Bithynie envoie au supplice les chrétiens qui, interrogés trois fois, ont confessés leur christianisme. D’autres, qui ont apostasié ou déclaré ne plus être chrétiens, ont été relâchés. Pline a enquêté sur les pratiques des chrétiens et a interrogé l’empereur Trajan. La réponse de celui-ci fera jurisprudence par la suite. Elle comprend quatre points : l’autorité ne doit pas prendre l’initiative des poursuites, les chrétiens qui ont rejeté leur religion seront relâchés, les opiniâtres seront condamnés et il ne faut pas tenir compte des dénonciations anonymes.
Les hérésies :
Dans le bourg d’Artabau en Phrygie , un certain Montan fut saisi de transports extatiques et se mit à prophétiser. Deux femmes Priscilla et Maximilla le suivirent dans ses démonstrations. Les populations environnantes se laissèrent gagner. Le montanisme se répandit en Occident sans qu’au début on n’y vit un danger quelconque. Après 200, la tension Apocalyptique diminua dans le montanisme au bénéfice d’un regain de l’ascèse et du rigorisme moral. La survivance du montanisme n’est ensuite attestée que dans des décrets officiels.
II. Egypte 168
La naissance du christianisme en Egypte baigne dans une obscurité quasi totale. On ne possède aucun témoignage direct, sinon des documents tardifs souvent pénétrés de légendes aux éléments invérifiables. Par voie indirecte toutefois, on peut obtenir quelques lumières sur le temps de l’implantation du christianisme dans ce pays.
1. Documentation directe, 168
Pour le premier siècle on allègue parfois les données du Nouveau Testament : la fuite en Egypte de Jésus avec ses parents racontée dans l’Evangile de Matthieu ( 2,13-15). Ce n’est là que le moyen de faire revivre l’histoire d’Israël. Dans ce récit il n’y a aucun élément de communautés chrétiennes en Egypte.
Dans les Actes, le catalogue des populations variées est plus théologique que réel.
En dehors du nouveau Testament, la lettre de Claude aux Juifs d’Alexandrie ( Papyrus de Londres 1912) ne permet pas de conclure que les troubles survenus aient pour cause une propagande chrétienne, comme ce fut le cas à Rome.
Passé le premier siècle, la documentation n’est guère plus éclairante. La lettre du consul Severianus attribuée à l’empereur Hadrien ( 117-138), si elle est authentique, ne nous apprend qu’une chose : il y avait des chrétiens en Egypte dans la première partie du IIième siècle.
Eusèbe de Césarée disperse dans son histoire ecclésiastique une série de dix personnages ayant présidé à la communauté d’Alexandrie à partir de Marc jusqu’au règne de Commodore ( 180-192). Ce catalogue de nom reste invérifiable et a toutes les chances d’être artificiel, créé dans le souci de combler un vide. En tête de liste, Eusèbe place l’évangéliste Marc. Une lettre de Clément d’Alexandrie ( mort avant 215) découverte dans un monastère près de Jérusalem en 1958 affirme que Marc après la mort de Pierre s’est rendu de Rome et à Alexandrie et qu’il « composa un évangile plus spirituel ».
Si l’on admet l’historicité de la tradition alexandrine de Marc et la composition de son évangile peu avant 70 on conclura qu’il ya des chrétiens en Egypte vers la fin du Ièr siècle.
2. Données papyrologiques, 171
L’Egypte s’est montrée prodigue en papyrus de toutes sortes sur une période allant du IV e siècle avant JC au VII è siècle après JC.
Le plus ancien fragment du Nouveau testament sur papyrus contient quelques versets du chapitre 18 de l’Evangile de Jean. Il est daté par les papyrologues au plus tard de 125. Cet évangile serait entré en Egypte au début du IIè siècle. Une question se pose au sujet de la nature de ce christianisme. Selon la thèse de Bauer ( édit 1934) le christianisme d’Alexandrie a mené une existence en marge de la majorité « orthodoxe ». Deux évangiles apocryphes celui dit « des Hébreux » et celui dit « des Egyptiens« témoigneraient en ce sens et seraient gnostiques. Dans sa forme radicale d’inspiration gnostique, cette thèse peut être critiquée.
En conclusion on peut dire que le christianisme a été implanté en Egypte au Ier siècle.et qu’il est probable que Marc y ait participé. La documentation ancienne dont on dispose donne une teinte « éclectique » à ce christianisme .
III. Rome 173
- Naissance du christianisme à Rome, 173
Tacite, au livre XV de ses Annales rédigées après 100 de notre ère raconte qu’alors que Néron étant absent de Rome, un incendie y éclata et dura 6 jours. cela se passait entre le 19 et le 28 juillet 64. Accusé à tort ou à raison, Néron accusa alors la communauté chrétienne.
On tire de ce texte que la communauté chrétienne était nombreuse et se distinguait de celle des Juifs. Les païens savaient que le christianisme était né en Judée et que leur nom provenait de Christ exécuté sous Tibère.
2. Composition et tendance, 175
Une chose est certaine, la communauté de Rome était mixte et composée de païens et de juifs.
3. Pierre et Paul à Rome, 176
Rien dans la documentation que nous possédons n’indique que Pierre a contribué à la fondation de la communauté chrétienne de Rome. Un seul point est assuré : Pierre a subi le martyre à Rome pendant la persécution de Néron. On ignore tout de son vécu à Rome mais on peut affirmer qu’il n’y était sûrement pas en 58 quand Paul écrivit son Epître aux Romains et dans laquelle Pierre n’est pas mentionné. La persécution de Néron est à fixer au mieux en 65 et on tire des Actes et du procurateur Fexus en Judée que Paul est à Rome vers l’année 61. Denys de Corinthe rapporte que Pierre et Paul ont été suppliciés « dans le même temps » c’est à dire entre 65 et 67.
4. Les persécutions, 178
L’Eglise de Rome a eu le privilège d’inaugurer la persécution des chrétiens par l’Empire. Selon Tacite, les uns étaient dévorés par les chiens, beaucoup, mis en croix puis brûlés à la nuit. D’autres chrétiens, sous la peur, en dénonçaient d’autres.
Le sort des chrétiens de Rome après la persécution demeure obscur mais on peut le supposer précaire. Sous Domitien frère de Titus, le règne est marqué par un conflit permanent avec le Sénat et on ne peut guère s’appuyer que sur la lettre de Clément de Rome. Un durcissement vis à vis du judaïsme est à noter sous son règne.
5. Organisation et ministères, 182
Pour connaître l’organisation de l’Eglise de Rome jusqu’en 150 nous disposons de deux sources : la Lettre de Clément et le Pasteur d’Hermas. Chez les deux auteurs c’est le titre de presbytre qui l’emporte et il arrive à l’auteur de nommer les épiscopes de sorte que les deux titres se recouvrent. L’Eglise a gardé le ministère des « docteurs ».
6. Les hérésies : Marcion et son «Église», 183.
Hermas fait plusieurs allusions aux infiltrations hérétiques et celles-ci visent les gnostiques. Il s’en prend à la doctrine qui sépare la chair de l’esprit et qui déclare que les péchés de la chair n’atteignent pas l’esprit.
Dans la première partie du II ème siècle, Rome a été visité par d’éminents docteurs gnostiques. D’après Irénée, Valentin y fit un long séjour. les Pères de l’Eglise le mettent en relation avec Marcion qui arrive à Rome vers 136-140.
Marcion dont les écrits ont disparu nous est connu par ses adversaires : Justin, Irénée, Tertullien et Hippolyte de Rome.
CHAPITRE IV. JUIFS ET CHRÉTIENS : LA SÉPARATION, par Daniel Marguerat 189
Daniel Marguerat né en 1943 est un exégète et bibliste suisse, professeur de théologie protestante.
La mort violente de Jésus le vendredi 4 avril 30 mettait brutalement fin à une tentative de réformer la foi d’Israël. Le cercle des douze apôtres témoigne de la volonté de reconstituer les 12 tribus d’Israël. Le prophète de Nazareth n’a jamais ambitionné de quitter l’espace juif que ce soit géographiquement ou religieusement : « Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez pas dans une ville de Samaritains ; allez plutôt vers les brebis d’Israël » ( Mt 10, 5b-6). C’est le champ que se sont fixés Jésus et ses apôtres.
Dès lors, pourquoi les chrétiens se sont séparés des juifs ? En regardant de près, ce phénomène de séparation est complexe. Quittons l’idée que la foi hébraïque au Ier siècle se soit séparée en deux religions distinctes, l’une rabbinique et l’autre chrétienne dominée par les figures de Pierre et Paul. Il y eu entre les deux d’innombrables ramifications intermédiaires. Assurément, un divorce eut lieu au Ier siècle et la séparation fut rapide et inégale selon les lieux. La première guerre juive (66-70) et la seconde (132-135) ont ébranlé l’identité juive et modifié la compréhension que le judaïsme avait de lui-même.
Cet arc chronologique entre les deux guerres peut être divisé en trois : la première génération ( 30-50) où le christianisme se comprend comme un renouveau du judaïsme. La deuxième (50-70) se vit comme un conflit de famille. La troisième ( 70-90)n se vit comme une période identitaire.
La période d’après 90 est la séparation des chemins : les chrétiens sont exclus de la synagogue et chez les chrétiens s’ouvre une ère d’appropriation de l’histoire du salut.
I. La première génération chrétienne (30-50) : un mouvement de renouveau du judaïsme 190
Le livre des Actes nous donne une image partielle de l’impressionnante diversité qui a marqué l’essor du christianisme durant la première génération de chrétiens. Quatre courants sont identifiables qu’on qualifiera tous de judéo-christianisme car ils considéraient la foi au Messie Jésus comme une forme particulière de participation à l’alliance d’Israël et à sa Loi.
1. La première Église : Jérusalem, 191
Le judéo-christianisme jérusalémiste est la première concrétion du mouvement chrétien. Les Actes brossent en l’idéalisant l’image de ces croyants groupés autour des douze apôtres. Ils sont tous d’appartenance juive avec prière et enseignement au Temple. Mais d’autre part ils se réunissent à la maison pour des prières et la fraction du pain. C’est une croyance juive renouvelée comme il en existait d’autres à profusion ( esséniens, pharisiens, baptistes). Le groupe est d’abord dominé par Pierre puis par Jacques, frère du Seigneur. Il est attaché à Jérusalem qui conformément au Second Isaïe voit le salut dans le rétablissement d’Israël. Ce groupe envoie des émissaires à l’Eglise d’Antioche pour vérifier l’observance rituelle. A cette occasion Jacques et son Eglise exerceront une pression qui confirme son influence supra-régionale.
2. La mission de Pierre, 192
Pour des raisons que l’on ignore – peut-être la pression des pharisiens- Pierre s’est séparé de l’Eglise de Jérusalem laissant sa direction à Jacques. Le nom de Pierre est donc lié à ce judéo-christianisme palestinien missionnaire qui a missionné entre Palestine et Syrie recrutant pour Jésus des adeptes venant de la Synagogue. Ce christianisme est proche de celui de Jérusalem avec peut-être une éthique de pauvreté radicale : « Il leur ordonna de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton … » (Marc 6,8)
3. Un enthousiasme millénariste, 192
L’événement de Pâques a déclenché dans des cercles chrétiens une attente vive de la fin des temps. La venue du Règne de Dieu appartient à un futur imminent. Ceux-ci ont tout quitté pour le règne de Dieu : maison, famille, métier. Au passage ils guérissent malades et possédés. Ces prophètes, sans domicile fixe, sont accueillis par des communautés sédentaires qui les logent et les font vivre de leurs dons. C’est à ce courant que l’on doit l’essentiel de la préservation des paroles de Jésus dans une tradition orale araméenne qui après traduction en grec se fixera dans un document que les chercheurs appellent source des logia ( ou source Q). L’imminence de la venue du Règne exerce ici un effet d’urgence. Ce mouvement se muera rapidement en mouvement de rupture.
4. La percée helléniste, 193
La première crise entre le judaïsme commun et la foi nouvelle date de quelques années après la mort de Jésus vers l’an 35. Elle fut déclenchée par un mouvement hellénistique que l’auteur des Actes appellera « les hellénistes « . Les noms d’Etienne et Philippe sont liés à cette explosion. Ils prennent des libertés à l’égard de la Loi : préservation de la pureté rituelle, respect des interdits alimentaires et distance affichée envers le Temple.
Luc, se basant sur la mémoire de ce mouvement helléniste, a recomposé le discours d’Etienne devant ses accusateurs ( Acte 7). Cette contestation frontale du Temple entraîna la mort d’Etienne et l’expulsion de ses partisans en raison de la liberté prise à l’égard des rites. Les hellénistes se disséminent sur la côte phénicienne, à Chypre, et gagnent surtout Antioche-sur – l’Oronte. Ce groupe est surtout formé de citadins. C’est à Antioche que le nom de chrétien fut donné pour la première fois. C’est avec les hellénistes que l’espace originaire du mouvement de Jésus a donc été dépassé.
On ignore ce que ce groupe est devenu. Par contre son héritage est immense. le « kérygme » qui est l’énoncé de la foi centrée sur le double événement de la mort et de la résurrection du Christ résulte de leur travail théologique.
5. Une extrême diversité, 195
Le judaïsme d’avant 70 constitue un ensemble d’une extrême diversité : sadducéens, pharisiens, esséniens, zélotes, cercles apocalyptiques cultivent chacun leur singularité.
Au sein de ce milieu fortement sectarisé il existe des marqueurs du judaïsme :
1) le monothéisme,
2)la foi en l’élection d’Israël,
3)la Torah reçue d’abord comme un don,
4)le Temple de Jérusalem.
Etre juif consiste à souscrire à ces quatre piliers. Suivant cette perspective il est possible de dire que la foi des Samaritains constitue un schisme face à un judaïsme commun alors que la secte de Qumrân occupe une place marginale mais non séparée de la mouvance juive.
Le mouvement helléniste prépare le schisme par son détachement du rituel du Temple.
6. Une crise interne, 196.
La mission helléniste, conduite par les missionnaires d’Antioche avec Paul au premier rang, sera peu avant 50 au centre d’un conflit menaçant la coexistence des judéo-chrétiens. La communauté de Jacques veut imposer l’intégration des chrétiens à l’alliance d’Israël. Les hellénistes s’étant rebiffés, une assemblée est convoquée à Jérusalem pour trancher le différend. Elle eut lieu en 49.
Le résultat du débat fut une répartition géographique des champs missionnaires : d’un côté la mission auprès des juifs est confiée à ceux de Jérusalem et celles auprès des païens à Paul et aux hellénistes. Selon Paul, (Ga 2,10) nulle autre contrainte ne fut imposée et l’apôtre y vouera une énergie considérable.
Selon les Actes,(15,20-29) quatre conditions furent imposées aux païens : s’abstenir des viandes de sacrifices païens, du sang, des viandes d’animaux non abattus rituellement et d’immoralité. S’annonce ici un conflit qui ira s’aggravant et qui, bien plus que le différend sur la question d’un vrai Messie va précipiter la division entre juifs et chrétiens.
II.La deuxième génération chrétienne (50-70) : un conflit de famille 197
La deuxième génération, comme celle qui précède, se comprend à l’intérieur du périmètre de l’identité juive. La diversité des positions chrétiennes reste entière. Elle va même s’exacerber sous la pression de la mission paulienne et le débat théologique entre les hellénistes et la communauté de Jérusalem qui se contestent mutuellement la légitimité de la participation à l’héritage.
- La mission paulinienne, 198
La mission helléniste a précédé Paul dans le prêche de l’Evangile aux non-juifs. Paul ne fut pas non plus l’homme qui sépara le christianisme du judaïsme, ce divorce n’eut lieu qu’à la génération suivante. Mais il est vrai que sa puissance d’élaboration théologique et l’envergure de son entreprise missionnaire a permis de configurer le christianisme par rapport au judaïsme. Sa principale performance est d’avoir fondé des communautés mixtes : « …vous n’êtes qu’un dans le Christ Jésus » (Ga3,27-28). Paul, l’ancien pharisien, affirme que ce n’est plus la Loi qui fait le partage mais la grâce sur la base de la foi ( Ga3,10-14) (Rm1,16).
Ne nous méprenons pas, Paul ne veut pas créer une nouvelle religion et il rassemble les juifs et les non-juifs. Ses communautés ressemblent par plusieurs traits aux assemblées des synagogues : on y lit la Bible juive, on commente l’Ecriture, les femmes y sont voilées à la mode juive. Mais selon les Actes, l’agressivité juive l’empêche de poursuivre et il se tourne vers les grecs qui accueillent son message. Par contre la Synagogue différencie trois cercles selon la Torah : celui des juifs, celui des prosélytes et enfin celui des craignant-Dieu.
Dans la lettre aux Galates, Paul est d’une rare violence et accuse les galates de passer à « un autre Evangile » que le sien. (1,6-9). Un autre courant s’est infiltré dans l’Eglise qui associe que la foi en Jésus nécessite d’observer la Torah.
Face aux Corinthiens, Paul se rebiffe avec la même énergie contre l’irruption de prophètes charismatiques judéo-chrétiens » ...Ministres du Christ ? je vais dire une folie : moi bien plus ! » ( 2 Co 11, 22-23).
Dans l’Epître aux Romains, sa dernière lettre datée de 56-57, Paul va constamment se justifier de ne pas être « un casseur de Torah ». Dans un long passage de cette Epître, il exprime sa souffrance de voir Israël refuser l’Evangile après avoir refusé le Messie mais il exprime sa certitude que dans un temps qui est proche, arrivera le royaume de Dieu où Israël recevra le salut arrivera.
2. Le judéo-christianisme apocalyptique, 201
Les prophètes charismatiques de la première génération vont migrer en direction de la Syrie. Ils sont toujours porteurs d’un message de rupture. Il s’agit de s’en remettre à Dieu sans souci du lendemain, de tendre l’autre joue en cas d’agression, d’aimer ses ennemis. Ce mouvement est entré en conflit direct avec la population juive. Les messagers chrétiens accaparent la succession des prophètes et rejettent la masse du peuple du côté d’israël : » Vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes » ( Mt 23, 31). Ce conflit s’aggrave d’un facteur : la montée du nationalisme qui conduira à la guerre juive de 66-70.
Dans ce contexte, les messagers se replient en Syrie. C’est durant cette période de 50-70 que la tradition des paroles de Jésus dont ils sont porteurs passe de l’araméen au grec et se fixe par écrit. La rédaction de ce document dit « source Q ou source des logias, signe l’échec de ce groupe à convaincre Israël. Leur tradition sera recueillie à Antioche l’Oronte par l’évangéliste Matthieu qui l’incorporera à l’Evangile ainsi que par l’Evangéliste Luc.
3. L’Évangile de Marc, 203
Tout autre atmosphère théologique dans le plus ancien Evangile, celui de Marc, rédigé peu avant 70. Cet Evangile est habité par la théologie des « Hellénistes ». Il se destine à une chrétienté parlant grec. Marc durcit la position et exprime un refus net de la Torah. L’horizon de l’Evangile est « le monde entier ». ( 14,9)
4. Un christianisme johannique, 204
Dans l’Evangile de Jean c’est encore un autre cas de figure. Comment s’est forgé une tradition aussi originale face aux trois autres évangiles ? Son orientation le met à part du groupe de Jacques autant que du judéo-christianisme apocalyptique ( aucun signe de l’urgence des temps derniers). Très centré sur la réflexion christologique il est placé sous la figure tutélaire de Jean fils de Zébédée. Sa rédaction remonte aux années 90.
5. Aucune trace d’antijudaïsme, 204.
A l’exception de l’évangile de Marc (et encore) le christianisme de deuxième génération se comprend à l’intérieur du périmètre de l’identité juive. Avant 70, il est absurde de parler d’antijudaïsme. Jusqu’à cette date il s’agit encore de frères ennemis et croire au Christ c’est s’intégrer au peuple d’Abraham. La disparition du Temple en 70 va précipiter les événements.
III. La troisième génération chrétienne (70-90) : la montée des identités — 206
29 août 70 : après un long siège, les légionnaires de Titus saccagent le parvis et brûlent le second Temple de Jérusalem que les exilés de Babylone avaient reconstruit. Les légionnaires ignoraient alors comment cet acte allait tant peser sur la destinée du judaïsme et du christianisme. La recomposition s’est faite sous la houlette du mouvement pharisien et elle aboutit chez les juifs à une orthodoxie de la piété.
Pour les groupes chrétiens, les conséquences seront gigantesques. Les communautés chrétiennes vont être placées devant une position d’hostilité et d’exclusion et judaïsme et christianisme se font face. A partir de 90 deux positions demeurent : soit tenir au judéo-christianisme de Jérusalem dans un environnement juif hostile ou couper avec celui-ci et chercher sa voie dans la mission païenne.
Les quatre exemples qui suivent illustrent cette période.
- La survie du judéo-christianisme de Jérusalem, 207
Déjà l’Eglise de Jérusalem avait été fragilisée par l’exécution par lapidation en 62 de Jacques frère du Seigneur et obtenue du Sanhédrin par le grand prêtre Hanne le jeune.
Selon Eusèbe de Césarée et sur la foi du témoignage d’Hégésippe ( palestinien de la fin du II ième siècle), les chrétiens de Jérusalem fuirent à Pella. Marcel Simon a défendu l’idée qu’une partie de ces chrétiens était restée et qu’on trouve leur trace après 70 notamment dans une liste de 15 évêques de Jérusalem jusqu’en 135 ( « sous Hadrien »). A cette date Hadrien interdit l’accès aux juifs de la ville sainte. Après cette date la trajectoire des chrétiens de Jérusalem ne nous est plus connue par le Nouveau Testament mais par les Pères de l’Eglise.
2. L’Église de Matthieu à la croisée des chemins, 208
A la différence de l’Evangile de Marc, dans celui de Matthieu les autorités juives se murent face aux chrétiens. Eglise et Synagogue ne partagent plus le même culte. Et pourtant il n’est pas d’Evangile plus juif que celui-ci ! Le paradoxe n’est qu’apparent. Cet évangile écrit peu après 70 à Antioche sur l’Oronte émane d’une Eglise qui vient de quitter la Synagogue. Cette Eglise rejetée par les juifs voit son avenir dans l’ouverture à la mission païenne et elle s’achève sur le mandat donné par Jésus d’évangéliser toutes les nations ( 28,18-20)
3. Luc-Actes : chronique d’une rupture, 211
Les débuts du christianisme nous sont connus grâce au récit rédigé entre 80 et 90 par cet écrivain et historien que nous appelons Luc. La valeur de son récit ne consiste pas seulement dans les informations transmises mais il est aussi un regard porté sur les relations juifs/chrétiens.
A la différence de Matthieu qui envisage la rupture du lien synagogal d’un point de vue interne, la perspective des Actes est externe au judéo-christianisme. Elle provient d’un helléno-chrétien et se destine à un même public. Son oeuvre trahit une forte et intime connaissance de la Septante, traduction grecque de l’Ancien Testament. Grand voyageur, peut-être originaire de Macédoine, Luc fait partie de la mouvance paulienne qui 2 ans après la mort de Paul préserve sa mémoire et statufie l’apôtre des gentils. Il relate comment la foi nouvelle, partant de Jérusalem, s’est répandue dans l’Empire romain grâce à l’évangélisation des « hellénistes » (Actes 8), puis de Pierre ( (Actes 9-11) et surtout de Paul ( Actes ( 13-28).
4. L’Épître dite « aux Hébreux » : fin du culte d’Israël, 214
De la troisième génération chrétienne nous provient la plus curieuse des Epîtres : « l’Epitre aux Hébreux » dont on ignore l’auteur et les destinataires. Sa virtuosité nous fait penser au judaïsme hellénique. Cet écrit sera reconnu par la chrétienté orientale et aura jusqu’au IV ème des difficultés à se faire admettre par la chrétienté latin.
Le présupposé de l’exégèse allégorique est que le monde terrestre n’est que l’image, l’ombre passagère de la réalité éternelle. Pour l’auteur de cette Epître, le Temple de Jérusalem est la figure provisoire d’un Temple céleste éternel. Le Christ a accompli une fois pour toute le sacrifice ultime qui est le don de soi rendant obsolète le rite sacrificiel lévitique.
5. Deux trajectoires se dessinent, 21
La catastrophe de 70 constitue un point de non-retour avec le repli du judaïsme vers une orthodoxie rabbinique et l’intolérance de la prédication chrétienne va accélérer la fracture.
Deux trajectoires se dessinent alors, la première avec le judéo-christianisme de Jérusalem et son influence régionale et d’autre part le christianisme majoritairement païen qui vient rallier un courant judéo-chrétien expulsé de la Synagogue ( Matthieu)
Avec Luc-Actes, il est possible de consentir à l’Israël du passé et d’en réclamer l’héritage tout en coupant avec les juifs. Mais à ce stade, le privilège d’Israël n’est pas encore confisqué par les chrétiens. Même s’ils sont jugés caduques, les titres d’Israël ne lui sont pas retirés.
IV. Après 90: la séparation des chemins
La période de 90 à 135,est marquée par trois facteurs principaux.
Du côté du judaïsme, des mesures sont prises par les rabbins pour l’exclusion des hérétiques hors des communautés juives.
Parallèlement à ce raidissement, la réussite de la mission chrétienne auprès des non-juifs provoque l’essor de l’helléno-christianisme.
Troisième facteur : le judéo-christianisme survit mais en débat serré avec la Grande Eglise majoritairement helléno-chrétienne.
- La birkat-ha-minim 216
Le Talmud de Babylone et le Talmud de Jérusalem rapportent, sous deux versions différentes, la prière que voici : « Qu’il n’y ait pas d’espoir pour les apostats; et déracine le royaume de l’arrogance au plus tôt et dans nos jours. Que les nazaréens ( noserim = les chrétiens) et les sectaires ( minim) périssent en un instant. Efface-les du livre de vie et qu’ils ne soient pas inscrits avec les justes. Loué sois-tu Seigneur, qui soumets les arrogants. » Cette prière remonte à la fin du premier siècle et provient du collège rabbinique où se forge après 70 l’orthodoxie juive.
Il se peut que les adversaires soient les partisans des « deux puissances du ciel » c’est à dire les tenants d’un dualisme gnostique.
La birkat-ha-minim a dû longtemps varier d’une région à l’autre, d’une synagogue à l’autre.
2. L’avènement de la «Grande Église », 217
Selon les historiens du christianisme le nom de « Grande Eglise » est l’émergence au II ième siècle du christianisme majoritaire opérant en son sein la synthèse des courants helléno-chrétiens principaux. La « Grande Eglise » est l’héritière de la mouvance paulinienne ( Epîtres de Paul, Luc et les Actes) , de la tradition de Pierre ( via l’Evangile de Marc) et de la tradition de Matthieu. Elle représente une constellation d’Eglises apostoliques vénérant la mémoire de Pierre et de Paul. Elle accueillera également et préservera la tradition johannique qui au premier siècle menace de sombrer dans la marginalité gnostique. Clément de Rome, Ignace d’Antioche et Justin Martyr sont parmi les figures éminentes de cette orthodoxie chrétienne en formation.
L’identité chrétienne se profile également contre le judaïsme ce qui va creuser la différence avec le judéo-christianisme.
Du côté de la mouvance paulienne, s’affirme déjà l’ambition de l’Eglise à rassembler juifs et païens par delà les anciens antagonismes. Cette ambition d’universalité est explicitement déployée dans l’Epître aux Ephésiens. et rédigée entre 80 et 100 : » Dans sa chair, il ( Jésus-Christ) a détruit le mur de séparation : la haine. Il a aboli la Loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir du juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix » ( 2, 14b-16a)
Par ailleurs, l’Evangile de Jean a été achevé peu après 90 en Syrie ou à Ephèse. Dans cet Evangile, les juifs composent un front hostile opposé à Jésus. Jean concède que les juifs descendant d’Abraham et que le titre d’Israël leur revient et que le salut vient des juifs. On lit dans l’Evangile qu’ils sont les fils du diable ( 8,44). L’écriture de cet Evangile porte les traces de l’histoire récente de la communauté johannique traumatisée par la perte de ses membres sommés de choisir entre Jésus et l’appartenance au peuple d’Israël.
3. Devenir du judéo-christianisme au IIième siècle, 219
Nous avons déjà précisé la définition du judéo-christianisme : ces juifs chrétiens nourrissent « suffisamment de liens avec la Torah comprise comme alliance et recueil normatif » et suffisamment de liens avec Jésus » pour mériter l’étiquette chrétienne. A leurs yeux, la foi au Messie Jésus n’entre pas en concurrence, mais inclut au contraire l’appartenance à Israël.
Le devenir sur ce mouvement au II ème siècle est difficile à cerner tant l’information sur ce milieu est rare, tardive et tendancieuse. La Grande Eglise triomphante a visiblement tenté d’effacer la mémoire et les traces de ce mouvement dont il ne reste de ses évangiles -( Evangile des Nazaréens, Evangile des Ebionites, Evangile des Hébreux) que quelques fragments cités par les Pères en vue de leur réfutation.
Selon Irénée, « les ébionites n’utilisent que l’Evangile selon Matthieu , rejettent l’apôtre Paul qu’ils accusent d’apostasie à l’égard de la Loi. Ils s’appliquent à commenter les prophéties avec une minutie excessive. Ils pratiquent la circoncision et persévèrent dans les coutumes légales et pratiques juives au point d’aller jusqu’à adorer Jérusalem comme étant la maison de Dieu. »
Le judéo-christianisme ne constitue pas pour autant un mouvement uniforme. Les Pères énumèrent plusieurs appellations sectaires ; nazaréens, ébionites, elkazaïtes. Le témoignage d’Epiphane a quelque raison de douter d’un jugement aussi tranché et atteste de la survie jusqu’au IV ème siècle d’un judéo-christianisme multiforme dont les adeptes, en nombre vraisemblablement réduit occupent la région transjordanienne et syrienne.
La position à l’égard des juifs chrétiens varie dans la Grande Eglise. Certains leur dénient le salut affirmant que l’observance de la Loi est incompatible avec l’appartenance au Christ. D’autres adoptent une position plus tolérante, Justin est de ceux-là. Justin respecte le choix judéo-chrétien.
Le Dialogue avec Tryphon nous offre un bon miroir des relations qui s’établissent entre judéo-chrétiens et helléno-chrétiens. L’option judéo-chrétienne n’est donc pas encore synonyme d’hérésie mais elle est en passe de le devenir.
La littérature pseudo-clémentine et notamment les Reconnaissances, nous restitue la théologie du judéo-christianisme de l’époque. Jésus est présenté comme le prophète annoncé par Moïse. Il a aboli les sacrifices institués par Moïse à titre provisoire pour y substituer le baptême. Comme Moïse il a choisi 72 disciples.
Irénée attribuait aux ébionites une attitude anti-paulinienne où Paul est dénoncé comme « notre ennemi ». L’échec de la mission auprès des juifs lui est imputée et l’opposition à l’apôtre de Tarse apparaît comme irréconciliable.
4. 135 : la page tournée, 222