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On appelle « révolution verte » le processus qui a conduit de nombreux paysans du Sud à suivre l’exemple des paysans du Nord et à ne cultiver qu’un nombre restreint de céréales, légumineuses, racines et tubercules, préalablement sélectionnés pour leur potentiel génétique de rendement à l’hectare.
Les centres internationaux de recherche agronomique à l’origine de cette « révolution » ont concentré leurs efforts sur la sélection et la création (par hybridation) de variétés de céréales capables de résister aux intempéries et de bien intercepter l’énergie solaire.Implantées à densité de semis plus élevée que les variétés traditionnelles, elles devaient théoriquement permettre un accroissement significatif des rendements.Théoriquement…
Dans les faits, la logique des économies d’échelle et la volonté de rentabiliser au plus vite les investissements de recherche ont, comme cela s’était produit au Nord, poussé les agronomes à mettre au point un nombre limité de variétés, censées pouvoir être cultivées en toutes saisons et sous toutes les latitudes. Le travail de recherche a porté en priorité sur trois principales céréales cultivées dans les régions intertropicales : le riz, le blé, le maïs. Les haricots et la pomme de terre ont vaguement retenu l’attention des sélectionneurs, mais toutes les productions locales traditionnelles qui nourrissent l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine depuis la nuit des temps (le manioc, le taro, l’igname, la banane plantain, l’ensète, le sorgho, le mil, le fonio, le teff, l’éleusine, le sarrasin, le pois cajan, le lupin, l’amarante et le quinoa) ont, quant à elles, été délaissées.
Erreur ? Oui, car il s’est passé au Sud exactement ce qui s’était passé au Nord : les nouvelles variétés n’ont pu bien souvent exprimer pleinement leur potentiel génétique qu’au prix d’une irrigation maximale et d’un apport massif d’engrais de synthèse et de produits phytosanitaires. Cultivées hors de leurs lieux de sélection, elles se sont révélées sensibles à la concurrence des mauvaises herbes et aux agressions des insectes ravageurs ou des champignons pathogènes. Résultat : pour beaucoup de petits paysans, faute d’intrants chimiques et de maîtrise de l’irrigation, les rendements… ont chuté.
En Amérique centrale, le moindre stress hydrique en période de floraison dans les cultures associées affectait les maïs hybrides. Sur la côte est de Madagascar, les inondations submergeaient le riz à paille courte. Dans l’île de Java, les insectes piqueurs-suceurs fondaient sur les plants de riz et les infectaient.
Finalement, les nouvelles variétés n’ont pu être employées aisément que dans des régions déjà fertiles et bien équipées en infrastructures de drainage et d’irrigation, dans lesquelles des exploitants agricoles relativement aisés n’avaient pas trop à craindre les accidents climatiques : Penjab indien et pakistanais, périmètres irrigués du Nord-Est mexicain, plaines alluviales du Sud-Est asiatique, etc. Pour les autres, la « révolution verte » a été synonyme de désastre financier et humain.
La ruine verte
La révolution verte a coûté cher : semences « améliorées », engrais minéraux, produits pesticides. Peu de foyers agricoles ont pu payer comptant ces innovations. Il a donc fallu emprunter. Pour permettre aux plus pauvres de le faire, les gouvernements du Sud ont mis en place des systèmes de crédit agricole dans le cadre de projets de développement plus ou moins directifs. C’est ainsi que des paysans ont hypothéqué leurs terres, leurs troupeaux et, incapables de rembourser les fonds, ont tout perdu. Les États ont eux-mêmes emprunté sur les marchés internationaux pour réaliser les barrages et canaux d’irrigation. Avec pour effet d’accroître encore une dette extérieure déjà pléthorique.
La révolution verte a donc bien révolutionné les campagnes du Sud… en jetant les familles paysannes tombées en faillite sur les routes d’un exode rural accéléré, en direction de bidonvilles déjà surpeuplés. Et cette pauvreté précipite annuellement des centaines de millions de gens dans les circuits des migrations internationales clandestines.
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Extraits de Famine au sud, malbouffe au nord : Comment le bio peut nous sauver, Editions Nil (2 février 2012)