Jacques Ellul ou l’impasse de la technique

 

 

sur le journal du Mauss : par Jean-Pierre Jéséquel

Pourquoi Jacques Ellul, l’un des principaux penseurs de la technique, précurseur de la décroissance, français, reste-t-il somme toute si mal connu, et notamment en France ? Sans doute, conclut J-P. Jézéquel au terme d’un exposé très éclairant de sa doctrine, parce que cette critique du règne de la technique s’inscrit dans une perspective en dernière instance théologique. Reste à le reprendre en des termes purement laïques.

Jacques Ellul est un des penseurs français les plus considérables de la seconde moitié du vingtième siècle. C’est aussi l’un des plus méconnus ; méconnu, mais pas tout à fait inconnu. Cette affirmation quelque peu péremptoire repose sur le constat de son travail précurseur, original et visionnaire consacré au phénomène technique dans nos sociétés. On peut dire que, chaque jour, l’actualité économique, socio-politique ou climatique fournit des illustrations de la pertinence de ses analyses prémonitoires.

La technique : une question centrale, une analyse incontournable

Au cœur d’une production éditoriale prolifique qui comprend une cinquantaine d’ouvrage, Ellul a publié trois ouvrages consacrés exclusivement à la technique.
La technique ou l’enjeu du siècle  , écrit dès 1950 mais publié seulement quatre ans plus tard est l’ouvrage fondateur. Le système technicien  sorti en 1977 systématise sa pensée sur le phénomène. En 1988, le bluff technologique  actualise ses réflexions avec en particulier de longs développements sur la généralisation de l’informatique. Il n’est pas question de résumer ici un travail qui s’étale sur les quelque 1220 pages que totalisent ces trois ouvrages, sans compter les articles consacrés directement ou indirectement à ce sujet ni le cours enseigné à l’IEP de Bordeaux tout au long de sa carrière universitaire. Il s’agit d’abord de retracer l’originalité de ses analyses et la permanence de leur portée…

Pour Ellul, la technique ne se définit pas par une accumulation de machines. Il se distingue en cela d’un précédent observateur du phénomène technique, Lewis Mumford [6]. La technique a un rapport étroit avec la rationalité : c’est la recherche du moyen le plus efficace dans tous les domaines. Le développement technique s’exprime donc autant dans le domaine matériel que dans l’immatériel, en particulier dans le domaine de l’organisation sociale. A partir de cette définition large, Ellul a longuement analysé les caractères de la technique. D’abord, la technique est devenue un phénomène autonome : autonomie par rapport à l’économique, le politique, le culturel, la morale et, en fin de compte, autonomie par rapport à l’homme lui-même. Il y a une automaticité du progrès technique : une avancée dans tel domaine en provoque inéluctablement une autre dans un domaine voisin ou plus éloigné. Il s’opère une dissolution des fins (assignables par une collectivité humaine) dans les moyens de la technique : « la technique se développe parce qu’elle se développe ». Cette confusion des moyens et des fins est un des points-clé de l’analyse. La technique est devenue globale, universelle. Cette extension de la technique concerne l’ensemble des domaines d’activités de l’homme ainsi que l’ensemble des sociétés . Ellul a été souvent classé, à tort, dans les technophobes, source de contresens majeur sur ses analyses,. Pour lui, la technique n’est ni bonne, ni mauvaise ; elle est ambivalente.

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